Déclaration de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, sur la stratégie nationale et les plans d'action pour préserver la biodiversité, Paris le 10 février 2004.

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Circonstance : Célébration du 150ème anniversaire de la Société nationale de protection de la nature (SNPN), à Paris le 10 février 2004

Texte intégral

Monsieur le président de la SNPN,
Monsieur le directeur général du MNHN,
Mesdames et messieurs les élus de Paris, de Provence-Alpes-Côte d'Azur, et de mes chers Pays de Loire, qui êtes associés à la vie des implantations de la SNPN à Paris, en Camargue et à Grand-Lieu,
Mesdames et messieurs les passionnés de nature,
Il y a 150 ans jour pour jour, le 10 février 1854, naissait en France la première association de protection de la nature au monde : la Société Zoologique d'Acclimatation, devenue depuis la Société Nationale de Protection de la Nature.
J'ai tenu à saluer personnellement la longévité exceptionnelle d'une association d'importance internationale qui a su prévenir les effets redoutables du vieillissement et se montrer, à l'égard des pouvoirs publics, à la fois un interlocuteur de qualité et un partenaire exigeant.
Le bel anniversaire qui nous réunit aujourd'hui doit d'abord nous permettre d'honorer la mémoire des professeurs du Muséum national d'histoire naturelle qui ont pris l'initiative de sa création, en particulier Isidore Geoffroy Saint Hilaire.
Mais au-delà de ces quelques valeureux pionniers, que tous ceux qui ont accompagné ces 150 ans de vie avec compétence, patience et passion soient ici publiquement salués et remerciés. Je pense tout particulièrement à Yves BETOLAUD, récemment disparu, qui fut votre président de 1984 à 1992, avant de devenir votre président d'honneur. Son parcours est en effet exemplaire.
Mémoire du président d'honneur de la SNPN
Ingénieur des eaux et forêts, il fut chargé, à partir de 1957, de la préparation des premiers textes relatifs à la protection de la nature, avant se voir confier, jusqu'en 1971, l'organisation et l'animation du premier service officiel chargé de la protection de la nature dans notre pays.
A ce titre, il a mené à bien la création des quatre premiers parcs nationaux français (la Vanoise, Port-Cros, les Pyrénées et les Cévennes) et a engagé les projets du Mercantour et des Ecrins. Il a participé activement à la genèse de nos parcs naturels régionaux et organisé les premières réserves naturelles. Mais il fut également un homme activement engagé dans le milieu associatif, comme en témoigne sa présidence marquante de la SNPN.
Je tiens à exprimer à Madame BETOLAUD, ici présente, l'expression de toute ma reconnaissance ainsi que celle du ministère que j'anime. Je pense être, à cet égard, la porte-parole fidèle de tous les ministres qui m'ont précédée depuis 1971.
L'exemple particulier d'Yves BETOLAUD illustre parfaitement combien la SNPN a su fédérer et stimuler les énergies d'hommes et de femmes pour participer à des étapes décisives de la mise en place progressive de la politique de protection de notre patrimoine naturel et de sa biodiversité, dans une approche de développement durable.
En la matière, vote association s'enorgueillit, à juste titre, de réalisations majeures : réserves de Camargue, du Néouvielle, du Lauzanier, initiation de Port-Cros. Mais il reste encore tant à faire !
C'est pourquoi mes attentes envers la SNPN, comme envers l'ensemble des acteurs de la nature (associations, élus, gestionnaires, usagers) demeurent immenses.
D'autant que le gouvernement vient de franchir, sur ce point, une étape décisive.
Stratégie nationale pour la biodiversité
Le 5 février dernier, en effet, j'ai présenté les grandes orientations de la stratégie nationale pour la biodiversité, dont j'ai engagé les travaux en 2003.
Notre pays, évidemment, n'échappe pas hélas à la perte de biodiversité constatée au niveau mondial. Aussi, la finalité globale de la stratégie française est clairement de stopper la perte de biodiversité d'ici 2010, comme s'y sont d'ailleurs collectivement engagés les pays de l'Union européenne.
En métropole, 10% de notre flore, soit près de 490 espèces ou sous-espèces végétales, sont en sursis ; 19% des vertébrés ont disparu ou sont gravement en péril ; 35% des espèces de mammifères sont considérées comme en danger ou vulnérables, ainsi que 18% des oiseaux nichant sur notre territoire ; et 50% de nos zones humides ont été détruites dans les trois dernières décennies.
Outre-mer, si l'insularité est facteur de très hauts niveaux d'endémisme, elle est également facteur de fragilité. Ainsi, l'extinction d'une espèce au niveau locale d'une île signifie la disparition de l'espèce à l'échelle mondiale. Par exemple, au cours des quatre derniers siècles, 30% des extinctions d'espèces de mollusques au niveau mondial ont eu lieu dans nos collectivités ultra-marines. Et la France se situe au second rang mondial pour le nombre d'espèces de chauves-souris menacées. Je rappelle enfin que 14 des 17 éco-régions françaises identifiées par le WWF sont localisées outre-mer.
On peut se demander pourquoi la biodiversité est à ce point menacée ? Au risque d'être réducteur, il faut reconnaître que les modèles de développement et les processus de production comme de consommation privilégiés depuis plusieurs décennies ont perdu de vue notre relation forte, au quotidien, avec la diversité biologique. Ils en ont ainsi méconnu les déterminants et négligé la protection.
L'essor de la compétition dans l'occupation et l'exploitation de l'espace à des fins économiques et urbanistiques, la surexploitation d'espèces ou l'introduction d'espèces allogènes qui mettent en danger l'endémisme, sont autant de facteurs qui contribuent à détruire ou à fragiliser les écosystèmes. Ces pressions concernent tous les milieux, y compris la nature que l'on qualifie d' " ordinaire ".
J'ai voulu qu'une stratégie spécifique à la hauteur des enjeux permette à notre pays d'assumer ses responsabilités en la matière, tant au plan national qu'international.
Pour atteindre cette ambition, il ne s'agit pas de créer une politique d'intervention particulière supplémentaire. Il ne s'agit pas de privilégier des projets sectoriels de " réparation " ou de " compensation ", qui agissent sur l'aval et non sur l'amont.
Il s'agit, au contraire, de s'attaquer aux racines mêmes des problèmes. Il s'agit, dans chaque domaine, de changer radicalement de cap et de perspectives pour rendre les politiques existantes à la fois plus pertinentes et plus efficaces au regard de la préservation de la biodiversité.
Comme je l'ai dit la semaine dernière, nous avons identifié quatre orientations :
1- Premièrement, la biodiversité doit être l'affaire de tous, et pas seulement des spécialistes.
2- Ensuite, il est indispensable de reconnaître au vivant sa juste valeur, pour que les biens et les services fournis par la biodiversité soient réellement pris en compte.
3- Troisièmement, il faut améliorer la prise en compte de la biodiversité par les politiques publiques.
4- Enfin, et j'ai besoin de votre aide, il faut développer la connaissance scientifique et l'observation.
L'originalité et le courage de la stratégie française résident aussi dans un choix fort qui témoigne de la volonté de dépasser les seules incantations : celui d'une première série d'indicateurs biologiques portant sur l'état de la biodiversité afin de mesurer les progrès - ou les reculs ! - réalisés. Il m'a paru en effet fondamental qu'ils figurent dès maintenant dans notre base de travail, même s'ils sont appelés à être complétés et améliorés.
Vers l'étape suivante : les plans d'actions pour la biodiversité
Cette première étape de notre travail trouvera tout son impact concret avec l'adoption, d'ici juin 2004, de plans d'action opérationnels.
Ceci mobilise d'ores et déjà l'ensemble des ministères concernés. Ils sont désormais nombreux à comprendre combien leurs actions sont, en la matière, vitales. Ils savent que le Président de la République - il nous le rappelait encore à l'issue du dernier conseil des ministres - comme le Premier ministre seront particulièrement vigilants à ce que les plans d'action soient à la hauteur du défi identifié, et ne soient donc pas une simple traduction cosmétique des actions en cours dans chaque ministère.
Mais les collectivités locales sont aussi directement interpellées par cette ambition. En liaison avec Brigitte Girardin, j'ai demandé aux collectivités de l'Outre-mer de se mobiliser au service de cette ambition commune. Elles le font avec dynamisme et inventivité. Je ne doute pas que les collectivités de métropole répondront tout aussi positivement.
La concertation sur ce sujet est d'ores et déjà engagée, sous l'égide du directeur de la nature et des paysages et avec les associations d'élus. Elle porte sur :
· d'une part, l'évolution du rôle de l'Etat, garant du respect des engagements communautaires et internationaux de la France, et comptable de la mise en uvre de la stratégie nationale pour la biodiversité. Cette évolution doit nécessairement s'inscrire dans le cadre de la réforme de l'Etat et des politiques contractuelles, sans faire l'impasse sur les différentes missions que l'Etat doit continuer d'assurer en tant qu'acteur de la gestion du patrimoine naturel d'intérêt national.
· d'autre part, l'évolution du cadre dans lequel interviennent les collectivités territoriales en matière de patrimoine naturel, en s'interrogeant sur les améliorations pouvant y être apportées, notamment au travers d'une meilleure coordination des actions reposant sur l'évaluation de l'état de la biodiversité et l'identification des priorités à l'échelle biogéographique et régionale.
Mais, au-delà de la mobilisation de nos élus, c'est la responsabilité directe et personnelle de chacun de nos concitoyens qu'il est urgent d'éveiller. Chacun de nous y est quotidiennement confronté à travers ses modes de production et de consommation, de déplacement, ses activités professionnelles ou ses activités de loisirs
Parmi les plans d'action prioritaires de la stratégie nationale pour la biodiversité, figure celui que mon ministère prépare sur le " patrimoine naturel ".
Les premiers résultats des missions que j'ai mises en place au cours des douze derniers mois viennent nourrir la réflexion : mission du député Jean-Pierre GIRAN sur les parcs nationaux, rapport du sénateur Le Grand sur Natura 2000, diagnostic juridique sur la protection du patrimoine naturel en France, consultation des préfets de département et de région sur l'efficacité de nos politiques de la nature, plusieurs missions d'inspection sur la fiscalité du patrimoine naturel, sur les parcs naturels régionaux, sur l'interaction entre tourisme et patrimoine naturel
J'attends également beaucoup du dialogue constructif qui se noue dans les groupes de travail mis en place à ma demande par le directeur de la nature et des paysage sur la connaissance, la gestion concertée du patrimoine naturel, les relations Etat-collectivités et la thématique du paysage et de la publicité. Réunissant prés de 80 organismes, ces groupes préparent la traduction concrète, dans le plan d'action " patrimoine naturel ", des enjeux, des finalités et des orientations de la stratégie nationale pour la biodiversité.
Issus de toutes ces réflexions, certains projets prennent d'ores et déjà forme et pourront être finalisés dès le premier semestre 2004. Ce sera le cas de la réforme de la loi sur les parcs nationaux, que je compte présenter en conseil des ministres en juin prochain.
Mesdames et messieurs, chers amis, le monde associatif a toujours su être présent et actif dans les moments cruciaux où notre société réfléchit et travaille à son avenir et à celui de la planète. Je compte sur vous, membres de la SNPN, mais aussi sur tous les membres des associations qui sont aujourd'hui représentées, pour fédérer toutes les énergies autour de notre stratégie nationale. Le Conseil national du développement durable, l'UICN, l'Institut français de la biodiversité, le MNHN m'ont déjà démontré, sur ce sujet, la force et l'efficacité de leur mobilisation.
La biodiversité à l'international
J'aurai très prochainement l'occasion de présenter les orientations de notre stratégie à l'ensemble de la communauté internationale à l'occasion de la 7ème conférence des parties à la convention mondiale sur la biodiversité, qui vient de commencer ses travaux à Kuala Lumpur, en Malaisie.
Dans le droit fil du discours qu'a prononcé le Président de la République à Johannesburg en 2002, lors du sommet mondial du développement durable, discours qui a donné consistance à l'espoir d'une humanité écologiquement plus responsable, j'y porterai le message d'une France déterminée à participer activement à la lutte contre la perte de biodiversité.
Pour que "l'Homme, pointe avancée de l'évolution " ne devienne pas " l'ennemi de la vie ", j'y porterai également le message d'une France engagée résolument dans un effort d'amélioration de la gouvernance et de l'efficience écologique des aires protégées, et dans la recherche d'un régime international au sein de la convention sur la biodiversité sur la question cruciale du partage des avantages.
Le défi pour l'Humanité est à la fois simple et magnifique : il s'agit de sauvegarder l'avenir et l'existence même de son jardin planétaire !
Relevons ce défi ensemble !
Et pour cela, je souhaite encore une très longue et très belle vis à la SNPN !
Vous nous avez donné rendez-vous, monsieur le directeur général du MNHN, dans 150 ans. Je n'y serai sans doute pas personnellement, mais je sais que le petit-fils de mon petit-fils y sera !
(Source http://www.environnement.gouv.fr, le 11 février 2004)