Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, président du Mouvement républicain et citoyen, sur "RTL" le 29 mars 2005, sur son rejet de la Constitution européenne et sur la reconstruction de la gauche en cas de victoire du"non".

Prononcé le

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Jean-Michel APHATIE : Bonjour Jean-Pierre Chevènement. Vous entrez à votre tour dans la campagne du référendum sur le traité constitutionnel. Vous publiez un livre chez Fayard, intitulé Pour l'Europe, votez non. Un non qui serait aujourd'hui majoritaire selon les sondages. La dernière étude Ipsos publiée ce matin dans Le Figaro le pèse à 54 % contre 46 % pour le oui. Que pensez-vous de ces sondages Jean-Pierre Chevènement ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Écoutez, le non s'installe dans l'opinion. Il est majoritaire à gauche, et même dans l'électorat socialiste. Cela dit il faut se garder de tout triomphalisme...
Q - C'est loin le 29 mai.
R - D'abord, nous sommes payés par l'expérience pour savoir que les sondages, deux mois avant l'échéance ne sont pas significatifs. La disproportion des moyens en faveur du oui est écrasante.
Q - Vous croyez ?
R - C'est certain. Je prends l'exemple du MRC qui est éliminé de la campagne officielle. Je pense avoir fait un million et demi de voix, un peu plus même, comme d'ailleurs Mme Laguiller ou M. Besancenot. On va les voir disparaître au profit de personnes comme M. de Villiers ou M. Pasqua qui n'ont pas été présents dans ces échéances politiques majeures.
Q - On aime toujours jouer les victimes dans le camp du non. On est toujours victime de quelque chose.
R - Écoutez permettez-moi de vous dire que, le fait de ne donner la parole qu'au parti communiste pour défendre le non de gauche est tout à fait significatif de la manoeuvre qui se précise à l'horizon. Oui, il y a une disproportion écrasante des moyens ! Je ne veux pas citer l'émission de Mme Ockrent, où il n'y avait que des partisans du oui ! Mais je pourrais multiplier les exemples. Il y a une véritable confiscation des financements publics et des temps d'antenne, et même un clair détournement de fonds publics à travers la diffusion de brochures, l'organisation de conférences qui sont payées par le contribuable.
Q - Enfin tout ça est basé sur les résultats du suffrage universel. On ne va peut-être pas s'étendre là-dessus ce matin. S'il y avait un argument Jean-Pierre Chevènement que vous devriez donner ce matin, celui qui vous semble fondamental, le plus important pour voter non, lequel serait-il ?
R - Je crois que les Français veulent qu'on réoriente la construction européenne. Ils veulent qu'on mette l'emploi au premier rang. Ils ne veulent pas que meure la démocratie qui vit dans la nation. Et puis ils sont soucieux de la dépendance française et européenne. Ils se rendent compte que la Constitution est une véritable souricière. Qu'on ne pourra pas la réviser. Qu'elle est un carcan libéral. Qu'elle donne tous les pouvoirs en dernier ressort à des autorités non élues, la Commission ou la Cour de Justice européennes. Et enfin, c'est la première fois qu'on fait figurer dans un traité l'obligation d'élaborer et de mettre en oeuvre la politique de défense commune dans le cadre de l'Otan. Aucun des traités précédents ne le faisait... et contrairement à ce que j'entends dire, Mme Voynet reprenant M. Giscard d'Estaing, si nous revenions au traité de Nice ce ne serait pas une catastrophe ! Il est quand même extraordinaire d'entendre ceux qui ont négocié le traité de Nice, de M. Giscard d'Estaing à M. Moscovici, nous expliquer qu'il est mauvais.
Q - Vous disiez qu'il était bon à l'époque ?
R - Non, je n'ai jamais dit qu'il était bon.
Q - Il est mauvais ou il est bon ?
R - Il comporte des avantages très remarquables par rapport à la Constitution. D'abord, ce n'est pas une Constitution. Il ne définit pas la suprématie de la Constitution et du droit européen sur le droit national, comme le fait le projet de Constitution, article 1-6. Et ça, c'est très important !
Q - Le traité de Nice, c'est ce que vous voulez dire ?
R - Oui, le traité de Nice ne décrit pas cela.
Q - Le traité de Nice ne définit pas l'union européenne comme supérieure.
R - Alors il y a une jurisprudence, la cour de justice, mais c'est d'un autre ordre.
Q - Donc pour vous, si l'Europe en revenait au traité de Nice ce serait une bonne chose finalement.
R - Oui, parce que le traité de Nice ne marginalise pas la France à la commission. Vous savez qu'on peut ne plus avoir de commissaire à partir de 2014. Le traité de Nice maintient la parité entre la France et l'Allemagne qu'avaient toujours voulue les pères fondateurs, et qui est une garantie de la stabilité sur la longue durée du partenariat franco-allemand, que je crois tout à fait essentiel. Et puis encore le traité de Nice il maintient l'exception culturelle alors que la Constitution la supprime.
Q - Mais il ne faut rien changer alors. Si le non gagne, on en reste là.
R - Eh bien je dis que, si on doit changer dans le mauvais sens, il vaut mieux ne rien changer. Par exemple le traité de Nice maintient la clause de sauvegarde de Shengen, grâce à laquelle je pouvais arrêter les casseurs au moment de la coupe du monde de football, quand ils voulaient venir d'Allemagne ou d'Angleterre.

Q - Le traité de Nice est postérieur à la coupe du monde de football hein. Si vous avez arrêté les casseurs, c'est sur d'autres bases.
R - Oui mais cette clause de sauvegarde existait encore dans le traité de Nice. Donc je dis, ce n'est pas une catastrophe. Et le rejet de la Constitution Européenne, ce ne serait pas du tout la fin du monde. Il faudrait qu'à ce moment-là le président de la République provoque deux conférences : l'une pour remettre sur pied la zone euro, lui donner un véritable gouvernement économique. Réformer les statuts de la Banque Centrale. Faire une révision non cosmétique du pacte de stabilité. Définir autant que possible une convergence sociale et fiscale à l'échelle des Douze, parce que c'est le vrai moteur du l'Europe. Et puis une conférence à vingt-cinq pour qu'on définisse un code de bonne conduite avec les nouveaux entrants, en matière fiscale, sociale, avec en contrepartie les aides régionales substantielles. Voilà ce qui serait raisonnable.
Q - Si le non gagne, Jacques Chirac peut bien demander à ses partenaires deux conférences, ils risquent de lui dire : "écoute, on va laisser passer un peu de temps, on va voir ce qui va se passer en France". Parce que tout de même la France aura perdu de son autorité.
R - Mais ne sous-estimez pas la puissance de la volonté populaire. Ne sous-estimez pas la France, et le fait que la France joue un rôle majeur en Europe. Le chancelier Schröder l'a d'ailleurs dit récemment : "l'Europe ne peut pas se passer de la France". Eh bien une France qui, de temps en temps, sait dire non, c'est bon pour l'Europe. Ça permettra une réorientation de la politique européenne, et de la politique française.
Q - On sait que les vingt-quatre autres pays, aussitôt déféreront aux voeux de la France et du président qui les exprimera.
R - Non mais je pense que la France va lancer le débat. Le débat n'a eu lieu dans aucun autre pays. Par exemple, en Espagne on n'a absolument pas débattu. Il y a eu 60 % d'abstention ! Monsieur Zapatero s'est contenté de dire que, sur dix kilomètres d'autoroutes espagnoles, six étaient financés par l'Europe. Voilà un argument "choc".
Q - Oui, mais enfin ça existe aussi.
R - Donc je pense qu'il est temps que les peuples européens se saisissent des enjeux, voient ce que va devenir leur démocratie nationale. Ils y sont aussi attachés que nous et puis conçoivent une Europe de progrès. Aujourd'hui, la zone euro c'est la lanterne rouge de la croissance mondiale. C'est un chômage installé à 10 % de la population active.
Q - Si le non gagne, la gauche est à reconstruire ? Vous voulez en être Jean-Pierre Chevènement ?
R - Bien entendu. Tout redeviendrait possible à ce moment-là, à condition que naturellement le parti socialiste réoriente son projet politique.
Q - Avec Laurent Fabius ?
R - Eh bien Laurent Fabius peut y prétendre puisqu'il a eu le courage de franchir le rubicond du non, d'autres aussi : Arnaud Montebourg, Vincent Peillon, Henri Emmanuelli.
Q - Vous aimeriez revenir dans un parti socialiste qui serait orienté comme ça ?
R - Ah moi je n'ai pas parlé comme cela. Je dis qu'à ce moment-là on pourrait discuter du contenu de la réorientation européenne.
Q - Et vous seriez disponible ?
R - Tout à fait en ce qui me concerne, je pense qu'il y aurait la possibilité d'un dialogue. Je ne dis pas qu'il serait facile, parce que beaucoup de socialistes croient à l'existence d'une nation européenne. Moi je crois qu'il faut solidariser les nations, pour aller vers ce que Renan appelait déjà "la confédération européenne". Donc il y a une petite différence de philosophie. Mais pour le moment je crois qu'il faut assurer la victoire du non. C'est cela qui compte et qui est possible.
Q - Vous avez 66 ans Jean-Pierre Chevènement, c'est pas l'heure de la retraite, c'est une nouvelle vie qui commence c'est ça ? Vous êtes toujours disponible ?
R - Vous savez, beaucoup d'hommes politiques ont commencé à 67 ans, et joué un rôle important.
Q - Quelques-uns, beaucoup, je ne sais pas mais quelques-uns. D'accord, allez Jean-Pierre Chevènement, une deuxième vie, était l'invité d'RTL ce matin. Bonne journée.

(Source http://mrc-france.org, le 29 mars 2005)