Interview de M. Jean-Michel Lemétayer, sur France 2 le 25 mars 2005, sur la suppression de la taxe sur les produits pétroliers revendiquée par la FNSEA, et sur le référendum sur le traité constitutionnel européen, notamment les intentions de vote des agriculteurs et la position de la FNSEA.

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Circonstance : 59ème congrès de la FNSEA à Paris les 23 et 24 mars 2005

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

R. Sicard - Hier c'était la bousculade à votre congrès de la FNSEA, le principal syndicat agricole, il y avait J.-P. Raffarin, il y avait N. Sarkozy, il y avait F. Hollande, il y avait F. Bayrou... On a l'impression que...
J.-M. Lemétayer - Il y avait aussi A. Bocquet.
Q - Il y avait aussi A. Bocquet. On a l'impression que depuis que les sondages font craindre un non des agriculteurs à la Constitution européenne, on ne sait plus quoi faire pour les chouchouter.
R - Non, ce n'était pas la raison de la venue de tous ces dirigeants politiques, puisque nous avions invité les uns et les autres pour parler d'un projet de loi d'orientation agricole qui va bientôt être présenté au Parlement français.
Q - Peut-être, mais ils n'ont pas du tout parlé de ça.
R - Eh bien non, parce qu'en fait je reconnais que le débat sur la Constitution s'est un peu invité au congrès de la FNSEA. Ceci étant, nous savons que parler de politique agricole, c'est aussi parler d'Europe, et qu'à partir de là, il n'est pas surprenant qu'on ait parlé aussi de la Constitution, en tout cas des enjeux en matière de politique agricole de l'Europe.
Q - J.-P. Raffarin a fait des annonces. Il a par exemple annoncé des congés payés pour les éleveurs. Est-ce que ça, ça peut changer l'état d'esprit des agriculteurs ?
R - En tout cas c'est une bonne mesure qui a été annoncée, parce que permettre, notamment aux éleveurs, de bénéficier d'un service de remplacement pour pouvoir se libérer alors que la contrainte d'un éleveur, c'est d'être présent 365 jours par an sur son exploitation, et quand on est producteur de lait, c'est même deux fois par jour, je pense que ça va dans le bon sens. Alors est-ce que cela peut influencer le vote des éleveurs ? Je ne sais pas, parce que ce qu'il faut bien voir c'est que dans le sondage qui parle d'intentions de vote, il y a près de 70 %...
Q - 70 % des agriculteurs diraient "non" à la constitution.
R - Eh bien, tout cela montre une irritation profonde dans les campagnes...

Q - Vous pensez que c'est un coup de gueule des agriculteurs ?
R - Non, non, pas du tout. C'est un ressenti très fort, que j'avais eu l'occasion d'exprimer quelques jours avant le Salon de l'agriculture, qui s'est tenu il y a quelques semaines Porte de Versailles, au président de la République et puis au Premier ministre lui-même, en leur disant : écoutez, cette politique agricole qui a évolué au fil des années au niveau européen, n'est pas celle que nous souhaitons, et quand s'ajoute à cette politique agricole, qui se traduit...
Q - Vous parlez de la réforme de la PAC.
R - La réforme, décidée au Luxembourg...
Q - Politique Agricole Commune.
R - Politique Agricole Commune, qui laisse faire finalement des situations de crises - on va de crises en crises - et quand, à tout cela s'ajoute en plus des tonnes de paperasses, qu'il faut remplir, les agriculteurs ont reçu pendant les fêtes de fin d'année un document de 38 pages où on leur dit vous allez respecter des tas de réglementations, à la clé de ces réglementations sans doute des tas de contrôles, il y a une irritation qui se traduit, qui peut se traduire en tout cas, par un vote négatif effectivement, parce que...
Q - En fait, vous, vous dites les agriculteurs ils ne disent pas "non" à la Constitution, ils disent "non" à l'Europe telle qu'elle se fait aujourd'hui.
R - Voilà, ils ne répondent pas à la question de la Constitution, ils donnent leur ressenti par rapport à une évolution de la Politique Agricole Commune, à une politique qu'ils ne souhaitent pas, et moi je suis persuadé qu'une autre politique est possible parce qu'on ne peut pas abandonner nos agriculteurs en matière de revenus comme c'est le cas actuellement.
Q - Alors vous, en revanche, vous êtes pour la Constitution, vous devez être un peu coupé de votre base, non ?
R - Non, pas tout à fait, parce que je sais qu'il ne viendrait pas à l'idée chez chaque agriculteur de penser que le marché et notre avenir passent par un retour à l'Hexagone, c'est-à-dire que...
Q - Mais ils disent non à 70 %, et vous, vous dites oui, il y a un décalage quand même !
R - Moi, je dis oui à la Constitution, parce que je pense que nous avons besoin de plus d'Europe et de mieux d'Europe, et notamment par un meilleur engagement des politiques. D'ailleurs les hommes politiques qui défendaient le "oui" hier - A. Bocquet a soutenu le "non" - au congrès, ont beaucoup insisté sur cet engagement du monde politique. Nous avons des exemples, nous, nous qui vivons l'Europe depuis plus de 40 ans en agriculture. Nous avons des exemples où à chaque fois que les ministres de l'Agriculture n'ont pas pris leurs responsabilités, eh bien c'est la Commission de l'Union européenne, c'est-à-dire, on va dire les technocrates, les commissaires, eh bien qui dirigent l'Europe sans avoir finalement de comptes à rendre aux citoyens. Et ça, moi je pense qu'on peut aller vers mieux d'Europe avec davantage de responsabilités de la part du politique.
Q - L'autre argument de ceux qui disent qu'il faut dire oui à la Constitution, ça consiste à dire : si la France disait "non", elle serait affaiblie et il n'y aurait plus personne pour défendre les agriculteurs en Europe.
R - Je crois qu'une majorité de dirigeants, de responsables agricoles, pense ainsi. Mais que nos agriculteurs à la base ne le pensent pas ainsi, je le comprends aussi. C'est vrai que le danger est que le vote français soit interprété en disant : écoutez, ces Français, qui nous demandent sans arrêt, je parle des politiques, mais aussi des agriculteurs, de soutenir l'agriculture, de maintenir un certain nombre de moyens budgétaires, eh bien, on peut changer de politique, on peut réduire la voilure au niveau de l'agriculture et il ne faut surtout pas qu'on permette à ceux qui, pour qui même l'indépendance alimentaire ne serait plus un sujet, de leur permettre de le faire.
Q - Le problème, c'est qu'aujourd'hui les agriculteurs ils ont l'impression qu'on ne les défend déjà pas assez. Vous parliez de la PAC, ils ont eu le sentiment que c'était un coup de poignard dans le dos.
R - Sans doute... les agriculteurs n'ignorent pas les moyens - les moyens budgétaires - qui sont maintenus jusqu'en 2013. Il y a eu un accord des chefs d'Etat et de Gouvernement il y a deux ans pour cela. Mais, c'est en matière de politique agricole, notamment, où l'Europe a abandonné la gestion des marchés. On nous parle aujourd'hui de gérer des crises, de mettre en place des mécanismes pour gérer des crises. Moi, je préférerais qu'on mette les moyens pour mieux gérer les marchés, réguler l'offre, permettre d'obtenir un revenu par la vente de nos produits, que de se dire : quand ça va mal aller on va gérer les crises. Et même quand il y a des crises on voit bien qu'on n'arrive même pas à les gérer.
Q - Donc il y a quand même quelque chose qui ne tourne pas rond ?
R - Bien sûr, et j'avais eu de le dire.

Q - C'est pour ça que les agriculteurs...
R - D'ailleurs, hier, il y a un intervenant qui a repris mon discours de l'an dernier, la fin de mon discours de l'an dernier, où je disais : ça ne tourne pas rond. Donc effectivement, je pense qu'on a besoin que les choses s'améliorent. D. Bussereau, lorsque je l'ai rencontré en tout début d'année, je lui ai expliqué la situation. Il est en train de prendre des mesures, et j'espère qu'il ira jusqu'au bout, pour que cette nouvelle réforme décidée à Luxembourg soit supportable par les agriculteurs, c'est indispensable.
Q - Alors une question sur la taxe sur les produits pétroliers. Une de vos demandes, c'est la baisse de cette taxe pour les agriculteurs, et aujourd'hui vous allez plus loin, vous voudriez qu'elle soit carrément supprimée pour les agriculteurs.
R - J'ai demandé hier qu'on aille jusqu'à la suppression de cette taxe. Je pense que l'énergie est très importante pour le métier d'agriculteur, pas seulement d'ailleurs pour mettre dans les tracteurs, on a besoin d'énergie aussi chez les serristes, dans les élevages avicoles, pour produire la volaille. Quand on a des petits poussins dans nos bâtiments, il faut chauffer. Je demande donc à ce qu'il y ait un traitement spécial pour les agriculteurs et donc la suppression de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, en tout cas la part française doit pouvoir être supprimée... J'ai d'ailleurs écrit à T. Breton la semaine dernière dans ce sens.
Q - Alors justement, dans le contexte du sondage qui dit que les agriculteurs disent "non" à la Constitution, vous pensez que ça peut aboutir ? C'est le bon moment ? Vous ne profitez pas un peu de la situation ?
R - Non, non, pas du tout, pas du tout. D'ailleurs, nous avions obtenu une mesure pour six mois, les six derniers mois de l'année dernière, le remboursement de la part français de la taxe. Il avait été convenu même d'un rendez-vous si le prix du baril continuait de flamber. Je demande simplement qu'on ait ce rendez-vous, parce que le prix du baril tout le monde en connaît le montant, et que nous ayons, d'abord peut-être, s'il le faut, la prolongation de la mesure de l'an dernier, mais surtout qu'on aboutisse à la suppression de cette taxe.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 29 mars 2005)