Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,
L'Assemblée nationale a souhaité qu'une commission d'enquête parlementaire puisse faire toute la lumière sur la gestion de la crise liée à la canicule de l'été dernier et qu'elle en tire toutes les propositions utiles pour améliorer la prise en charge des personnes âgées face à de tels risques.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le faire devant les missions d'information de votre Assemblée le 15 septembre 2003 et du Sénat le 13 janvier dernier, nous souhaitons tout d'abord vous apporter, Hubert FALCO et moi-même, les informations que vous attendez concernant les actions qui ont été menées avant et pendant la canicule.
Dans un deuxième temps je rappellerais brièvement les orientations retenues par le Gouvernement pour améliorer la prise en charge des personnes en perte d'autonomie.
Au-delà des multiples informations déjà recueillies grâce aux travaux de l'INSERM et de l'INVS, il m'a semblé utile de diligenter une mission de l'Inspection générale des affaires sociales, afin que les pouvoirs publics puissent connaître de façon détaillée et concrète la façon dont cette canicule a été gérée au plan local. En effet la statistique, même scientifiquement établie, ne donne qu'une vision abstraite ou trop synthétique des réalités. Elle ne remplace pas l'enquête de terrain. Le rapport de l'IGAS sur " la prise en charge sociale et médico-sociale des personnes âgées face à la canicule de l'été 2003 " vient de me parvenir. Je vous en remets un exemplaire.
Je souhaite tout d'abord faire un point sur l'action ministérielle avant et pendant la canicule.
Les dramatiques conséquences de la canicule du mois d'août 2003 ont souligné l'insuffisance des dispositifs de veille et d'alerte dans le domaine des personnes âgées. Toutefois des dispositions avaient été prises bien avant cet événement climatique exceptionnel pour en prévenir, ou en tout cas en atténuer les conséquences. Ces instructions ministérielles relatives à la prévention de la déshydratation datent du 12 juillet 2002 et du 27 mai 2003.
Elles n'ont pas suffi dans un grand nombre d'établissements pour personnes âgées. Toutefois dans certains départements quelques initiatives ont été prises pour diffuser ces instructions ministérielles, comme le montre le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales.
C'est le cas, par exemple, de la DDASS des Bouches-du-Rhône, qui le 4 juillet a contacté les professionnels des établissements et services pour personnes âgées, y compris les CLIC et les services de soins infirmiers à domicile.
C'est le cas aussi de la Creuse, où la DDASS a adressé dès le 16 juillet aux directeurs d'établissements et services une note sur la prévention de la déshydratation chez la personne âgée, accompagnée d'un article de l'université du 3ème âge de Toulouse. Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales souligne aussi les initiatives prises par quelques municipalités, à Grenoble notamment.
Mais tout cela relève d'initiatives isolées, qui ne peuvent dissimuler combien les risques liés à la canicule étaient globalement ignorés.
La vague de chaleur exceptionnelle s'est installée en France vers le 2 août. Jusqu'au 8 août aucun signalement de décès massifs n'a été signalé à la Direction générale de l'action sociale par les DDASS et le premier appel arrivé à la permanence du cabinet du Secrétaire d'Etat aux personnes âgées date du 10 août.
Les 11 et 12 août plusieurs communiqués de presse ont rappelé les risques encourus et les recommandations relatives à la déshydratation ainsi qu'à la température des locaux.
Une circulaire aux préfets du 16 août et une réunion, le 19 août, au cabinet du Secrétaire d'Etat aux personnes âgées ont permis de mettre l'accent sur l'importance d'un accompagnement des personnes âgées isolées à l'occasion de leur retour à domicile après la phase d'hospitalisation.
Au terme de ce rappel chronologique un constat s'impose : dès le début de la canicule aucune remontée officielle de difficultés n'est venue des DDASS, des conseils généraux, des CCAS, des établissements hébergeant des personnes âgées ou des services d'aide ou de soins à domicile. Cette situation peut paraître singulière après 9 jours d'exposition continue, voire plus, à une température supérieure à 35°. Il est difficile de l'expliquer. Je vous propose toutefois quelques pistes.
La surmortalité, qui est apparue massive a posteriori dès septembre par agrégation statistique au plan national n'a pas été perçue de cette façon par les gestionnaires d'établissement, qui individuellement, dans la plupart des cas, n'ont repéré que quelques décès supplémentaires : même s'il y a eu des exceptions, l'IGAS souligne cette dilution de l'information durant les premiers jours de la canicule en indiquant que deux décès supplémentaires dans un établissement de 60 lits n'est pas immédiatement significatif.
Il en va de même, selon l'IGAS, pour les services intervenant au domicile des personnes âgées : 4 000 décès supplémentaires -ce qui est évidemment beaucoup au plan national- pour 4 000 000 de personnes âgées de plus de 75 ans vivant à leur domicile, soit 1 pour 1 000, n'était pas facile à repérer sur l'instant.
L'IGAS indique d'ailleurs que les grands réseaux associatifs d'aide à domicile (UNASSAD, UNADMR) n'ont pas fait état de remontées d'information alarmantes en provenance de leur base durant la canicule.
Au total, la prise de conscience a été tardive en raison de la dilution statistique et n'a vraiment été réalisée qu'à travers les reportages des médias, la suractivité des urgences hospitalières ou l'engorgement des petites chambres mortuaires. "La canicule 2003, rapporte l'IGAS, se caractérise par son caractère insidieux et peu alarmant, du moins jusqu'à ce que la croissance massive des décès ne devienne perceptible dans les grandes agglomérations et certains grands établissements de province" (rapport IGAS, p.20).
De plus, comme l'indique ce rapport, dans un même département, à chaleur identique, la température intérieure des maisons de retraite et ses conséquences sur la mortalité a varié selon le degré d'isolation, la présence ou non de verrière, l'existence de volets intérieurs, la présence d'une salle en sous-sol, ou le degré de ventilation, qui ont pu modifier la diffusion de la chaleur extérieure à l'intérieur de tout ou partie des locaux. L'architecture du grand âge mérite donc d'être révisée. Dans l'immédiat une étude est en cours sur les normes techniques et juridiques qu'il convient d'adapter ou de créer pour mettre en place une climatisation minimale dans les établissements.
Une autre explication tient au fait que dans la crise l'adaptation s'est réalisée par réaction, avec un certain décalage, au fur et à mesure du déroulement de la crise.
Cette mobilisation a été d'autant plus importante que l'anticipation de la canicule a été rare. L'IGAS signale n'avoir rencontré dans 8 départements qu'un seul directeur d'établissement ayant consulté Météo France le 6 août 2003 et mis en place des mesures d'hydratation des personnes et de rafraîchissement des locaux. Cette maison de retraite n'a connu aucun décès en août.
Enfin, force est de reconnaître que lorsque l'information existait, celle-ci n'est pas remontée vers le ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité : la Direction générale de l'action sociale indique, comme elle a pu vous le confirmer le 6 janvier dernier, que tout au long de cette crise elle n'a pas eu de remontée d'information du terrain lui permettant d'appréhender et d'apprécier en temps réel les difficultés rencontrées.
Après ce rappel des faits, je souhaite vous indiquer les actions réalisées et les orientations retenues pour éviter le renouvellement de cette crise et pour en tirer les leçons.
Il a paru tout d'abord nécessaire de faciliter le retour des personnes hospitalisées suite à la canicule vers leur lieu de vie habituel, c'est-à-dire vers leur domicile ou leur maison de retraite. C'est pourquoi le Gouvernement a dégagé dès le 15 septembre une enveloppe exceptionnelle de 40 millions d'euros pour financer les heures supplémentaires ou les remplacements de personnels nécessaires à l'accompagnement des personnes âgées les plus fragiles. L'attribution de cette enveloppe a été réalisée par la circulaire du 19 septembre 2003.
Mais surtout le Premier ministre a souhaité tirer plus durablement les leçons de la canicule. A cette fin, il a demandé la réalisation d'un diagnostic partagé sur les modes d'organisation et de fonctionnement des dispositifs d'accueil et d'hébergement.
Ce travail a été réalisé par plusieurs groupes de travail thématiques durant tout le mois de septembre avec les divers représentants des personnes âgées. Il a servi de base à l'élaboration de la réforme de la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées annoncées le 6 novembre dernier par le Premier ministre.
Concernant les personnes âgées ce programme s'articule autour de plusieurs orientations de fond.
La première orientation a pour but de développer l'autonomie personnelle en favorisant le plus longtemps possible la vie à domicile. Cette orientation répond à l'attente prioritaire des personnes âgées. Elle est conforme aussi au choix réalisé par un grand nombre d'Etats membres de l'Union européenne.
C'est pourquoi le plan se donne pour objectif de renforcer significativement le nombre de places de services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) pour tendre vers 100 000 places en 2007 et d'accélérer la création de places en hébergement temporaire ou en accueil de jour, qui sont aujourd'hui insuffisamment développés.
Le plan pérennise également le financement de l'allocation personnalisée d'autonomie, qui concerne pour environ les deux-tiers les personnes âgées dépendantes vivant chez elles : elle concourt ainsi au développement de l'aide à domicile.
La deuxième orientation est liée à la médicalisation accrue des établissements d'hébergement. Cette orientation part du constat que les progrès de la prévention et de la médecine ainsi que l'augmentation de l'espérance de vie sans incapacité permettent une entrée en institution beaucoup plus tardive qu'il y a quelques années. Mais ce constat a aussi sa contrepartie : il exprime un besoin accru de médicalisation, et, compte tenu, de l'évolution démographique de notre pays, la nécessité de créer progressivement des places supplémentaires en établissement, au rythme des besoins et des capacités de formation des personnels soignants.
La mise en uvre de ce programme repose sur un financement nouveau, qui mobilisera 850 millions d'euros par an, en plus des 400 millions d'euros supplémentaires destinés à l'allocation personnalisée d'autonomie.
Ce financement s'ajoutera aux moyens dégagés chaque année par le projet de loi de financement de la sécurité sociale au titre de l'ONDAM médico-social. Son utilisation exclusive pour la prise en charge des personnes dépendantes sera garantie par la création d'une caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. L'affectation de la ressource nouvelle et de son emploi bénéficiera ainsi de la gestion transparente de cet établissement public autonome.
Le projet de loi correspondant a été adopté par le Conseil des ministres du 14 janvier dernier. Il contient les dispositions suivantes.
Une première série de mesures correspond à la mise en place d'un dispositif de veille et d'alerte destiné à prévenir les risques exceptionnels, climatiques ou non. Ce dispositif sera arrêté conjointement par le Préfet du département et le Président du conseil général.
Il sera mis en uvre sous l'autorité du Préfet pour venir en aide dans le cadre communal aux personnes âgées ou handicapées, qui en auront fait préalablement la demande et dont la situation le justifie.
Le rapport précité de l'IGAS souligne que " les personnes âgées les plus vulnérables ne sont pas seulement celles qui vivent seules à leur domicile, mais celles qui vivent dans un véritable isolement social " (p.44). C'est le cas des personnes sans relations avec leurs familles, leurs voisinages ou avec un service d'aide à domicile. L'enjeu est donc bien de substituer à cette situation d'isolement un repérage local des personnes en difficulté et de leur proposer une offre de service.
La deuxième mesure crée une journée de travail supplémentaire non rémunérée, dénommée journée de solidarité, pour financer la réforme en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées. Cette journée correspond au lundi de Pentecôte ou, le cas échéant, à un autre jour si un accord de branche ou d'entreprise le prévoit.
Une contribution de 0,3% acquittée à ce titre par les employeurs privés et publics ainsi qu'une contribution de solidarité de même niveau sur les revenus du patrimoine et des placements permettront, à partir du 1er juillet 2004, de consolider l'APA et d'assurer le nouveau financement destiné à rénover l'action publique en faveur des personnes dépendantes.
Ce projet de loi ne représente cependant que la première partie d'un dispositif plus large destiné à renforcer le rôle des conseils généraux dans l'action de proximité auprès des personnes âgées.
La décentralisation de l'aide sociale il y a plus de vingt ans et la création de l'allocation personnalisée d'autonomie en 2001 ont permis aux départements et à leurs équipes médico-sociales d'acquérir une compétence qu'il paraît utile de conforter. Le projet de loi relatif aux responsabilités locales devrait y contribuer, sous réserve du vote du Parlement, en confiant le pilotage des schémas gérontologiques et des comités locaux d'information et de coordination (CLIC) aux départements.
Par ailleurs, la mission d'expertise confiée par le Premier ministre à Monsieur BRIET, conseiller maître à la Cour des comptes, et à Monsieur JAMET, directeur général des services du département du Rhône, devrait permettre, en concertation étroite avec les partenaires concernés, de proposer des modalités d'association des collectivités départementales au fonctionnement administratif et financier de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie sans créer une prise en charge médicale différenciée des soins aux personnes âgées. Ce partenariat d'un type nouveau reste à construire dès que nous connaîtrons, en mai prochain, les conclusions de ces travaux.
Au-delà de la nécessité d'ouvrir ce vaste chantier, la canicule a révélé, en définitive, que nous n'avions pas, tous ensemble, suffisamment pris en compte les conséquences du vieillissement de notre pays et de ce qu'on a appelé la révolution de la longévité. Les dispositions adoptées ou en cours ne sont pas seulement des mesures budgétaires et techniques. Elles forgent surtout un projet de société plus attentif aux besoins du grand âge et à l'isolement d'un trop grand nombre de nos aînés.
Dans ce projet, l'Etat apporte sa part. Il renforce réellement ses moyens d'action, c'est-à-dire les finance. Il suscite à ce titre une impulsion et une cohésion collective. Mais ce projet ne prend tout son sens que s'il peut s'appuyer sur la solidarité familiale, associative ou de voisinage et s'il peut trouver les relais de proximité que constituent les collectivités territoriales et les organismes de protection sociale.
Notre pays avait pris du retard dans la réponse aux situations de crise et dans la prise en charge des personnes âgées en perte d'autonomie, fragiles ou isolées. Le drame que nous avons vécu ensemble a révélé un besoin d'action. Nous nous employons avec détermination et avec réalisme à cette construction progressive d'une société vraiment pour tous les âges.
(source http://www.social.gouv.fr, le 9 février 2004)
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,
L'Assemblée nationale a souhaité qu'une commission d'enquête parlementaire puisse faire toute la lumière sur la gestion de la crise liée à la canicule de l'été dernier et qu'elle en tire toutes les propositions utiles pour améliorer la prise en charge des personnes âgées face à de tels risques.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le faire devant les missions d'information de votre Assemblée le 15 septembre 2003 et du Sénat le 13 janvier dernier, nous souhaitons tout d'abord vous apporter, Hubert FALCO et moi-même, les informations que vous attendez concernant les actions qui ont été menées avant et pendant la canicule.
Dans un deuxième temps je rappellerais brièvement les orientations retenues par le Gouvernement pour améliorer la prise en charge des personnes en perte d'autonomie.
Au-delà des multiples informations déjà recueillies grâce aux travaux de l'INSERM et de l'INVS, il m'a semblé utile de diligenter une mission de l'Inspection générale des affaires sociales, afin que les pouvoirs publics puissent connaître de façon détaillée et concrète la façon dont cette canicule a été gérée au plan local. En effet la statistique, même scientifiquement établie, ne donne qu'une vision abstraite ou trop synthétique des réalités. Elle ne remplace pas l'enquête de terrain. Le rapport de l'IGAS sur " la prise en charge sociale et médico-sociale des personnes âgées face à la canicule de l'été 2003 " vient de me parvenir. Je vous en remets un exemplaire.
Je souhaite tout d'abord faire un point sur l'action ministérielle avant et pendant la canicule.
Les dramatiques conséquences de la canicule du mois d'août 2003 ont souligné l'insuffisance des dispositifs de veille et d'alerte dans le domaine des personnes âgées. Toutefois des dispositions avaient été prises bien avant cet événement climatique exceptionnel pour en prévenir, ou en tout cas en atténuer les conséquences. Ces instructions ministérielles relatives à la prévention de la déshydratation datent du 12 juillet 2002 et du 27 mai 2003.
Elles n'ont pas suffi dans un grand nombre d'établissements pour personnes âgées. Toutefois dans certains départements quelques initiatives ont été prises pour diffuser ces instructions ministérielles, comme le montre le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales.
C'est le cas, par exemple, de la DDASS des Bouches-du-Rhône, qui le 4 juillet a contacté les professionnels des établissements et services pour personnes âgées, y compris les CLIC et les services de soins infirmiers à domicile.
C'est le cas aussi de la Creuse, où la DDASS a adressé dès le 16 juillet aux directeurs d'établissements et services une note sur la prévention de la déshydratation chez la personne âgée, accompagnée d'un article de l'université du 3ème âge de Toulouse. Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales souligne aussi les initiatives prises par quelques municipalités, à Grenoble notamment.
Mais tout cela relève d'initiatives isolées, qui ne peuvent dissimuler combien les risques liés à la canicule étaient globalement ignorés.
La vague de chaleur exceptionnelle s'est installée en France vers le 2 août. Jusqu'au 8 août aucun signalement de décès massifs n'a été signalé à la Direction générale de l'action sociale par les DDASS et le premier appel arrivé à la permanence du cabinet du Secrétaire d'Etat aux personnes âgées date du 10 août.
Les 11 et 12 août plusieurs communiqués de presse ont rappelé les risques encourus et les recommandations relatives à la déshydratation ainsi qu'à la température des locaux.
Une circulaire aux préfets du 16 août et une réunion, le 19 août, au cabinet du Secrétaire d'Etat aux personnes âgées ont permis de mettre l'accent sur l'importance d'un accompagnement des personnes âgées isolées à l'occasion de leur retour à domicile après la phase d'hospitalisation.
Au terme de ce rappel chronologique un constat s'impose : dès le début de la canicule aucune remontée officielle de difficultés n'est venue des DDASS, des conseils généraux, des CCAS, des établissements hébergeant des personnes âgées ou des services d'aide ou de soins à domicile. Cette situation peut paraître singulière après 9 jours d'exposition continue, voire plus, à une température supérieure à 35°. Il est difficile de l'expliquer. Je vous propose toutefois quelques pistes.
La surmortalité, qui est apparue massive a posteriori dès septembre par agrégation statistique au plan national n'a pas été perçue de cette façon par les gestionnaires d'établissement, qui individuellement, dans la plupart des cas, n'ont repéré que quelques décès supplémentaires : même s'il y a eu des exceptions, l'IGAS souligne cette dilution de l'information durant les premiers jours de la canicule en indiquant que deux décès supplémentaires dans un établissement de 60 lits n'est pas immédiatement significatif.
Il en va de même, selon l'IGAS, pour les services intervenant au domicile des personnes âgées : 4 000 décès supplémentaires -ce qui est évidemment beaucoup au plan national- pour 4 000 000 de personnes âgées de plus de 75 ans vivant à leur domicile, soit 1 pour 1 000, n'était pas facile à repérer sur l'instant.
L'IGAS indique d'ailleurs que les grands réseaux associatifs d'aide à domicile (UNASSAD, UNADMR) n'ont pas fait état de remontées d'information alarmantes en provenance de leur base durant la canicule.
Au total, la prise de conscience a été tardive en raison de la dilution statistique et n'a vraiment été réalisée qu'à travers les reportages des médias, la suractivité des urgences hospitalières ou l'engorgement des petites chambres mortuaires. "La canicule 2003, rapporte l'IGAS, se caractérise par son caractère insidieux et peu alarmant, du moins jusqu'à ce que la croissance massive des décès ne devienne perceptible dans les grandes agglomérations et certains grands établissements de province" (rapport IGAS, p.20).
De plus, comme l'indique ce rapport, dans un même département, à chaleur identique, la température intérieure des maisons de retraite et ses conséquences sur la mortalité a varié selon le degré d'isolation, la présence ou non de verrière, l'existence de volets intérieurs, la présence d'une salle en sous-sol, ou le degré de ventilation, qui ont pu modifier la diffusion de la chaleur extérieure à l'intérieur de tout ou partie des locaux. L'architecture du grand âge mérite donc d'être révisée. Dans l'immédiat une étude est en cours sur les normes techniques et juridiques qu'il convient d'adapter ou de créer pour mettre en place une climatisation minimale dans les établissements.
Une autre explication tient au fait que dans la crise l'adaptation s'est réalisée par réaction, avec un certain décalage, au fur et à mesure du déroulement de la crise.
Cette mobilisation a été d'autant plus importante que l'anticipation de la canicule a été rare. L'IGAS signale n'avoir rencontré dans 8 départements qu'un seul directeur d'établissement ayant consulté Météo France le 6 août 2003 et mis en place des mesures d'hydratation des personnes et de rafraîchissement des locaux. Cette maison de retraite n'a connu aucun décès en août.
Enfin, force est de reconnaître que lorsque l'information existait, celle-ci n'est pas remontée vers le ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité : la Direction générale de l'action sociale indique, comme elle a pu vous le confirmer le 6 janvier dernier, que tout au long de cette crise elle n'a pas eu de remontée d'information du terrain lui permettant d'appréhender et d'apprécier en temps réel les difficultés rencontrées.
Après ce rappel des faits, je souhaite vous indiquer les actions réalisées et les orientations retenues pour éviter le renouvellement de cette crise et pour en tirer les leçons.
Il a paru tout d'abord nécessaire de faciliter le retour des personnes hospitalisées suite à la canicule vers leur lieu de vie habituel, c'est-à-dire vers leur domicile ou leur maison de retraite. C'est pourquoi le Gouvernement a dégagé dès le 15 septembre une enveloppe exceptionnelle de 40 millions d'euros pour financer les heures supplémentaires ou les remplacements de personnels nécessaires à l'accompagnement des personnes âgées les plus fragiles. L'attribution de cette enveloppe a été réalisée par la circulaire du 19 septembre 2003.
Mais surtout le Premier ministre a souhaité tirer plus durablement les leçons de la canicule. A cette fin, il a demandé la réalisation d'un diagnostic partagé sur les modes d'organisation et de fonctionnement des dispositifs d'accueil et d'hébergement.
Ce travail a été réalisé par plusieurs groupes de travail thématiques durant tout le mois de septembre avec les divers représentants des personnes âgées. Il a servi de base à l'élaboration de la réforme de la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées annoncées le 6 novembre dernier par le Premier ministre.
Concernant les personnes âgées ce programme s'articule autour de plusieurs orientations de fond.
La première orientation a pour but de développer l'autonomie personnelle en favorisant le plus longtemps possible la vie à domicile. Cette orientation répond à l'attente prioritaire des personnes âgées. Elle est conforme aussi au choix réalisé par un grand nombre d'Etats membres de l'Union européenne.
C'est pourquoi le plan se donne pour objectif de renforcer significativement le nombre de places de services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) pour tendre vers 100 000 places en 2007 et d'accélérer la création de places en hébergement temporaire ou en accueil de jour, qui sont aujourd'hui insuffisamment développés.
Le plan pérennise également le financement de l'allocation personnalisée d'autonomie, qui concerne pour environ les deux-tiers les personnes âgées dépendantes vivant chez elles : elle concourt ainsi au développement de l'aide à domicile.
La deuxième orientation est liée à la médicalisation accrue des établissements d'hébergement. Cette orientation part du constat que les progrès de la prévention et de la médecine ainsi que l'augmentation de l'espérance de vie sans incapacité permettent une entrée en institution beaucoup plus tardive qu'il y a quelques années. Mais ce constat a aussi sa contrepartie : il exprime un besoin accru de médicalisation, et, compte tenu, de l'évolution démographique de notre pays, la nécessité de créer progressivement des places supplémentaires en établissement, au rythme des besoins et des capacités de formation des personnels soignants.
La mise en uvre de ce programme repose sur un financement nouveau, qui mobilisera 850 millions d'euros par an, en plus des 400 millions d'euros supplémentaires destinés à l'allocation personnalisée d'autonomie.
Ce financement s'ajoutera aux moyens dégagés chaque année par le projet de loi de financement de la sécurité sociale au titre de l'ONDAM médico-social. Son utilisation exclusive pour la prise en charge des personnes dépendantes sera garantie par la création d'une caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. L'affectation de la ressource nouvelle et de son emploi bénéficiera ainsi de la gestion transparente de cet établissement public autonome.
Le projet de loi correspondant a été adopté par le Conseil des ministres du 14 janvier dernier. Il contient les dispositions suivantes.
Une première série de mesures correspond à la mise en place d'un dispositif de veille et d'alerte destiné à prévenir les risques exceptionnels, climatiques ou non. Ce dispositif sera arrêté conjointement par le Préfet du département et le Président du conseil général.
Il sera mis en uvre sous l'autorité du Préfet pour venir en aide dans le cadre communal aux personnes âgées ou handicapées, qui en auront fait préalablement la demande et dont la situation le justifie.
Le rapport précité de l'IGAS souligne que " les personnes âgées les plus vulnérables ne sont pas seulement celles qui vivent seules à leur domicile, mais celles qui vivent dans un véritable isolement social " (p.44). C'est le cas des personnes sans relations avec leurs familles, leurs voisinages ou avec un service d'aide à domicile. L'enjeu est donc bien de substituer à cette situation d'isolement un repérage local des personnes en difficulté et de leur proposer une offre de service.
La deuxième mesure crée une journée de travail supplémentaire non rémunérée, dénommée journée de solidarité, pour financer la réforme en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées. Cette journée correspond au lundi de Pentecôte ou, le cas échéant, à un autre jour si un accord de branche ou d'entreprise le prévoit.
Une contribution de 0,3% acquittée à ce titre par les employeurs privés et publics ainsi qu'une contribution de solidarité de même niveau sur les revenus du patrimoine et des placements permettront, à partir du 1er juillet 2004, de consolider l'APA et d'assurer le nouveau financement destiné à rénover l'action publique en faveur des personnes dépendantes.
Ce projet de loi ne représente cependant que la première partie d'un dispositif plus large destiné à renforcer le rôle des conseils généraux dans l'action de proximité auprès des personnes âgées.
La décentralisation de l'aide sociale il y a plus de vingt ans et la création de l'allocation personnalisée d'autonomie en 2001 ont permis aux départements et à leurs équipes médico-sociales d'acquérir une compétence qu'il paraît utile de conforter. Le projet de loi relatif aux responsabilités locales devrait y contribuer, sous réserve du vote du Parlement, en confiant le pilotage des schémas gérontologiques et des comités locaux d'information et de coordination (CLIC) aux départements.
Par ailleurs, la mission d'expertise confiée par le Premier ministre à Monsieur BRIET, conseiller maître à la Cour des comptes, et à Monsieur JAMET, directeur général des services du département du Rhône, devrait permettre, en concertation étroite avec les partenaires concernés, de proposer des modalités d'association des collectivités départementales au fonctionnement administratif et financier de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie sans créer une prise en charge médicale différenciée des soins aux personnes âgées. Ce partenariat d'un type nouveau reste à construire dès que nous connaîtrons, en mai prochain, les conclusions de ces travaux.
Au-delà de la nécessité d'ouvrir ce vaste chantier, la canicule a révélé, en définitive, que nous n'avions pas, tous ensemble, suffisamment pris en compte les conséquences du vieillissement de notre pays et de ce qu'on a appelé la révolution de la longévité. Les dispositions adoptées ou en cours ne sont pas seulement des mesures budgétaires et techniques. Elles forgent surtout un projet de société plus attentif aux besoins du grand âge et à l'isolement d'un trop grand nombre de nos aînés.
Dans ce projet, l'Etat apporte sa part. Il renforce réellement ses moyens d'action, c'est-à-dire les finance. Il suscite à ce titre une impulsion et une cohésion collective. Mais ce projet ne prend tout son sens que s'il peut s'appuyer sur la solidarité familiale, associative ou de voisinage et s'il peut trouver les relais de proximité que constituent les collectivités territoriales et les organismes de protection sociale.
Notre pays avait pris du retard dans la réponse aux situations de crise et dans la prise en charge des personnes âgées en perte d'autonomie, fragiles ou isolées. Le drame que nous avons vécu ensemble a révélé un besoin d'action. Nous nous employons avec détermination et avec réalisme à cette construction progressive d'une société vraiment pour tous les âges.
(source http://www.social.gouv.fr, le 9 février 2004)