Déclaration de M. Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées, sur les conséquences sanitaires et sociales de la canicule, Paris le 28 janvier 2004.

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Circonstance : Ouverture de la Commission d'enquête sur les conséquences sanitaires et sociales de la canicule à l'Assemblée nationale le 28 janvier 2004

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames, Messieurs les Députés,
J'ai été personnellement très profondément affecté par la mort prématurée de tant de nos aînés et j'ai partagé l'émotion et la douleur des familles et des proches des victimes. Je veux leur exprimer, une nouvelle fois, ma plus profonde peine et ma solidarité.
Cette commission d'enquête va contribuer, après la mission d'information qui l'a précédée et avec celle actuellement en cours au Sénat, à définir les moyens de prévenir la catastrophe que nous avons connue cet été.
Je tiens, par mon audition de ce jour, à concourir activement à cet objectif en vous apportant tous les éléments d'information sur mon action cet été et, plus largement, depuis mon arrivée aux responsabilités qui sont les miennes.
Je vous indiquerai également les dispositifs que nous avons commencés à mettre en place pour prévenir de telles catastrophes à l'avenir.
Le champ de compétences dont le Secrétariat d'Etat aux personnes âgées a la responsabilité porte sur la prise en charge sociale des personnes âgées par notre société.
Dès ma prise de fonction, j'ai souligné que la prévention était un volet essentiel de la politique en faveur de nos aînés. C'est un axe majeur de la politique que nous avons engagée.
Des dispositions ont été prises dès mon arrivée, soit bien avant l'évènement climatique exceptionnel de cet été :
- Le 12 juillet 2002, quelques semaines après l'installation du Gouvernement, j'adressais aux Préfets (DDASS) une circulaire de recommandations écrites sur " la qualité de la prise en charge des personnes âgées pendant la période d'été ".
Cette circulaire insistait très précisément dans son paragraphe 4 sur " la prévention de la déshydratation ", sur la nécessité de " rafraîchir les locaux " et " de donner à boire, plusieurs fois par jours, aux personnes âgées ".
L'instruction concluait sur la nécessité de diffuser " ces quelques préconisations d'application simple à tous les directeurs d'établissements pour personnes âgées de votre département ".
Ces instructions de bon sens ont malheureusement suscité, au moment de leur parution, des remarques ironiques de la part de certains media et même de certains professionnels. C'est dire si la culture de la prévention n'est pas encore intégrée dans notre pays.
- La priorité de la prise en charge des personnes âgées pendant la période estivale a été réaffirmée par une circulaire du 27 mai 2003, qui attirait l'attention sur les difficultés liées à l'isolement des personnes âgées durant la période d'été et sur la vigilance à maintenir à domicile grâce aux services d'aide ou de soins à domicile. Ce repérage des personnes âgées isolées est un des éléments du dispositif de veille et d'alerte en cours d'élaboration.
Par ailleurs, le drame que nous avons vécu tient, en partie, à l'absence de soins prodigués à nos personnes âgées. Il relève à ce titre d'une certaine forme de maltraitance, la maltraitance par omission, ignorance, délaissement.
Dès mon arrivée au gouvernement, j'ai mis l'accent sur la maltraitance qui touche 800 000 de nos aînés. Le 19 novembre 2002, j'ai installé, dans l'indifférence générale, un Comité national de vigilance contre la maltraitance des personnes âgées.
En janvier 2003, nous avons lancé un programme de prévention et de lutte avec huit objectifs axés, notamment, sur l'information, la prévention, la détection, le traitement, la formation et le suivi.
Depuis mon arrivée au Gouvernement, les signalements de cas de maltraitance en établissement ont été systématiquement suivis d'enquêtes.
Par ailleurs, une enquête qualitative a été lancée sur ce que l'on appelle la maltraitance "ressentie" par les personnes âgées.
Un système d'information est en cours d'élaboration pour permettre le recueil et le traitement des données relatives aux situations de maltraitance en établissement.
Enfin, le Comité de vigilance a élaboré une brochure expliquant ce qu'est la maltraitance afin de sensibiliser la population.
Venons en maintenant à la chronologie des événements du mois d'août. Je me concentrerai sur mon action et celle de mon cabinet.
La première remontée d'information date du dimanche 10 août, 17 heures : la personne chargée de la permanence à la Direction Générale de l'Action Sociale (DGAS) appelle M. HERITIER, conseiller technique à mon cabinet, pour l'informer du signalement par un établissement pour personnes âgées, à Suresnes, de difficultés liées à l'absence de places en funérarium.
Il lui est demandé de prendre contact avec la préfecture et de faire un point plus large sur les décès constatés.
Parallèlement, M. HERITIER me communique ces informations ainsi qu'à mon directeur de cabinet, M. LE DIVENAH, et à un autre de mes conseillers techniques, M. GUILLERM. Vers 17 h. 45, je demande que l'on procède à une évaluation des causes précises de décès et que l'on réactive les recommandations relatives aux conséquences de la chaleur sur les personnes âgées.
Le lundi 11 août :
- je me rends aux urgences de ma ville ;
- je demande à mon cabinet de s'informer davantage et de se coordonner avec les autres cabinets intéressés ;
- je m'entretiens dans la matinée avec le Premier Ministre.
M. HERITIER appelle M. COQUIN, adjoint du directeur général de la Direction Générale de la Santé (DGS), et M. GUILLERM s'entretient avec un conseiller technique au cabinet du Ministre de la Santé pour lui signaler des cas de surmortalité anormale dans les maisons de retraite et lui demander une réunion de coordination rapide pour faire le point sur les modalités d'évaluation de la situation et les initiatives à prendre.
Cet appel est suivi à 13 h. 59 d'un mél de M. GUILLERM à Mme BOLOT-GITTLER, directrice adjointe du cabinet du Ministre de la Santé, l'informant de mon communiqué de presse et de mon entretien avec le Premier Ministre et renouvelant la demande d'une action coordonnée des deux cabinets. Cette demande est restée sans suite.
En outre, un fax a été envoyé à Mme BOLOT-GITTLER à 13 h. 55 pour l'informer de la note adressée, à ma demande, par l'un de mes conseillers à M. CIRELLI, directeur-adjoint du cabinet du Premier Ministre. Cette note transmettait à M. CIRELLI les deux circulaires précitées du 12 juillet 2002 et du 27 mai 2003.
Dans l'après-midi, des contacts sont pris avec l'Institut de Veille Sanitaire (InVS), l'Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE), l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM), et la Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques (DREES).
Comme l'a indiqué François FILLON, après le communiqué de presse adressé lundi 11 août, qui réactive les recommandations des deux circulaires précitées, je fais envoyer le lendemain 12 août un nouveau communiqué à l'AFP qui complète les recommandations déjà adressées aux professionnels et fait appel à la mobilisation et à la vigilance des bénévoles et de chaque citoyen.
Dans le même temps, nous préparons un dispositif de remontées d'information sur la surmortalité en établissement ainsi qu'un déplacement avec M. MATTEI pour le lendemain.
Le 13 août, je me rends avec le Ministre de la Santé aux services d'urgence de Bordeaux et de la Pitié-Salpêtrière, ainsi qu'à l'unité de long séjour de cet établissement.
Le 14 août se tient une réunion de coordination à Matignon sous la présidence du Premier Ministre. Dans la conférence de presse qui suit, j'appelle à la responsabilité des élus locaux pour réaliser une permanence santé dans les maisons de retraite de leurs départements et communes.
Le même jour, un de mes conseillers envoie un mél à 10 h. 38 à la directrice adjointe du cabinet du Ministre de la Santé puis s'entretient avec elle par téléphone sur le dispositif de recueil et d'analyse des décès liés à la canicule. Sa nouvelle demande de coordination des démarches est reformulée. Une nouvelle fois, cette demande est restée sans suite.
Un projet de circulaire aux DRASS et DDASS relatif à l'évaluation de la surmortalité en établissement pour personnes âgées est envoyé pour avis à la DGAS. Cette circulaire est signée par le Directeur général de l'action sociale et diffusée le jour même. Les informations ainsi recueillies ont été ensuite transmises aux différents experts chargés d'enquêter sur les événements de cet été.
Le 15 août, je prépare mon déplacement avec le Premier Ministre, prévu pour le lendemain, ainsi que la circulaire relative à la vigilance nécessaire dans la phase de retour d'hospitalisation.
Le lendemain 16 août, je me rends à Fleurey-sur-Ouche avec le Premier Ministre.
Je signe et fais diffuser aux préfets et DDASS la circulaire précitée sur le retour d'hospitalisation dans laquelle je leur demande de sensibiliser les communes et les centres communaux d'action sociale sur l'importance d'un accompagnement des personnes âgées isolées à l'occasion de leur retour à domicile après la phase d'hospitalisation. Les recommandations de prévention sont renouvelées à cette occasion.
Le 18 août, nous préparons deux réunions avec les organisations représentatives des établissements hébergeant des personnes âgées et les organisations de services d'aide à domicile. Une réunion de coordination se tient à Matignon avec les cabinets du Ministre de la Santé et du Ministre délégué aux Libertés locales.
Le 19 août se tiennent une nouvelle réunion de coordination à Matignon avec les cabinets du Ministre de la Santé et du Ministre de l'Intérieur ainsi que les deux réunions précitées au Secrétariat d'Etat aux Personnes âgées.
Elles ont été l'occasion de constater que la canicule avait frappé un grand nombre de personnes âgées fragiles, au premier rang desquels il convient de signaler les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer.
Elles ont permis de mettre l'accent sur les capacités de mobilisation des établissements et des services d'aide à domicile et d'engager les pistes de réflexion visant à renforcer leurs moyens.
A ce stade de mon exposé, je tiens à souligner, comme l'a fait François FILLON, le problème de la remontée d'information. Le Secrétariat d'Etat aux Personnes Âgées n'a, en effet, pas été destinataire de messages d'alerte, que ce soit des DDASS, des Conseils généraux ou des gestionnaires.
Ceci s'explique probablement par le champ de compétence du Secrétariat d'Etat, qui ne couvre pas les questions sanitaires.
Ceci explique aussi pourquoi la Direction générale de l'action sociale n'a pas eu de remontées du terrain, l'interlocuteur attitré pour ce type de problématiques étant plutôt la Direction générale de la santé. La situation de crise a vraisemblablement renforcé le caractère privilégié des relations entre acteurs de compétence sanitaire.
Je ne reviendrai pas sur l'absence de remontée en temps réel du nombre de décès ni sur l'absence de dispositif d'alerte dans notre pays pour prévenir et faire face à un tel événement jusque là du reste jamais envisagé ni dans son occurrence ni dans sa gravité.
Je tiens néanmoins à préciser que l'information en provenance de 10 000 maisons de retraite, dont bon nombre ne relèvent pas d'une organisation pyramidale, ne peut efficacement remonter vers les instances nationales que dans le cadre d'un partenariat étroit avec l'échelon local, en parfaite coordination avec lui.
L'organisation des maisons de retraite ne répond pas à un régime juridique uniforme, loin de là ; rappelons que certains établissements sont sous statut privé, que nous avons des structures associatives, des établissements publics, des structures communales, des structures départementales, ce qui complique considérablement l'organisation des remontées d'information.
Au moment du drame, aucun mécanisme de prévention, aucun dispositif d'alerte n'existait dans notre pays pour prévenir et faire face à un tel évènement.
L'un des enseignements que nous en avons tiré nous a conduit à mettre au point un dispositif de veille et d'alerte en lien avec les services de météo-France.
Ce plan est institué par l'article 1er du projet de loi relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, présenté en Conseil des Ministres mercredi 14 janvier dernier.
Dans chaque département sera instauré un dispositif d'alerte et d'urgence, arrêté conjointement par le préfet et le Président du Conseil général.
Les communes devront recueillir des éléments relatifs à l'identité, l'âge et le domicile des personnes âgées et des personnes handicapées afin de favoriser l'intervention des services sociaux en cas de mobilisation du plan d'alerte. En effet, lors de la canicule, des personnes âgées n'ayant plus aucun lien familial et social, confinées à leur domicile, n'ont pu être sauvées faute de contacts ou de secours appropriés. L'objectif de l'opération est de connaître ces personnes et de pouvoir intervenir rapidement auprès d'elles, y compris à titre préventif.
Par ailleurs, je rappelle que le dispositif comportera les éléments suivants :
- trois niveaux d'alerte ;
- une chaîne d'alerte entre Météo France, l'Institut de Veille Sanitaire (InVS) et le ministère de la Santé ;
- des référentiels de bonnes pratiques préventives des risques sanitaires liés à la canicule et à la pollution ;
- des " plans bleus ", équivalents du plan blanc pour l'hôpital, dans toutes les institutions accueillant des personnes âgées.
Ce dispositif d'alerte s'inscrit dans une réforme plus vaste, une réforme de solidarité pour les personnes dépendantes, dont les travaux d'élaboration ont été lancés dès la fin du mois d'août et qui a été annoncée par le Premier Ministre le 6 novembre dernier.
Cette réforme est destinée à remédier aux carences que l'on a constatées depuis des décennies en matière de prise en charge de nos aînés.
Le Gouvernement s'est efforcé de présenter un plan interministériel global, qui concerne tous les aspects de la vie des personnes âgées, et un plan ambitieux puisqu'il est doté de 4,1 milliards d'euros sur 4 ans, de 2004 à 2007, soit plus de 28 milliards de francs.
Je rappelle, en outre, que pour 2004, nous allouons 480 millions d'euros à la médicalisation des établissements.
Je ne reviendrai pas sur l'exposé des principes et des orientations de ce plan, déjà exposés par François FILLON. Sachez que son application a d'ores et déjà commencé. Ainsi, le 19 décembre dernier, j'adressais aux Préfets (DRASS et DDASS) une circulaire leur demandant d'accélérer la conclusion des conventions tripartites avec les établissements. Dans quelques jours, nous leur enverrons des instructions précises quant aux moyens dont ils disposent pour 2004 au titre de l'ONDAM, afin que l'ensemble de ces crédits puissent être mobilisés cette année.
Voilà, Mesdames, Messieurs les députés, les éléments que je souhaitais, en préambule, rappeler ou apporter à votre connaissance.
Je vous remercie de votre attention.

(source http://www.social.gouv.fr, le 9 février 2004)