Texte intégral
Q- J'imagine que vous avez peut-être écouté ou, en tout cas, lu les propos tenus par L. Jospin hier. Vous sentez vous agité dans le "shaker du Non", pour reprendre son expression, avec L. Fabius, O. Besancenot, A. Laguiller, de Villiers, Le Pen... Une coalition hétéroclite ou presque.
R- Pas du tout. Je pense que le "Non" républicain a sa cohérence. Nous articulons l'abandon de la souveraineté monétaire, par exemple, et les délocalisations industrielles. Il est évident qu'il y a un rapport entre une dévaluation du dollar de 60 %, qu'on a laissé faire, puisque la Banque centrale est totalement indépendante, n'obéit à aucune impulsion politique, et ce qui se passe dans la vie de tous les jours.
Q- Cela veut dire qu'aujourd'hui, par exemple, à l'égard de L. Fabius, qui dénonce le libéralisme trop fort de cette Constitution, vous vous sentez proche - ce qui n'était pas forcément le cas hier - il faut quand même le rappeler.
R- Disons que le L. Fabius remet en cause l'indépendance de la Banque centrale, le pacte de stabilité budgétaire, accepte l'idée d'une Europe à géométrie variable, par cercles concentriques. Le "Oui" de L. Jospin ne se différencie en rien du "Oui" de la droite. Ses arguments sont exactement les mêmes.
Q- Vous voulez dire que lui est dans le "shaker du oui" et qu'il n'y a pas plus de cohérence ?
R- Disons qu'il n'y a pas plus de cohérence, parce que L. Jospin l'a dit : ils sont parfaitement compatibles. Mais ils nous proposent la même politique. Il est quand même curieux de voir qu'il ne semble pas voir qu'il y a un rapport entre les orientations qu'il nous propose de constitutionnaliser et les politiques que l'on fait au quotidien. Mais la politique de monsieur Raffarin, elle traduit le pacte de stabilité budgétaire ; sa politique monétaire, c'est la politique de la Banque centrale, le libre-échangisme de principe qui est dans les textes européens, et que l'on nous propose de cristalliser, de constitutionnaliser, il le rend impuissant et par conséquent, c'est tout cela que L. Jospin nous propose de conserver pour ensuite pouvoir le changer. On maintient le cap et ensuite, on changera ; "attendez, soyez patients, 2007 arrive...".
Q- On a le sentiment, qu'il a dit au fond, "dites oui aujourd'hui à la Constitution, pour pouvoir dire oui demain à autre chose que je serai peut-être en mesure de mettre en uvre". Qu'est-ce qui se passera en 2007, pour dire les choses différemment ? Quel scénario pour 2007 ?
R- Alors, voilà, en 2007, nous serons "constitutionnalisés", c'est-à-dire que ces contraintes s'appliqueront au Gouvernement qui sera mis en place, quel qu'il soit, et nous aurons raté l'occasion d'ouvrir la voie à une renégociation de certaines dispositions des traités européens, comme les statuts de la Banque centrale, le pacte de stabilité budgétaire, un Gouvernement économique digne de ce nom, avec des compétences monétaires budgétaires, fiscales, sociales qui feraient que la machine pourrait repartir.
Q- La gauche était au pouvoir quand on a négocié le pacte de stabilité monétaire à Amsterdam, dans le but de mettre en place l'euro. Elle venait d'arriver au pouvoir.
R- C'est exact. J'ai été le seul à protester...
Q- L. Jospin était à peine arrivé à Matignon, il s'est retrouvé à Amsterdam à négocier ce pacte, avec L. Fabius...
R- J'ai été le seul à protester en Conseil des ministres, en demandant que mes observations soient consignées dans le compte rendu des débats du Conseil des ministres. Effectivement, cela a été un des premiers actes du Gouvernement de la gauche plurielle, où L. Fabius n'était pas encore, je vous le signale.
Q- Oui, c'est vrai. Autant pour moi. Que n'aimez-vous pas dans cette Europe d'aujourd'hui ? Parce que fond, l'Europe d'après la Constitution ne va pas être très différente de l'Europe d'aujourd'hui. Quand on voit les difficultés avec Chine, elles existent. Quand on voit les différences entre pays européens, elles sont déjà là...
R- On ne peut pas être satisfait d'une Europe où il y a plus de 10 % de chômeurs. On ne peut pas être satisfait de la stagnation économique. Nous sommes la lanterne rouge de la croissance mondiale. Nous sommes totalement impuissants à enrayer l'invasion des pantalons chinois. Le bon sens voudrait que la Commission mette des taxes provisoires pour renégocier, parce que je suis partisan d'un partenariat...
Q- ...Mais la Constitution ne va pas changer cela !
R- On ne peut pas demander à l'incendiaire de jouer les pompiers. Et dans le système actuel, nous avons affaire à des gens dont la philosophie est ultralibérale. Il faudrait qu'ils en changent. Le peuple français a l'occasion de faire passer un message très fort, il ne sera pas seul, parce que partout ailleurs, il y a les mêmes problèmes. Donc, nous pourrons proposer le véritable plan B, qui est un plan de relance économique à l'échelle de l'Europe, et pour lequel nous trouverons des alliés.
Q- Ici même, hier, nous avions D. Cohn-Bendit qui disait "mais avec qui les partisans du "Non" vont-ils négocier le plan B", puisque nos partenaires sont encore plus libéraux que nous, qu'en Allemagne, on va peut-être se retrouver avec un Gouvernement de droite, en Italie, peut-être avec un gouvernement encore plus libéral. Donc, c'est une fiction que de penser qu'on va avoir un texte plus à gauche négocié avec des gouvernements de droite.
R- C'est une vision très idéologique. En réalité, tous les Gouvernements, quelle que soit leur orientation, ont besoin d'une relance, ne serait-ce parce que le chômage s'étend chez eux - l'Italie est en pleine récession. Par conséquent, c'est avec le chancelier Schröder, je le souhaite...
Q- Il est en difficulté en Allemagne.
R- Il est en difficulté, mais il n'a pas dit son dernier mot ; il est tout à fait capable de redresser la situation. Mais c'est avec le chancelier Schröder, avec monsieur Berlusconi, avec le gouvernement hollandais, avec tous les Gouvernements, affrontés aux mêmes problèmes, que nous pourrons proposer un assouplissement réel du pacte de stabilité, un abaissement des taux, une autre politique de change. Voyez l'euro...
Q- L'OCDE a demandé à la BCE de baisser ses taux.
R- Exactement. Et moi aussi, je lui demande depuis déjà quelque temps. Donc c'est assez rare que je demande la même chose que l'OCDE. Donc, vous voyez, il y a un bon sens général qui fait qu'indépendamment même des opinions politiques, on va, à partir du non au référendum, ouvrit une voie nouvelle.
Q- Cela veut dire que vous souhaiteriez qu'il y ait une sorte de plan de relance de la croissance européenne, qui soit présenté par la Commission, qui passe par des grands travaux, qui passe par quoi ?
R- La Commission n'en est guère capable, mais il faut que les gouvernements le suggèrent fortement.
Q- Mais par quoi passerait ce plan de relance ?
R- Une modification des statuts de la BCE qui doit veiller à la croissance et à l'emploi. On pourrait imaginer, par exemple, la déduction des dépenses de recherche du montant des déficits autorisés - ce serait le moyen d'atteindre les fameux objectifs de Lisbonne - affirmer une politique industrielle, donner des compétences à l'Euro groupe pour qu'il soit le moteur de cette...
Q- ...Le pilote politique de l'euro.
R- Voilà. C'est ce qui nous manque, c'est le bon sens.
Q- L'Europe redistribue à travers les subventions agricoles, à travers le fonds régional, à travers les différents fonds de cohésion sociale ; est-ce que l'Europe, aujourd'hui, n'est pas déjà dans la redistribution ?
R- Non, c'est quand même un budget limité qui correspond à à peine plus de 1 % du PIB. Ce n'est pas cela qui peut être l'outil de la croissance. Ce qui peut être l'outil de la croissance, c'est la capacité de lancer de grands travaux financés par l'emprunt, mais actuellement, l'Europe ne peut pas s'endetter. Et c'est une volonté générale de sortir de cette stagnation dans laquelle nous sommes et dont le monde entier à besoin. Je pense que nous aurions aussi des alliés à l'extérieur. Il faut faire preuve d'un peu d'imagination, ne pas s'enfermer dans le cercle vicieux de la déflation, de la stagnation, en disant : "attendons 2007".
Q- Après le non, on a bien compris que vous considérez qu'il n'y aura pas de révolution en Europe ; on reste dans le traité et Nice et on continue. Que se passera-t-il en France après le non ? Tout le monde se dispute ?
R- Pas du tout. Le traité de Nice qui fonctionne continuera de fonctionner, on demandera la renégociation sur les cinq points dont je vous ai parlés : Banque centrale, pacte de stabilité, etc. Vous partirez en vacances, vous réfléchirez, les partisans du oui. Et quand vous reviendrez des vacances, je pense que vos esprits seront un peu plus éveillés. On pourra compter à la fois sur la droite et, je l'espère, sur la gauche, pour faire preuve de cette imagination, qui, jusqu'ici, a tellement manqué.
Q- Et on préparera les élections présidentielles de 2007 ?
R- Je pense qu'avant, on pourra prendre un certain nombre d'initiative, parce qu'il y a des problèmes qui n'attendent pas. On ne peut pas attendre 2007.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 25 mai 2005)
R- Pas du tout. Je pense que le "Non" républicain a sa cohérence. Nous articulons l'abandon de la souveraineté monétaire, par exemple, et les délocalisations industrielles. Il est évident qu'il y a un rapport entre une dévaluation du dollar de 60 %, qu'on a laissé faire, puisque la Banque centrale est totalement indépendante, n'obéit à aucune impulsion politique, et ce qui se passe dans la vie de tous les jours.
Q- Cela veut dire qu'aujourd'hui, par exemple, à l'égard de L. Fabius, qui dénonce le libéralisme trop fort de cette Constitution, vous vous sentez proche - ce qui n'était pas forcément le cas hier - il faut quand même le rappeler.
R- Disons que le L. Fabius remet en cause l'indépendance de la Banque centrale, le pacte de stabilité budgétaire, accepte l'idée d'une Europe à géométrie variable, par cercles concentriques. Le "Oui" de L. Jospin ne se différencie en rien du "Oui" de la droite. Ses arguments sont exactement les mêmes.
Q- Vous voulez dire que lui est dans le "shaker du oui" et qu'il n'y a pas plus de cohérence ?
R- Disons qu'il n'y a pas plus de cohérence, parce que L. Jospin l'a dit : ils sont parfaitement compatibles. Mais ils nous proposent la même politique. Il est quand même curieux de voir qu'il ne semble pas voir qu'il y a un rapport entre les orientations qu'il nous propose de constitutionnaliser et les politiques que l'on fait au quotidien. Mais la politique de monsieur Raffarin, elle traduit le pacte de stabilité budgétaire ; sa politique monétaire, c'est la politique de la Banque centrale, le libre-échangisme de principe qui est dans les textes européens, et que l'on nous propose de cristalliser, de constitutionnaliser, il le rend impuissant et par conséquent, c'est tout cela que L. Jospin nous propose de conserver pour ensuite pouvoir le changer. On maintient le cap et ensuite, on changera ; "attendez, soyez patients, 2007 arrive...".
Q- On a le sentiment, qu'il a dit au fond, "dites oui aujourd'hui à la Constitution, pour pouvoir dire oui demain à autre chose que je serai peut-être en mesure de mettre en uvre". Qu'est-ce qui se passera en 2007, pour dire les choses différemment ? Quel scénario pour 2007 ?
R- Alors, voilà, en 2007, nous serons "constitutionnalisés", c'est-à-dire que ces contraintes s'appliqueront au Gouvernement qui sera mis en place, quel qu'il soit, et nous aurons raté l'occasion d'ouvrir la voie à une renégociation de certaines dispositions des traités européens, comme les statuts de la Banque centrale, le pacte de stabilité budgétaire, un Gouvernement économique digne de ce nom, avec des compétences monétaires budgétaires, fiscales, sociales qui feraient que la machine pourrait repartir.
Q- La gauche était au pouvoir quand on a négocié le pacte de stabilité monétaire à Amsterdam, dans le but de mettre en place l'euro. Elle venait d'arriver au pouvoir.
R- C'est exact. J'ai été le seul à protester...
Q- L. Jospin était à peine arrivé à Matignon, il s'est retrouvé à Amsterdam à négocier ce pacte, avec L. Fabius...
R- J'ai été le seul à protester en Conseil des ministres, en demandant que mes observations soient consignées dans le compte rendu des débats du Conseil des ministres. Effectivement, cela a été un des premiers actes du Gouvernement de la gauche plurielle, où L. Fabius n'était pas encore, je vous le signale.
Q- Oui, c'est vrai. Autant pour moi. Que n'aimez-vous pas dans cette Europe d'aujourd'hui ? Parce que fond, l'Europe d'après la Constitution ne va pas être très différente de l'Europe d'aujourd'hui. Quand on voit les difficultés avec Chine, elles existent. Quand on voit les différences entre pays européens, elles sont déjà là...
R- On ne peut pas être satisfait d'une Europe où il y a plus de 10 % de chômeurs. On ne peut pas être satisfait de la stagnation économique. Nous sommes la lanterne rouge de la croissance mondiale. Nous sommes totalement impuissants à enrayer l'invasion des pantalons chinois. Le bon sens voudrait que la Commission mette des taxes provisoires pour renégocier, parce que je suis partisan d'un partenariat...
Q- ...Mais la Constitution ne va pas changer cela !
R- On ne peut pas demander à l'incendiaire de jouer les pompiers. Et dans le système actuel, nous avons affaire à des gens dont la philosophie est ultralibérale. Il faudrait qu'ils en changent. Le peuple français a l'occasion de faire passer un message très fort, il ne sera pas seul, parce que partout ailleurs, il y a les mêmes problèmes. Donc, nous pourrons proposer le véritable plan B, qui est un plan de relance économique à l'échelle de l'Europe, et pour lequel nous trouverons des alliés.
Q- Ici même, hier, nous avions D. Cohn-Bendit qui disait "mais avec qui les partisans du "Non" vont-ils négocier le plan B", puisque nos partenaires sont encore plus libéraux que nous, qu'en Allemagne, on va peut-être se retrouver avec un Gouvernement de droite, en Italie, peut-être avec un gouvernement encore plus libéral. Donc, c'est une fiction que de penser qu'on va avoir un texte plus à gauche négocié avec des gouvernements de droite.
R- C'est une vision très idéologique. En réalité, tous les Gouvernements, quelle que soit leur orientation, ont besoin d'une relance, ne serait-ce parce que le chômage s'étend chez eux - l'Italie est en pleine récession. Par conséquent, c'est avec le chancelier Schröder, je le souhaite...
Q- Il est en difficulté en Allemagne.
R- Il est en difficulté, mais il n'a pas dit son dernier mot ; il est tout à fait capable de redresser la situation. Mais c'est avec le chancelier Schröder, avec monsieur Berlusconi, avec le gouvernement hollandais, avec tous les Gouvernements, affrontés aux mêmes problèmes, que nous pourrons proposer un assouplissement réel du pacte de stabilité, un abaissement des taux, une autre politique de change. Voyez l'euro...
Q- L'OCDE a demandé à la BCE de baisser ses taux.
R- Exactement. Et moi aussi, je lui demande depuis déjà quelque temps. Donc c'est assez rare que je demande la même chose que l'OCDE. Donc, vous voyez, il y a un bon sens général qui fait qu'indépendamment même des opinions politiques, on va, à partir du non au référendum, ouvrit une voie nouvelle.
Q- Cela veut dire que vous souhaiteriez qu'il y ait une sorte de plan de relance de la croissance européenne, qui soit présenté par la Commission, qui passe par des grands travaux, qui passe par quoi ?
R- La Commission n'en est guère capable, mais il faut que les gouvernements le suggèrent fortement.
Q- Mais par quoi passerait ce plan de relance ?
R- Une modification des statuts de la BCE qui doit veiller à la croissance et à l'emploi. On pourrait imaginer, par exemple, la déduction des dépenses de recherche du montant des déficits autorisés - ce serait le moyen d'atteindre les fameux objectifs de Lisbonne - affirmer une politique industrielle, donner des compétences à l'Euro groupe pour qu'il soit le moteur de cette...
Q- ...Le pilote politique de l'euro.
R- Voilà. C'est ce qui nous manque, c'est le bon sens.
Q- L'Europe redistribue à travers les subventions agricoles, à travers le fonds régional, à travers les différents fonds de cohésion sociale ; est-ce que l'Europe, aujourd'hui, n'est pas déjà dans la redistribution ?
R- Non, c'est quand même un budget limité qui correspond à à peine plus de 1 % du PIB. Ce n'est pas cela qui peut être l'outil de la croissance. Ce qui peut être l'outil de la croissance, c'est la capacité de lancer de grands travaux financés par l'emprunt, mais actuellement, l'Europe ne peut pas s'endetter. Et c'est une volonté générale de sortir de cette stagnation dans laquelle nous sommes et dont le monde entier à besoin. Je pense que nous aurions aussi des alliés à l'extérieur. Il faut faire preuve d'un peu d'imagination, ne pas s'enfermer dans le cercle vicieux de la déflation, de la stagnation, en disant : "attendons 2007".
Q- Après le non, on a bien compris que vous considérez qu'il n'y aura pas de révolution en Europe ; on reste dans le traité et Nice et on continue. Que se passera-t-il en France après le non ? Tout le monde se dispute ?
R- Pas du tout. Le traité de Nice qui fonctionne continuera de fonctionner, on demandera la renégociation sur les cinq points dont je vous ai parlés : Banque centrale, pacte de stabilité, etc. Vous partirez en vacances, vous réfléchirez, les partisans du oui. Et quand vous reviendrez des vacances, je pense que vos esprits seront un peu plus éveillés. On pourra compter à la fois sur la droite et, je l'espère, sur la gauche, pour faire preuve de cette imagination, qui, jusqu'ici, a tellement manqué.
Q- Et on préparera les élections présidentielles de 2007 ?
R- Je pense qu'avant, on pourra prendre un certain nombre d'initiative, parce qu'il y a des problèmes qui n'attendent pas. On ne peut pas attendre 2007.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 25 mai 2005)