Déclaration de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, sur la qualité et la réussite architecturale de l'ambassade de France à Beyrouth et sa contribution au rayonnement de la France, Paris le 10 février 2004.

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Circonstance : Remise du prix "L'Equerre d'Argent" en présence de Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication, pour le projet de l'ambassade de France à Beyrouth, à Paris le 10 février 2004

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Lauréats,
Mesdames et Messieurs,
L'attribution de "l'Equerre d'argent" à l'ambassade de France à Beyrouth constitue, à mes yeux, la reconnaissance du travail du ministère des Affaires étrangères en tant que constructeur et gestionnaire des bâtiments à l'étranger. Déjà, je puis vous dire sans livrer de secret qu'en juillet 2002, en inaugurant cette ambassade, j'avais pressenti ce petit quelque chose d'une ambassade "habitée".
Construire à l'étranger n'est pas tâche facile et suppose une parfaite entente entre l'architecte, maître d'uvre et le ministère, maître d'ouvrage. Car construire une ambassade suppose de concilier plusieurs exigences parfois contradictoires : l'art, la beauté, au service d'une ambition, d'une incarnation humaine. Orgueil et humilité où l'architecte rejoint le diplomate dans un mouvement, dans un geste, dans un élan, dans une parole et une action.
Avant tout, une ambassade, c'est un lieu de travail. C'est un ensemble de bureaux où se côtoient des services qui, s'ils concourent tous à assurer le rayonnement de la France, n'ont ni les mêmes méthodes ni les mêmes attentes puisqu'il s'agit de concilier le politique, l'économique, le culturel et le social.
Il peut s'agir d'un travail solitaire - rédiger une dépêche, un télégramme -, ou au contraire collectif : l'accueil du public.
Il faut ainsi pouvoir tout à la fois recevoir facilement un public désireux de commercer avec la France et habitué à avoir des interlocuteurs aisément accessibles, et garantir la discrétion voire le secret aux services qui traitent une information confidentielle.
L'art de l'architecte en la matière est de faire en sorte que toute personne qui franchit le seuil sache qu'elle pénètre dans une ambassade de France sans pour autant se dire qu'elle a déjà vu maintes fois ce décor, ces pièces et cet agencement. Il faut nommer, signifier et en même temps surprendre.
Une ambassade, c'est ensuite un véritable enjeu politique, un symbole de notre pays. Or, dans un monde marqué par le terrorisme, l'ambassade doit être protégée contre les velléités destructrices de ceux qui veulent s'en prendre à nous, à nos positions, à notre message. C'est pourquoi, la sécurité est une priorité absolue : parce que le monde est comme il est, tout projet architectural d'ambassade, où qu'il soit, doit être conçu en fonction de cette contrainte. Elle est d'autant plus difficile à satisfaire qu'il faut que le bâtiment puisse être évacué sans entraves en cas de nécessité, un incendie, un tremblement de terre, un attentat par exemple, et par ailleurs qu'il ne se réduise pas à une sorte de forteresse militaire à l'aspect peu compatible avec son rôle de représentation diplomatique. Sécurité donc dans la générosité, les mains ouvertes, tendues. Une sécurité intégrée dans le profond des préoccupations mais non dans l'obsession qui aveugle, enlaidit, déforme.
Car une ambassade, c'est aussi une certaine image de la France, image complexe qui doit porter haut les valeurs de notre pays et être représentative de sa culture, de ses modes de vie et de son art, tout en étant toujours soucieuse de simplicité et de fonctionnalité. Evidence du coeur, évidence de nos valeurs, évidence d'accueil, d'amitié et de fraternité.
Enfin, une ambassade, c'est un élément de prestige dans la capitale d'un pays. Il convient donc d'en assurer l'insertion dans le site où elle se trouve, de façon non seulement à ne pas écorcher la vision, la mémoire et les sensibilités locales, mais, mieux encore, à faire se répondre image de la France et style du pays dans un dialogue qui élève et nourrit. Il ne sert à rien de piquer la curiosité de Paris si c'est pour ne pas apprivoiser le coeur du pays où l'on construit ! Le chaud et le froid, la lumière et l'ombre, le bois, la pierre, le verre..., tout doit être considéré. Il faut s'adapter au lieu où l'on s'installe, à son climat comme à sa culture, mais aussi, de façon très pragmatique, au type de vie que l'on y mène, à la qualité des services publics : cela n'a guère de sens de multiplier les instruments automatiques dans des pays où l'électricité est défaillante. Penser à tout et même à demain, là où aux avant-postes du monde, il nous faudra vivre et servir encore.
C'est à ces défis permanents qu'est confronté le ministère des Affaires étrangères. Depuis quarante ans, il a eu beaucoup à faire : créer des ambassades dans les anciens empires coloniaux, puis faire face à l'éclatement de l'URSS, accompagner les décisions de certains pays de changer de capitale comme l'Allemagne ou le Nigeria...
Tout cela a conduit à l'émergence d'un grand réseau, riche de sa diversité, où l'on trouve la plus vieille maison d'Amérique - notre ambassade à Saint Domingue -, et l'ambassade ultramoderne de Berlin, le palais Farnèse et, aujourd'hui, la belle réalisation d'Yves Lion et de Claire Piguet à Beyrouth.
Chaque année, ce sont donc en moyenne quelque 70 millions d'euros que consacre le ministère des Affaires étrangères à ses réalisations immobilières, tant par de nouveaux édifices que sous forme de reprise d'anciens comme nous venons de le faire de la résidence de l'ambassadeur à Bangkok, un bâtiment du XIXème siècle ou de la chancellerie de Varsovie. Voilà un bâtiment très représentatif de l'architecture des années 1970 qu'il a fallu désamianter. Cela a été l'occasion de le faire bénéficier d'équipements modernes tout en conservant l'essentiel de l'oeuvre de Bernard Zehrfuss, son architecte.
Le ministère des Affaires étrangères est soucieux dans le choix de ses maîtres d'oeuvre de promouvoir la qualité et le savoir-faire tout en essayant de diversifier au maximum les architectes qui travaillent avec lui. Nous choisissons des architectes tant en province qu'à Paris (Beyrouth est à ce titre particulièrement illustratif, puisque, si Yves Lion et Claire Piguet ont réalisé la chancellerie, c'est une équipe d'architectes lyonnais, Sud Architecture, qui a réalisé la réhabilitation de la résidence des Pins, qui est la résidence de l'ambassadeur).
Quant aux bureaux d'études, nous nous efforçons de leur assurer une certaine notoriété locale et leur permettre ainsi de s'implanter.
Si l'attribution de "l'Equerre d'argent" à l'ambassade de Beyrouth paraît particulièrement bien venue, c'est que l'architecte a su répondre, avec un grand talent, à toutes les contraintes imposées.
En choisissant une pierre locale d'un bel aspect blond pour les façades, il a su insérer le bâtiment dans cette partie de Beyrouth, non loin du Musée, sur un des axes principaux de la ville. A l'intérieur, chaque zone est bien définie, avec son degré plus ou moins grand de sécurité ; je crois que chacun des 136 agents qui y travaillent est satisfait de son bureau. Réalisée en 18 mois par une entreprise libanaise - ce point est essentiel, il faut s'appuyer sur les forces vives du pays -, pour un coût de 5 millions d'euros, cette opération a donné à la France une implantation à la fois fonctionnelle, de qualité et peu dispendieuse. Elle constitue un bel exemple de ce que peuvent être et doivent être les réalisations de la France à l'étranger.
Avant de terminer, Monsieur le Ministre, je n'aurai garde d'oublier tout ce que, notamment à travers l'Association française d'Action artistique (AFAA), nous faisons, en partenariat avec votre ministère, pour promouvoir l'architecture française à l'étranger : échanges, missions de professionnels, expositions, programmes de recherche et de résidence, coopérations diverses, notamment dans le domaine du patrimoine, présence dans les grands événements internationaux, de Pékin à Rotterdam, de Sao Paulo à Venise... Notre expertise, comme vous le savez tous, est attendue et reconnue.
Acte politique (ce le fut particulièrement au Liban dans cet endroit même où se livrèrent des combats durant le conflit des années 70-80), acte patrimonial, acte culturel, acte social, acte économique au service d'une grande profession exportatrice, construire une ambassade, c'est toujours l'occasion de réfléchir à ce que doit être une diplomatie moderne, au plus près des citoyens, des autres, de ceux à qui elle s'adresse. C'est toujours - symbole de la présence française - un moment important pour définir ce que doit être notre action internationale et notre rayonnement. C'est enfin, comme toujours en architecture, un acte en prise sur le futur dont les racines plongent, à Beyrouth comme partout où nous construisons, dans l'éclatante tradition architecturale française, de Salomon de Brosse à Le Corbusier (même s'il n'était pas français !) et à ces grands architectes qui l'incarnent aujourd'hui de par le monde.
C'est pourquoi, l'attribution de ce prix nous honore, comme elle vous honore tous dans ce partenariat que nous voulons construire entre cette France de l'ailleurs et les inventeurs de formes, de relations, de bonheur, que vous êtes.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 février 2004)