Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, sur "LCI" le 2 mars 2004, sur les raisons du dépôt d'une motion de censure par le PS dont celle notamment de provoquer un débat de fond sur la politique gouvernementale.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- A. Hausser-. Vous aurez trois heures cet après-midi pour réveiller l'électorat de gauche. Vous avez déposé une motion de censure contre le Gouvernement. Elle n'a aucune chance d'être élue, mais vous voulez vous faire entendre...
R- "Nous faisons notre travail à l'Assemblée nationale, nous faisons notre travail aussi dans le pays. Ce n'est pas facile parce que, à l'occasion de ces élections, le Gouvernement fait tout pour dépolitiser cette élection. Ce n'est pas une élection politique, comme si, lorsqu'on convoque tous les électeurs inscrits sur les listes électorales, c'était pour une formalité administrative. Non, c'est bien une élection politique. Il s'agit d'élire des équipes départementales et régionales, pour une politqiue qui peut être différente, suivant qu'on est à droite ou à gauche dans les régions. Et puis c'est aussi l'occasion de dire ce qu'on pense de la politique du Gouvernement."
Q- Et ça, il faut le faire à l'Assemblée finalement...
R- "Nous avons déposé cette motion de censure parce que le Premier ministre refuse systématiquement de nous répondre sur le fond. Il refuse le débat politique et je crois que si on veut faire avancer la démocratie, si on veut la faire vivre, il faut qu'il y ait de la confrontation : confrontation des analyses et confrontation des solutions. Et c'est, cet après-midi, ce que nous ferons."
Q- C'est pour cela que vous utilisez des termes très vifs dans votre motion de cesnsure. Vous parlez d'abandon social, d'une politique sociale à l'abandon. Ce sont quand même des termes très forts...
R- "Oui mais il faut faire réagir. Je crois que c'est important d'abord d'être très net dans notre analyse de la situation. Et c'est vrai que cette sotuation est difficile. On voit bien des mouvements ici et là. Il y a un malaise dans notre pays qui est à la fois social, mais je dirais, qui est aussi moral et civil. Quand vois le président de la République qui nous fait des déclarations sur tous les sujets : par exemple, on voit J. Chirac et l'Abbé Pierre, et puis en même temps, le Gouvernement diminue les crédits du logement. C'est très difficile de mener en ce pays une politique du logement. Quand J. Chirac parle du plan cancer, c'est très bien, mais en même temps, il diminue les crédits de la recherche. Quand J. Chirac parle à nouveau de la fracture sociale, en même temps sa majorité modifie les règles d'indemnisation du chômage. Et on voit des tas de gens qui, jusqu'à présent, n'avaient jamais imaginé être dans cette situation, passer au RMI. Donc cela crée un malaise, cela crée un certain désespoir, et puis en même temps, [il y a] cette politique."
Q- Cela échappe au Gouvernement, puisque ce sont les partenaires sociaux...
R- "Non, je ne parle pas de la réforme de l'ASSEDIC, je parle aussi des autres réformes. Par exemple, l'Allocation solidarité spécifique pour les chômeurs de longue durée, c'est le Gouvernement et la majorité. Et les personnes qui en bénéficiaient sont passées au RMI brutalement. Et c'est un réveil très douloureux après le 1er janvier 2004. En même temps, je voudrais ajouter quelque chose. Au Gouvernement, on nous dit : cette politique, elle est faite pour relancer la croissance, pour avoir plus de souplesse, plus d'efficacité. Et où sont les résultats ? Où est la croissance ? Où sont les chiffres de l'emploi ? En 2003, on a détruit plus d'emplois qu'on en a créé, et ça ne s'était pas vu depuis dix ans."
Q- C'est le problème de la croissance sans emplois qui n'est pas propre à la France...
R- "Je crois que quand on a une croissance faible - et c'est vrai qu'à l'échelle internationale, il y a une croissance faible -, il faut des politiques publiques dynamiques. Et le Gouvernement a cassé toutes les politiques publiques du gouvernement Jospin en matière d'emploi ; je pense par exemple aux emplois jeunes, c'est un exemple très concret. Et puis en même temps, il s'enlève les capacités budgétaires d'agir. Son choix de diminuer les impôts sur le revenu des catégories les plus élevées, est-ce que cela a eu un impact économique ? Est-ce que cela a apporté de la croissance ? Rien du tout. Zéro. Alors c'est une politique qui ne marche pas. Dans ces périodes atones, il faut que l'Etat joue son rôle d'incitateur. Par exemple, investir dans la recherche, c'est investir dans l'économie pour aujourd'hui et pour demain. Et puis c'est surtout donner le moral aux gens qui créent. Et dans notre pays, il y a beaucoup de gens qui créent ; il n'y a pas que les chercheurs, il y a aussi les artisans, les travailleurs. Et aujourd'hui, on démoralise la France."
Q- Vous parlez de la recherche, mais vous savez bien que les crédits de la recherche vont essentiellement aux frais de fonctionnement et pas à la recherche. Il y a un problème de structure de la recherche en France...
R- "On nous dit toujours qu'il faut réformer ; c'est ce que dit le Gouvernement. Moi, je ne suis pas contre toute réforme, bien au contraire. d'ailleurs, je crois que les socialistes ont montré qu'ils étaient capables de le faire, là où ils gèrent des collectivités locales. Moi qui suis maire de Nantes, je ne suis pas pour l'immobilisme, je suis pour le mouvement. Mais vous ne pouvez pas prendre le mot "réforme" pour faire des économies. Il faut pouvoir mettre la France en orbite, et c'est ça qu'il faut faire. Et pour cela, il faut s'en donner les moyens. Quand vous diminuez vos capacités budgétaires... Aujourd'hui, la France est quand même en déficit à cause de la croissance qui est faible... "
Q- Vous voulez augmenter le déficit ?
R- "Pourquoi est-ce qu'on a diminué les impôts ? Je crois que c'était une absurdité politique, mais c'est aussi une absurdité économique. Je ne comprends pas les choix quis sont faits. Ils sont faits pour des raisons idéologiques, pour des raisons dogmatiques et ils n'apportent pas de résultats aux Français. Bien au contraire, ils mettent la France en situation difficile."
Q- Est-ce que vous, socialistes, vous vous sentez en adéquation avec le mouvement social ? Je pense à la manifestation qui eu lieu hier à Paris contre le "K.O. social" ; ce sont des mouvements spontanés qui ne sont pas des mouvements menés par les politiques. Est-ce que vous ne courez pas un peu après ?
R- "Le mouvement social n'a pas à être mené par les politiques. Je crois qu'il faut aussi lui laisser son autonomie. Je pense que ce qui est important, c'est que les politiques, et c'est le rôle de la gauche et du Parti socialiste, [apportent] des réponses, [donnent] des perspectives ; ce n'est pas de dire que tout ce qui est dit dans des manifestations doit être systématiquement repris par les politiques. Chacun son rôle. Je crois que ce qui est important, c'est de créer les conditions d'une confiance qui aujourd'hui n'existe plus dans notre pays. Et cette confiance passe par un projet, un projet alternatif, un projet qui dynamise la société tout entière, qui crée de la richesse, mais qui aussi crée les conditions de son partage, de sa redistribution. Et c'est ça le travail que nous devons faire, dans une économie moderne, c'est-à-dire une économie qui est ouverte, et puis en construisant l'Europe. On voit l'Europe spatiale ; l'Europe spatiale, c'est une chose. Maius l'Europe de l'emploi, l'Europe de la recherche, l'Europe politique, c'est devant nous."
Q- Mais pour l'instant, on est dans les régions...
R- "Oui, mais vous ne croyez pas que tout se tient, que les choses ont rapport entre elles ? Et justement, le rôle du politique, c'est de mettre du lien du sens dans tout ça. Parce que aujourd'hui, les citoyens ont le sentiment qu'ils ne savent plus où on va. Alors c'est là qu'il faut qu'on parle de politique."
Q- Et vous dites aux citoyens : attention, c'est le dernier arrêt avant 2007...
R- "C'est exact."
Q- Mais est-ce que en même temps, les citoyens n'ont pas envie de laisser leur chance à ce Gouvernement, en disant : finalement, il fait des choses, on attend de voir les résultats, et puis on sanctionnera le moment venu quand il s'agira de sanctionner par les élections législatives ou présidentielle ?
R- "Peut-être, mais il faut adresser un message clair : les élections présidentielle et législatives ont lieu pas avant 2007, on le sait. Mais si entre 2004 et 2007, il n'y a pas eu d'avertissement, je crois que ce Gouvernement va se premettre n'importe quoi. Vous savez qu'il y a quand même trois projets qui ne sont pas bouclés : il y a la décentralisation ; on ne sait pas comment elle va être financée, on craint que ce soient surtout les contribuables locaux qui paient, puisque l'Etat ne veut plus payer. La Sécurité sociale, on nous dit que ce sera en avril et sans doute par ordonnance, c'est-à-dire que le Parlement ne pourra même pas dire son mot."
Q- Cela a toujours été comme ça...
R- "Cela a toujours été comme ça sous la droite, en 1967, et vous savez ce que cela a donné, et avec Juppé, vous savez ce que ça a donné. Si le Gouvernement veut recommencer, il faut peut-être lui adresser un avertissement. Et puis troisième exemple : la réforme sur l'emploi. On renvoie la réforme de l'emploi après les élections."
Q- La loi de mobilisation...
R- "Oui, mais on parle aussi de la réforme du code du Travail. Les Français vont avoir à voter pour les régionales et les cantonales, mais ils ne savent pas ce qui va se passer au niveau national. Et pourtant, cela aura des conséquences locales dans leur vie quotidienne. Donc je crois qu'il faut créer un lien entre toutes ces élections, toutes ces périodes politiques, et c'est à nous de le faire."
Q- Le débat sur la décentralisation n'est pas terminé, puisqu'il est en cours actuellement. Le vote n'aura lieu qu'après les régionales. Ce n'est quand même pas mieux comme ça ?
R- "Je voudrais vous préciser : moi, je suis un décentralisateur, mais pas pour transférer des charges que l'Etat ne veut plus payer aux collectivités locales, qui vont se trouver en situation financière difficile. Et ce sont les contribuables locaux qui paieront, et ce n'est pas acceptable. Et puis surtout, la réforme du Gouvernement avait prévu qu'on fasse d'abord la réforme constitutionnelle - c'est fait - ; qu'on vote ensuite une loi organique pour définir les conditions financières du transfert, et seulement après, les transferts de responsabilité aux collectivités locales. Et le Gouvernement fait examiner en ce moment par le Parlement le troisième étage de la fusée. On ne connaît pas les conditions financières et on ne sait pas quelles vont être les conséquences. Nous avons alerté là-dessus ; c'est aussi une des raisons pour laquelle nous déposons notre motion de censure. Les Français, si on veut la confiance, ont le droit à la transparence."

(source http://www.parti-socialiste.fr, le 5 mars 2004)