Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi tout d'abord de vous remercier et de vous dire également combien je suis heureuse, non seulement de pouvoir m'adresser à vous en français, - la langue avec laquelle je suis le plus familiarisée - mais de pouvoir le faire sans l'intermédiaire habituel d'une interprétation simultanée lors de telles conférences. C'est pour moi en effet une expérience entièrement inédite d'avoir cette occasion de m'adresser "en direct" à un public allemand. Une circonstance qui montre bien le caractère unique de ce haut lieu de rencontre franco-allemande.
Je dois pourtant admettre que j'aurais pu connaître ce lieu formidable plus tôt. Dans une de mes fonctions antérieures, comme juge constitutionnel, j'avais déjà été invitée en 2000 à m'adresser aux meilleurs juristes de la fonction publique du Land de Bavière dans cette même enceinte. Car les liens entre les cours constitutionnelles allemande et française sont étroits et il m'aurait plu d'en parler. A l'époque, toutefois, des contraintes d'emploi du temps m'avaient fort malheureusement retenue à Paris. Je suis d'autant plus heureuse de me rendre aujourd'hui à votre invitation pour évoquer "la coopération franco-allemande au service de la construction européenne" que je peux m'adresser à vous à la fois en tant que ministre déléguée aux Affaires européennes et Secrétaire générale pour la coopération franco-allemande.
Mesdames et Messieurs,
Nous venons de fêter la première journée franco-allemande du 22 janvier, qui a été marquée partout dans nos deux pays, notamment en Bavière. Cette journée franco-allemande, une initiative lancée par de nombreuses manifestations lors du 40ème anniversaire du Traité de l'Elysée, avait comme thème phare l'apprentissage des langues et l'élargissement. Avant de revenir plus en détail sur ces deux volets, je voudrais dresser un premier bilan personnel sur l'évolution de la relation franco-allemande depuis ce 22 janvier 2003, qui a marqué le début d'une nouvelle étape entre nos deux pays.
Comme vous le savez, nos pays sont culturellement marqués par de profondes différences ; nos intérêts mêmes ne sont pas a priori convergents dans tous les domaines. L'histoire de la relation franco-allemande, depuis le Traité de l'Elysée, est d'ailleurs empreinte de cette tension entre la fidélité au couple fondateur et la défense des intérêts propres à chacun. Mais nous continuons d'avancer ensemble, en nous imposant inlassablement une exigeante discipline de concertation systématique. C'est dans cet esprit que la France et l'Allemagne se sont dotés, à l'occasion du 40ème anniversaire du Traité de l'Elysée, de nouveaux outils de coopération mieux adaptées aux défis européens de ce début de siècle. Je voudrais mentionner deux innovations :
Tout d'abord, les Conseils des ministres franco-allemands. Ils remplacent les Sommets bilatéraux classiques. Cette nouvelle formule souligne avant tout le degré de confiance qui règne aujourd'hui entre nos deux pays et constitue un instrument de concertation intra-gouvernemental unique au monde. Ce cadre permet une véritable vue d'ensemble et un travail d'équipe entre nos deux gouvernements. Ces effets de synergie mènent à une réflexion commune autour de thèmes phares, fixés au préalable par les chefs d'Etat et de gouvernement, et surtout à des prises de positions communes. Pour vous donner l'exemple concret du dernier Conseil des ministres franco-allemand qui a eu lieu à Berlin le 18 septembre 2003, le thème central autour duquel les discussions se sont développées était celui de la croissance, ce qui a permis ce jour là d'adopter l'initiative de croissance franco-allemande. Et cette initiative a ensuite enrichi les travaux du Conseil européen de décembre dernier qui en a repris les grandes lignes. Nous ne sommes donc plus dans la juxtaposition classique de dossiers ministériels. Ce qui nous inspire est le souci de savoir quelles actions communes nous pouvons éventuellement développer face aux questions qui se posent de façon urgente dans nos deux pays au sein de l'Europe. Et les sujets ne manquent pas : les réformes sociales, la santé, la sécurité, l'éducation, le défi démographique, le développement économique pour n'en citer que quelques-uns. L'harmonisation et, en quelque sorte, la coordination de nos actions gouvernementales, entendent non seulement apporter une valeur ajoutée au niveau de nos deux Etats, mais aussi signaler au niveau européen notre volonté d'intégration au sein de l'Union européenne. Une intégration qui exige des efforts d'adaptation permanents, que l'on appartienne d'ailleurs à la "vieille" ou à la "nouvelle" Europe.
- Deuxième innovation : la création de Secrétaires généraux pour la coopération franco-allemande de rang ministériel. Le 10 juin 2003, à Berlin, le président de la République a annoncé ma nomination à ce poste ; le chancelier Fédéral a pour sa part désigné mon homologue ministériel, M. Hans Martin Bury. En tant que Secrétaires généraux pour la coopération franco-allemande nous sommes rattachés au chancelier Fédéral (en Allemagne) et au Premier ministre (en France). Chacun d'entre nous est assisté par un adjoint du pays partenaire, ce qui constitue encore une illustration de notre volonté de nous coordonner au quotidien.
Comment agir ?
A mon avis, trois grands axes d'action s'imposent :
- La coordination de l'action gouvernementale, notamment dans le cadre de la préparation des Conseils des ministres franco-allemands.
Les Secrétaires généraux sont chargés de coordonner la préparation des Conseils des ministres franco-allemands, notamment à partir des "feuilles de route" qui sont remises à tous les ministres, en tandem franco-allemand, depuis le premier semestre 2003. Ce rôle de coordination des négociations et d'impulsion est inédit dans le cadre d'une relation bilatérale en Europe.
- La voie ouverte aux grands compromis européens. La coopération franco-allemande a toujours été liée au développement du projet européen. Elle n'a ni l'ambition de former un directoire, ni la volonté de demeurer exclusive. Mais notre vocation historique est de contribuer à construire des consensus pour faire avancer l'Europe.
- La rencontre entre les sociétés civiles, enfin. Notre relation franco-allemande a, dès l'origine, eu le souci de favoriser la rencontre entre les sociétés civiles : à travers l'Office franco-allemand de la jeunesse (OFAJ), l'université franco-allemande, les jumelages de communes, villes ou régions, notamment. Mais il faut redoubler d'efforts au moment où les jeunes générations voient moins d'intérêt aujourd'hui qu'hier à cultiver cette relation privilégiée.
Mais soyons clairs : rien n'est acquis d'avance, la fixation de périmètres sur le papier ne suffit pas. Notre relation doit vivre des contacts permanents entre ses acteurs. L'exemple vient du plus haut niveau, avec en particulier les rencontres informelles dites "de Blaesheim" entre le président de la République et le chancelier Fédéral. Ces contacts réguliers se développent également entre ministres et ministères, entre régions et Länder et de plus en plus au niveau parlementaire. De même, des échanges de fonctionnaires entre administrations deviennent de plus en plus répandus. Tout cela permet de mieux comprendre le fonctionnement et les modes de raisonnement du partenaire à tous les niveaux. Car la logique traditionnelle du moteur franco-allemand au sein de l'Europe ne correspond plus à la situation d'aujourd'hui, celle d'une Europe bientôt à vingt-cinq. Cette Europe qui s'élargit, qui devient aussi plus complexe, exige une plus grande ouverture à l'autre, à ses manières de penser et de travailler, aux thèses qu'il soutient. En bref, elle requiert une capacité d'écoute et de conciliation supérieure. Le franco-allemand fait ici office de laboratoire permanent pour le reste de nos partenaires. Car si la relation franco-allemande est intense, et même quotidienne pour les responsables politiques et leurs administrations, elle n'est pas toujours simple. Chaque pays défend sa vision des problèmes, et contrairement à ce que j'ai pu entendre dire, il n'y a pas de label "garantie de succès" à tout projet marqué de l'estampille de la coopération franco-allemande. Nous mettons régulièrement à l'épreuve notre détermination à nous entendre. Il s'agit d'un excellent apprentissage de l'art du compromis, qui exigera beaucoup de nous dans l'Europe des vingt-cinq.
Au moment où la relation franco-allemande est suspectée de projeter une tentation hégémonique, il faut le redire, cette relation ne peut se comprendre de manière exclusive. Au contraire, sa légitimité est d'être une force d'impulsion et d'entraînement pour faire avancer toute l'Europe, une Europe qui doit être politique et non seulement une zone de libre échange. Or, cet objectif ne peut être atteint que si tous les pays, ou un maximum de partenaires dans l'Union, le veulent. Ni l'euro ni Schengen ne seraient réalités quotidiennes avec seulement deux ou trois pays à sa base. Mais encore a-t-il fallu au départ que certains Etats traduisent leur engagement européen dans l'idée d'une monnaie commune et d'un espace commun de sécurité.
Ne nous y trompons pas, le monde n'attend pas l'Europe ! Faire de l'Europe un modèle permettant de répondre aux défis de la mondialisation, ne nous impose pas pour autant de renoncer à nos traditions et à nos richesses culturelles, intellectuelles, économiques et sociales. Pour ma part, j'analyse cette Europe, dans toute sa diversité culturelle, comme un prototype prometteur. Mais pour rester dans l'image, il nous faut des efforts sérieux pour peaufiner le produit, afin qu'il soit solide aussi en dehors de notre continent. Beaucoup de pays, beaucoup de peuples admirent le long chemin de la réconciliation et de la reconstruction en Europe. Il aura finalement touché son objectif historique avec la réunification du continent lors de l'adhésion des dix nouveaux membres le 1er mai prochain. Soixante ans après l'éradication du fléau Nazi, le privilège de vivre en paix et dans la prospérité dans la famille européenne peut nous paraître banal. Il ne l'est pas. Nous devons le mériter de nouveau chaque jour par nos actions, tout en étant conscients de cette chance qui nous est offerte de maîtriser notre destin comme jamais dans notre histoire.
Je sais que la Bavière est bien consciente des traditions et de la richesse de notre patrimoine culturel et linguistique en Europe. J'admire d'autant plus la persévérance de ce Land, et j'en remercie le ministre-Président Stoiber, dans cette ouverture biculturelle qui incite à la parfaite maîtrise de la langue du voisin. J'émets l'espoir que le séminaire de Nancy-Prémontré, auquel j'ai eu le plaisir de participer aux côtés de Jean-Pierre Raffarin ainsi que du ministre-président Edmund Stoiber et votre ministre aux Affaires européennes Eberhard Sinner en décembre dernier, aura des suites avec le même succès. Soyons clair, Fischbachau a placé la barre très haut. Mais vous possédez tous le français et vous avez donc la première clé d'accès à mon pays. Ce qui importe donc est que cette clé, que constituent nos langues, soit à la disposition d'un nombre aussi grand que possible dans nos deux pays. Car, au-delà du franco-allemand, l'ouverture d'esprit et la préservation de notre diversité sont avant tout question de langue.
Le plurilinguisme en Europe est l'un des plus ambitieux défis que le projet européen se soit donné : celui de construire une entité politique cohérente plaçant la diversité culturelle et linguistique au coeur de son fonctionnement. Avec l'élargissement de l'Europe à vingt-cinq, dans quelques mois, l'Union devra assumer le passage de 11 à 20 langues officielles.
Ce n'est pas seulement un pari. C'est une exigence si nous voulons que nos peuples se rejoignent dans une Europe qui les unit en respectant leurs identités. Une fois encore, la France et l'Allemagne assument leur responsabilité dans la réalisation de ce projet. Le français et l'allemand forment les deux principales aires linguistiques du continent, avec respectivement 96 millions et 64 millions de locuteurs. À ces deux aires linguistiques correspondent en outre les aires économiques et les marchés de l'emploi les plus importants d'Europe.
Avouons cependant que ce plurilinguisme ne va pas de soi. L'anglais est en effet devenu la "lingua franca" dans le domaine des sciences, mais aussi dans celui des affaires. Dans ces conditions, d'aucuns pourraient considérer la préservation de la diversité linguistique comme un vain combat. Certainement pas ! A mes yeux, le plurilinguisme en Europe n'a jamais été plus actuel. C'est pourquoi je voudrais revenir sur quelques principes qui motivent notre exigence de diversité avant d'évoquer son renforcement dans le cadre de la coopération franco-allemande.
Avec l'élargissement, l'Union européenne a opéré un choix clair en faveur de la défense et de la promotion de la diversité culturelle et linguistique. Ce choix est politique. D'un point de vue institutionnel, il a d'ores et déjà produit ses premiers effets. En France, l'Assemblée nationale vient d'approuver à l'unanimité une résolution sur la diversité linguistique dans l'Union européenne, en faveur du maintien du régime d'interprétation intégral au Conseil. Chaque Etat se verra ainsi reconnaître un égal respect de sa langue officielle. Cette diversité linguistique au sein de nos institutions communautaires représente un symbole majeur et ne saurait être confondue avec l'image trop facile d'une tour de Babel bruxelloise. Elle est la première manifestation d'une identité européenne fondée sur la richesse extraordinaire qui fait la fleur de la culture européenne. Cette conception de l'identité culturelle européenne est au demeurant celle même du projet de Constitution issu de la Convention sur l'avenir de l'Europe. Dans ses tous premiers objectifs, ce texte proclame en effet que "l'Union respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen".
Nous aurions tort, cependant, de nous cantonner, dans cette revendication généreuse, à une vision strictement patrimoniale. La diversité linguistique et culturelle représente en effet l'un des principaux enjeux d'une mondialisation maîtrisée. Derrière ces termes, ce sont non seulement la variété et la qualité des produits de l'industrie culturelle face aux risques de son uniformisation qui est visée, mais également la liberté d'expression et le droit au pluralisme de l'information. Telle est le sens de l'action du gouvernement français dans la Francophonie. Telle est la portée de l'engagement du président de la République en faveur du projet de convention internationale sur la diversité culturelle. Lorsque le principe de cette convention a été débattu à l'UNESCO, nous avons pu observer la convergence des vues entre l'Allemagne, la France. Ces valeurs communes, la France et l'Allemagne s'emploient à les promouvoir non seulement au niveau de l'Union européenne, mais aussi dans le monde entier.
A la diversité comme valeur s'ajoute un autre principe : la diversité comme ressource. Au Sommet de Lisbonne, l'Union européenne s'était fixée comme but de devenir "l'économie de la connaissance la plus compétitive du monde". Société de l'Information, société du savoir, économie de la connaissance ne peuvent constituer, pour l'Europe, un projet commun de développement que si nous nous donnons les moyens de l'appuyer sur la mise en valeur de la diversité culturelle et linguistique. C'est le message que la France a tenu à porter au Sommet mondial sur la Société de l'Information à Genève en décembre dernier à travers la participation du Premier ministre.
Cette volonté politique en effet ne prend sens que si elle s'appuie sur une promotion renforcée de nos deux langues. Or, à cet égard, les indicateurs sont alarmants. C'est pourquoi je ne peux que me réjouir d'initiatives comme les "Deutsch-Mobile" et les "France-Mobiles", que j'ai récompensées avec mon homologue Hans Martin Bury du Prix de Gaulle-Adenauer au cours de la journée franco-allemande, le 22 janvier. Au-delà de cette démarche de sensibilisation des jeunes, l'apprentissage de nos deux langues doit faire l'objet d'une politique beaucoup plus volontariste. Le signal a été donné. Ainsi, les conclusions de nos deux gouvernements à l'issue de la conférence régions-Länder d'octobre dernier comportent-elles l'engagement d'augmenter dans les dix ans qui viennent de 50% le nombre des apprenants de la langue de l'autre à tous les âges de la vie. Dans cet esprit, je ne peux que saluer les mesures prises par les Länder de Saxe-Anhalt et de Brandebourg visant à rendre obligatoire l'apprentissage d'une deuxième langue vivante. Cette obligation de l'apprentissage de la deuxième langue vivante n'est pas, hélas, la solution à toutes nos difficultés. Mais c'est un geste majeur. Et il est significatif que cette mesure figure maintenant parmi les priorités de Viviane Reding et de la Commission européenne. La France, quant à elle, a proposé l'introduction de l'enseignement d'une langue étrangère dans les cursus de sciences humaines et sociales, car nous avons parfaitement conscience d'être face à une situation d'urgence.
A l'heure de l'élargissement, le temps n'est toutefois pas à la morosité. D'autant qu'une nouvelle lueur apparaît. L'allemand, et dans une moindre mesure le français, s'avèrent en effet rester attractifs pour les étudiants des pays d'Europe centrale et orientale. Autant dire que l'unification du continent passe, pour moi, par cette rencontre des cultures et des mentalités dont le langage est la meilleure expression.
La très grande majorité des responsables éducatifs français sont conscients de l'importance majeure de l'allemand pour la construction européenne et ils maintiennent dans les collèges une offre significative d'enseignement de l'allemand. Malgré ces efforts, le nombre d'élèves choisissant l'allemand en première, deuxième ou troisième langue continue hélas de diminuer. C'est pourquoi je salue la toute récente initiative du ministre Fédéral des Affaires étrangères, de l'ambassade d'Allemagne en France et des grandes entreprises allemandes de mener dans notre pays une vaste campagne de promotion sur l'Allemagne et l'allemand. L'enjeu est de taille : les parents et les jeunes élèves doivent être convaincus de l'intérêt d'apprendre la langue de notre premier partenaire dans tous les domaines. Il faut aider ainsi les responsables éducatifs et politiques dans les régions et dans les établissements scolaires, à maintenir un enseignement de l'allemand en première et en seconde langue. Et ainsi de pouvoir goûter dans le texte les merveilles de la littérature allemande.
Mesdames et Messieurs,
J'avais particulièrement tenu à vous exposer cet aspect des langues qui est à la base de notre relation. Son importance majeure est soulignée par le fait que le président de la République et le chancelier Fédéral vont faire de ce dossier un thème phare pour le prochain Conseil des ministres franco-allemand. Or, nous sommes bien conscients que l'enseignement en Allemagne relève de la compétence des Länder. Néanmoins, il nous faut l'effort en commun à tous les niveaux pour donner l'impulsion politique et la visibilité nécessaire à ce sujet qui nous est cher.
C'est pourquoi, la conférence de Poitiers a été en 2003 un des moments clés pour moi :
En lançant le processus de rencontre entre les régions et les Länder, Jean-Pierre Raffarin a imprimé à la coopération décentralisée une dynamique formidable. Il a créé une mécanique institutionnelle particulièrement innovante, qui permet à des collectivités de niveaux différents (Etats, Länder et régions) de se retrouver ensemble sur des problématiques concrètes en fonction des compétences qui sont les leurs. La Bavière a été de longue date un des Länder allemands les plus investis dans la coopération avec les régions françaises, puisque vous entretenez des liens avec Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) et Limousin. Ce qui est je crois plus nouveau dans le processus de Poitiers, c'est que l'Etat français d'un côté, l'Etat fédéral de l'autre, soient directement parties prenantes. Concrètement, par l'intermédiaire du processus de Poitiers le ministère français de l'Education nationale et de la Jeunesse se trouve en face de ses homologues des Länder, ce qui ne s'était, je crois, jamais produit de manière aussi directe.
J'ai évoqué à l'instant l'engagement collectif exprimé à Poitiers le 28 octobre en faveur de l'apprentissage de la langue du partenaire. Cet engagement s'inscrit lui-même dans un objectif plus vaste, celui d'accroître la mobilité professionnelle, de créer de vraies carrières franco-allemandes, de développer ce que l'on peut appeler une véritable compétence biculturelle. Le public principalement visé est celui des jeunes scolaires et des jeunes au seuil de la vie active. On estime entre 50.000 et 150.000 le nombre d'emplois non pourvus en France en raison d'une absence de maîtrise de l'allemand. Or, depuis plusieurs années les effectifs d'apprenants de l'allemand ont diminué d'environ 50.000 élèves par an. Vous mesurez donc le chemin que nous devons parcourir ensemble. Car nous comptons dans nos efforts pour relancer l'apprentissage de l'allemand en France, sur la force d'attractivité et sur la qualité de l'image dont jouit la Bavière dans notre pays.
Ceci m'amène à un autre objectif du processus de Poitiers, qui inspire toute une série d'initiatives contenues dans la déclaration commune du 28 octobre : faire mieux connaître la culture de l'autre, faire mieux aimer le pays partenaire. Le franco-allemand, c'est aussi cela. La Bavière est considérée, d'une manière assez naturelle, comme un emblème de l'Allemagne, elle véhicule en France une image très positive de richesses touristiques et culturelles. Là aussi, j'espère que nous pourrons compter sur ces atouts de la Bavière, capital naturel mais aussi savamment cultivé depuis des décennies, pour donner à nos compatriotes français le goût de l'Allemagne.
Je voudrai conclure avec un sujet qui m'est particulièrement cher, puisque j'ai pu le développer au sein du gouvernement français : la notion de la citoyenneté européenne. Car les ambitions politiques ne peuvent être couronnées de succès que si elles touchent le coeur des citoyens. Après la longue période durant laquelle Français et Allemands se sont vu comme ennemis héréditaires, ce ne fut pas seulement l'action visionnaire de Charles de Gaulle et de Konrad Adenauer qui a engendré le changement fondamental des mentalités dans nos deux pays. Les deux savaient dès le début que seul un ancrage très vaste au sein des deux sociétés pouvait permettre la réconciliation franco-allemande. Dans cet esprit ils créaient des instruments comme l'Office franco-allemand de la jeunesse dès 1963, qui a permis à quelques 7 millions de jeunes Français et Allemands de découvrir le pays du partenaire. De plus, il n'y a pas de réseaux plus denses en Europe en termes de jumelages ou coopérations culturelles que ceux noués entre la France et l'Allemagne. Ceci, et bien d'autres instruments, étaient à l'origine de la réconciliation. Le fait que la jeunesse de part et d'autre du Rhin voit cette première période franco-allemande comme étant, en quelque sorte, préhistorique souligne le succès de cette approche au niveau des citoyens : l'entente franco-allemande est la normalité acquise et banale pour nos jeunes d'aujourd'hui.
Sur ces bases, nous entendons lever davantage des obstacles administratifs qui perdurent pour la coopération transfrontalière ou encore pour l'installation de nos concitoyens dans le pays du partenaire. Nous devons nous inscrire dans une vision, qui consiste à ce qu'une personne qui s'installe dans le pays voisin et ami ne s'aperçoive que par la langue différente, voire les traditions et les cultures différentes, qu'il est passé dans un autre pays. Par contre, les longues démarches d'enregistrement, les problèmes pour accéder aux services publics ou d'autres obstacles administratifs devraient bientôt disparaître. "E-government" et harmonisation légale offrent des perspectives nouvelles, mais ne suffisent pas. Le pas doit être accéléré. Mon homologue Hans Martin Bury et moi-même, nous mènerons dans les mois prochains une série de consultations pour identifier les problèmes et proposer une nouvelle initiative franco-allemande à cet égard. Ce n'est pas jouer le rôle d'un directoire que de favoriser une intégration citoyenne franco-allemande car elle va dans le sens d'une plus grande adhésion de nos compatriotes à l'idée de la fraternité européenne. Si ce message ne passe pas, si nous ne pouvons pas relayer cet esprit d'appartenir à une communauté, le tout risque de se défaire. Ou l'Europe sera l'Europe des citoyens ou elle ne sera pas !
Evitons donc de présenter l'Europe comme le projet d'une élite politique et économique. L'Europe appartient à tous. Elle appartient notamment aux responsables régionaux et locaux, ceux qui agissent le plus près du citoyen. Il faut qu'ils s'investissent dans l'Europe pour se l'approprier. Car l'indifférence est à mon avis le danger le plus grand. Les eurosceptiques peuvent être contrés avec les bons arguments dont nous disposons. Mais l'indifférence nous concerne tous. Les prochaines élections européennes seront d'une importance toute particulière, vu les taux de participation souvent décevants. Le 13 juin, nous aurons l'opportunité historique d'élire nos représentants dans une enceinte parlementaire qui parlera pour 450 millions d'habitants, quelques 60 ans après Yalta. C'est notre Europe que nous formons en 2004, elle appartient à nous tous. La Bavière y a joué un rôle à part entière depuis des siècles.
Je compte donc sur l'engagement de vous tous réunis dans cette salle, tout en vous remerciant de l'accueil chaleureux que vous m'avez réservé dans ce lieu splendide. Joseph Rovan avait donc bien raison de dire que la Bavière est une "magnifique région que le grand tourisme n'a pas réussi à dévaster".
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 février 2004)