Déclaration de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, et interviews dans "O Globo" et à "Globonews" le 4 février 2004 à Brasilia, sur les relations franco-brésiliennes.

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Circonstance : Tournée de Dominique de Villepin en Amérique latine du 2 au 6 février 2004 : le 2 au Chili, le 3 en Argentine, le 4 au Brésil, le 5 au Mexique

Média : Globonews - O Globo - Presse étrangère - Télévision

Texte intégral

(Point de presse à l'issue de la rencontre avec M. Celso Amorim, ministre brésilien des relations extérieures, à Brasilia, le 4 février 2004) :
Merci mon Cher Celso,
Je suis particulièrement ému de me retrouver aujourd'hui à Brasilia, au Brésil, et je tiens à remercier mon collègue et ami Celso Amorim pour son accueil qui témoigne de l'excellence de nos relations bilatérales.
J'ai rencontré le président Lula da Silva ce matin, au moment où il partait pour le Nordeste à la suite des inondations qui ont causé de nombreux morts et, comme je le lui ai indiqué, nous voulons exprimer aujourd'hui la solidarité et l'amitié de la France dans cette épreuve.
J'ai été heureux de constater lors de cet entretien à quel point nous partagions une même vision du monde, une même conviction de l'exigence d'un monde multilatéral, d'un monde multipolaire ; de constater aussi à quel point nous étions soucieux de développer et de renforcer nos relations bilatérales dans tous les domaines pour établir un véritable partenariat entre le Brésil et la France et désireux d'avancer sur de grands sujets. Celso Amorim a évoqué le pont sur l'Oyapok, c'est effectivement un projet qui tient beaucoup à cur aux deux pays et il faut rappeler que la plus longue frontière de la France est une frontière avec le Brésil, et ce pont c'est la marque de la solidarité, de l'amitié, qui lie nos deux pays. Nous avons aussi bien sûr évoqué la perspective de la saison du Brésil en France et j'ai pu poursuivre avec Gilberto Gil la conversation. Je suis heureux et fier de constater que c'est une saison qui se prépare bien, se présente bien, avec une volonté commune d'en faire un succès pour nos deux peuples.
Aujourd'hui au Brésil je mesure à la fois une volonté d'action et une ambition.
Une volonté d'action qui est illustrée par une série de grandes réformes économiques et institutionnelles, de la fiscalité à la prise en compte du système des retraites ou au soutien à la croissance. Mais aussi une ambition de justice et de réconciliation. Le gouvernement place les questions sociales au coeur de son action notamment avec le programme "Faim Zéro" qui mobilise l'ensemble du pays autour d'une véritable volonté politique.
En ce moment clé où le Brésil relève de grands défis, la France se veut résolument à ses côtés. Elle se veut en cela fidèle à une longue histoire, à une tradition commune de solidarité et d'amitié, et elle souhaite renouveler ses liens avec ce grand pays dans tous les domaines politiques, économiques, sociaux, et culturels. En effet, nous disposons d'atouts exceptionnels : une même vision du monde et une même détermination à ne pas accepter l'ordre établi, à nous mobiliser contre les fléaux. Face à la faim, nous voulons agir ensemble et de ce point de vue, la rencontre de Genève entre nos présidents, avec le président Lagos Escobar et le Secrétaire général des Nations unies a, je crois, une portée très au-delà du symbole qui, lui-même est très fort. Elle a une portée importante, c'est un message vis-à-vis de la communauté internationale. A cette occasion il a été possible de lancer l'idée d'une taxe internationale sur certains types de ventes d'armes et certaines transactions financières pour contribuer à ce combat contre la faim. De la même façon, non seulement face à la faim, mais face à la maladie, face au sida, nos deux pays entendent se mobiliser et je veux saluer le combat courageux du Brésil pour la fabrication de médicaments génériques qui permettent de sauver chaque jour de nombreuses vies humaines.
Face aux crises économiques également, qui déstabilisent des régions entières nous sommes solidaires et nous affirmons cette solidarité. Ensemble il nous appartient de rechercher les moyens de rendre la mondialisation à la fois plus humaine et en même temps plus respectueuse de la diversité des cultures. Il y a, au-delà de cette détermination commune, un même attachement au multilatéralisme et aux grands principes de la responsabilité collective. Dans un monde dangereux, le meilleur atout de la communauté internationale c'est son unité. C'est un élément indispensable pour lutter contre les menaces, et la France et le Brésil veulent renforcer les Nations unies qui sont le grand pilier de la légitimité et donc de l'efficacité internationale. A cet égard, l'entrée du Brésil au Conseil de sécurité ouvre pour nous un temps nouveau. La France, vous le savez, soutient, elle l'a dit à de nombreuses reprises, les aspirations du Brésil à un siège de membre permanent et je suis heureux de saisir cette occasion pour réitérer cette conviction, cette position aujourd'hui.
La France et le Brésil, comme l'Europe et l'Amérique latine, doivent, dans les circonstances de notre monde dangereux, difficile, s'unir davantage. Nos deux continents ont fait le choix de l'intégration régionale. L'Europe a fait le pari de l'union, de l'élargissement, facteur de paix et en même temps de stabilité. De même, l'Amérique latine s'affirme comme un grand pôle du monde. Dans cette géographie nouvelle, le Brésil a une responsabilité et un avenir de premier plan, tant par sa place dans le continent que par son histoire et par sa culture. Forts de leurs convergences, l'Europe et l'Amérique latine doivent renforcer leurs liens et leurs échanges. Avec le MERCOSUR, il y a bien sûr la négociation d'un accord d'association, dont nous voulons qu'il puisse être réalisé dans les tous prochains mois. C'est la perspective de liens renforcés entre l'Union européenne et le MERCOSUR. De la même façon avec toute la région, avec l'ensemble de l'Amérique latine, nous avons initié un processus de dialogue politique, et dans quelques mois nos chefs d'Etat se rencontreront à Guadalajara. Ce sera leur troisième réunion de travail, et nous sommes convaincus que ce rendez-vous sera mis à profit par les uns et par les autres pour continuer d'avancer ensemble.
Celso l'a dit avant moi, mais je partage évidemment sa conviction, nous devons avancer sur tous les sujets, y compris ceux qui sont difficiles, c'est à dire sur le sujet de l'agriculture, c'est un sujet sensible qui touche à nos modes vie comme à nos économies. L'Europe fait des efforts, vous le savez. Une réforme de la Politique agricole commune est actuellement en cours au sein de l'Union européenne, mais nous voulons aller plus loin, reprendre les discussions après Cancun. Le G20 est aujourd'hui pour nous un interlocuteur à part entière et nous voulons promouvoir un esprit de dialogue. Nous sommes convaincus que dans ce contexte nous parviendrons à surmonter les difficultés. Je vous remercie.
Q - (Sur les négociations d'un accord entre l'Union européenne et le MERCOSUR et les possibles rivalités avec le processus de négociation de la zone de libre échange des Amériques)
R - Je partage bien sûr la vision qu'a exprimé mon ami Celso Amorim. Je crois que sur des questions aussi fondamentales il n'y a pas d'esprit de rivalité ou de concurrence, mais il y a bien une urgence, et c'est comme cela que nous le ressentons, au sein de l'Union européenne. Il est nécessaire, très vite, de pouvoir adresser un signal fort au MERCOSUR qui est la marque de notre attachement commun et de notre volonté, ensemble, d'aborder l'avenir. Nous sommes convaincus que dans ce monde difficile qui est le nôtre, ces grands pôles ont vocation à travailler tous les jours davantage ensemble. Donc pour nous cet accord entre le MERCOSUR et l'Union européenne est une chance qui nous est donnée, une chance à travers des règles communes, à travers des ambitions communes de développer toujours davantage nos relations.
Q - (Sur la possible contribution du Brésil aux efforts français pour obtenir la libération d'Ingrid Bétancourt).
R - Vous savez que c'est évidemment, pour la France, une question particulièrement douloureuse. Nos liens anciens avec la Colombie font que nous partageons la douleur du peuple colombien, d'un si grand nombre d'otages, d'un si grand malheur d'un peuple frappé au quotidien par la violence et le terrorisme. Evidemment, la figure très emblématique, très connue en France, en Europe, à travers le monde, d'Ingrid Bétancourt, qui a aussi, vous le savez, la nationalité française, marque cet attachement à la recherche de solutions. La France a fait des propositions en relation avec la Colombie, en liaison avec les Nations unies, et c'est un sujet que nous abordons avec beaucoup de franchise et d'amitié avec nos amis brésiliens. Nous avons évoqué la situation de la Colombie pour essayer de voir comment nous pouvons faire avancer la recherche de solutions. Mais vous le savez, nous le savons, ce sont des sujets difficiles qui demandent à la fois beaucoup de patience et une mobilisation constante.
Q - (Sur la manière dont la France voit la création du G20 et les positions exprimées par ce groupe sur les questions agricoles et les pays en développement, alors que l'année 2004 sera décisive pour les négociations commerciales multilatérales)
R - D'abord vous me permettez de vous remercier parce que c'est toujours une chance que de pouvoir préciser sa pensée.
Sur cette question si importante des échanges agricoles, il y a à la fois beaucoup d'idées reçues et beaucoup d'idées fausses. Parmi les idées fausses, il y a l'idée que l'Europe serait une forteresse repliée sur elle-même, soucieuse de défendre des intérêts égoïstes. Il faut se rappeler que l'Europe est le premier marché agricole pour l'ensemble des pays du Sud. Cela est une réalité, c'est un fait, c'est une statistique. Il faut rappeler aussi que 80 %, et c'est un exemple, du jus d'orange bu en France est brésilien ; plus de la moitié du soja importé en Europe est brésilien. Vous voyez bien qu'on est très loin de ces idées reçues d'une Europe fermée sur les produits agricoles des pays du Sud. Deuxième idée fausse : la France et l'Europe ne défendent pas de façon aveugle leurs intérêts. La France et l'Europe sont ouvertes à la recherche de stratégies, de politiques à la fois généreuses et solidaires vis-à-vis des pays les plus pauvres. Je n'en prendrai qu'un seul exemple, puisque c'est une idée française, que nous avons proposée et qui a été reprise par les Européens, de suspendre toutes les subventions, je dis bien toutes les subventions, aux produits qui viendraient concurrencer les productions vitales pour les pays les moins avancés en Afrique. C'est vous dire que nous voulons nous battre pour défendre la situation des pays les plus pauvres.
Alors vous posez plus spécifiquement la question du G20. Nous soutenons l'idée que toute organisation, tout dialogue entre des pays marquant des solidarités spécifiques est susceptible de faire avancer le débat. Il vaut mieux travailler de façon organisée, structurée, plutôt que dans le plus grand désordre. Mais il faut prendre en compte aussi des réalités différentes. Nous saluons la formation du G20, mais il faut distinguer - et je l'ai fait ce matin dans mon discours à l'Institut Rio Branco - la situation des pays émergents en général, de ces pays du Sud donc, qui avancent rapidement vers le développement, de la situation des pays les moins avancés. Je crois qu'ils ne sont pas toujours dans la même situation, et bien évidemment dans la réponse de la communauté internationale vis-à-vis de ces pays, il faut prendre en compte les spécificités et le fait que, y compris les pays émergents, peuvent faire concurrence aux produits agricoles des pays les plus pauvres. Donc, l'injustice ce n'est pas uniquement entre le Nord et le Sud, c'est un problème qu'il faut traiter dans son ensemble, et dans sa diversité. Enfin, une bonne solution, c'est une bonne solution pour tout le monde, qui met néanmoins la priorité sur ceux qui en ont plus besoin. Une bonne solution pour tout le monde doit intégrer des préoccupations comme celle du développement durable. Il s'agit là d'une préoccupation forte de l'Europe et de la France, préoccupation du sort des nos propres paysans, de notre propre agriculture. En France, c'est non seulement une activité économique, mais c'est aussi un mode de vie. La ruralité, c'est aussi un esprit, et nous y sommes profondément attachés.
Enfin, je veux rappeler que dans la recherche d'une solution, l'Europe n'attend pas les bras croisés. L'Europe a engagé sa réforme. Elle l'a fait sous l'impulsion de l'Allemagne et de la France, au Sommet de Bruxelles l'année dernière, sur la base de propositions que nous avons faites ensemble avec nos partenaires allemands, qui ont été appuyées et reprises par l'ensemble de l'Union européenne, et qui visent à faire évoluer et moderniser notre système d'aide, en particulier en découplant, en déconnectant, les aides de la production. Donc nous voulons avancer vers cet objectif qui consiste à réduire, malgré tout, le seuil global de ces aides et de ces subventions. Mais notre détermination, c'est bien d'avancer. Nous avons salué, et nous nous sommes félicités de la reprise des négociations après Cancun, des déplacements et des contacts qui ont été ceux du commissaire européen Pascal Lamy. Les différentes indications que nous avons des entretiens qu'il a pu avoir ici en Amérique latine montrent que c'est un dialogue fructueux, que chacun entend faire sa part du chemin. Et c'est bien dans cet esprit que nous pourrons arriver à un monde plus juste et plus sûr.
Q - (Sur la coopération dans des pays tiers en situation délicate et les missions de maintien de la paix en Afrique).
R - Je voudrais appuyer et insister sur ce que vient de dire Celso Amorim. Quand nous parlons, nous Français, de notre volonté de bâtir avec le Brésil un vrai partenariat, c'est parce que nous mesurons l'importance, le poids, la force, que représente dans le monde d'aujourd'hui le Brésil. Nous voulons, avec le Brésil, être ensemble au service des causes : nous avons parlé de la faim, nous avons parlé du sida, nous parlons de la paix, des grandes causes où nous pouvons faire avancer les choses. Et dans ces situations de crise nous avons, les uns et les autres, des expériences que nous pouvons mettre en commun. Et nous voulons donc, que nos diplomaties, nos politiques, puissent être associées pour chercher à faire avancer la paix partout où c'est possible
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 février 2004)
(Interview au quotidien brésilien "O Globo" à Brasilia, le 4 février 2004) :
Q - Quelles sont les raisons de votre visite au Brésil ?
R - La France veut franchir une nouvelle étape dans ses relations avec le Brésil. Nos deux pays ont des visions très proches sur l'exigence d'un monde multilatéral pour répondre aux grands défis de notre époque. En affirmant de grands pôles de solidarité régionale, nous serons à même de faire face à la multiplication des risques sur la scène internationale. Le président Lula a engagé une politique courageuse et s'efforce de relever tous les grands défis : assurer à son pays une croissance durable, moderniser et réformer la société brésilienne pour affronter la douloureuse question de la pauvreté, agir au plan régional pour accélérer l'intégration du MERCOSUR et, au-delà, de l'Amérique du Sud. Mais aussi favoriser l'insertion du Brésil dans l'économie mondiale, développer les relations Sud-Sud et mobiliser la communauté internationale autour de grandes questions mondiales telles que la lutte contre la faim ou l'accès aux médicaments. Sur tous ces points, nous sommes très proches, convaincus de la nécessité d'une nouvelle architecture internationale et du renforcement de l'ONU. Nous avons bien d'autres motifs de convergences, forts des liens de l'histoire et de la géographie. D'abord notre frontière commune, longue de 650 km, sur laquelle, aujourd'hui, nous aspirons à développer nos échanges. Le pont qui va être construit sur l'Oyapock, véritable trait d'union entre nos deux pays, permettra de relier par la route les deux rives du fleuve et donc les deux villes de Macapa et Cayenne.
Q - Quelle place pour le Brésil dans le monde "multipolaire" que la France évoque si souvent ?
R - Après la chute du mur de Berlin et la fin des blocs, il faut inventer une nouvelle organisation du monde, qui passe, pour la France, par la constitution de grands pôles de stabilité. Ces ensembles régionaux n'ont pas vocation à s'affronter dans une quelconque rivalité, mais à rechercher ensemble des solutions aux problèmes du monde. Le Brésil a naturellement vocation à occuper une place éminente, tant par son rôle en Amérique du Sud que par la force de sa démocratie et le développement économique qui s'annonce.
Q - A Davos, quelques intellectuels ont évoqué la nécessité de l'élargissement du G8 afin d'intégrer trois puissances émergentes - Chine, Inde et Brésil - dans une sorte de G11. Que pensez-vous ?
R - La France partage depuis longtemps la préoccupation de voir le G8 dialoguer davantage avec les pays émergents et le monde en développement. D'une manière plus générale, la France juge prioritaire une relance des questions de gouvernance mondiale dans les différentes enceintes internationales.
Q - La France soutiendra-t-elle les efforts du Brésil pour obtenir une place permanente au Conseil de sécurité de l'ONU ?
R - La France soutient une double exigence : une plus grande efficacité pour traiter les problèmes du monde ; une représentativité accrue du Conseil de sécurité, ce qui implique son élargissement. S'agissant des membres permanents, l'Allemagne et le Japon auraient bien sûr toute leur place ainsi que des grands pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine. Le Brésil paraît particulièrement qualifié, tant en raison de son poids que de son attachement au multilatéralisme.
Q - Quelle réforme du Conseil de sécurité envisagez-vous ?
R - Comme l'a dit le président de la République à la tribune de l'Assemblée générale, le 23 septembre dernier, la réforme de la composition du Conseil doit s'accompagner d'un renforcement de son autorité. Le Conseil doit disposer des moyens appropriés d'évaluation et d'action collective, en particulier face aux menaces de la prolifération des armes de destruction massive, du terrorisme et des violations des Droits de l'Homme. La France a fait des propositions en ce sens : renforcer le Comité du contre-terrorisme, créer un corps permanent d'inspecteurs dans le domaine du désarmement et des Droits de l'Homme, définir un plan d'action des Nations unies contre la prolifération lors d'une réunion au sommet du Conseil de sécurité. Mais aussi créer un véritable Conseil de sécurité économique et social ainsi qu'une Organisation pour l'environnement. Un groupe de travail a été mis en place depuis quelques semaines, à l'initiative du Secrétaire général. Sur ces sujets, nous souhaitons développer notre concertation avec nos grands partenaires comme le Brésil.
Q - La France est depuis trois ans le quatrième investisseur étranger au Brésil. Mais le président Lula plaide pour plus d'investissements. Dans quelles conditions les entreprises françaises pourraient s'engager davantage au Brésil ?
R - En effet, le Brésil est aujourd'hui l'une des premières destinations des investissements français vers les marchés émergents, avec environ 1,6 milliards d'euros en moyenne entre 1999 et 2002. Aux côtés de la plupart des grands groupes français, déjà présents, nous souhaitons favoriser l'investissement des PME, notamment à travers le développement de pôles technologiques. C'est la raison pour laquelle le gouvernement français attache beaucoup d'importance à l'accord de protection et d'encouragement réciproques des investissements, signé par nos deux pays le 21 mars 1995 et qui doit encore être ratifié par le Parlement brésilien. De même, nous suivons attentivement les efforts du gouvernement brésilien pour lutter contre la contrefaçon et protéger la propriété intellectuelle. Il s'agit là de facteurs essentiels à la confiance des investisseurs et à la poursuite de leurs activités.
Q - Quelles leçons tirez-vous de la crise en Irak ?
R - S'il est possible de gagner rapidement la guerre, il est beaucoup plus difficile de gagner la paix. La crise en Irak souligne la nécessité de l'unité de la communauté internationale, du respect des principes et de la règle de droit. Seule la responsabilité collective peut conférer la légitimité nécessaire pour être efficace. C'est vrai de la crise irakienne comme pour l'ensemble des conflits, qu'il s'agisse du Proche-Orient ou de l'Afrique. La priorité aujourd'hui, c'est de se mobiliser tous ensemble avec l'appui des Nations unies et de définir un processus politique qui rallie l'ensemble des forces irakiennes.
Q - Evaluant la situation d'insécurité en Irak aujourd'hui, diriez-vous que la France avait raison dans son opposition à l'intervention américaine en Irak ? Dans les mêmes conditions, répéteriez-vous le même chemin aujourd'hui ?
R - La France a été fidèle à ses convictions, à ses idées, à ses principes. Autant d'éléments indispensables pour fonder un nouvel ordre plus juste, plus stable et plus sûr. Nous souhaitons que les Nations unies puissent jouer tout leur rôle et faire bénéficier l'Irak et la région de leur expertise, de leur expérience et de leur légitimité.
Q - Quel est l'état actuel des relations entre la France et les Etats-Unis ?
R - La France veut donner la priorité à la définition d'un système multilatéral et de sécurité collective. Nous avons un immense chantier qui nous attend au Proche et au Moyen-Orient, pour lequel la mobilisation de toute la communauté internationale est indispensable.
Q - L'ONU a évoqué la possibilité d'une force multinationale en Irak. Dans quelles conditions envisagez-vous l'envoi de troupes françaises en Irak ?
R - La priorité pour la France, c'est la définition d'une stratégie politique pour combler le vide d'aujourd'hui. La question d'une participation française à cette force n'est pas à l'ordre du jour.
Q - La France travaille sur un projet de loi sur la laïcité proscrivant le port de signes religieux ostensibles à l'école. Mais ce projet dérange les musulmans en France et dans plusieurs pays arabes qui le ressentent comme une discrimination contre l'Islam. Qu'avez-vous à dire à ce sujet ?
R - La laïcité est au cur de la tradition républicaine de la France, avec le souci du respect, de la tolérance vis-à-vis de toutes les religions et de toutes les croyances. Cette loi ne concernera ni les écoles privées, ni les universités, ni les lieux publics ou privés. Il n'y aura donc pas d'interdiction générale du port du voile. La France a toujours été une terre de liberté, fidèle à sa tradition de démocratie et de Droits de l'Homme.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 février 2004)
(Interview à la chaîne de TV "Globonews" à Brasilia, le 4 février 2004) :
Q - (Question sur les relations entre le Brésil et la France)
R - Il y a bien sûr une relation historique et culturelle très forte, mais surtout il y a une même volonté, une même vision du monde. La dernière rencontre entre le président Lula et le président Chirac à Genève, pour lancer cette mobilisation contre la faim, pour essayer de trouver des solutions concrètes à ces injustices du monde, des mécanismes et des procédures qui vont nous permettre justement d'avancer, je crois que cette rencontre est exemplaire de notre volonté d'avoir avec le Brésil un partenariat, de travailler ensemble pour faire avancer les choses vers un monde plus juste et en même temps un monde plus sûr.
Q - (Question sur les aspects agricoles des négociations multilatérales)
R - La dimension agricole est bien évidemment une dimension très importante et il faut la traiter ensemble. C'est un des grands sujets que nous traitons dans le cadre du cycle de Doha et qui a été évidemment beaucoup évoqué lors des rencontres de Cancun.
Q - Sur ces questions, quelle est la réalité ?
R - D'abord, contrairement à ce qu'on dit trop souvent, l'Europe n'est pas une forteresse ; nous ne sommes pas fermés sur nous-mêmes. Nous sommes même le grand marché, le marché le plus ouvert au monde et une grande partie des produits agricoles de l'Amérique latine, du Brésil, viennent en Europe ; ils sont importés en Europe. La question est : pouvons-nous aller plus loin dans l'ouverture sachant que nous sommes déjà la région la plus ouverte ? Peut-on aller plus loin ? C'est à ce sujet qu'il faut que nous nous parlions et que nous nous mobilisions. Nous avons engagé en Europe une réforme en profondeur de la Politique agricole commune, justement pour découpler, dissocier les aides de la production et pour diminuer, voire supprimer, dans certains cas, les subventions qui pénaliseraient les pays les plus pauvres. Nous avons fait la proposition de supprimer toutes les subventions pour les produits qui concurrencent ceux venant des pays les plus pauvres d'Afrique et je crois qu'il faut prendre en compte les différentes situations du monde. Car il y a des situations différentes. Les économies des pays émergents, des grands pays du Sud comme le Brésil ou comme l'Inde, ne sont évidemment pas dans la même situation que d'autres pays moins avancés d'Afrique. Donc nous devons nous mobiliser pour accorder ensemble une priorité aux pays les plus touchés et pour faire en sorte que les agricultures des pays comme le vôtre puissent aussi pleinement participer de cette ouverture des frontières.
Mais nous ne pouvons le faire que dans le cadre du respect d'un certain nombre de règles : d'abord, il faut que tout ceci puisse servir un développement durable. Il est important d'inscrire notre action dans le respect de ce développement. Deuxièmement, il faut bien prendre en compte bien sûr les intérêts légitimes de vos pays, d'un pays comme le Brésil ; mais nous devons aussi prendre en compte la situation de nos propres agriculteurs. L'agriculture en France c'est, non seulement des paysans, mais c'est aussi un mode de vie, un esprit de la ruralité. Dons je crois que ce sont des sujets difficiles, qui demandent des négociations, des conversations, un travail à faire ensemble. J'ai été heureux de pouvoir continuer dans ce sens ce matin avec le président Lula, comme je le ferai tout à l'heure avec mon ami et collègue Celso Amorim. Pascal Lamy, le Commissaire européen qui est chargé de ces négociations, a eu déjà plusieurs entretiens au cours des dernières semaines pour relancer le processus de négociation. Nous voulons aboutir. La France considère que le G20 est un véritable partenaire ; nous pensons que plus les pays peuvent s'organiser, plus il sera facile d'arriver à des accords ensemble. Mais cela implique que nous fixions bien les priorités et que nous prenions en compte les intérêts de chacun. Nous avons tous le même objectif en ce qui concerne la faim : traiter cette question de la situation des peuples les plus pauvres. Nous ne pouvons pas accepter de vivre dans un monde où aujourd'hui, au XXIème siècle, trop, trop de monde, trop de peuples continuent de mourir de faim.
Q - (Question sur les rivalités entre les négociations UE-MERCOSUR d'un côté et le processus de la Zone de libre échange des Amériques ZLEA de l'autre)
R - Je crois que les deux sont complémentaires. Il n'y a pas d'opposition entre l'Union européenne et le MERCOSUR d'un côté et la Zone de libre échange des Amériques de l'autre. Tout ceci avance dans le même sens. Ce qui est sûr c'est que nous, Union européenne, nous voulons aller vite pour signer un accord, un accord d'association avec le MERCOSUR. Nous pensons qu'il faut mettre à profit les tout prochains mois dans la perspective de l'élargissement de l'Europe pour que nous puissions marquer cette importance essentielle que nous accordons au MERCOSUR. Le MERCOSUR est l'un de nos grands partenaires économiques ; nous avons des relations politiques extrêmement fortes avec cette région et nous voulons les conforter. J'étais hier en Argentine ; la même volonté s'exprime et je crois que l'avenir est à une plus grande intégration entre les régions et aux liens entre les différents pôles régionaux. C'est pour cela qu'avec le Brésil nous partageons la même vision du multilatéralisme, la même vision de la multipolarité. Nous pensons que si nous avons des pôles régionaux forts, le monde sera plus stable. Donc il faut développer les relations entre ces pôles.
Q - Pourquoi la France est-elle favorable à l'entrée du Brésil au Conseil de sécurité ?
R - Nous pensons que dans la réforme du système multilatéral, dans la nouvelle architecture internationale, la réforme des Nations unies est très importante. Pour cela il faut deux choses : il faut que le Conseil de sécurité soit plus représentatif du monde, donc qu'il prenne en compte toutes les puissances les plus importantes et qui ont un rôle à jouer, un rôle central, de responsabilité. Le Brésil a vocation, le Brésil doit pouvoir jouer tout son rôle dans le cadre des Nations unies et c'est pour cela que nous soutenons cette participation du Brésil comme membre permanent.
Nous pensons qu'il y a un deuxième défi à relever. C'est le défi de l'efficacité. Il faut que les Nations unies aient les moyens et les instruments, pour être plus efficaces. C'est pour cela que nous plaidons pour un véritable Conseil de sécurité économique et social, pour une organisation de l'environnement, pour un corps du désarmement, pour un corps des Droits de l'Homme... Ce sont des outils qui permettront à la communauté internationale d'agir et d'avancer dans la recherche de solutions pour mieux régler les crises et les nouveaux problèmes du monde. Et nous voulons le faire en étroite relation avec nos amis brésiliens ; par exemple en Afrique : nous avons vocation, compte tenu de nos expériences, compte tenu de nos héritages, à travailler ensemble en Afrique. Nous pouvons le faire dans le cadre d'opérations de maintien de la paix. Nous avons salué la participation du Brésil à l'OMP en Ituri, au Congo, que dirigeait la France. Nous pensons aussi que, dans les difficiles défis qui concernent la santé, la lutte contre le sida et la faim, le Brésil et la France doivent être côte à côte et c'est bien l'ambition qui est celle de nos deux pays.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 février 2004)