Déclaration de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes, sur les apports de la Constitution européenne à la construction de l'Europe, à Paris le 20 avril 2005.

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Circonstance : Intervention devant le Comité directeur de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), à Paris le 20 avril 2005

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du comité directeur,
Chers Amis,
Votre Président, M. Jean François Roubaud m'a très aimablement invitée à intervenir devant votre comité directeur pour parler d'Europe et tout particulièrement du projet de traité constitutionnel. Je lui suis très reconnaissante d'avoir organisé cette rencontre devant vous, chefs d'entreprises, qui représentez une vitalité considérable en terme d'emplois, de croissance et d'innovation. Car, alors que la presse déborde de commentaires, de sondages et de prises de position à l'approche du 29 mai, le débat n'a pas encore su se hisser à la hauteur de l'enjeu. Votre initiative, M. le Président, n'en est que plus précieuse.
I. Avant d'aborder la Constitution européenne, je souhaiterais vous faire part de mon point de vue concernant les trois questions que vient de soulever le Président Roubaud :
A. l'Europe synonyme de lourdeur administrative :
C'est vrai que, dans la gestion de ses programmes et dans la mise en oeuvre de sa législation, l'Europe n'a pas toujours suffisamment eu le souci de la simplicité.
Cela tient principalement à trois raisons : d'une part, la complexité de la législation est le souvent le résultat des négociations entre des Etats membres qui n'ont pas les mêmes intérêts ;
D'autre part, la complexité tient aussi à la façon dont le droit européen est transposé : trop souvent la transposition de la législation européenne ne s'accompagne pas d'un allègement de la législation nationale. En résumé, l'Europe n'est pas toujours la véritable responsable de cette complexité.
Enfin, la troisième raison de cette lourdeur tient à l'obligation qui est faite à la Commission de justifier chaque euro dépensé devant le Parlement européen. Cette " contrainte " démocratique n'est pas en soi négative mais peut conduire à des dérives.
L'Union européenne a pris la mesure de cette charge administrative. La Commission, le Conseil et le Parlement se sont engagés le 23 septembre 2003 à promouvoir la simplicité, la clarté et la cohérence dans la rédaction des textes, ainsi qu'une plus grande transparence du processus législatif. En mai 2004, différents chantiers ont été lancés par le Conseil Compétitivité en vue de simplifier la législation européenne existante (en novembre 2004, le Conseil a établi une liste de textes à simplifier en priorité) et d'améliorer la qualité de la législation future (les études d'impact seront améliorées, une méthodologie de quantification des charges administratives va être élaborée).
Au niveau national, la France vient de mener une étude visant à estimer le coût pour les entreprises de certains régimes d'autorisation administrative (rendue 1er mars 2005). Le gouvernement a mené deux trains de mesures législatives de simplification du droit pour les usagers en 2003 et 2004. Ces mesures ont permis par exemple de créer le titre emploi-entreprises. Un troisième train de mesures est en cours de préparation pour cette année.
B. La faible réactivité de l'Europe :
On critique souvent la capacité de réaction de l'Europe. Là aussi, je crois que de nombreux progrès ont eu lieu dans les années récentes. Sur la question par exemple des textiles en provenance de Chine, on critique l'absence de réaction de l'Europe par comparaison avec les Etats Unis. Or, les délais qui encadrent la procédure américaine pour la mise en oeuvre des clauses de sauvegarde sont comparables à ceux prévus par l'Europe (enquête 30 jours, puis décision dans les 60 jours avant ouverture de consultations formelles avec les Chinois de 90 jours).
La Commission devrait décider cette semaine d'ouvrir une enquête pour des mesures de sauvegarde.
En attendant la mise en oeuvre de la clause de sauvegarde, nous souhaitons obtenir de la Chine un engagement d'autolimitation de ses exportations vers l'UE.
C. La crainte concernant les délocalisations :
Les délocalisations inquiètent l'opinion publique et les entrepreneurs, parce qu'elles créent des drames humains pour ceux qui perdent leur emploi en France. Sur ce sujet sensible, je voudrais faire quatre remarques :
1 - Je voudrais tout d'abord dire que le phénomène des délocalisations est la conséquence de la mondialisation économique, et qu'il outrepasse largement les frontières de l'Europe, les délocalisations se faisant bien souvent au profit de l'Asie. L'impact réel des délocalisations est complexe à mesurer. Leurs effets sont à la fois positifs et négatifs et s'échelonnent dans le temps.
2- L'élargissement de l'Europe ne conduit pas à des délocalisations sauvages mais apporte de nouveaux débouchés pour nos entreprises :
- L'Irlande, l'Espagne, le Portugal et la Grèce ont rattrapé leur retard grâce à leur adhésion et constituent aujourd'hui des débouchés importants pour les entreprises françaises.
- L'ouverture des marchés des pays d'Europe de l'est s'est produite graduellement depuis le milieu des années 90. L'adhésion de ces Etats depuis 2004 signifie un rapprochement et une harmonisation à terme. La protection sociale, les salaires et le droit du travail se développeront dans les nouveaux États membres, comme ce fut le cas en Espagne, en Irlande, au Portugal ou en Grèce.
3- L'Europe s'adapte pour limiter l'impact des délocalisations : elle a d'ores et déjà pris des mesures pour limiter les risques de délocalisation intra communautaires, par exemple dans le cadre de la politique de cohésion (les aides versées aux entreprises dans le cadre de la politique de cohésion seront remboursées si l'entreprise se délocalise). La Commission vient d'adopter un dispositif permettant d'anticiper les mutations économiques (une dizaine de mesures proposées par le Commissaire Spidla pour limiter l'impact des restructurations économiques sont étudiées). Enfin, la Commission a pris conscience de la nécessité de mettre en place une véritable politique industrielle (création de groupes de travail sectoriels dans le domaine de l'automobile et du textile).
4- Enfin, l'adoption de la Constitution n'accroîtra pas les risques de délocalisations. On peut certes regretter qu'elle n'ait pas permis de progresser vers plus d'harmonisation fiscale, qui reste un objectif majeur du gouvernement français : mais les réticences de plusieurs de nos partenaires sur ce point sont telles qu'il serait illusoire de penser qu'en rejetant ce projet de Constitution, on aurait la moindre chance d'obtenir un nouveau traité plus favorable sur le plan fiscal. Au contraire, avec une Europe plus efficace et plus unie, nous pourrons plus facilement discuter d'égal à égal avec la Chine, l'Inde, le Brésil ou le Maghreb des véritables enjeux économiques, je veux parler de l'établissement de conditions loyales de concurrences : lutte contre la contrefaçon et le piratage, respect des droits des travailleurs, de taux de change équilibrés, respect de normes en matière d'environnement, etc.
II. Je voudrais maintenant aborder avec vous ce qu'apporte la Constitution européenne.
La Constitution européenne n'a pas le débat qu'elle mérite puisque l'on ne parle, ni de l'Europe telle qu'elle fonctionne aujourd'hui, notamment sur le plan économique, ni de ce que le traité permettra de faire demain.
L'Europe est un acteur économique majeur, que ce soit au sein du marché intérieur ou dans le monde - nous pourrons y revenir au cours du débat. Toutefois, pour que l'action de l'Europe en faveur de la croissance économique soit encore plus forte, nous avons besoin d'institutions efficaces qui fonctionnent mieux à 25. Nous avons besoin aussi d'une plus grande stabilité et d'une permanence politique à la tête de l'Europe. C'est une condition pour progresser en matière d'harmonisation, moderniser le fonctionnement du marché intérieur, renforcer la gouvernance économique et monétaire, assurer le succès de la stratégie de Lisbonne, et affirmer le mandat politique donné à la Commission dans le cours de négociations avec les partenaires économiques et commerciaux de l'Union.
La Constitution européenne est une bonne réponse à cet impératif de démocratie et d'efficacité.
En quoi ce traité est-il nouveau, pourquoi mérite-t-il le nom de Constitution ? Essentiellement parce qu'il rend possible une Union politique, capable de mieux fonctionner à 25 qu'à 15, et parce qu'il la fonde sur un ensemble de valeurs et de droits fondamentaux. Vous aurez reconnu les deux premières parties du traité. Pour le reste, le traité reprend pour l'essentiel cinquante ans de construction européenne, avec quelques avancées importantes dans certains domaines.
Jusqu'à présent, le débat s'est focalisé, non sur les apports de la Constitution, mais sur ce qu'elle a conservé du passé. On a décidé de débattre de l'avenir de l'Europe en regardant en arrière. Etrange façon de penser l'Europe pour un pays qui en a toujours été l'avant-garde
Or, le 29 mai, les Français vont devoir choisir entre deux propositions. Il n'y aura pas de second tour, pas de seconde chance.
La première proposition, c'est ce que leur offre la Constitution européenne. Un texte long, complexe, imparfait parce que le fruit d'un compromis à 25 Etats membres et, reconnaissons le, pas très agréable à lire.
Mais un texte qui permet à l'Union de progresser dans tous les domaines où elle a pris du retard. Que reproche-t-on habituellement à l'Europe ? De ne pas être assez démocratique, de n'être pas assez à l'écoute des forces sociales, de s'occuper de tout, de ne pas être assez efficace, de ne pas être assez politique. La Constitution règle-t-elle tous ces problèmes ? Certes non : s'il suffisait d'un traité pour rendre l'Europe parfaite, la politique n'existerait pas. Mais y a-t-il un seul de ces domaines où la Constitution marque un recul, un seul domaine où elle n'apporte pas un progrès ? Pas un, et je défie quiconque de prouver le contraire.
La démocratie : c'est l'élection du Président de la Commission européenne par le Parlement européen ; le Président Barroso a pu voir que ça n'était pas de la rhétorique. C'est le renforcement considérable du Parlement européen. C'est le droit pour un million de citoyens européens d'inviter la Commission européenne à proposer une loi.
L'Europe n'est pas assez à l'écoute des forces sociales ? La Confédération européenne des syndicats (CES) et l'UNICE ont approuvé la Constitution. Ils ont en particulier salué l'Article I-48, qui reconnaît le rôle des partenaires sociaux au niveau européen et qui prend en compte respectivement la diversité des relations sociales nationales et l'autonomie du dialogue social.
L'Europe s'occupe de tout ? La Constitution fait des parlements nationaux les gardiens des compétences nationales.
L'Europe n'est pas assez efficace ? Avec la Constitution, l'Europe aura des capacités renforcées pour faciliter le maintien des services publics et de développer des infrastructures indispensables aux agents économiques. Je pense par exemple aux réseaux et services établis à l'initiative des collectivités locales, avec le cas échéant le soutien financier de l'Etat et des fonds structurels européens qui permettent de maintenir et de renouveler la vitalité économique de nos territoires en réduisant la fracture numérique. La Constitution facilitera aussi la dynamique de convergence fiscale et sociale en faveur de règles du jeu équitables au sein de l'Union élargie. La France disposera d'un poids renforcé au Conseil : elle sera plus influente. Même si l'unanimité est encore requise pour l'harmonisation des taux d'I.S, le Traité ouvre la voie à des coopérations renforcées entre Etats-Membres dans ces domaines.
Comment par ailleurs ne pas saluer l'adoption du Traité constitutionnel qui affirme le pouvoir politique de l'Europe et la gouvernance de l'Eurogroupe ? Couplée à la récente réforme du Pacte de Stabilité et de Croissance cette avancée constitue un rééquilibrage de la conduite de la politique économique et monétaire alors même que, nous le savons trop, l'économie de la zone Euro est très dépendante de la demande intérieure, l'effet d'entraînement des exportations sur la croissance générale restant modeste.
On reproche enfin à l'Europe de n'être pas assez politique ? C'est peut-être là qu'est le coeur de cette Constitution européenne, sa principale innovation. D'abord par l'existence même d'une Constitution européenne, fondée sur une Charte des droits fondamentaux : c'est une idée qui n'allait pas de soi ; la France l'a voulue, elle a dû convaincre plusieurs de ses partenaires pour l'obtenir. Ensuite et surtout, par les avancées contenues dans cette Constitution, qui dote l'Union d'un véritable " leadership " avec un vrai président du Conseil européen et un Ministre des Affaires étrangères ; qui renforce l'Union dans des domaines aussi politiques que la défense, la justice et la sécurité. Or, une Europe plus forte dans le monde est une Europe qui défend mieux sa richesse, ses intérêts, ses entreprises et ses marchés.
Voilà pour la première proposition qui sera faite aux Français, le 29 mai prochain. Vous le voyez, ce traité ne comporte que des progrès.
Quelle est l'alternative ? L'alternative c'est " non ". " Non pour l'Europe ", nous dit-on, un " Non européen ". Vous aurez remarqué que Mme Buffet, M. de Villiers, même M. Le Pen disent non par amour de l'Europe : extraordinaire conversion quand on y pense !
En fait, que nous proposent-ils ? Un non à l'Europe. Rien d'étonnant à cela me direz-vous. Le parti communiste français a dit non à tous les traités européens, à commencer par le traité de Rome. Quant aux souverainistes de droite et d'extrême droite, le rejet de l'Europe leur tient lieu de programme. Le parti communiste, je reprends ses propres termes, rêve d'une Europe de la lutte sociale. Une Union sans institution pour l'incarner puisqu'ils ne veulent pas d'une Commission européenne indépendante. Une Union sans marché intérieur puisque la libre circulation des hommes, des marchandises, des services et des capitaux est, selon eux, l'ennemi du progrès social. Bref, tout comme les souverainistes, ils ne veulent pas d'Europe.
Non à cinquante ans de construction européenne, donc. Non à ce qui a fait de notre pays la quatrième puissance exportatrice mondiale et la première agriculture européenne. Non à ce qui a donné à nos entreprises un marché assez vaste pour en faire des leaders mondiaux. Non à ce qui nous permettra, demain, de peser face à l'unilatéralisme américain et à la puissance économique de la Chine. L'affaire est assez sérieuse pour qu'on y réfléchisse à deux fois.
La vérité c'est qu'il n'y a qu'un seul " oui ", le " oui " à l'Europe ; et qu'il n'y a qu'un seul " non ", celui des anti-Européens de toujours. Ceux qui croient qu'un non le 29 mai pourrait donner un coup de fouet à la croissance économique se trompent aussi. L'échec de la Constitution serait synonyme du maintien du traité de Nice : ce serait moins de coordination et d'harmonisation, plus de concurrence fiscale, accélérant les mécanismes de délocalisations. Seule une Europe organisée peut faire face aux excès de la mondialisation. Seule une Europe unie et forte peut se préparer dès maintenant à la concurrence économique avec la Chine, l'Inde, le Brésil et en tirer parti.
La Constitution européenne contribue positivement à tout cela. C'est la première chose que les Français doivent savoir.
La seconde, c'est que si le 29 mai la France décidait de rejeter la Constitution européenne, son propre projet, il n'y aurait certes pas de révolution en Europe, ni d'effondrement de la construction européenne mais notre pays perdrait durablement sa capacité d'initiative et d'influence en Europe.
L'existence d'une Constitution pour l'Europe est déjà une victoire pour la France. Si nous voulons aller plus loin, si nous voulons transformer l'essai, nous n'y parviendrons qu'en restant dans le jeu, en votant Oui. Pas en nous en excluant.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.cgpme.fr, le 27 avril 2005)