Texte intégral
Nicole Ameline : Bonjour à tous.
Question mail : Benjamin : Quand aura-t-on une réelle égalité des salaires dans l'entreprise ?
Nicole Ameline : Je voudrais répondre que la volonté du gouvernement est claire : nous nous donnons 5 ans, pour supprimer les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes. Les conditions sont aujourd'hui réunies.
Fresh : Quels sont les secteurs champions de l'égalité professionnelle ?
Nicole Ameline : Il n'y en a pas encore assez. Le grand secteur de l'automobile et celui du bâtiment font de réels efforts. Mais il faut que ce soit l'ensemble des entreprises qui comprenne que l'égalité est une exigence économique et sociale.
Bouclettes : Pouvez vous nous donner cinq points importants du projet de loi pour l'égalité salariale ?
Nicole Ameline : Je vais commencer par l'aspect le plus essentiel : ce délai de cinq ans. Jamais un pays n'est allé aussi loin dans l'affirmation d'une volonté et d'un objectif. Par ailleurs, on réconcilie la maternité et l'emploi. Les femmes n'auront pas de pénalisation sur leur salaire à leur retour de maternité. Nous facilitons le droit individuel à la formation des femmes, qui aujourd'hui ne sont pas les premières à bénéficier de ces droits. Les autres dispositions tiennent véritablement à cette suppression d'écart de salaire. Il y a deux outils d'accompagnement importants : le crédit impôt famille, qui permet de créer toute facilité sociale dans l'entreprise, par exemple les crèches. Puis le label égalité, qui fait de l'égalité un atout de compétitivité pour les entreprises.
Anouk : Pourquoi attendre une durée de cinq ans pour accéder enfin à l'égalité des rémunérations ?
Nicole Ameline : C'est une très bonne question. Nous avons besoin de ce délai pour permettre aux entreprises de faire un bilan précis avec les partenaires sociaux des discriminations actuellement. Lorsque les écarts sont importants, il faut aussi donner le temps à l'entreprise de les supprimer sans donner une difficulté de gestion trop importante. Cinq ans, pour certaines entreprises, c'est très court. Pour nous, c'est un délai juste.
Virginie : Il y a beaucoup de textes et peu d'applications pratiques. Ne pensez-vous pas que le terme "égalité" est bloquant pour les entreprises, qui se cantonnent à du 50/50 et ne voient pas les enjeux futurs d'une réelle égalité ? Ne devrait-on pas parler d'équité, de mixité ou de parité ?
Nicole Ameline : Entre les textes nombreux et la réalité, il y a toujours cet écart, qui n'est plus acceptable. Si nous faisons aujourd'hui une loi, c'est parce que nous savons qu'elle est en accord avec le contexte de l'économie et des partenaires sociaux, et nous savons qu'elle va réussir. Qu'on parle d'égalité ou de mixité ou de parité, la question est de savoir comment créer une culture d'entreprise ouverte aux hommes et aux femmes dans l'esprit de plus de performance et aussi plus d'humanité. L'idée n'est pas de faire de l'égalité une contrainte de gestion pour les entreprises, mais bien un atout de performances pour elle. Je suis convaincue qu'on va réussir.
Benny : Y a-t-il actuellement une loi qui régit la discrimination à l'embauche des femmes ? Si oui que comptez-vous faire pour l'améliorer ? Si non que comptez-vous entreprendre pour faire cesser cette discrimination ?
Nicole Ameline : Il y a des lois, et d'ailleurs, l'Europe a été un formidable moteur de modernité pour nos sociétés sur ce terrain. Ce qui compte, c'est qu'aujourd'hui, l'économie se renforce de tous ses talents. La diversité est créatrice de ressources. Aujourd'hui, il y a de nombreux départs en retraite. Il faut que la lutte contre la discrimination laisse place de plus en plus à cette ouverture intelligente à la richesse humaine.
Olivier, chef d'entreprise : Madame la ministre, considérez-vous que les modalités d'application de la loi puissent être les mêmes, au moins à court terme, dans les grandes, petites et très petites entreprises ?
Nicole Ameline : C'est un vrai sujet. Il faut respecter l'entreprise. Nous avons le souci, par exemple, de faire en sorte que les dispositions soient très accessibles aux petites entreprises, qui ont d'ailleurs intérêt, davantage que certaines grandes, à jouer la carte de la mixité. Il est important que les femmes puissent avoir accès dans de bonnes conditions aux petites entreprises comme aux grandes. Les petites entreprises disposeront d'une aide financière de 400 euros pendant l'absence d'une jeune mère de famille, pour mieux gérer cette période qui reste pour beaucoup un vrai souci.
G. Zu : C'est quoi l'intérêt des entreprises de jouer le jeu de l'égalité ?
Nicole Ameline : Sur le plan des entreprises, cette notion de responsabilité sociale n'est pas absente. Le facteur humain devient central, l'atout central de la performance. Les salariés deviennent capitaux dans la compétitivité de l'entreprise. En termes de productivité interne et d'image de l'entreprise, le fait de faire de l'égalité une force, une valeur, renforce considérablement l'attractivité de l'entreprise. Quand il faut attirer de nouvelles compétences, les former, les fidéliser, il faut d'abord valoriser celles qui existent dans l'entreprises, et qui aujourd'hui ne sont pas toutes mises en valeur comme elles le devraient. Donc les entreprises ont un intérêt majeur de rentrer dans cette logique.
Marie-Ange : Quelles actions positives entendez-vous mettre en oeuvre afin que la parité professionnelle puisse devenir attractive et compétitive aux niveaux des entreprises (publiques/privées) ?
Nicole Ameline : C'est une culture, d'abord. Ça commence par l'éducation. Il faut que les jeunes femmes puissent, le plus rapidement possible, comprendre que le monde professionnel leur est ouvert. Aujourd'hui, nous retrouvons les femmes dans six des trente filières professionnelles qui existent. Il ne faut pas penser que les entreprises portent seules cette responsabilité. C'est en amont. Il faut aider les entreprises pour qu'elles se sentent soutenues. Ce crédit impôt famille est une possibilité pour avoir un crédit d'impôt pour les entreprises qui créent, soit des services à la personne, soit des services collectifs. Mais encore une fois, c'est la société qui doit s'engager, pas seulement les entreprises.
Laurence : Madame, à votre avis pourquoi la France a-t-elle du mal culturellement à admettre et à valoriser une femme ayant des enfants dans la vie professionnelle ?
Nicole Ameline : C'est un problème de fond. Aujourd'hui, si on ne comprend pas que nous avons deux défis majeurs, l'emploi des femmes, et la démographie, nous n'avons pas bien compris la modernité. Or nous avons beaucoup de chance, le modèle social en France est exemplaire. Les femmes travaillent, et plus elles travaillent, plus elles ont des enfants. Faire en sorte que les femmes se sentent totalement engagées dans la vie professionnelle, c'est réussir sur un double titre : créer de la performance et favoriser notre démographie. Aujourd'hui, beaucoup de femmes sont restées dans la culture du siècle dernier, pendant lequel elles n'étaient que les forces d'appoint de l'économie. Quand vous êtes une variable d'ajustement, vous ne pouvez pas vous réaliser.
Myriam : L'inégalité n'est-elle pas due au fait que les hommes ont peur des femmes ?
Nicole Ameline : Myriam a peut-être raison. La société n'a pas été, au siècle dernier, ni construite ni gérée par les femmes. Nous entrons dans un temps nouveau où il y a un rééquilibrage entre les femmes et les hommes. Il y a beaucoup d'hommes modernes qui sont rentrés dans cette dynamique. Parfois, les portes des entreprises ou des carrières s'ouvrent, mais les femmes ne sont pas toutes là. Nous allons faire en sorte qu'il y ait cette adéquation entre la montée en puissance nécessaire des femmes et l'attitude des femmes.
Militant : Comment peut-on prôner la parité dans le monde du travail alors que l'on sait bien qu'elle n'existe pas dans les écoles, que les filles sont moins fortes en maths par exemple ?
Nicole Ameline : Je ne laisserai jamais dire que les filles sont moins fortes en maths. D'abord, ce n'est pas vrai, ensuite, il est clair que les filles sont très vite engagées sur d'autres filières, d'autres matières. Les enseignants doivent être conscients qu'on est parfois tenté de reconstruire inconsciemment le système en place. Or la mixité se construit chaque jour. Il ne doit pas y avoir d'idées reçues, pas de conservatisme. La mixité, c'est le respect de l'autre dans sa différence.
Virginie : Comment mettre en oeuvre une réelle égalité à travers les partenaires sociaux en entreprise, quand les syndicats sont les plus touchés par les déséquilibres hommes/femmes ?
Nicole Ameline : C'est juste. En plus, nous n'avons pas à être arrogants vis-à-vis des entreprises. La France tout entière doit s'engager sur l'égalité. C'est parce que ce progrès sera partagé que la culture irriguera l'ensemble des activités. Les partenaires sociaux sont engagés. Nous organisons aujourd'hui un tour de France de l'égalité professionnelle avec eux. Nous disons ensemble : l'égalité, c'est une chance pour tout le monde, pour l'entreprise, allons-y ensemble.
Alexisz : Madame la ministre, le coût d'intégration dans une entreprise ou une administration de personnel féminin est parfois important. Il s'agit souvent même d'un investissement financier conséquent. L'aménagement d'un vestiaire, les locaux sanitaire... Pensez-vous mettre en place à terme des aides conséquentes ?
Nicole Ameline : Nous avons aidé, avec ce crédit impôt famille... Je vous invite à aller voir sur le site de Bercy (http://www.minefi.gouv.fr). Nous défiscalisons toute innovation sociale. Par exemple : le matin, vous arrivez au travail et remettez une fiche de course à faire pour le soir, des courses qu'on vous remettra avant le départ. Cela change la vie. Très souvent, ce sont les femmes qui sont obligées de quitter l'entreprise le plus tôt possible, et elles intègrent tellement ces contraintes que lorsqu'elles cherchent un emploi, elles se placent en situation d'infériorité cause de cela. Donc il faut que le management soit un peu plus moderne. C'est un défi de la modernité.
Bruno78 : Y a-t-il inégalité des sexes même dans la vie ministérielle ?
Foncia : Les ministres femmes sont-elles aussi bien payées que leurs collègues masculins ?
Nicole Ameline : Sur le salaire, je dis oui, très clairement. Nous ne sommes pas aussi nombreuses au gouvernement que les hommes, mais les femmes ont des postes importants. Et nous avons un gouvernement qui est résolument engagé. Chaque ministre a signé un engagement personnel pour l'égalité. Par exemple, le ministre des Sports fournit un effort auprès des fédérations sportives pour que les femmes puissent y être plus facilement accueillies.
Vanessa : La parité n'est pas respectée à tous les niveaux de la vie politique. Que comptez-vous mettre en oeuvre pour que les femmes puissent accéder à des mandats électoraux ?
Nicole Ameline : Nous avons une loi qui est celle de la parité, qui a donné des résultats, attendus mais limités. Si en matière d'égalité professionnelle nous sommes en initiative en Europe, nous ne le sommes pas dans le domaine de la politique. Par exemple, à l'Assemblée nationale, faisons en sorte qu'il y ait autant d'hommes que de femmes. S'il y avait une parité parfaite sur les listes électorales aux élections régionales, on ne la retrouve plus dans la distribution des responsabilités. Je demande qu'un certain nombre de propositions soient mises en lumière dans les mois qui viennent, et le Premier ministre proposera des initiatives nouvelles.
Lef : Une présidente de la République... Quand cela sera-t-il crédible ?
Nicole Ameline : Une présidente de la République, ce n'est pas facile. Là où nous avons beaucoup d'hommes candidats, il y a peu de femmes qui effectivement sont déjà à des niveaux suffisants. Donc il y a une crédibilité, bien évidemment, et je pense que ce siècle va nous donner raison, mais en même temps, cela passe aussi par un renforcement très important des femmes à un niveau de responsabilités politiques. Nous sommes au début d'une évolution qui est trop lente à mon avis.
mametine : Ne faut-il pas changer l'image des femmes dans les manuels scolaires, sur les jouets ?
Nicole Ameline : C'est tout à fait exact. Sur les manuels scolaires, le travail est engagé. Il est énorme. Il faut repenser quasiment certains concepts sans réinventer l'histoire. Je voudrais dire combien la publicité est importante. Avec le bureau de vérification de la publicité, nous avons fait avancer cette notion de dignité, du rôle et de la place des femmes, notion qui a souvent été maltraitée. Les jouets : il est très important que les parents se rendent compte aujourd'hui que la mixité, c'est aussi pouvoir échanger les jouets, et qu'il ne faut pas être focalisé sur la poupée pour la petite fille et l'ordinateur pour le garçon.
Marc, ancien DRH : Madame Ameline, vous avez instauré les labels Egalité décernés à plusieurs entreprises aujourd'hui, mais sur quelles bases ? Seulement des intentions ? Y aura-t-il un contrôle des clauses du Label ?
Nicole Ameline : Le label égalité est très sérieux. C'est à la fois une exigence, c'est-à-dire que les critères de ce label sont rigoureux mais accessibles. Comme l'ont été les normes Iso 9000, il s'agit de faire en sorte que les entreprises se fixent une hiérarchie de valeurs, qui conditionne leur image. Le label sera délivré par un organisme de certification officiel, qui intervient sur une démarche qui sera réévaluée dans trois ans. C'est un engagement de l'entreprise, c'est très sérieux. PSA l'a obtenu, EADS aussi. Ça concerne aussi les petites entreprises. Il y aura en juin une promotion de PME.
Mamétine : Quelles sont vos premières impressions sur le label égalité. Savez-vous pourquoi les grandes entreprises de service public ne se présentent pas au label ? Ne seraient-elles pas en retard, non pas dans la volonté mais dans la mise en oeuvre réelle de l'accord d'égalité qu'elles ont elles même signé ?
Nicole Ameline : La question est très aimable, car en réalité, nous ne sommes pas dans une situation exemplaire dans les administrations et les entreprises. Une des dispositions de la prochaine loi permettra de renforcer les conseils d'administration mixtes. C'est la France qui est concernée, la France de l'administration, mais aussi des grands organismes ou structures.
Nif : Comment faire pour qu'un homme et une femme gagne la même chose alors que même les hommes entre eux connaissent des disparités énormes ?
Nicole Ameline : La question n'est pas celle du nivellement des salaires, mais l'égalité des chances, celle des conditions de réussite des uns et des autres. Les différences de salaire sont liées à l'organisation de l'entreprise mais aussi au niveau des formations et des qualifications. Quand il y a des femmes qui ne sont pas sur le bon positionnement professionnel, elles n'arrivent pas en force dans l'entreprise. Il faut une égalité des chances, une égalité des formations, et l'entreprise doit se poser la question de l'évaluation de l'affectation des postes. C'est cet exercice de remise à plat dans la gestion des ressources humaine qui fonde cette nouvelle logique d'égalité.
mimi : Quelles sont les mesures prise pour réajuster les retraites de femmes qui se sont arrêtées pour élever leurs enfants ?
Nicole Ameline : Nous y réfléchissons actuellement. Il y a là un vrai sujet de préoccupation pour les femmes qui ont choisi d'élever leurs enfants. Toute la politique que nous menons est de faire en sorte que les femmes puissent travailler, c'est une question d'autonomie, d'épanouissement personnel. Le drame est souvent de reprendre le chemin de l'emploi de façon forcée et contrainte, pas toujours dans de bonnes conditions. Notre chantier prioritaire est la formation.
Nif : Etes-vous pour une embauche avec un CV sans photo, sans mention du sexe... sans rendez-vous d'embauche ?
Nicole Ameline : Non, pas tout à fait. Aujourd'hui, nous devons, au contraire, nous convaincre que l'économie moderne a besoin de tous ses talents. Ces talents sont partout dans notre pays. La diversité, qu'elle soit sociale, éducative, culturelle est un apport pour l'entreprise comme elle l'est pour la société. Il faut considérer que la différence est une plus-value, un facteur d'enrichissement, et ne doit jamais être un facteur d'exclusion. Nous devons aller chercher ces compétences pour cette diversité qui est la richesse de la France.
Hugo : Si la parité n'est pas appliquée en politique, les partis préférant parfois payer les amendes, qu'espérer des entreprises si les politiques ne montrent pas l'exemple ?
Nicole Ameline : Hugo a raison. Il faut que ce soit la société qui s'engage une fois pour toutes. Si les entreprises s'engagent, il faut que l'ensemble du monde politique suive. Les politiques doivent pouvoir représenter la diversité de notre pays, qui est une richesse nationale, qui doit être "gérée", valorisée comme telle.
Grégoire (Levallois) : L'égalité dans le cadre du travail, n'est-ce pas aussi donner plus de droits familiaux aux hommes... Pour qu'ils puissent devenir des hommes aux foyers avec les mêmes droits que les femmes ?
Nicole Ameline : Oui, il a parfaitement raison. Dans toutes les politiques que nous menons, nous les promouvons pour les hommes et les femmes pères et mères de famille. Je me réjouis que les hommes puissent bénéficier de plus en plus du congé parental. Il est très clair que certains d'entre eux entrent délibérément dans ce nouveau partage des responsabilités familiales et professionnelles. C'est un tout, et je pense que c'est un progrès social en même temps qu'un progrès humain, car les rôles sociaux prédéterminés sont derrière nous.
robert : Est-ce que vous travaillez avec d'autres partenaires européens pour généraliser les bonnes pratiques ?
Nicole Ameline : L'Europe avance, et je crois beaucoup à ce progrès partagé, à cette démarche collective. Aujourd'hui, dans le monde contemporain, on ne peut pas agir seul. Le ministre du Travail s'intéresse à ce label. Je m'intéresse à ce qui se passe dans les autres pays. Il est important que nous puissions renforcer nos forces ensemble.
Modérateur : Selon vous, le projet de constitution européenne va dans ce sens ?
Nicole Ameline : La constitution inscrit neuf fois le principe d'égalité entre les hommes et les femmes dans les nouveaux articles ! La constitution, c'est le nouveau pouvoir des femmes. C'est la consécration d'un acquis européen considérable, mais en plus, elle va donner une base nouvelle pour les Etats européens pour aller plus loin. Non seulement je crois en cette constitution, mais elle sera pour les femmes la nouvelle marche attendue pour construire l'avenir.
Cavalière : En Allemagne, la discrimination positive est appliquée pour l'emploi des femmes dans la police, pensez-vous qu'il faut en arriver là en France ?
Nicole Ameline : Les traités européens permettent de proposer des discriminations positives lorsqu'il s'agit d'égalité entre les hommes et les femmes, c'est la seule situation juridique qui le permette. Il y a un certain nombre de points, on l'a fait pour la parité politique, qui nous a permis d'imposer des règles qui étaient insurmontables pour l'évolution normale des faits et des temps. Nous travaillons beaucoup avec l'Allemagne pour que l'égalité progresse dans nos deux pays. Nous échangeons beaucoup de pratiques.
Virginie : Les mesures du gouvernement ne sont-elles pas contradictoires en prônant une égalité au travail, alors que sur certains points elles incitent les femmes à rester au foyer ?
Nicole Ameline : Rien ne doit être fait qui ne facilite pas, au contraire, l'arrivée massive des femmes sur le marché de l'emploi, mais aussi aux responsabilités professionnelles. Sortir de la précarité, c'est consolider l'emploi. Faire en sorte que les femmes trouvent dans l'emploi la réponse à leur situation.
Fanny : Pourquoi les textes précédents, notamment la loi de 1972, qui posait le principe "à travail de valeur égale, salaire égal", la "loi Roudy" de 1983 et la "loi Génisson" du 9 mai 2001, n'ont pas suffi ? Ne craignez-vous pas que votre projet de loi ait le même destin ?
Nicole Ameline : Non, parce que j'ai changé de méthode. Lorsque je suis arrivée au ministère, j'ai changé. Nous avions soutenu la loi Génisson, mais il n'y avait pas de résultat. Alors, je me suis dit qu'il fallait changer la méthode. J'ai réuni les chefs d'entreprise, les partenaires sociaux, les syndicats, tous ceux qui peuvent faire en sorte que le déclic se fasse. Le déclic a demandé deux ans, mais nous y sommes arrivés. Nous avons réussi à ce que l'adhésion qui manquait se fasse aujourd'hui. Il y a l'adhésion et je fais la loi, la loi vient en appui. On ne peut pas imposer des textes lorsqu'ils ne sont pas compris ni acceptés.
Annick : Pourquoi aucun gouvernement n'a pensé à donner un salaire aux femmes qui souhaitent élever leurs enfants ?
Nicole Ameline : C'est un vrai débat et je respecte les femmes qui sont sur cette logique, mais je suis en charge de l'égalité professionnelle, donc mon coeur de mission est de faire en sorte que les femmes travaillent dans les conditions adaptées à leurs compétences et à leur place dans la société. Notre modèle social tend à montrer que plus les femmes travaillent, plus elles ont des enfants. Le modèle qui consiste à rentrer chez soi était valable au 20e siècle. Nous sommes en train de valoriser le fait d'être manager familial, nous donnerons une validation d'acquis de l'expérience pour aider les femmes qui, lorsqu'elles sortiront de cette phase d'éducation des enfants, voudront revenir sur le marché de l'emploi. Mais nous sommes plus sur cette démarche.
Michele60 : On sait que dans le monde du travail, ce sont les femmes qui sont le plus victimes du harcèlement moral. La justice est lente... or ce type de comportement est très préjudiciable, pensez-vous que vous allez pouvoir agir sur ce thème ?
Nicole Ameline : Le garde des Sceaux s'est engagé auprès de monde de la justice à travers un guide de l'action publique, document très important, pour que les violences sous toutes leurs formes, conjugales ou autres, puissent être mieux combattues. Dans une démocratie moderne, on doit dire non à la violence. Une femme doit savoir qu'elle n'est pas seule, et que la société est dans son rôle quand elle répond à la violence. La police est mobilisée aujourd'hui pour éradiquer la violence de la société. Nous en avons fait un dossier de société, et non pas un cas personnel de femmes victimes. Nous sommes déterminés... Je portais l'autre jour au Brésil un T-shirt : la vie commence quand la violence s'arrête ! Il faut en faire un slogan personnel.
Virginie : Pourquoi préférez-vous des mesures incitatives plutôt que directives, sans aucune sanction ?
Nicole Ameline : Sur l'égalité salariale, il y a les deux. Naturellement, nous avons fait le pari de la confiance aux entreprises et de la réussite, mais nous avons une logique de résultat. Le président de la République est clair : cinq ans pour réussir. Les entreprises seront très incitées à engager une négociation sur l'égalité salariale, et si elles ne le font pas, leurs accords salariaux obligatoires seront bloqués. Si cela ne suffisait pas, mais cela parait peu probable, au bout de trois ans nous ferons le point. Et si on constate que cela ne marche pas, nous créerons une taxe sur la masse salariale qui sera l'incitation peut-être la plus ultime, mais nécessaire car nous arriverons à l'engagement que nous avons pris. Cinq ans, c'est juste à la fois, mais pour certains c'est beaucoup trop court, et peut-être trop long pour d'autres, mais c'est juste et c'est une obligation de résultat.
Thierry N : De quoi êtes-vous la plus fière dans votre action depuis que vous êtes dans le gouvernement ?
Nicole Ameline : De trois choses. La première, c'est d'avoir mis sur la place publique la question des violences. Nous allons avoir beaucoup de femmes qui seront fières de dire pourquoi elles ont dit non à la violence. Nous sortons de l'oubli, de l'isolement et du silence. La deuxième chose, c'est l'égalité professionnelle. Pour la première fois, je sens les entreprises ouvertes, engagées. Troisièmement, c'est une Europe unie face à ces valeurs. Nous avons pu mobiliser l'Europe, la francophonie, le Maroc... et nous avons gagné sur le principe de l'égalité. En clair, tant sur les questions du quotidien que sur les questions européennes, et la France a un rôle important car elle est toujours entendue et attendue, nous réussissons à influencer l'évolution du monde sur nos valeurs. C'est une grande satisfaction.
michele60 : Quel est le projet qui vous tient vraiment à coeur ?
Nicole Ameline : La réussite de notre grand rassemblement demain avec Simone Veil. C'est la première marche d'une histoire qui trouve aujourd'hui avec la Constitution un formidable rebond, un renforcement. C'est la victoire des femmes. Mais au-delà de ce jour important, demain, mon prochain projet sera de faire que les femmes soient au rendez-vous de l'économie moderne dans tous les aspects professionnels. Nous allons lancer une offensive en termes de formation. Nous allons travailler sur le temps partiel, qui ne va pas très bien. Il faut qu'on en améliore la rentabilité et l'efficacité. Et c'est aussi tout ce qui va concerne l'Europe qui avance, qui se crée de plus en plus sur l'égalité, il y a un tel enjeu dans le monde que plus nous ferons progresser la France dans le monde, plus la démocratie y gagnera.
Justine de Colmar : Bonjour Madame la ministre, j'ai lu qu'à votre initiative les femmes s'engagent pour l'Europe et se rassemblent demain au Trocadéro, à 19h. J'y participerai. Y parlerez-vous d'égalité salariale et professionnelle et des apports de l'Europe ?
Nicole Ameline : Oui, Justine, il faut que vous veniez me voir demain ! C'est un beau rassemblement de femmes, mais il y aura des hommes aussi qui se réuniront au Trocadéro, autour de femmes comme Nicole Notat par exemple. Claudie Haigneré sera là aussi. Elle fut l'une de nos premières femmes dans l'espace. Pourquoi l'Europe, c'est aujourd'hui l'espace des femmes ? C'est non seulement leur histoire, leur avenir, mais c'est leur espace. On parlera de culture, de philosophie, du vote, et je souhaite que les femmes portent la dynamique du oui à l'Europe car, si elles s'engagent, elles peuvent faire la différence.
Hugo : Pour faire progresser l'égalité, accepteriez-vous de travailler avec les femmes ministres des gouvernements Jospin ?
Nicole Ameline : Je travaille beaucoup avec elles. Pas dans le même gouvernement, mais je travaille avec elles car je conduis une politique d'égalité, et je pense le faire avec toute la force voulue, mais je travaille dans un esprit extrêmement transversal. L'égalité, c'est la France. C'est tous les talents au service de cette valeur de la République. De toute façon, je suis quelqu'un de libéral en politique. Je suis extrêmement ouverte et très soucieuse de fédérer les talents et les énergies. Nous n'avons pas le droit d'attendre sur un sujet comme celui-ci. Donc je travaille avec toutes et tous, et demain soir, ce rassemblement sera extrêmement ouvert et riche de tous ces talents.
Thierry N : Quels sont les obstacles principaux pour l'égalité des femmes ? Sentez-vous des réticences au niveau de l'Etat ?
Nicole Ameline : Non, pas du tout. Au niveau de l'Etat, non. La résistance vient de la société tout entière, c'est-à-dire du fait que, depuis Jean-Jacques Rousseau, les rôles étaient un peu répartis. On a eu le code Napoléon qui n'a rien arrangé, puisque les femmes ont été considérées comme des mineures incapables au sens juridique du terme. Sortir de cette histoire est quelque chose de très difficile, et d'ailleurs, il n'y a aucune critique dans ce que je dis, car en dehors des femmes militantes, il faut dire que la société évolue plutôt lentement. Il faut se battre contre les stéréotypes. C'est quelque chose qui doit nous concerner tous. On n'échappe pas à des réflexes, à des a priori. Ce qui est important dans la modernité, c'est de regarder l'autre avec une vision différente. C'est une culture, c'est une éducation, c'est une société nouvelle. Nous sommes en train d'entrer dans cette société, il me semble, beaucoup plus humaine, beaucoup plus solidaire. C'est un peu normal que cela demande du temps, mais aujourd'hui, nous sommes en train de réussir ce pari, je sens l'engagement de tous et c'est par cet engagement que nous allons faire changer les choses.
Tou Ranjène : Ne croyez-vous pas que nous allons stériliser un peu le monde de l'entreprise un peu plus... et le rendre tellement politiquement correct ?
Nicole Ameline : Je pense qu'il faut rendre le monde économique économiquement efficace et faire en sorte que l'entreprise en soit aussi le reflet. C'est important car une entreprise a des clients, souvent des consommateurs, et en termes de marketing, d'image, l'entreprise doit être aussi le reflet de la société. Chacun a tout à gagner aujourd'hui de la mixité. Les 200 premières entreprises américaines les plus compétitives ont choisi depuis longtemps la mixité, un management ouvert et cela marche. Politiquement correct, je ne suis pas sûre que les entreprises ont toujours cet esprit, mais l'économiquement correct, oui.
Virginie : Vous êtes ministre de la Parité et de l'Egalité professionnelle et vous êtes une femme. Pensez-vous qu'un homme à votre place aurait mené les mêmes actions que vous ?
Nicole Ameline : Oui. Nous avons la chance dans ce gouvernement d'avoir eu des hommes et des femmes, je ne dirais pas à contre-emploi pour ne pas tomber moi-même dans les stéréotypes, mais qui n'étaient pas forcément attendus à leur poste. Christian Jacob a fait une excellente politique de la famille, et c'est un homme. Avant, il avait des responsabilités syndicales. Ce qui prouve que la société doit évoluer dans ses clichés. On pourrait dire : on met une femme parce que c'est une femme. Mais je ne suis pas quelqu'un de classique dans ma façon de vivre, c'est aussi une façon de montrer la différence. Je suis sensible à cette modernité d'un gouvernement qui a su surprendre dans ses choix. Michèle Alliot-Marie à la défense, c'était surprenant, ce n'était pas forcément évident. C'est ainsi qu'on casse des préjugés.
Tou Ranjène : L'Europe offre-t-elle de vraies chances pour les femmes ?
Nicole Ameline : Oui. Assurément. Je suis Européenne et j'ai réalisé un rapport sur les réformes des institutions européennes. Connaissant bien les rouages de l'Europe, je sais que le principe d'égalité tel qu'il est affirmé, réaffirmé, va être un booster, un formidable accélérateur pour nos propres réformes. Aujourd'hui, ce qui est formidable, c'est que l'Europe inspire vraiment la modernité dans chacun de nos Etats. Que des pays comme la France inspirent cela aussi. L'Europe va inspirer le mode. Cette constitution, c'est le nouveau pouvoir des femmes pour prendre en main leur destin, leur avenir et construire leur vie. Je souhaite que nous portions la Constitution car c'est notre victoire. C'est la victoire... Les femmes ont trop attendu. Aujourd'hui que l'Europe leur rende le pouvoir, leur place, notamment pour les plus jeunes générations, c'est une opportunité, une chance et une exigence. Demain, Simone Veil sera là, elle incarne l'Europe, mais aussi la liberté, l'égalité. Nous aurons un magnifique témoignage avec des voix plurielles sur le souvenir et l'avenir.
Merci à vous.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 2 mai 2005)
Question mail : Benjamin : Quand aura-t-on une réelle égalité des salaires dans l'entreprise ?
Nicole Ameline : Je voudrais répondre que la volonté du gouvernement est claire : nous nous donnons 5 ans, pour supprimer les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes. Les conditions sont aujourd'hui réunies.
Fresh : Quels sont les secteurs champions de l'égalité professionnelle ?
Nicole Ameline : Il n'y en a pas encore assez. Le grand secteur de l'automobile et celui du bâtiment font de réels efforts. Mais il faut que ce soit l'ensemble des entreprises qui comprenne que l'égalité est une exigence économique et sociale.
Bouclettes : Pouvez vous nous donner cinq points importants du projet de loi pour l'égalité salariale ?
Nicole Ameline : Je vais commencer par l'aspect le plus essentiel : ce délai de cinq ans. Jamais un pays n'est allé aussi loin dans l'affirmation d'une volonté et d'un objectif. Par ailleurs, on réconcilie la maternité et l'emploi. Les femmes n'auront pas de pénalisation sur leur salaire à leur retour de maternité. Nous facilitons le droit individuel à la formation des femmes, qui aujourd'hui ne sont pas les premières à bénéficier de ces droits. Les autres dispositions tiennent véritablement à cette suppression d'écart de salaire. Il y a deux outils d'accompagnement importants : le crédit impôt famille, qui permet de créer toute facilité sociale dans l'entreprise, par exemple les crèches. Puis le label égalité, qui fait de l'égalité un atout de compétitivité pour les entreprises.
Anouk : Pourquoi attendre une durée de cinq ans pour accéder enfin à l'égalité des rémunérations ?
Nicole Ameline : C'est une très bonne question. Nous avons besoin de ce délai pour permettre aux entreprises de faire un bilan précis avec les partenaires sociaux des discriminations actuellement. Lorsque les écarts sont importants, il faut aussi donner le temps à l'entreprise de les supprimer sans donner une difficulté de gestion trop importante. Cinq ans, pour certaines entreprises, c'est très court. Pour nous, c'est un délai juste.
Virginie : Il y a beaucoup de textes et peu d'applications pratiques. Ne pensez-vous pas que le terme "égalité" est bloquant pour les entreprises, qui se cantonnent à du 50/50 et ne voient pas les enjeux futurs d'une réelle égalité ? Ne devrait-on pas parler d'équité, de mixité ou de parité ?
Nicole Ameline : Entre les textes nombreux et la réalité, il y a toujours cet écart, qui n'est plus acceptable. Si nous faisons aujourd'hui une loi, c'est parce que nous savons qu'elle est en accord avec le contexte de l'économie et des partenaires sociaux, et nous savons qu'elle va réussir. Qu'on parle d'égalité ou de mixité ou de parité, la question est de savoir comment créer une culture d'entreprise ouverte aux hommes et aux femmes dans l'esprit de plus de performance et aussi plus d'humanité. L'idée n'est pas de faire de l'égalité une contrainte de gestion pour les entreprises, mais bien un atout de performances pour elle. Je suis convaincue qu'on va réussir.
Benny : Y a-t-il actuellement une loi qui régit la discrimination à l'embauche des femmes ? Si oui que comptez-vous faire pour l'améliorer ? Si non que comptez-vous entreprendre pour faire cesser cette discrimination ?
Nicole Ameline : Il y a des lois, et d'ailleurs, l'Europe a été un formidable moteur de modernité pour nos sociétés sur ce terrain. Ce qui compte, c'est qu'aujourd'hui, l'économie se renforce de tous ses talents. La diversité est créatrice de ressources. Aujourd'hui, il y a de nombreux départs en retraite. Il faut que la lutte contre la discrimination laisse place de plus en plus à cette ouverture intelligente à la richesse humaine.
Olivier, chef d'entreprise : Madame la ministre, considérez-vous que les modalités d'application de la loi puissent être les mêmes, au moins à court terme, dans les grandes, petites et très petites entreprises ?
Nicole Ameline : C'est un vrai sujet. Il faut respecter l'entreprise. Nous avons le souci, par exemple, de faire en sorte que les dispositions soient très accessibles aux petites entreprises, qui ont d'ailleurs intérêt, davantage que certaines grandes, à jouer la carte de la mixité. Il est important que les femmes puissent avoir accès dans de bonnes conditions aux petites entreprises comme aux grandes. Les petites entreprises disposeront d'une aide financière de 400 euros pendant l'absence d'une jeune mère de famille, pour mieux gérer cette période qui reste pour beaucoup un vrai souci.
G. Zu : C'est quoi l'intérêt des entreprises de jouer le jeu de l'égalité ?
Nicole Ameline : Sur le plan des entreprises, cette notion de responsabilité sociale n'est pas absente. Le facteur humain devient central, l'atout central de la performance. Les salariés deviennent capitaux dans la compétitivité de l'entreprise. En termes de productivité interne et d'image de l'entreprise, le fait de faire de l'égalité une force, une valeur, renforce considérablement l'attractivité de l'entreprise. Quand il faut attirer de nouvelles compétences, les former, les fidéliser, il faut d'abord valoriser celles qui existent dans l'entreprises, et qui aujourd'hui ne sont pas toutes mises en valeur comme elles le devraient. Donc les entreprises ont un intérêt majeur de rentrer dans cette logique.
Marie-Ange : Quelles actions positives entendez-vous mettre en oeuvre afin que la parité professionnelle puisse devenir attractive et compétitive aux niveaux des entreprises (publiques/privées) ?
Nicole Ameline : C'est une culture, d'abord. Ça commence par l'éducation. Il faut que les jeunes femmes puissent, le plus rapidement possible, comprendre que le monde professionnel leur est ouvert. Aujourd'hui, nous retrouvons les femmes dans six des trente filières professionnelles qui existent. Il ne faut pas penser que les entreprises portent seules cette responsabilité. C'est en amont. Il faut aider les entreprises pour qu'elles se sentent soutenues. Ce crédit impôt famille est une possibilité pour avoir un crédit d'impôt pour les entreprises qui créent, soit des services à la personne, soit des services collectifs. Mais encore une fois, c'est la société qui doit s'engager, pas seulement les entreprises.
Laurence : Madame, à votre avis pourquoi la France a-t-elle du mal culturellement à admettre et à valoriser une femme ayant des enfants dans la vie professionnelle ?
Nicole Ameline : C'est un problème de fond. Aujourd'hui, si on ne comprend pas que nous avons deux défis majeurs, l'emploi des femmes, et la démographie, nous n'avons pas bien compris la modernité. Or nous avons beaucoup de chance, le modèle social en France est exemplaire. Les femmes travaillent, et plus elles travaillent, plus elles ont des enfants. Faire en sorte que les femmes se sentent totalement engagées dans la vie professionnelle, c'est réussir sur un double titre : créer de la performance et favoriser notre démographie. Aujourd'hui, beaucoup de femmes sont restées dans la culture du siècle dernier, pendant lequel elles n'étaient que les forces d'appoint de l'économie. Quand vous êtes une variable d'ajustement, vous ne pouvez pas vous réaliser.
Myriam : L'inégalité n'est-elle pas due au fait que les hommes ont peur des femmes ?
Nicole Ameline : Myriam a peut-être raison. La société n'a pas été, au siècle dernier, ni construite ni gérée par les femmes. Nous entrons dans un temps nouveau où il y a un rééquilibrage entre les femmes et les hommes. Il y a beaucoup d'hommes modernes qui sont rentrés dans cette dynamique. Parfois, les portes des entreprises ou des carrières s'ouvrent, mais les femmes ne sont pas toutes là. Nous allons faire en sorte qu'il y ait cette adéquation entre la montée en puissance nécessaire des femmes et l'attitude des femmes.
Militant : Comment peut-on prôner la parité dans le monde du travail alors que l'on sait bien qu'elle n'existe pas dans les écoles, que les filles sont moins fortes en maths par exemple ?
Nicole Ameline : Je ne laisserai jamais dire que les filles sont moins fortes en maths. D'abord, ce n'est pas vrai, ensuite, il est clair que les filles sont très vite engagées sur d'autres filières, d'autres matières. Les enseignants doivent être conscients qu'on est parfois tenté de reconstruire inconsciemment le système en place. Or la mixité se construit chaque jour. Il ne doit pas y avoir d'idées reçues, pas de conservatisme. La mixité, c'est le respect de l'autre dans sa différence.
Virginie : Comment mettre en oeuvre une réelle égalité à travers les partenaires sociaux en entreprise, quand les syndicats sont les plus touchés par les déséquilibres hommes/femmes ?
Nicole Ameline : C'est juste. En plus, nous n'avons pas à être arrogants vis-à-vis des entreprises. La France tout entière doit s'engager sur l'égalité. C'est parce que ce progrès sera partagé que la culture irriguera l'ensemble des activités. Les partenaires sociaux sont engagés. Nous organisons aujourd'hui un tour de France de l'égalité professionnelle avec eux. Nous disons ensemble : l'égalité, c'est une chance pour tout le monde, pour l'entreprise, allons-y ensemble.
Alexisz : Madame la ministre, le coût d'intégration dans une entreprise ou une administration de personnel féminin est parfois important. Il s'agit souvent même d'un investissement financier conséquent. L'aménagement d'un vestiaire, les locaux sanitaire... Pensez-vous mettre en place à terme des aides conséquentes ?
Nicole Ameline : Nous avons aidé, avec ce crédit impôt famille... Je vous invite à aller voir sur le site de Bercy (http://www.minefi.gouv.fr). Nous défiscalisons toute innovation sociale. Par exemple : le matin, vous arrivez au travail et remettez une fiche de course à faire pour le soir, des courses qu'on vous remettra avant le départ. Cela change la vie. Très souvent, ce sont les femmes qui sont obligées de quitter l'entreprise le plus tôt possible, et elles intègrent tellement ces contraintes que lorsqu'elles cherchent un emploi, elles se placent en situation d'infériorité cause de cela. Donc il faut que le management soit un peu plus moderne. C'est un défi de la modernité.
Bruno78 : Y a-t-il inégalité des sexes même dans la vie ministérielle ?
Foncia : Les ministres femmes sont-elles aussi bien payées que leurs collègues masculins ?
Nicole Ameline : Sur le salaire, je dis oui, très clairement. Nous ne sommes pas aussi nombreuses au gouvernement que les hommes, mais les femmes ont des postes importants. Et nous avons un gouvernement qui est résolument engagé. Chaque ministre a signé un engagement personnel pour l'égalité. Par exemple, le ministre des Sports fournit un effort auprès des fédérations sportives pour que les femmes puissent y être plus facilement accueillies.
Vanessa : La parité n'est pas respectée à tous les niveaux de la vie politique. Que comptez-vous mettre en oeuvre pour que les femmes puissent accéder à des mandats électoraux ?
Nicole Ameline : Nous avons une loi qui est celle de la parité, qui a donné des résultats, attendus mais limités. Si en matière d'égalité professionnelle nous sommes en initiative en Europe, nous ne le sommes pas dans le domaine de la politique. Par exemple, à l'Assemblée nationale, faisons en sorte qu'il y ait autant d'hommes que de femmes. S'il y avait une parité parfaite sur les listes électorales aux élections régionales, on ne la retrouve plus dans la distribution des responsabilités. Je demande qu'un certain nombre de propositions soient mises en lumière dans les mois qui viennent, et le Premier ministre proposera des initiatives nouvelles.
Lef : Une présidente de la République... Quand cela sera-t-il crédible ?
Nicole Ameline : Une présidente de la République, ce n'est pas facile. Là où nous avons beaucoup d'hommes candidats, il y a peu de femmes qui effectivement sont déjà à des niveaux suffisants. Donc il y a une crédibilité, bien évidemment, et je pense que ce siècle va nous donner raison, mais en même temps, cela passe aussi par un renforcement très important des femmes à un niveau de responsabilités politiques. Nous sommes au début d'une évolution qui est trop lente à mon avis.
mametine : Ne faut-il pas changer l'image des femmes dans les manuels scolaires, sur les jouets ?
Nicole Ameline : C'est tout à fait exact. Sur les manuels scolaires, le travail est engagé. Il est énorme. Il faut repenser quasiment certains concepts sans réinventer l'histoire. Je voudrais dire combien la publicité est importante. Avec le bureau de vérification de la publicité, nous avons fait avancer cette notion de dignité, du rôle et de la place des femmes, notion qui a souvent été maltraitée. Les jouets : il est très important que les parents se rendent compte aujourd'hui que la mixité, c'est aussi pouvoir échanger les jouets, et qu'il ne faut pas être focalisé sur la poupée pour la petite fille et l'ordinateur pour le garçon.
Marc, ancien DRH : Madame Ameline, vous avez instauré les labels Egalité décernés à plusieurs entreprises aujourd'hui, mais sur quelles bases ? Seulement des intentions ? Y aura-t-il un contrôle des clauses du Label ?
Nicole Ameline : Le label égalité est très sérieux. C'est à la fois une exigence, c'est-à-dire que les critères de ce label sont rigoureux mais accessibles. Comme l'ont été les normes Iso 9000, il s'agit de faire en sorte que les entreprises se fixent une hiérarchie de valeurs, qui conditionne leur image. Le label sera délivré par un organisme de certification officiel, qui intervient sur une démarche qui sera réévaluée dans trois ans. C'est un engagement de l'entreprise, c'est très sérieux. PSA l'a obtenu, EADS aussi. Ça concerne aussi les petites entreprises. Il y aura en juin une promotion de PME.
Mamétine : Quelles sont vos premières impressions sur le label égalité. Savez-vous pourquoi les grandes entreprises de service public ne se présentent pas au label ? Ne seraient-elles pas en retard, non pas dans la volonté mais dans la mise en oeuvre réelle de l'accord d'égalité qu'elles ont elles même signé ?
Nicole Ameline : La question est très aimable, car en réalité, nous ne sommes pas dans une situation exemplaire dans les administrations et les entreprises. Une des dispositions de la prochaine loi permettra de renforcer les conseils d'administration mixtes. C'est la France qui est concernée, la France de l'administration, mais aussi des grands organismes ou structures.
Nif : Comment faire pour qu'un homme et une femme gagne la même chose alors que même les hommes entre eux connaissent des disparités énormes ?
Nicole Ameline : La question n'est pas celle du nivellement des salaires, mais l'égalité des chances, celle des conditions de réussite des uns et des autres. Les différences de salaire sont liées à l'organisation de l'entreprise mais aussi au niveau des formations et des qualifications. Quand il y a des femmes qui ne sont pas sur le bon positionnement professionnel, elles n'arrivent pas en force dans l'entreprise. Il faut une égalité des chances, une égalité des formations, et l'entreprise doit se poser la question de l'évaluation de l'affectation des postes. C'est cet exercice de remise à plat dans la gestion des ressources humaine qui fonde cette nouvelle logique d'égalité.
mimi : Quelles sont les mesures prise pour réajuster les retraites de femmes qui se sont arrêtées pour élever leurs enfants ?
Nicole Ameline : Nous y réfléchissons actuellement. Il y a là un vrai sujet de préoccupation pour les femmes qui ont choisi d'élever leurs enfants. Toute la politique que nous menons est de faire en sorte que les femmes puissent travailler, c'est une question d'autonomie, d'épanouissement personnel. Le drame est souvent de reprendre le chemin de l'emploi de façon forcée et contrainte, pas toujours dans de bonnes conditions. Notre chantier prioritaire est la formation.
Nif : Etes-vous pour une embauche avec un CV sans photo, sans mention du sexe... sans rendez-vous d'embauche ?
Nicole Ameline : Non, pas tout à fait. Aujourd'hui, nous devons, au contraire, nous convaincre que l'économie moderne a besoin de tous ses talents. Ces talents sont partout dans notre pays. La diversité, qu'elle soit sociale, éducative, culturelle est un apport pour l'entreprise comme elle l'est pour la société. Il faut considérer que la différence est une plus-value, un facteur d'enrichissement, et ne doit jamais être un facteur d'exclusion. Nous devons aller chercher ces compétences pour cette diversité qui est la richesse de la France.
Hugo : Si la parité n'est pas appliquée en politique, les partis préférant parfois payer les amendes, qu'espérer des entreprises si les politiques ne montrent pas l'exemple ?
Nicole Ameline : Hugo a raison. Il faut que ce soit la société qui s'engage une fois pour toutes. Si les entreprises s'engagent, il faut que l'ensemble du monde politique suive. Les politiques doivent pouvoir représenter la diversité de notre pays, qui est une richesse nationale, qui doit être "gérée", valorisée comme telle.
Grégoire (Levallois) : L'égalité dans le cadre du travail, n'est-ce pas aussi donner plus de droits familiaux aux hommes... Pour qu'ils puissent devenir des hommes aux foyers avec les mêmes droits que les femmes ?
Nicole Ameline : Oui, il a parfaitement raison. Dans toutes les politiques que nous menons, nous les promouvons pour les hommes et les femmes pères et mères de famille. Je me réjouis que les hommes puissent bénéficier de plus en plus du congé parental. Il est très clair que certains d'entre eux entrent délibérément dans ce nouveau partage des responsabilités familiales et professionnelles. C'est un tout, et je pense que c'est un progrès social en même temps qu'un progrès humain, car les rôles sociaux prédéterminés sont derrière nous.
robert : Est-ce que vous travaillez avec d'autres partenaires européens pour généraliser les bonnes pratiques ?
Nicole Ameline : L'Europe avance, et je crois beaucoup à ce progrès partagé, à cette démarche collective. Aujourd'hui, dans le monde contemporain, on ne peut pas agir seul. Le ministre du Travail s'intéresse à ce label. Je m'intéresse à ce qui se passe dans les autres pays. Il est important que nous puissions renforcer nos forces ensemble.
Modérateur : Selon vous, le projet de constitution européenne va dans ce sens ?
Nicole Ameline : La constitution inscrit neuf fois le principe d'égalité entre les hommes et les femmes dans les nouveaux articles ! La constitution, c'est le nouveau pouvoir des femmes. C'est la consécration d'un acquis européen considérable, mais en plus, elle va donner une base nouvelle pour les Etats européens pour aller plus loin. Non seulement je crois en cette constitution, mais elle sera pour les femmes la nouvelle marche attendue pour construire l'avenir.
Cavalière : En Allemagne, la discrimination positive est appliquée pour l'emploi des femmes dans la police, pensez-vous qu'il faut en arriver là en France ?
Nicole Ameline : Les traités européens permettent de proposer des discriminations positives lorsqu'il s'agit d'égalité entre les hommes et les femmes, c'est la seule situation juridique qui le permette. Il y a un certain nombre de points, on l'a fait pour la parité politique, qui nous a permis d'imposer des règles qui étaient insurmontables pour l'évolution normale des faits et des temps. Nous travaillons beaucoup avec l'Allemagne pour que l'égalité progresse dans nos deux pays. Nous échangeons beaucoup de pratiques.
Virginie : Les mesures du gouvernement ne sont-elles pas contradictoires en prônant une égalité au travail, alors que sur certains points elles incitent les femmes à rester au foyer ?
Nicole Ameline : Rien ne doit être fait qui ne facilite pas, au contraire, l'arrivée massive des femmes sur le marché de l'emploi, mais aussi aux responsabilités professionnelles. Sortir de la précarité, c'est consolider l'emploi. Faire en sorte que les femmes trouvent dans l'emploi la réponse à leur situation.
Fanny : Pourquoi les textes précédents, notamment la loi de 1972, qui posait le principe "à travail de valeur égale, salaire égal", la "loi Roudy" de 1983 et la "loi Génisson" du 9 mai 2001, n'ont pas suffi ? Ne craignez-vous pas que votre projet de loi ait le même destin ?
Nicole Ameline : Non, parce que j'ai changé de méthode. Lorsque je suis arrivée au ministère, j'ai changé. Nous avions soutenu la loi Génisson, mais il n'y avait pas de résultat. Alors, je me suis dit qu'il fallait changer la méthode. J'ai réuni les chefs d'entreprise, les partenaires sociaux, les syndicats, tous ceux qui peuvent faire en sorte que le déclic se fasse. Le déclic a demandé deux ans, mais nous y sommes arrivés. Nous avons réussi à ce que l'adhésion qui manquait se fasse aujourd'hui. Il y a l'adhésion et je fais la loi, la loi vient en appui. On ne peut pas imposer des textes lorsqu'ils ne sont pas compris ni acceptés.
Annick : Pourquoi aucun gouvernement n'a pensé à donner un salaire aux femmes qui souhaitent élever leurs enfants ?
Nicole Ameline : C'est un vrai débat et je respecte les femmes qui sont sur cette logique, mais je suis en charge de l'égalité professionnelle, donc mon coeur de mission est de faire en sorte que les femmes travaillent dans les conditions adaptées à leurs compétences et à leur place dans la société. Notre modèle social tend à montrer que plus les femmes travaillent, plus elles ont des enfants. Le modèle qui consiste à rentrer chez soi était valable au 20e siècle. Nous sommes en train de valoriser le fait d'être manager familial, nous donnerons une validation d'acquis de l'expérience pour aider les femmes qui, lorsqu'elles sortiront de cette phase d'éducation des enfants, voudront revenir sur le marché de l'emploi. Mais nous sommes plus sur cette démarche.
Michele60 : On sait que dans le monde du travail, ce sont les femmes qui sont le plus victimes du harcèlement moral. La justice est lente... or ce type de comportement est très préjudiciable, pensez-vous que vous allez pouvoir agir sur ce thème ?
Nicole Ameline : Le garde des Sceaux s'est engagé auprès de monde de la justice à travers un guide de l'action publique, document très important, pour que les violences sous toutes leurs formes, conjugales ou autres, puissent être mieux combattues. Dans une démocratie moderne, on doit dire non à la violence. Une femme doit savoir qu'elle n'est pas seule, et que la société est dans son rôle quand elle répond à la violence. La police est mobilisée aujourd'hui pour éradiquer la violence de la société. Nous en avons fait un dossier de société, et non pas un cas personnel de femmes victimes. Nous sommes déterminés... Je portais l'autre jour au Brésil un T-shirt : la vie commence quand la violence s'arrête ! Il faut en faire un slogan personnel.
Virginie : Pourquoi préférez-vous des mesures incitatives plutôt que directives, sans aucune sanction ?
Nicole Ameline : Sur l'égalité salariale, il y a les deux. Naturellement, nous avons fait le pari de la confiance aux entreprises et de la réussite, mais nous avons une logique de résultat. Le président de la République est clair : cinq ans pour réussir. Les entreprises seront très incitées à engager une négociation sur l'égalité salariale, et si elles ne le font pas, leurs accords salariaux obligatoires seront bloqués. Si cela ne suffisait pas, mais cela parait peu probable, au bout de trois ans nous ferons le point. Et si on constate que cela ne marche pas, nous créerons une taxe sur la masse salariale qui sera l'incitation peut-être la plus ultime, mais nécessaire car nous arriverons à l'engagement que nous avons pris. Cinq ans, c'est juste à la fois, mais pour certains c'est beaucoup trop court, et peut-être trop long pour d'autres, mais c'est juste et c'est une obligation de résultat.
Thierry N : De quoi êtes-vous la plus fière dans votre action depuis que vous êtes dans le gouvernement ?
Nicole Ameline : De trois choses. La première, c'est d'avoir mis sur la place publique la question des violences. Nous allons avoir beaucoup de femmes qui seront fières de dire pourquoi elles ont dit non à la violence. Nous sortons de l'oubli, de l'isolement et du silence. La deuxième chose, c'est l'égalité professionnelle. Pour la première fois, je sens les entreprises ouvertes, engagées. Troisièmement, c'est une Europe unie face à ces valeurs. Nous avons pu mobiliser l'Europe, la francophonie, le Maroc... et nous avons gagné sur le principe de l'égalité. En clair, tant sur les questions du quotidien que sur les questions européennes, et la France a un rôle important car elle est toujours entendue et attendue, nous réussissons à influencer l'évolution du monde sur nos valeurs. C'est une grande satisfaction.
michele60 : Quel est le projet qui vous tient vraiment à coeur ?
Nicole Ameline : La réussite de notre grand rassemblement demain avec Simone Veil. C'est la première marche d'une histoire qui trouve aujourd'hui avec la Constitution un formidable rebond, un renforcement. C'est la victoire des femmes. Mais au-delà de ce jour important, demain, mon prochain projet sera de faire que les femmes soient au rendez-vous de l'économie moderne dans tous les aspects professionnels. Nous allons lancer une offensive en termes de formation. Nous allons travailler sur le temps partiel, qui ne va pas très bien. Il faut qu'on en améliore la rentabilité et l'efficacité. Et c'est aussi tout ce qui va concerne l'Europe qui avance, qui se crée de plus en plus sur l'égalité, il y a un tel enjeu dans le monde que plus nous ferons progresser la France dans le monde, plus la démocratie y gagnera.
Justine de Colmar : Bonjour Madame la ministre, j'ai lu qu'à votre initiative les femmes s'engagent pour l'Europe et se rassemblent demain au Trocadéro, à 19h. J'y participerai. Y parlerez-vous d'égalité salariale et professionnelle et des apports de l'Europe ?
Nicole Ameline : Oui, Justine, il faut que vous veniez me voir demain ! C'est un beau rassemblement de femmes, mais il y aura des hommes aussi qui se réuniront au Trocadéro, autour de femmes comme Nicole Notat par exemple. Claudie Haigneré sera là aussi. Elle fut l'une de nos premières femmes dans l'espace. Pourquoi l'Europe, c'est aujourd'hui l'espace des femmes ? C'est non seulement leur histoire, leur avenir, mais c'est leur espace. On parlera de culture, de philosophie, du vote, et je souhaite que les femmes portent la dynamique du oui à l'Europe car, si elles s'engagent, elles peuvent faire la différence.
Hugo : Pour faire progresser l'égalité, accepteriez-vous de travailler avec les femmes ministres des gouvernements Jospin ?
Nicole Ameline : Je travaille beaucoup avec elles. Pas dans le même gouvernement, mais je travaille avec elles car je conduis une politique d'égalité, et je pense le faire avec toute la force voulue, mais je travaille dans un esprit extrêmement transversal. L'égalité, c'est la France. C'est tous les talents au service de cette valeur de la République. De toute façon, je suis quelqu'un de libéral en politique. Je suis extrêmement ouverte et très soucieuse de fédérer les talents et les énergies. Nous n'avons pas le droit d'attendre sur un sujet comme celui-ci. Donc je travaille avec toutes et tous, et demain soir, ce rassemblement sera extrêmement ouvert et riche de tous ces talents.
Thierry N : Quels sont les obstacles principaux pour l'égalité des femmes ? Sentez-vous des réticences au niveau de l'Etat ?
Nicole Ameline : Non, pas du tout. Au niveau de l'Etat, non. La résistance vient de la société tout entière, c'est-à-dire du fait que, depuis Jean-Jacques Rousseau, les rôles étaient un peu répartis. On a eu le code Napoléon qui n'a rien arrangé, puisque les femmes ont été considérées comme des mineures incapables au sens juridique du terme. Sortir de cette histoire est quelque chose de très difficile, et d'ailleurs, il n'y a aucune critique dans ce que je dis, car en dehors des femmes militantes, il faut dire que la société évolue plutôt lentement. Il faut se battre contre les stéréotypes. C'est quelque chose qui doit nous concerner tous. On n'échappe pas à des réflexes, à des a priori. Ce qui est important dans la modernité, c'est de regarder l'autre avec une vision différente. C'est une culture, c'est une éducation, c'est une société nouvelle. Nous sommes en train d'entrer dans cette société, il me semble, beaucoup plus humaine, beaucoup plus solidaire. C'est un peu normal que cela demande du temps, mais aujourd'hui, nous sommes en train de réussir ce pari, je sens l'engagement de tous et c'est par cet engagement que nous allons faire changer les choses.
Tou Ranjène : Ne croyez-vous pas que nous allons stériliser un peu le monde de l'entreprise un peu plus... et le rendre tellement politiquement correct ?
Nicole Ameline : Je pense qu'il faut rendre le monde économique économiquement efficace et faire en sorte que l'entreprise en soit aussi le reflet. C'est important car une entreprise a des clients, souvent des consommateurs, et en termes de marketing, d'image, l'entreprise doit être aussi le reflet de la société. Chacun a tout à gagner aujourd'hui de la mixité. Les 200 premières entreprises américaines les plus compétitives ont choisi depuis longtemps la mixité, un management ouvert et cela marche. Politiquement correct, je ne suis pas sûre que les entreprises ont toujours cet esprit, mais l'économiquement correct, oui.
Virginie : Vous êtes ministre de la Parité et de l'Egalité professionnelle et vous êtes une femme. Pensez-vous qu'un homme à votre place aurait mené les mêmes actions que vous ?
Nicole Ameline : Oui. Nous avons la chance dans ce gouvernement d'avoir eu des hommes et des femmes, je ne dirais pas à contre-emploi pour ne pas tomber moi-même dans les stéréotypes, mais qui n'étaient pas forcément attendus à leur poste. Christian Jacob a fait une excellente politique de la famille, et c'est un homme. Avant, il avait des responsabilités syndicales. Ce qui prouve que la société doit évoluer dans ses clichés. On pourrait dire : on met une femme parce que c'est une femme. Mais je ne suis pas quelqu'un de classique dans ma façon de vivre, c'est aussi une façon de montrer la différence. Je suis sensible à cette modernité d'un gouvernement qui a su surprendre dans ses choix. Michèle Alliot-Marie à la défense, c'était surprenant, ce n'était pas forcément évident. C'est ainsi qu'on casse des préjugés.
Tou Ranjène : L'Europe offre-t-elle de vraies chances pour les femmes ?
Nicole Ameline : Oui. Assurément. Je suis Européenne et j'ai réalisé un rapport sur les réformes des institutions européennes. Connaissant bien les rouages de l'Europe, je sais que le principe d'égalité tel qu'il est affirmé, réaffirmé, va être un booster, un formidable accélérateur pour nos propres réformes. Aujourd'hui, ce qui est formidable, c'est que l'Europe inspire vraiment la modernité dans chacun de nos Etats. Que des pays comme la France inspirent cela aussi. L'Europe va inspirer le mode. Cette constitution, c'est le nouveau pouvoir des femmes pour prendre en main leur destin, leur avenir et construire leur vie. Je souhaite que nous portions la Constitution car c'est notre victoire. C'est la victoire... Les femmes ont trop attendu. Aujourd'hui que l'Europe leur rende le pouvoir, leur place, notamment pour les plus jeunes générations, c'est une opportunité, une chance et une exigence. Demain, Simone Veil sera là, elle incarne l'Europe, mais aussi la liberté, l'égalité. Nous aurons un magnifique témoignage avec des voix plurielles sur le souvenir et l'avenir.
Merci à vous.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 2 mai 2005)