Texte intégral
(Point de presse conjoint avec le ministre mexicain des relations extérieures, à Mexico, le 5 février 2004) :
(...)
R - Je suis très heureux d'être parmi vous en ce jour férié et je remercie infiniment Luis Ernesto Derbez, mon collègue et ami, de son accueil. A la fin de la tournée en Amérique latine qui m'a emmené au Chili, en Argentine et au Brésil, il était important pour moi de m'arrêter au Mexique et d'avoir cet entretien approfondi sur toutes les questions d'intérêt commun.
Nous avons naturellement parlé des questions importantes de la vie internationale, de la situation au Proche-Orient, en Irak et de la prolifération du terrorisme, qui représentent les grands défis du monde d'aujourd'hui.
Nous avons aussi évoqué des questions d'ordre général, telles que l'évolution de l'Amérique latine et les différentes situations de crise qui pourraient surgir sur ce continent. La France et l'Europe soutiennent les efforts d'intégration régionale en Amérique Latine, puisqu'ils sont tous, pour nous, facteurs de paix et de stabilité.
Nous souhaitons renforcer les liens qui nous unissent en faveur du nouvel ordre international. Les Nations unies sont l'un des piliers les plus importants pour préserver l'intégrité du monde, et je voudrais rendre un hommage particulier au rôle joué par le Mexique au sein de Conseil de sécurité.
Je suis heureux de saluer notamment l'engagement de votre pays en faveur des Droits de l'Homme, tant aux Nations unies à New York qu'à la Commission des Droits de l'Homme à Genève. Votre pays est devenu un acteur important du multilatéralisme, comme l'attestent les grandes rencontres de Monterrey, Mexico ou Cancun.
La France a suivi avec beaucoup d'intérêt l'apparition du G20, qu'elle considère comme un interlocuteur crédible. L'Europe et l'Amérique latine doivent travailler ensemble maintenant plus que jamais : telle est la leçon que je tire de mon voyage. Grâce aux Accords d'association entre l'Union européenne et le Mexique, nous sommes entrés en 1997 dans une dynamique d'échanges commerciaux à laquelle nous voulons donner un nouvel élan.
L'Union européenne et le MERCOSUR ont également élaboré un accord pour développer échanges et coopérations par le biais d'un nouveau partenariat dû à l'initiative du président Chirac à Rio en 1999.
Ce processus s'est poursuivi à Madrid en mai 2002, et en mai prochain, à Guadalajara, nos chefs d'Etat vont tenir leur troisième réunion de travail. Le président Chirac y sera bien sûr présent et, pour la première fois, l'Europe élargie rencontrera l'Amérique latine. Nous espérons pouvoir jeter les bases d'un ordre plus juste, plus sûr, et également plus solidaire.
Q - Bonjour Messieurs les Ministres. Vous avez tous deux indiqué que, lors de votre entretien, vous avez abordé la question de la réforme des Nations unies. Je voudrais savoir si nos deux pays ont des positions convergentes à soumettre à l'Assemblée générale.
R - Comme vous le savez, le Secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan, a décidé de réunir une Commission de sages pour faire des propositions à la communauté internationale et nous pensons qu'il faut travailler dans deux directions importantes.
La première consiste à faire en sorte que la représentation et la représentativité au Conseil de sécurité soient plus grandes. Or, il est difficile de savoir comment chaque région, chaque partie importante du monde, peut être bien représentée aux Nations unies. C'est là, bien entendu, un élément important du dialogue que nous entretenons avec le Mexique : quelle est la meilleure méthode pour aller de l'avant ?
La seconde consiste à savoir comment les Nations unies pourraient être plus efficaces, ce qui est également très important. Le président Chirac a fait de nombreuses propositions importantes, dont la création d'un véritable Conseil de sécurité économique et social, la création éventuelle d'une nouvelle organisation de l'environnement, la création de nouvelles capacités permettant de tirer les leçons de ce qui s'est passé en Irak, ou encore la création d'un corps de défense des Droits de l'Homme pour pouvoir faire face aux situations graves se produisant dans différentes parties du monde. Nous devons être en mesure d'agir et de ne pas rester passifs face à de telles situations. C'est pour cela qu'il est important pour nous que les Nations unies puissent réunir les compétences nécessaires afin de gagner en légitimité et en efficacité.
Nous pensons que la communauté internationale unie est la plus à même de relever les grands défis mondiaux. Nous constatons que, lorsque nous parlons de terrorisme, de prolifération ou de crises régionales , il n'y a que les Nations unies, que la communauté internationale tout entière, qui soient en mesure d'y faire face. Un pays ou deux ne peuvent pas détenir la solution à eux seuls.
(...)
Q - Tout d'abord, à votre avis, quelle est la réforme qui devrait être envisagée pour que le Mexique soit plus attractif pour les investissements français et européens ? Ensuite, puisque vous revenez d'Argentine, que pensez-vous des négociations entre l'Argentine et le FMI ; croyez-vous qu'on aboutira à une révision ou à un accord en mars ?
R - En ce qui concerne la réforme, nous avons affaire à un pays souverain ; la réforme est un problème qui se pose à tout le monde.
Dans tous les pays, c'est une question qui se pose du fait que le monde est en perpétuelle mutation, ce qui implique une constante adaptation. Ces exigences d'ouverture et de modernisation découlent de la facilité de plus en plus grande de faire des investissements et de l'accompagnement que nous apportons à nos entreprises lorsque nous considérons que les relations peuvent devenir de plus en plus étroites et que les liens sont en mesure de devenir de plus en plus forts entre le Mexique et l'Europe, entre le Mexique et la France. Il existe déjà entre ces pays des relations politiques et culturelles très fortes, mais nous voulons que les relations commerciales et industrielles le soient de plus en plus, ce qui implique des efforts de part et d'autre.
C'est la raison pour laquelle je pense que l'accord entre l'Union européenne et le Mexique est un élément important. Nous nous devons, comme nous l'avons dit avec mon homologue mexicain, de constater clairement l'évolution des choses, les éléments positifs, ainsi que ceux qui restent problématiques, pour pouvoir surmonter les difficultés.
Cela fait partie du dialogue entre nos deux pays. C'est la raison pour laquelle nous accordons une extrême importance à la grande commission mixte, que nous voulons, tous deux, préparer très sérieusement afin d'associer nos entreprises, sur les plans politique et économique, à cette nouvelle conception d'une commission aux liens de plus en plus étroits et à l'efficacité toujours plus grande pour l'intérêt mutuel de nos deux pays.
La seconde partie de votre question portait sur l'Argentine. J'étais en Argentine il y a quelques jours. Nous avons naturellement suivi la situation en ce qui concerne le FMI et nous avons apporté notre soutien à l'Argentine. L'Argentine sort d'une mauvaise passe et se trouve dans une période de transition démocratique. Elle appelle de ses voeux un développement économique et social et requiert naturellement notre aide, notre accompagnement et notre compréhension des problèmes qui sont les siens.
La France souhaite l'accompagner non seulement comme elle l'a fait lors de la dernière réunion mais encore au cours de la prochaine réunion, en mars, car je pense que cela relève de la responsabilité de nos pays. Il est de notre intérêt de faciliter la stabilité de pays comme celui-là. L'Argentine est importante, elle est importante pour tout le MERCOSUR, elle est importante pour toute l'Amérique latine. C'est pour cela qu'il fallait donner un signal politique : non seulement aider et accompagner, mais encore voir comment améliorer les choses en Argentine. C'est pour cela qu'il était également important pour moi d'entretenir ce dialogue politique et économique très fort, qui existe à l'heure actuelle avec l'Argentine.
(...)
Q - Je voudrais poser une question aux deux ministres. Que pensez-vous du fait que personne n'a trouvé d'armes de destruction massive en Irak, ainsi que des commentaires de l'américain David Key ? J'ai cru comprendre qu'un rapport de la CIA mentionne aujourd'hui l'absence d'armes de destruction massive en Irak. Nos deux pays avaient établi que l'existence de ces armes devait être démontrée avant de prendre la décision d'engager le conflit. En leur absence , qu'en pensez-vous aujourd'hui ?
R - Vous savez que c'est là une question très importante, qui a divisé la communauté internationale au cours de ces derniers mois. Cependant la priorité pour nous est de regarder vers l'avenir du fait que la situation en Irak est difficile, comme nous le constatons tous les jours.
Si nous voulons, par ailleurs, atteindre nos objectifs de sécurité et de stabilité en Irak et au Moyen-Orient, nous devons unir nos forces et nos énergies, sans oublier pour autant de tirer les leçons de l'expérience de ces derniers mois.
La première de ces leçons est qu'il est particulièrement important de défendre le système multilatéral car il nous donne des garanties. Il nous garantit, en effet, que dans le processus de désarmement de l'Irak les inspecteurs étaient ce qu'il y avait de mieux. Ils étaient à la fois les mains et les yeux de la communauté internationale, puisqu'ils étaient sur le terrain, ce qui est déterminant.
C'est pour cela que nous avons proposé des forces de désarmement pour que, dans d'autres pays et dans d'autres situations, nous ayons la possibilité de savoir ce qui se passe et de partager cette information avec les autres pays des Nations unies.
La deuxième est également une leçon de l'histoire : s'il est possible de gagner rapidement la guerre, il est beaucoup plus difficile de construire la paix. C'est pour cela que nous restons convaincus que l'usage de la force ne peut être que l'ultime recours. Il n'y a pas de miracle. Aucun système vertueux ne permet l'usage de la force. Il est difficile de gérer l'après-guerre ; il faut beaucoup d'énergie, une profonde unité, beaucoup de bonne volonté. Or, cette volonté nous l'avons tous pour soutenir aujourd'hui ce processus en Irak.
Nous, Français, nous pensons que la priorité actuelle consiste à savoir comment gérer un processus politique qui nous permette de sortir de cette situation de violence et de terrorisme. Nous pensons que la décision du Secrétaire général des Nations unies d'envoyer des experts en Irak afin de voir comment ce processus pourrait se dérouler au mieux pour rendre sa souveraineté à l'Irak, à la fin du mois de juin, est importante et nous la soutenons naturellement.
Il est important aussi que ce processus soit dynamique. C'est pour cela que nous voulons penser à ce qui arrivera après et préparer les événements qui pourraient se produire après le rétablissement de la souveraineté iraquienne. Nous avons proposé, à cet égard, la tenue d'une conférence internationale qui aborderait tous les problèmes de ce nouvel Irak, afin de maintenir l'unité de toutes les communautés (Kurdes, Chiites, Sunnites). Il est important d'avoir une dynamique commune et d'associer les pays de la région ainsi que toute la communauté internationale afin de garantir à ce processus davantage de sécurité.
Vous constaterez qu'il n'existe pas de solution facile, à l'heure actuelle, en Irak. Nous pensons que la meilleure garantie réside dans l'unité. C'est un point dont j'ai longuement discuté avec mon ami Luis Ernesto et dont je parlerai demain à New York pendant le déjeuner avec Colin Powell.
(...)
Q - Je voudrais demander aux ministres qu'ils parlent un peu de la réunion Union européenne-Amérique latine et Caraïbes : quel va être le poids et l'influence des 10 nouveaux pays membres ? Ceci aura-t-il une incidence s'il se pose un problème avec la future Zone de libre échange des Amériques (ZLEA), qui représentera le double du marché européen ?
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R - Je partage totalement le point de vue de Luis Ernesto Derbez. Je sais qu'il existe dans différentes parties du monde une inquiétude à l'égard de l'élargissement de l'Europe. En effet, d'aucuns se demandent si le fait d'être 25 membres demain va changer l'orientation ou les préoccupations de l'Europe. Je m'inscris en faux contre une telle idée. Le souhait des dirigeants européens de participer au Sommet de Guadalajara le prouve bien. Nous avons déjà la décision en ce sens du chancelier allemand, du président français et de nombreux autres gouvernants. Nous voulons prouver que notre décision de développer nos relations avec le Mexique, l'Amérique latine ou le MERCOSUR est tout à fait primordiale, tout à fait fondamentale. Nous avons des relations politiques et culturelles très importantes et nous voulons que les relations économiques le soient autant ; nous partageons les mêmes principes, les mêmes valeurs, la même vision du système international, la même exigence multilatérale. Il s'ensuit que nous voulons continuer à développer des relations étroites.
La question de la cohésion sociale est primordiale pour nous tous, car nous sommes tous confrontés aux même défis, à savoir, comment faire pour vivre ensemble, comment construire un monde nouveau. Nous savons tous que le monde d'après la guerre froide, époque de la logique des blocs, est déjà un autre monde. Il nous faut inventer un monde nouveau, mettre en place de nouvelles règles, de nouvelles institutions. C'est un défi que doivent relever tous les pays qui souhaitent élaborer un nouveau type de réflexion en Amérique latine, notamment au Mexique. C'est là une réflexion de la première importance pour nous. Nous constatons que nous avançons dans la même direction ; c'est pourquoi il me semble important de tenir cette réunion au mois de mai, car son fondement réside dans la conscience commune qu'ont les peuples de devoir rechercher les solutions tous ensemble.
(...)
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 février 2004)
(Interview à la chaîne de TV mexicaine à Mexico, le 5 février 2004) :
Q - Merci, Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, d'accepter de vous adresser aux téléspectateurs de la chaîne d'informations "Canal 52". Je voudrais vous poser deux ou trois questions.
Pour commencer, en ce qui concerne le monde, après ce qui s'est passé en Irak, après les grands débats qui se sont déroulés à l'ONU, après les discours mémorables comme le vôtre, n'a-t-on pas l'impression que finalement le monde entier se trouve soumis à la grande puissance ? Comment la France ressent-elle cette situation, qui est celle de toute la planète ?
R - Nous vivons dans un monde difficile, dangereux, dont l'organisation a changé. Pendant des années, nous avons connu le monde de la guerre froide, organisé selon la logique des blocs. Ce n'est plus la même logique à l'heure actuelle et nous devons inventer un nouveau monde. Le défi que nous devons relever tous ensemble consiste à savoir si nous allons décider d'organiser le monde sur une base unilatérale ou multilatérale. C'est pour cela que ce qui s'est passé en Irak est très intéressant. Lorsqu'on réfléchit sur ce qui s'est passé au cours des derniers mois, il me semble que l'on voit l'importance d'une logique collective, d'une sécurité collective et ce sont précisément les Nations unies qui doivent mener à bien ce débat. Il me semble que l'évolution a montré qu'il était important d'avoir ce débat avant de recourir à l'usage des armes, car la force ne peut être que le dernier recours. Je crois qu'il est important de voir comment on pourrait changer cet ordre international, comment on pourrait améliorer et réformer le système des Nations unies. C'est pour cela que nous avons une relation très forte avec le Mexique afin d'avoir une réflexion commune débouchant sur des propositions qui le seraient aussi. La France a fait plusieurs propositions à la communauté internationale, telles que la création d'un Conseil de sécurité économique et social, la création d'un corps en matière de désarmement, ou encore un corps de défense des Droits de l'Homme, question très chère à la diplomatie mexicaine. Nous devons débattre de tout cela. Le Secrétaire général, Kofi Annan, a décidé de créer une Commission de "sages" et nous souhaitons, au cours des mois qui viennent, échanger nos expériences et nos points de vue.
Q - Monsieur de Villepin, certes, il nous faut construire un monde nouveau, mais, pour l'instant, nous nous trouvons dans celui où nous sommes, et je crois qu'à la suite de l'occupation de l'Irak, les hommes de pouvoir devraient se demander comment il est concevable qu'une décision aussi grave que l'occupation de l'Irak ait pu être prise sur la base de renseignements qui n'étaient pas dignes de foi, comme cela est évident aujourd'hui, pour ne pas dire carrément sur la base de mensonges ou d'informations manquant de précision. Y aura-t-il une Commission indépendante aux Etats-Unis ? Y aura-t-il une Commission indépendante en Grande-Bretagne ? Le doute règne sur la façon dont les décisions sont prises dans un cas comme celui-là. Quel sens faut-il donner au fait que le mensonge ait pu mener à quelque chose de cet ordre ?
R - Le mensonge ou l'ignorance.
Q - Ou l'inexactitude.
R - Nous devons justement y réfléchir ensemble pour voir comment nous pouvons inventer quelque chose de nouveau.
Q - Pour M. de Villepin, s'agit-il de mensonge ou d'ignorance ? Quel serait le terme ?
R - Ce sont les Commissions qui le détermineront. Je ne suis pas particulièrement bien placé pour savoir exactement ce qui s'est passé dans chaque pays. Il faut laisser jouer la démocratie. Il y a deux choses qui sont importantes pour moi. La première c'est qu'il faut tirer les leçons qui s'imposent. Il est important de voir que le processus fondé sur le travail des inspecteurs fonctionnait. Il nous donnait des informations intéressantes, qui nous permettaient d'agir face au problème qui se posait en Irak.
La seconde c'est que nous avons besoin d'agir ensemble pour relever les défis d'aujourd'hui. Il est important, bien entendu, de savoir ce qui s'est passé hier ; il faut le garder en mémoire. Mais il faut, par-dessus tout, agir ensemble pour faire face aux problèmes d'aujourd'hui ; il nous faut unir nos forces pour faire en sorte que la situation en Irak puisse s'améliorer au cours des mois qui viennent.
Q - Monsieur le Ministre, pensez-vous que l'ONU ne sert plus à rien ?
R - Non, je ne le pense pas. L'ONU a fait tout ce qui était en son pouvoir, mais certaines initiatives sont allées dans le sens contraire. Nous devons donc réfléchir à la façon dont nous pourrions rendre cette organisation plus efficace. Le chemin sur lequel nous nous étions engagés était, à notre avis, le bon, puisqu'il se fondait sur des propositions, celles des inspecteurs. Il nous faut voir maintenant comment améliorer le processus politique et je suis ravi de voir que les Etats-Unis demandent aujourd'hui à l'ONU de retourner en Irak pour y appliquer son expérience. C'est pour cela que la France a proposé la tenue d'une conférence internationale après le rétablissement de la souveraineté irakienne, à la fin du mois de juin. Il est important d'accompagner ce mouvement ; il incombe à toute la communauté internationale de réunir toutes ses forces pour rendre ce processus le plus efficace et le plus légitime possible. Nous savons que plusieurs problèmes se posent en Irak : la violence, le terrorisme, ainsi que la question de l'unité de l'Irak. Si nous voulons maintenir la stabilité, si nous voulons que cette région puisse évoluer vers les réformes et la démocratie, il est indispensable que nous agissions tous ensemble.
Q - Monsieur le Ministre, le Mexique a été très proche de la France et la France du Mexique au moment des débats les plus épineux et même les plus âpres. Pensez-vous que le départ de Adolfo Aguilar Zinser du Conseil de Sécurité ait signifié, en ce qui concerne la position du Mexique, un rapprochement de celle des Etats-Unis ?
R - Il ne me revient pas, comme vous l'imaginez, de faire des commentaires sur les décisions ou les mouvements d'ambassadeurs du Mexique. Nous respectons la démocratie mexicaine et nous voulons travailler avec le Mexique, comme nous le faisons constamment. La collaboration et la coopération entre nos deux pays, à New York comme entre Paris et Mexico, est une coopération très forte. La réunion de travail, que j'ai eue aujourd'hui avec Luis Ernesto Derbez, a été très fructueuse, car elle nous a permis de voir comment aller de l'avant, faire des propositions ou encore appuyer des processus politiques de paix, de sortie de crise, dans un certain nombre de situations difficiles au Moyen-Orient ou en Amérique latine. Ce que nous voulons, c'est apporter de l'énergie, apporter de l'imagination, et, pour ce faire, l'élément essentiel est le respect. La France respecte, bien entendu, le Mexique ainsi que les décisions qu'il prend.
Q - La France n'a pas perdu un allié dans cette décision ?
R - Vous savez, pendant tous ces derniers mois, la coopération diplomatique entre la France et le Mexique a été très forte, comme elle l'est toujours aujourd'hui.
Q - En vous remerciant vivement, j'aimerais terminer cette interview en me référant à des propos tenus par l'écrivain mexicain Carlos Fuentes. Il a dit récemment qu'il avait assisté à l'une de vos conférences et que cette dernière ne portait ni sur la diplomatie, ni sur la guerre, ni sur la politique, mais sur la poésie. A quoi sert la poésie en politique ?
R - A inventer de nouveaux chemins, tout comme les intellectuels et les hommes de culture. Nous en avons besoin. Vous avez beaucoup de chance au Mexique d'avoir des hommes de l'envergure et de la qualité de Carlos Fuentes : des peintres, des écrivains, des hommes de poésie. Tous ces hommes jouent un rôle très important en faisant naître chez nous l'imagination, l'imagination de ce que nous pourrions faire dans un autre monde. Nous avons besoin de cela en permanence. C'est pourquoi nous avons besoin de ces hommes, de ces intellectuels, de ces hommes de culture, comme conscience de l'action quotidienne. Ce sont eux qui sont à même de nous dire si nous allons ou non dans le bon sens. Cette conscience est nécessaire à la politique. Il s'ensuit que le face à face avec les arts permet aux hommes politiques de savoir comment ils doivent ou comment ils peuvent s'améliorer de jour en jour.
Q - Il y a quelques semaines, le supplément hebdomadaire du journal espagnol "El País" vous a consacré sa couverture avec en titre "Le Séducteur". Comment le Séducteur se voit-il lui-même ?
R - Il ne se regarde pas, il regarde devant lui.
Q - Le Séducteur ne se regarde pas dans la glace ?
R - Non, il ne se regarde pas.
Q - Je voudrais demander à Dominique de Villepin, l'homme politique, le diplomate, ainsi que le poète, comme le disait Fuentes, qui avait été surpris de voir un diplomate capable de parler poésie pendant plus d'une heure, de nous faire un cadeau en forme de poésie. Qu'aimez-vous dans la poésie mexicaine ?
R - Beaucoup de Mexicains.
Q - Octavio Paz ?
R - Octavio Paz est l'un de ceux qui a le mieux su "pincer les cordes de la lyre". Ses réflexions sur la poésie sont également très fortes. Dans la conscience mexicaine, il y a, en profondeur, une certaine malice qui permet de voir la réalité autrement. C'est là la clef de la poésie : changer d'optique pour voir le monde sous un autre angle. Le Mexique nous donne un regard sur l'avenir, sur la vie, sur l'être humain, qui est fascinant pour nous, Européens, et qui nous permet de toucher vraiment du doigt une réalité difficile à approcher. Cela s'applique aussi à de nombreux pays latino-américains, tels que la Colombie ou le Brésil, où la réalité est très forte. Mais la tradition mexicaine est, bien entendu, très importante pour nous, ce qui explique toute l'ampleur que nous donnons aux relations culturelles entre nos deux pays.
Q - Que répondriez-vous, Monsieur Dominique de Villepin, si je vous demandais quelle poésie vous préférez ?
R - J'ai un penchant tout particulier pour les grands rebelles français.
Q - J'aimerais que vous me disiez quelques vers.
R - Je ne vais pas vous dire de la poésie, car je suis ici en qualité de ministre des Affaires étrangères.
Q - En fonctions officielles.
R - Mais j'ai écrit un livre sur les voleurs de feu. La tradition des voleurs de feu existe en Europe, en Amérique latine, dans un certain nombre de pays. Federico García Lorca, Arthur Rimbaud, Walt Whitman, ou encore beaucoup d'autres. C'est une réalité. Il y a des hommes de grande expérience dans n'importe quel pays, sur n'importe quel continent, qui veulent inventer une autre vie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 février 2004)
(Interview à Europe 1, le 6 février 2004) :
Q - Où êtes-vous, ce soir, M. de Villepin ?
R - Je suis actuellement au Mexique, après avoir été successivement au Chili, en Argentine et au Brésil et avant de rejoindre le Conseil de sécurité et Colin Powell.
Q - Durant votre tournée en Amérique latine, vous avez rencontré le président brésilien Lula da Silva ?
R - Tout à fait, j'ai rencontré le président du Brésil, comme d'ailleurs le président de l'Argentine et du Chili. C'est important pour la France car vous savez que nos relations politiques, nos relations culturelles sont évidemment des relations très fortes. Nous avons un vrai partenariat stratégique, économique, avec ces régions. Nous faisons partie des premiers investisseurs, des premiers partenaires commerciaux, avec l'Union européenne et nous voulons tout faire pour accroître encore à la fois les échanges et les concertations. C'est important parce que nous partageons une même vision du monde avec l'ensemble de ces pays : la volonté d'un monde multilatéral, d'où la nécessité, en permanence, sur tous les grands sujets - qu'il s'agisse du terrorisme, de la prolifération, des crises régionales, mais aussi des situations de crise que l'on peut trouver aujourd'hui sur ce continent - d'être mobilisés ensemble pour avancer.
Q - Un an après, rencontre avec Colin Powell, rencontre franco-américaine très importante, dans une enceinte ô combien symbolique, celle de l'ONU, où, d'une certaine manière, il y a plusieurs mois, vous vous être affrontés, en tout cas les points de vue divergeaient sérieusement. On se revoit pourquoi ? Pour se réconcilier ou pour repartir à la bagarre ?
R - La réconciliation s'est faite tout au long des derniers mois, et d'abord parce que nous partageons finalement les mêmes objectifs et les mêmes valeurs. Nous avons donc travaillé ensemble tout au long de ces derniers mois. Nous avons multiplié les échanges et les rencontres. C'est important aujourd'hui d'intensifier encore cette relation parce que nous le voyons bien, qu'il s'agisse du Proche-Orient, qu'il s'agisse de l'Irak où il faut avancer et imaginer un processus politique qui permettra véritablement d'atteindre l'objectif de la communauté internationale, c'est-à-dire un Irak souverain, à la fin du mois de juin, ces questions demandent la mobilisation de tous. Notre volonté est de regarder vers l'avenir et de voir comment sur chacun des grands dossiers, ensemble, nous pouvons apporter notre énergie et notre ambition.
Q - George Bush, dans un discours qui vient d'avoir lieu à Charleston, en Caroline du Sud, dit : "au fond, les renseignements justifiaient la guerre. Ce sont les derniers éléments que nous avons à notre disposition. Nous savons, dit-il, que Saddam Hussein avait l'intention d'équiper son pays d'armes de destruction massive". Cela va quand même rester au coeur de la conversation que vous aurez demain avec Colin Powell ? Ou a-t-on complètement oublié ce qui fit débat avant ?
R - Une bonne communauté internationale est une communauté internationale qui garde la mémoire et qui s'efforce de tirer les leçons du passé. Nous avons vécu une période difficile, une période de division sur la scène internationale. Il y a eu un débat autour de ces questions d'armes de destruction massive et sur la meilleure façon de traiter cette situation irakienne. La première leçon à tirer, c'est que l'approche multilatérale donne des garanties quant à l'information, quant à la sécurité de l'action internationale. La deuxième grande leçon pour nous, c'est que l'on peut gagner une guerre, on peut la gagner rapidement, mais gagner la paix c'est beaucoup plus difficile et qu'il est important, en conséquence, que la force ne puisse être qu'un dernier recours.
Q - Avez-vous le sentiment que dans les semaines qui viennent, par exemple, vous pourriez participer, vous et les autres, c'est-à-dire tous ceux qui étaient hostiles à cette intervention, au processus de paix ?
R - Mais nous participons au processus de paix ! Nous avons, bien sûr, été très présents dans la concertation qui s'est nouée avec le Secrétaire général pour envoyer une mission qui aura pour but d'essayer de clarifier ce processus politique en prenant en compte l'ensemble des contraintes irakiennes.
Q - Mais pas de troupes ?
R - C'est une question qui ne se pose pas aujourd'hui. Vous savez que pour nous, la clé, c'est de sortir du vide politique que connaît actuellement l'Irak, d'avancer vers le retour de la souveraineté en Irak qui devrait devenir effective à la fin du mois de juin. Voilà le véritable enjeu ! Nous voulons apporter notre coopération dans ce domaine et nous nous préparons, en particulier, pour assurer la formation dans le domaine de la police et de la gendarmerie, mais nous répondrons à des demandes irakiennes. C'est très important. Nous voulons répondre à des demandes d'un gouvernement souverain et, à partir de là, nous apprécierons les réponses qui conviennent d'être faites. Mais en ce qui concerne l'envoi de troupes, tout ceci n'est évidemment pas d'actualité.
Q - Quand vous allez vous retrouver dans une enceinte qui a quand même marqué l'histoire de ces derniers mois avec des positions divergentes, qu'allez-vous vous dire avec Colin Powell ? Ce sera le sourire, la complicité ou une sorte de règlement de compte a posteriori ?
R - Non, ce n'est pas l'esprit des relations entre les Etats-Unis et la France. Vous savez que ce sont des liens forts, des liens anciens, des liens d'amitié. J'ai toujours eu beaucoup d'amitié et de respect pour le secrétaire d'Etat, Colin Powell. Nous n'avons pas cessé de travailler ensemble au cours des derniers mois dans des contacts très nombreux, à la fois rencontres et échanges téléphoniques sur l'ensemble des grands dossiers. C'est, au contraire, la volonté d'avancer, de trouver des solutions ensemble. Nous vivons dans un monde difficile et c'est bien cet esprit constructif qui est celui de la diplomatie française et qui n'a jamais cessé d'être le nôtre.
Q - Tous les opposants démocrates attaquent George Bush sur l'affaire de la guerre. Est-ce que vous avez l'intention de bavarder de la situation politique intérieure américaine et notamment de l'émergence de John Kerry ?
R - Par définition, nous abordons l'ensemble des sujets mais tout ce qui touche à la vie intérieure de l'Etat concerne les Américains et nous sommes très respectueux, bien évidemment, de l'indépendance de chacun de nos partenaires. C'est donc dans cet esprit de respect et d'indépendance, mais dans la volonté aussi de traiter l'ensemble des questions, que j'aborderai cet entretien.
(...).
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 février 2004)
(...)
R - Je suis très heureux d'être parmi vous en ce jour férié et je remercie infiniment Luis Ernesto Derbez, mon collègue et ami, de son accueil. A la fin de la tournée en Amérique latine qui m'a emmené au Chili, en Argentine et au Brésil, il était important pour moi de m'arrêter au Mexique et d'avoir cet entretien approfondi sur toutes les questions d'intérêt commun.
Nous avons naturellement parlé des questions importantes de la vie internationale, de la situation au Proche-Orient, en Irak et de la prolifération du terrorisme, qui représentent les grands défis du monde d'aujourd'hui.
Nous avons aussi évoqué des questions d'ordre général, telles que l'évolution de l'Amérique latine et les différentes situations de crise qui pourraient surgir sur ce continent. La France et l'Europe soutiennent les efforts d'intégration régionale en Amérique Latine, puisqu'ils sont tous, pour nous, facteurs de paix et de stabilité.
Nous souhaitons renforcer les liens qui nous unissent en faveur du nouvel ordre international. Les Nations unies sont l'un des piliers les plus importants pour préserver l'intégrité du monde, et je voudrais rendre un hommage particulier au rôle joué par le Mexique au sein de Conseil de sécurité.
Je suis heureux de saluer notamment l'engagement de votre pays en faveur des Droits de l'Homme, tant aux Nations unies à New York qu'à la Commission des Droits de l'Homme à Genève. Votre pays est devenu un acteur important du multilatéralisme, comme l'attestent les grandes rencontres de Monterrey, Mexico ou Cancun.
La France a suivi avec beaucoup d'intérêt l'apparition du G20, qu'elle considère comme un interlocuteur crédible. L'Europe et l'Amérique latine doivent travailler ensemble maintenant plus que jamais : telle est la leçon que je tire de mon voyage. Grâce aux Accords d'association entre l'Union européenne et le Mexique, nous sommes entrés en 1997 dans une dynamique d'échanges commerciaux à laquelle nous voulons donner un nouvel élan.
L'Union européenne et le MERCOSUR ont également élaboré un accord pour développer échanges et coopérations par le biais d'un nouveau partenariat dû à l'initiative du président Chirac à Rio en 1999.
Ce processus s'est poursuivi à Madrid en mai 2002, et en mai prochain, à Guadalajara, nos chefs d'Etat vont tenir leur troisième réunion de travail. Le président Chirac y sera bien sûr présent et, pour la première fois, l'Europe élargie rencontrera l'Amérique latine. Nous espérons pouvoir jeter les bases d'un ordre plus juste, plus sûr, et également plus solidaire.
Q - Bonjour Messieurs les Ministres. Vous avez tous deux indiqué que, lors de votre entretien, vous avez abordé la question de la réforme des Nations unies. Je voudrais savoir si nos deux pays ont des positions convergentes à soumettre à l'Assemblée générale.
R - Comme vous le savez, le Secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan, a décidé de réunir une Commission de sages pour faire des propositions à la communauté internationale et nous pensons qu'il faut travailler dans deux directions importantes.
La première consiste à faire en sorte que la représentation et la représentativité au Conseil de sécurité soient plus grandes. Or, il est difficile de savoir comment chaque région, chaque partie importante du monde, peut être bien représentée aux Nations unies. C'est là, bien entendu, un élément important du dialogue que nous entretenons avec le Mexique : quelle est la meilleure méthode pour aller de l'avant ?
La seconde consiste à savoir comment les Nations unies pourraient être plus efficaces, ce qui est également très important. Le président Chirac a fait de nombreuses propositions importantes, dont la création d'un véritable Conseil de sécurité économique et social, la création éventuelle d'une nouvelle organisation de l'environnement, la création de nouvelles capacités permettant de tirer les leçons de ce qui s'est passé en Irak, ou encore la création d'un corps de défense des Droits de l'Homme pour pouvoir faire face aux situations graves se produisant dans différentes parties du monde. Nous devons être en mesure d'agir et de ne pas rester passifs face à de telles situations. C'est pour cela qu'il est important pour nous que les Nations unies puissent réunir les compétences nécessaires afin de gagner en légitimité et en efficacité.
Nous pensons que la communauté internationale unie est la plus à même de relever les grands défis mondiaux. Nous constatons que, lorsque nous parlons de terrorisme, de prolifération ou de crises régionales , il n'y a que les Nations unies, que la communauté internationale tout entière, qui soient en mesure d'y faire face. Un pays ou deux ne peuvent pas détenir la solution à eux seuls.
(...)
Q - Tout d'abord, à votre avis, quelle est la réforme qui devrait être envisagée pour que le Mexique soit plus attractif pour les investissements français et européens ? Ensuite, puisque vous revenez d'Argentine, que pensez-vous des négociations entre l'Argentine et le FMI ; croyez-vous qu'on aboutira à une révision ou à un accord en mars ?
R - En ce qui concerne la réforme, nous avons affaire à un pays souverain ; la réforme est un problème qui se pose à tout le monde.
Dans tous les pays, c'est une question qui se pose du fait que le monde est en perpétuelle mutation, ce qui implique une constante adaptation. Ces exigences d'ouverture et de modernisation découlent de la facilité de plus en plus grande de faire des investissements et de l'accompagnement que nous apportons à nos entreprises lorsque nous considérons que les relations peuvent devenir de plus en plus étroites et que les liens sont en mesure de devenir de plus en plus forts entre le Mexique et l'Europe, entre le Mexique et la France. Il existe déjà entre ces pays des relations politiques et culturelles très fortes, mais nous voulons que les relations commerciales et industrielles le soient de plus en plus, ce qui implique des efforts de part et d'autre.
C'est la raison pour laquelle je pense que l'accord entre l'Union européenne et le Mexique est un élément important. Nous nous devons, comme nous l'avons dit avec mon homologue mexicain, de constater clairement l'évolution des choses, les éléments positifs, ainsi que ceux qui restent problématiques, pour pouvoir surmonter les difficultés.
Cela fait partie du dialogue entre nos deux pays. C'est la raison pour laquelle nous accordons une extrême importance à la grande commission mixte, que nous voulons, tous deux, préparer très sérieusement afin d'associer nos entreprises, sur les plans politique et économique, à cette nouvelle conception d'une commission aux liens de plus en plus étroits et à l'efficacité toujours plus grande pour l'intérêt mutuel de nos deux pays.
La seconde partie de votre question portait sur l'Argentine. J'étais en Argentine il y a quelques jours. Nous avons naturellement suivi la situation en ce qui concerne le FMI et nous avons apporté notre soutien à l'Argentine. L'Argentine sort d'une mauvaise passe et se trouve dans une période de transition démocratique. Elle appelle de ses voeux un développement économique et social et requiert naturellement notre aide, notre accompagnement et notre compréhension des problèmes qui sont les siens.
La France souhaite l'accompagner non seulement comme elle l'a fait lors de la dernière réunion mais encore au cours de la prochaine réunion, en mars, car je pense que cela relève de la responsabilité de nos pays. Il est de notre intérêt de faciliter la stabilité de pays comme celui-là. L'Argentine est importante, elle est importante pour tout le MERCOSUR, elle est importante pour toute l'Amérique latine. C'est pour cela qu'il fallait donner un signal politique : non seulement aider et accompagner, mais encore voir comment améliorer les choses en Argentine. C'est pour cela qu'il était également important pour moi d'entretenir ce dialogue politique et économique très fort, qui existe à l'heure actuelle avec l'Argentine.
(...)
Q - Je voudrais poser une question aux deux ministres. Que pensez-vous du fait que personne n'a trouvé d'armes de destruction massive en Irak, ainsi que des commentaires de l'américain David Key ? J'ai cru comprendre qu'un rapport de la CIA mentionne aujourd'hui l'absence d'armes de destruction massive en Irak. Nos deux pays avaient établi que l'existence de ces armes devait être démontrée avant de prendre la décision d'engager le conflit. En leur absence , qu'en pensez-vous aujourd'hui ?
R - Vous savez que c'est là une question très importante, qui a divisé la communauté internationale au cours de ces derniers mois. Cependant la priorité pour nous est de regarder vers l'avenir du fait que la situation en Irak est difficile, comme nous le constatons tous les jours.
Si nous voulons, par ailleurs, atteindre nos objectifs de sécurité et de stabilité en Irak et au Moyen-Orient, nous devons unir nos forces et nos énergies, sans oublier pour autant de tirer les leçons de l'expérience de ces derniers mois.
La première de ces leçons est qu'il est particulièrement important de défendre le système multilatéral car il nous donne des garanties. Il nous garantit, en effet, que dans le processus de désarmement de l'Irak les inspecteurs étaient ce qu'il y avait de mieux. Ils étaient à la fois les mains et les yeux de la communauté internationale, puisqu'ils étaient sur le terrain, ce qui est déterminant.
C'est pour cela que nous avons proposé des forces de désarmement pour que, dans d'autres pays et dans d'autres situations, nous ayons la possibilité de savoir ce qui se passe et de partager cette information avec les autres pays des Nations unies.
La deuxième est également une leçon de l'histoire : s'il est possible de gagner rapidement la guerre, il est beaucoup plus difficile de construire la paix. C'est pour cela que nous restons convaincus que l'usage de la force ne peut être que l'ultime recours. Il n'y a pas de miracle. Aucun système vertueux ne permet l'usage de la force. Il est difficile de gérer l'après-guerre ; il faut beaucoup d'énergie, une profonde unité, beaucoup de bonne volonté. Or, cette volonté nous l'avons tous pour soutenir aujourd'hui ce processus en Irak.
Nous, Français, nous pensons que la priorité actuelle consiste à savoir comment gérer un processus politique qui nous permette de sortir de cette situation de violence et de terrorisme. Nous pensons que la décision du Secrétaire général des Nations unies d'envoyer des experts en Irak afin de voir comment ce processus pourrait se dérouler au mieux pour rendre sa souveraineté à l'Irak, à la fin du mois de juin, est importante et nous la soutenons naturellement.
Il est important aussi que ce processus soit dynamique. C'est pour cela que nous voulons penser à ce qui arrivera après et préparer les événements qui pourraient se produire après le rétablissement de la souveraineté iraquienne. Nous avons proposé, à cet égard, la tenue d'une conférence internationale qui aborderait tous les problèmes de ce nouvel Irak, afin de maintenir l'unité de toutes les communautés (Kurdes, Chiites, Sunnites). Il est important d'avoir une dynamique commune et d'associer les pays de la région ainsi que toute la communauté internationale afin de garantir à ce processus davantage de sécurité.
Vous constaterez qu'il n'existe pas de solution facile, à l'heure actuelle, en Irak. Nous pensons que la meilleure garantie réside dans l'unité. C'est un point dont j'ai longuement discuté avec mon ami Luis Ernesto et dont je parlerai demain à New York pendant le déjeuner avec Colin Powell.
(...)
Q - Je voudrais demander aux ministres qu'ils parlent un peu de la réunion Union européenne-Amérique latine et Caraïbes : quel va être le poids et l'influence des 10 nouveaux pays membres ? Ceci aura-t-il une incidence s'il se pose un problème avec la future Zone de libre échange des Amériques (ZLEA), qui représentera le double du marché européen ?
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R - Je partage totalement le point de vue de Luis Ernesto Derbez. Je sais qu'il existe dans différentes parties du monde une inquiétude à l'égard de l'élargissement de l'Europe. En effet, d'aucuns se demandent si le fait d'être 25 membres demain va changer l'orientation ou les préoccupations de l'Europe. Je m'inscris en faux contre une telle idée. Le souhait des dirigeants européens de participer au Sommet de Guadalajara le prouve bien. Nous avons déjà la décision en ce sens du chancelier allemand, du président français et de nombreux autres gouvernants. Nous voulons prouver que notre décision de développer nos relations avec le Mexique, l'Amérique latine ou le MERCOSUR est tout à fait primordiale, tout à fait fondamentale. Nous avons des relations politiques et culturelles très importantes et nous voulons que les relations économiques le soient autant ; nous partageons les mêmes principes, les mêmes valeurs, la même vision du système international, la même exigence multilatérale. Il s'ensuit que nous voulons continuer à développer des relations étroites.
La question de la cohésion sociale est primordiale pour nous tous, car nous sommes tous confrontés aux même défis, à savoir, comment faire pour vivre ensemble, comment construire un monde nouveau. Nous savons tous que le monde d'après la guerre froide, époque de la logique des blocs, est déjà un autre monde. Il nous faut inventer un monde nouveau, mettre en place de nouvelles règles, de nouvelles institutions. C'est un défi que doivent relever tous les pays qui souhaitent élaborer un nouveau type de réflexion en Amérique latine, notamment au Mexique. C'est là une réflexion de la première importance pour nous. Nous constatons que nous avançons dans la même direction ; c'est pourquoi il me semble important de tenir cette réunion au mois de mai, car son fondement réside dans la conscience commune qu'ont les peuples de devoir rechercher les solutions tous ensemble.
(...)
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 février 2004)
(Interview à la chaîne de TV mexicaine à Mexico, le 5 février 2004) :
Q - Merci, Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, d'accepter de vous adresser aux téléspectateurs de la chaîne d'informations "Canal 52". Je voudrais vous poser deux ou trois questions.
Pour commencer, en ce qui concerne le monde, après ce qui s'est passé en Irak, après les grands débats qui se sont déroulés à l'ONU, après les discours mémorables comme le vôtre, n'a-t-on pas l'impression que finalement le monde entier se trouve soumis à la grande puissance ? Comment la France ressent-elle cette situation, qui est celle de toute la planète ?
R - Nous vivons dans un monde difficile, dangereux, dont l'organisation a changé. Pendant des années, nous avons connu le monde de la guerre froide, organisé selon la logique des blocs. Ce n'est plus la même logique à l'heure actuelle et nous devons inventer un nouveau monde. Le défi que nous devons relever tous ensemble consiste à savoir si nous allons décider d'organiser le monde sur une base unilatérale ou multilatérale. C'est pour cela que ce qui s'est passé en Irak est très intéressant. Lorsqu'on réfléchit sur ce qui s'est passé au cours des derniers mois, il me semble que l'on voit l'importance d'une logique collective, d'une sécurité collective et ce sont précisément les Nations unies qui doivent mener à bien ce débat. Il me semble que l'évolution a montré qu'il était important d'avoir ce débat avant de recourir à l'usage des armes, car la force ne peut être que le dernier recours. Je crois qu'il est important de voir comment on pourrait changer cet ordre international, comment on pourrait améliorer et réformer le système des Nations unies. C'est pour cela que nous avons une relation très forte avec le Mexique afin d'avoir une réflexion commune débouchant sur des propositions qui le seraient aussi. La France a fait plusieurs propositions à la communauté internationale, telles que la création d'un Conseil de sécurité économique et social, la création d'un corps en matière de désarmement, ou encore un corps de défense des Droits de l'Homme, question très chère à la diplomatie mexicaine. Nous devons débattre de tout cela. Le Secrétaire général, Kofi Annan, a décidé de créer une Commission de "sages" et nous souhaitons, au cours des mois qui viennent, échanger nos expériences et nos points de vue.
Q - Monsieur de Villepin, certes, il nous faut construire un monde nouveau, mais, pour l'instant, nous nous trouvons dans celui où nous sommes, et je crois qu'à la suite de l'occupation de l'Irak, les hommes de pouvoir devraient se demander comment il est concevable qu'une décision aussi grave que l'occupation de l'Irak ait pu être prise sur la base de renseignements qui n'étaient pas dignes de foi, comme cela est évident aujourd'hui, pour ne pas dire carrément sur la base de mensonges ou d'informations manquant de précision. Y aura-t-il une Commission indépendante aux Etats-Unis ? Y aura-t-il une Commission indépendante en Grande-Bretagne ? Le doute règne sur la façon dont les décisions sont prises dans un cas comme celui-là. Quel sens faut-il donner au fait que le mensonge ait pu mener à quelque chose de cet ordre ?
R - Le mensonge ou l'ignorance.
Q - Ou l'inexactitude.
R - Nous devons justement y réfléchir ensemble pour voir comment nous pouvons inventer quelque chose de nouveau.
Q - Pour M. de Villepin, s'agit-il de mensonge ou d'ignorance ? Quel serait le terme ?
R - Ce sont les Commissions qui le détermineront. Je ne suis pas particulièrement bien placé pour savoir exactement ce qui s'est passé dans chaque pays. Il faut laisser jouer la démocratie. Il y a deux choses qui sont importantes pour moi. La première c'est qu'il faut tirer les leçons qui s'imposent. Il est important de voir que le processus fondé sur le travail des inspecteurs fonctionnait. Il nous donnait des informations intéressantes, qui nous permettaient d'agir face au problème qui se posait en Irak.
La seconde c'est que nous avons besoin d'agir ensemble pour relever les défis d'aujourd'hui. Il est important, bien entendu, de savoir ce qui s'est passé hier ; il faut le garder en mémoire. Mais il faut, par-dessus tout, agir ensemble pour faire face aux problèmes d'aujourd'hui ; il nous faut unir nos forces pour faire en sorte que la situation en Irak puisse s'améliorer au cours des mois qui viennent.
Q - Monsieur le Ministre, pensez-vous que l'ONU ne sert plus à rien ?
R - Non, je ne le pense pas. L'ONU a fait tout ce qui était en son pouvoir, mais certaines initiatives sont allées dans le sens contraire. Nous devons donc réfléchir à la façon dont nous pourrions rendre cette organisation plus efficace. Le chemin sur lequel nous nous étions engagés était, à notre avis, le bon, puisqu'il se fondait sur des propositions, celles des inspecteurs. Il nous faut voir maintenant comment améliorer le processus politique et je suis ravi de voir que les Etats-Unis demandent aujourd'hui à l'ONU de retourner en Irak pour y appliquer son expérience. C'est pour cela que la France a proposé la tenue d'une conférence internationale après le rétablissement de la souveraineté irakienne, à la fin du mois de juin. Il est important d'accompagner ce mouvement ; il incombe à toute la communauté internationale de réunir toutes ses forces pour rendre ce processus le plus efficace et le plus légitime possible. Nous savons que plusieurs problèmes se posent en Irak : la violence, le terrorisme, ainsi que la question de l'unité de l'Irak. Si nous voulons maintenir la stabilité, si nous voulons que cette région puisse évoluer vers les réformes et la démocratie, il est indispensable que nous agissions tous ensemble.
Q - Monsieur le Ministre, le Mexique a été très proche de la France et la France du Mexique au moment des débats les plus épineux et même les plus âpres. Pensez-vous que le départ de Adolfo Aguilar Zinser du Conseil de Sécurité ait signifié, en ce qui concerne la position du Mexique, un rapprochement de celle des Etats-Unis ?
R - Il ne me revient pas, comme vous l'imaginez, de faire des commentaires sur les décisions ou les mouvements d'ambassadeurs du Mexique. Nous respectons la démocratie mexicaine et nous voulons travailler avec le Mexique, comme nous le faisons constamment. La collaboration et la coopération entre nos deux pays, à New York comme entre Paris et Mexico, est une coopération très forte. La réunion de travail, que j'ai eue aujourd'hui avec Luis Ernesto Derbez, a été très fructueuse, car elle nous a permis de voir comment aller de l'avant, faire des propositions ou encore appuyer des processus politiques de paix, de sortie de crise, dans un certain nombre de situations difficiles au Moyen-Orient ou en Amérique latine. Ce que nous voulons, c'est apporter de l'énergie, apporter de l'imagination, et, pour ce faire, l'élément essentiel est le respect. La France respecte, bien entendu, le Mexique ainsi que les décisions qu'il prend.
Q - La France n'a pas perdu un allié dans cette décision ?
R - Vous savez, pendant tous ces derniers mois, la coopération diplomatique entre la France et le Mexique a été très forte, comme elle l'est toujours aujourd'hui.
Q - En vous remerciant vivement, j'aimerais terminer cette interview en me référant à des propos tenus par l'écrivain mexicain Carlos Fuentes. Il a dit récemment qu'il avait assisté à l'une de vos conférences et que cette dernière ne portait ni sur la diplomatie, ni sur la guerre, ni sur la politique, mais sur la poésie. A quoi sert la poésie en politique ?
R - A inventer de nouveaux chemins, tout comme les intellectuels et les hommes de culture. Nous en avons besoin. Vous avez beaucoup de chance au Mexique d'avoir des hommes de l'envergure et de la qualité de Carlos Fuentes : des peintres, des écrivains, des hommes de poésie. Tous ces hommes jouent un rôle très important en faisant naître chez nous l'imagination, l'imagination de ce que nous pourrions faire dans un autre monde. Nous avons besoin de cela en permanence. C'est pourquoi nous avons besoin de ces hommes, de ces intellectuels, de ces hommes de culture, comme conscience de l'action quotidienne. Ce sont eux qui sont à même de nous dire si nous allons ou non dans le bon sens. Cette conscience est nécessaire à la politique. Il s'ensuit que le face à face avec les arts permet aux hommes politiques de savoir comment ils doivent ou comment ils peuvent s'améliorer de jour en jour.
Q - Il y a quelques semaines, le supplément hebdomadaire du journal espagnol "El País" vous a consacré sa couverture avec en titre "Le Séducteur". Comment le Séducteur se voit-il lui-même ?
R - Il ne se regarde pas, il regarde devant lui.
Q - Le Séducteur ne se regarde pas dans la glace ?
R - Non, il ne se regarde pas.
Q - Je voudrais demander à Dominique de Villepin, l'homme politique, le diplomate, ainsi que le poète, comme le disait Fuentes, qui avait été surpris de voir un diplomate capable de parler poésie pendant plus d'une heure, de nous faire un cadeau en forme de poésie. Qu'aimez-vous dans la poésie mexicaine ?
R - Beaucoup de Mexicains.
Q - Octavio Paz ?
R - Octavio Paz est l'un de ceux qui a le mieux su "pincer les cordes de la lyre". Ses réflexions sur la poésie sont également très fortes. Dans la conscience mexicaine, il y a, en profondeur, une certaine malice qui permet de voir la réalité autrement. C'est là la clef de la poésie : changer d'optique pour voir le monde sous un autre angle. Le Mexique nous donne un regard sur l'avenir, sur la vie, sur l'être humain, qui est fascinant pour nous, Européens, et qui nous permet de toucher vraiment du doigt une réalité difficile à approcher. Cela s'applique aussi à de nombreux pays latino-américains, tels que la Colombie ou le Brésil, où la réalité est très forte. Mais la tradition mexicaine est, bien entendu, très importante pour nous, ce qui explique toute l'ampleur que nous donnons aux relations culturelles entre nos deux pays.
Q - Que répondriez-vous, Monsieur Dominique de Villepin, si je vous demandais quelle poésie vous préférez ?
R - J'ai un penchant tout particulier pour les grands rebelles français.
Q - J'aimerais que vous me disiez quelques vers.
R - Je ne vais pas vous dire de la poésie, car je suis ici en qualité de ministre des Affaires étrangères.
Q - En fonctions officielles.
R - Mais j'ai écrit un livre sur les voleurs de feu. La tradition des voleurs de feu existe en Europe, en Amérique latine, dans un certain nombre de pays. Federico García Lorca, Arthur Rimbaud, Walt Whitman, ou encore beaucoup d'autres. C'est une réalité. Il y a des hommes de grande expérience dans n'importe quel pays, sur n'importe quel continent, qui veulent inventer une autre vie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 février 2004)
(Interview à Europe 1, le 6 février 2004) :
Q - Où êtes-vous, ce soir, M. de Villepin ?
R - Je suis actuellement au Mexique, après avoir été successivement au Chili, en Argentine et au Brésil et avant de rejoindre le Conseil de sécurité et Colin Powell.
Q - Durant votre tournée en Amérique latine, vous avez rencontré le président brésilien Lula da Silva ?
R - Tout à fait, j'ai rencontré le président du Brésil, comme d'ailleurs le président de l'Argentine et du Chili. C'est important pour la France car vous savez que nos relations politiques, nos relations culturelles sont évidemment des relations très fortes. Nous avons un vrai partenariat stratégique, économique, avec ces régions. Nous faisons partie des premiers investisseurs, des premiers partenaires commerciaux, avec l'Union européenne et nous voulons tout faire pour accroître encore à la fois les échanges et les concertations. C'est important parce que nous partageons une même vision du monde avec l'ensemble de ces pays : la volonté d'un monde multilatéral, d'où la nécessité, en permanence, sur tous les grands sujets - qu'il s'agisse du terrorisme, de la prolifération, des crises régionales, mais aussi des situations de crise que l'on peut trouver aujourd'hui sur ce continent - d'être mobilisés ensemble pour avancer.
Q - Un an après, rencontre avec Colin Powell, rencontre franco-américaine très importante, dans une enceinte ô combien symbolique, celle de l'ONU, où, d'une certaine manière, il y a plusieurs mois, vous vous être affrontés, en tout cas les points de vue divergeaient sérieusement. On se revoit pourquoi ? Pour se réconcilier ou pour repartir à la bagarre ?
R - La réconciliation s'est faite tout au long des derniers mois, et d'abord parce que nous partageons finalement les mêmes objectifs et les mêmes valeurs. Nous avons donc travaillé ensemble tout au long de ces derniers mois. Nous avons multiplié les échanges et les rencontres. C'est important aujourd'hui d'intensifier encore cette relation parce que nous le voyons bien, qu'il s'agisse du Proche-Orient, qu'il s'agisse de l'Irak où il faut avancer et imaginer un processus politique qui permettra véritablement d'atteindre l'objectif de la communauté internationale, c'est-à-dire un Irak souverain, à la fin du mois de juin, ces questions demandent la mobilisation de tous. Notre volonté est de regarder vers l'avenir et de voir comment sur chacun des grands dossiers, ensemble, nous pouvons apporter notre énergie et notre ambition.
Q - George Bush, dans un discours qui vient d'avoir lieu à Charleston, en Caroline du Sud, dit : "au fond, les renseignements justifiaient la guerre. Ce sont les derniers éléments que nous avons à notre disposition. Nous savons, dit-il, que Saddam Hussein avait l'intention d'équiper son pays d'armes de destruction massive". Cela va quand même rester au coeur de la conversation que vous aurez demain avec Colin Powell ? Ou a-t-on complètement oublié ce qui fit débat avant ?
R - Une bonne communauté internationale est une communauté internationale qui garde la mémoire et qui s'efforce de tirer les leçons du passé. Nous avons vécu une période difficile, une période de division sur la scène internationale. Il y a eu un débat autour de ces questions d'armes de destruction massive et sur la meilleure façon de traiter cette situation irakienne. La première leçon à tirer, c'est que l'approche multilatérale donne des garanties quant à l'information, quant à la sécurité de l'action internationale. La deuxième grande leçon pour nous, c'est que l'on peut gagner une guerre, on peut la gagner rapidement, mais gagner la paix c'est beaucoup plus difficile et qu'il est important, en conséquence, que la force ne puisse être qu'un dernier recours.
Q - Avez-vous le sentiment que dans les semaines qui viennent, par exemple, vous pourriez participer, vous et les autres, c'est-à-dire tous ceux qui étaient hostiles à cette intervention, au processus de paix ?
R - Mais nous participons au processus de paix ! Nous avons, bien sûr, été très présents dans la concertation qui s'est nouée avec le Secrétaire général pour envoyer une mission qui aura pour but d'essayer de clarifier ce processus politique en prenant en compte l'ensemble des contraintes irakiennes.
Q - Mais pas de troupes ?
R - C'est une question qui ne se pose pas aujourd'hui. Vous savez que pour nous, la clé, c'est de sortir du vide politique que connaît actuellement l'Irak, d'avancer vers le retour de la souveraineté en Irak qui devrait devenir effective à la fin du mois de juin. Voilà le véritable enjeu ! Nous voulons apporter notre coopération dans ce domaine et nous nous préparons, en particulier, pour assurer la formation dans le domaine de la police et de la gendarmerie, mais nous répondrons à des demandes irakiennes. C'est très important. Nous voulons répondre à des demandes d'un gouvernement souverain et, à partir de là, nous apprécierons les réponses qui conviennent d'être faites. Mais en ce qui concerne l'envoi de troupes, tout ceci n'est évidemment pas d'actualité.
Q - Quand vous allez vous retrouver dans une enceinte qui a quand même marqué l'histoire de ces derniers mois avec des positions divergentes, qu'allez-vous vous dire avec Colin Powell ? Ce sera le sourire, la complicité ou une sorte de règlement de compte a posteriori ?
R - Non, ce n'est pas l'esprit des relations entre les Etats-Unis et la France. Vous savez que ce sont des liens forts, des liens anciens, des liens d'amitié. J'ai toujours eu beaucoup d'amitié et de respect pour le secrétaire d'Etat, Colin Powell. Nous n'avons pas cessé de travailler ensemble au cours des derniers mois dans des contacts très nombreux, à la fois rencontres et échanges téléphoniques sur l'ensemble des grands dossiers. C'est, au contraire, la volonté d'avancer, de trouver des solutions ensemble. Nous vivons dans un monde difficile et c'est bien cet esprit constructif qui est celui de la diplomatie française et qui n'a jamais cessé d'être le nôtre.
Q - Tous les opposants démocrates attaquent George Bush sur l'affaire de la guerre. Est-ce que vous avez l'intention de bavarder de la situation politique intérieure américaine et notamment de l'émergence de John Kerry ?
R - Par définition, nous abordons l'ensemble des sujets mais tout ce qui touche à la vie intérieure de l'Etat concerne les Américains et nous sommes très respectueux, bien évidemment, de l'indépendance de chacun de nos partenaires. C'est donc dans cet esprit de respect et d'indépendance, mais dans la volonté aussi de traiter l'ensemble des questions, que j'aborderai cet entretien.
(...).
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 février 2004)