Texte intégral
Q - Avec une Europe à vingt-cinq, une mondialisation galopante, à quoi sert un ministre des Affaires étrangères ?
R - Il sert à animer un réseau formidable de 23.000 agents, dont beaucoup ne sont d'ailleurs pas des Français mais qui travaillent pour la France, dans des ambassades, des postes, souvent dans des pays où il y a des dangers, où il faut faire preuve de disponibilité et de courage et apporter la parole de la France.
Je ne suis pas tout seul, cette équipe diplomatique, c'est Claudie Haigneré, Xavier Darcos et Renaud Muselier.
Q - Vous voyagez, vous parlez au nom de la France et pour la représenter ?
R - Je porte la parole et les idées du chef de l'Etat, celles de notre pays, qui sont d'ailleurs souvent l'héritage d'une longue tradition.
Q - L'Europe, vous connaissez bien, on le disait tout à l'heure, vous avez préparé, avec d'autres, la Constitution, qui est en débat aujourd'hui, pendant 18 mois. Les "non" forment aujourd'hui une coalition hétéroclite et ils sont offensifs. Les "oui" paraissent déprimés, ils n'arrivent pas à mobiliser, ils n'arrivent pas à intéresser. Le "oui" peut-il encore gagner le 29 mai ?
R - Est-ce que je vous donne l'image de quelqu'un de déprimé ?
Q - Il n'y a pas que vous.
R - Certes, il n'y a pas que moi. Qu'y a-t-il derrière ces sondages, que je prends très au sérieux ? Il y a de l'angoisse, de la mauvaise humeur, des préoccupations, de vrais problèmes pour beaucoup de gens qui expriment ainsi leur envie de voter "non". Et moi, qu'ai-je envie de leur dire à tous ces gens ? D'abord, que je les écoute et que je comprends ; je pense même que beaucoup de ces préoccupations sont justes. Je leur dis que l'on ne peut pas vivre seuls, la solitude est un grand malheur, il y a beaucoup de gens qui, malheureusement, vivent seuls, pourtant on a besoin de voisins, d'une famille, d'un quartier, d'un village. Pour un peuple, c'est exactement la même chose, un peuple ne peut pas vivre seul dans le monde d'aujourd'hui.
Q - C'est en effet un argument. Vous dites qu'il faut sortir l'Europe des idées reçues, n'est-ce pas le "oui" qui est imprégné d'idées reçues aujourd'hui ?
C'est, en effet, le petit livre que vous publiez et qui se trouve ici.
R - Oui, j'ai publié ce livre, avec un club que j'ai créé il y a deux ans, et "Nouvelle République". Nous avons essayé de dire pourquoi certaines idées reçues ne sont pas justes et nous n'avons pas essayé de le faire par des slogans ni par de l'invective, mais par des arguments.
Q - Par exemple, l'idée reçue et, surtout, d'une partie de la gauche, et en même temps des "non", c'est : "avec l'Europe, c'est le "tout libéral", c'est "la France perd ses emplois, son agriculture, son âme, son avenir"." Y a-t-il une part de vérité là dedans ?
R - C'est précisément le contraire. Grâce à l'Europe qui s'est construite depuis 50 ans, les agriculteurs, les paysans - et beaucoup nous écoutent - ont pu faire de l'agriculture française l'une des plus fortes du monde. Nous avons besoin de cette Europe et d'une parole forte de la France dans les années qui viennent. Je pourrais dire la même chose de la politique régionale européenne, que Jacques Delors a proposée, et que j'ai gérée et qui aide tant de territoires français en métropole et outre-mer.
Q - Et faut-il dire pour autant "oui" ?
R - Je voudrais dire un mot de l'Europe sociale, puisque c'est une angoisse et une inquiétude. Je ne suis pas favorable à une Europe qui se résumerait à un supermarché, avec de la concurrence fiscale et sociale partout. Voilà pourquoi j'ai besoin de cette Constitution, voilà pourquoi je dis à ceux qui nous écoutent et qui doutent que nous ayons besoin d'une règle du jeu, d'un règlement de copropriété. Une Constitution, ce n'est pas ce qui fait une Europe sociale ou une Europe de droite, ce sont les électeurs, ce sont les hommes politiques, une Constitution permet que cela fonctionne. Vingt-cinq pays ont besoin d'un règlement de copropriété.
Q - Pendant cinq ans, vous avez été un excellent commissaire européen à Bruxelles, je vous ai souvent interrogé et vous étiez avec Pascal Lamy. Pourtant, tous les deux, si excellents étiez-vous, vous avez laissé passer "l'empoisonneuse" directive Bolkestein. Comment cela se fait-il ?
R - Non, je n'aime pas ce mot "d'empoisonneuse".
Q - Il y en a qui n'aime pas ce mot, qui l'accepte, mais qui n'aime pas la directive.
R - Bien sûr, nous ne l'aimons pas non plus et elle pose plus de problèmes qu'elle n'en résout et c'est pour cela que nous avons demandé qu'elle soit remise à plat. La Commission européenne, dont j'ai fait partie pendant cinq ans avec Pascal Lamy, est un lieu collégial et nous avons dit des choses au sein de ce collège et d'autres ont dit d'autres choses beaucoup plus libérales. Au bout d'un certain temps, il faut arriver à un consensus, sinon on va au vote et dans ce vote-là, entre les plus libéraux qui voulaient aller beaucoup plus loin et nous, nous étions battus. Nous avons donc choisi de faire un compromis.
Maintenant, je le dis à ceux qui écoutent pour que l'on sache comment cela fonctionne et parce que cela fonctionne assez bien : la Commission ne fait que proposer, elle ne décide jamais.
Q - Si les Français adoptent la Constitution le 29 mai, ne va-t-on pas voir arriver, par d'autres moyens, une directive bis Bolkestein, déguisée ou masquée ?
R - Je vous fais observer que cette directive-là, qui a posé tant de problèmes, est arrivée alors que nous n'avions pas encore la Constitution. La Constitution va nous donner des moyens que nous n'avons pas aujourd'hui de contrôle politique. Cette Constitution nous permet d'avoir une Europe plus démocratique.
Q - Il faudra, pendant les semaines qui viennent, que vous l'expliquiez bien aux Français parce que beaucoup sont encore "paumés" !
R - Cette Constitution nous permet, non pas des miracles, mais elle ne comporte que des progrès. Il n'y a aucun recul par rapport aux textes actuels. Nous aurons plus de sûreté avec, par exemple, le statut pénal européen, nous aurons plus de sécurité, nous aurons plus de démocratie, par exemple pour les citoyens, la capacité d'interpeller la Commission. Un million pourront avoir un pouvoir d'interpellation.
Q - Je suis sûr que vous êtes prêt à en débattre pendant toute la campagne. Pour le président de la République, c'est également important car il joue "gros" le 29 mai et il joue aussi sa place dans l'histoire.
R - Mais, il n'y a pas que le président de la République. Il a pris ce risque nécessaire, parce qu'il pensait que le débat européen doit être le débat du peuple, comme François Mitterrand il y a 10 ans, cela remonte maintenant assez loin. Il pensait qu'une question aussi importante que cette Constitution doit être soumise à chacune et chacun des Français.
Et il n'y a pas que lui, dans notre pays. Les partis politiques doivent animer le débat. Il y a trois grands partis politiques, l'UDF avec François Bayrou, le PS avec François Hollande, l'UMP avec Nicolas Sarkozy. Ils ont une responsabilité pour animer le "oui" et le débat politique. Et puis, il y a les ministres qui doivent jouer leur rôle.
Q - Vous voyagez beaucoup et vous voyez la France dans le monde. Pourquoi les Français qui adorent Jules Vernes, Victor Hugo, les innovations dans les sciences, ont aujourd'hui tellement peur de l'Europe ?
R - Les Français ont leur langue en partage avec 150 millions d'autres citoyens dans le monde, 63 pays. C'est vrai que lorsque l'on voit cette réaction, on se dit qu'elle n'est pas juste, qu'elle n'est pas légitime, que nous avons des raisons, non pas d'être arrogants, non pas d'imposer notre point de vue, mais de partager nos idées et d'avoir une certaine confiance en nous. Pourquoi y a-t-il cette peur ? Parce que cela fait 50 ans que l'on construit l'Europe pour les citoyens, mais sans eux.
Q - Une question vous est posée, l'Europe doit-elle avoir peur de l'immigration ?
R - Je crois que nous n'avons jamais eu à nous plaindre qu'une partie des gens qui étaient malheureux chez eux soient venus chercher leur avenir chez nous. Dans le sport, la culture, la politique, les activités économiques, il y a beaucoup de filles et de fils d'immigrés aujourd'hui qui apportent à la France ce qu'ils étaient, ce qu'ils sont. Et c'est aussi une force pour la France, dans un continent, permettez-moi de le dire qui, si cela continue, va perdre 70 millions de citoyens d'ici 30 ans alors que, dans le même temps, il y en aura 140 millions de plus de l'autre côté de la Méditerranée. Notre continent est le seul des continents du monde qui perd de la population. Voilà aussi pourquoi il faut être ensemble.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 avril 2005)
R - Il sert à animer un réseau formidable de 23.000 agents, dont beaucoup ne sont d'ailleurs pas des Français mais qui travaillent pour la France, dans des ambassades, des postes, souvent dans des pays où il y a des dangers, où il faut faire preuve de disponibilité et de courage et apporter la parole de la France.
Je ne suis pas tout seul, cette équipe diplomatique, c'est Claudie Haigneré, Xavier Darcos et Renaud Muselier.
Q - Vous voyagez, vous parlez au nom de la France et pour la représenter ?
R - Je porte la parole et les idées du chef de l'Etat, celles de notre pays, qui sont d'ailleurs souvent l'héritage d'une longue tradition.
Q - L'Europe, vous connaissez bien, on le disait tout à l'heure, vous avez préparé, avec d'autres, la Constitution, qui est en débat aujourd'hui, pendant 18 mois. Les "non" forment aujourd'hui une coalition hétéroclite et ils sont offensifs. Les "oui" paraissent déprimés, ils n'arrivent pas à mobiliser, ils n'arrivent pas à intéresser. Le "oui" peut-il encore gagner le 29 mai ?
R - Est-ce que je vous donne l'image de quelqu'un de déprimé ?
Q - Il n'y a pas que vous.
R - Certes, il n'y a pas que moi. Qu'y a-t-il derrière ces sondages, que je prends très au sérieux ? Il y a de l'angoisse, de la mauvaise humeur, des préoccupations, de vrais problèmes pour beaucoup de gens qui expriment ainsi leur envie de voter "non". Et moi, qu'ai-je envie de leur dire à tous ces gens ? D'abord, que je les écoute et que je comprends ; je pense même que beaucoup de ces préoccupations sont justes. Je leur dis que l'on ne peut pas vivre seuls, la solitude est un grand malheur, il y a beaucoup de gens qui, malheureusement, vivent seuls, pourtant on a besoin de voisins, d'une famille, d'un quartier, d'un village. Pour un peuple, c'est exactement la même chose, un peuple ne peut pas vivre seul dans le monde d'aujourd'hui.
Q - C'est en effet un argument. Vous dites qu'il faut sortir l'Europe des idées reçues, n'est-ce pas le "oui" qui est imprégné d'idées reçues aujourd'hui ?
C'est, en effet, le petit livre que vous publiez et qui se trouve ici.
R - Oui, j'ai publié ce livre, avec un club que j'ai créé il y a deux ans, et "Nouvelle République". Nous avons essayé de dire pourquoi certaines idées reçues ne sont pas justes et nous n'avons pas essayé de le faire par des slogans ni par de l'invective, mais par des arguments.
Q - Par exemple, l'idée reçue et, surtout, d'une partie de la gauche, et en même temps des "non", c'est : "avec l'Europe, c'est le "tout libéral", c'est "la France perd ses emplois, son agriculture, son âme, son avenir"." Y a-t-il une part de vérité là dedans ?
R - C'est précisément le contraire. Grâce à l'Europe qui s'est construite depuis 50 ans, les agriculteurs, les paysans - et beaucoup nous écoutent - ont pu faire de l'agriculture française l'une des plus fortes du monde. Nous avons besoin de cette Europe et d'une parole forte de la France dans les années qui viennent. Je pourrais dire la même chose de la politique régionale européenne, que Jacques Delors a proposée, et que j'ai gérée et qui aide tant de territoires français en métropole et outre-mer.
Q - Et faut-il dire pour autant "oui" ?
R - Je voudrais dire un mot de l'Europe sociale, puisque c'est une angoisse et une inquiétude. Je ne suis pas favorable à une Europe qui se résumerait à un supermarché, avec de la concurrence fiscale et sociale partout. Voilà pourquoi j'ai besoin de cette Constitution, voilà pourquoi je dis à ceux qui nous écoutent et qui doutent que nous ayons besoin d'une règle du jeu, d'un règlement de copropriété. Une Constitution, ce n'est pas ce qui fait une Europe sociale ou une Europe de droite, ce sont les électeurs, ce sont les hommes politiques, une Constitution permet que cela fonctionne. Vingt-cinq pays ont besoin d'un règlement de copropriété.
Q - Pendant cinq ans, vous avez été un excellent commissaire européen à Bruxelles, je vous ai souvent interrogé et vous étiez avec Pascal Lamy. Pourtant, tous les deux, si excellents étiez-vous, vous avez laissé passer "l'empoisonneuse" directive Bolkestein. Comment cela se fait-il ?
R - Non, je n'aime pas ce mot "d'empoisonneuse".
Q - Il y en a qui n'aime pas ce mot, qui l'accepte, mais qui n'aime pas la directive.
R - Bien sûr, nous ne l'aimons pas non plus et elle pose plus de problèmes qu'elle n'en résout et c'est pour cela que nous avons demandé qu'elle soit remise à plat. La Commission européenne, dont j'ai fait partie pendant cinq ans avec Pascal Lamy, est un lieu collégial et nous avons dit des choses au sein de ce collège et d'autres ont dit d'autres choses beaucoup plus libérales. Au bout d'un certain temps, il faut arriver à un consensus, sinon on va au vote et dans ce vote-là, entre les plus libéraux qui voulaient aller beaucoup plus loin et nous, nous étions battus. Nous avons donc choisi de faire un compromis.
Maintenant, je le dis à ceux qui écoutent pour que l'on sache comment cela fonctionne et parce que cela fonctionne assez bien : la Commission ne fait que proposer, elle ne décide jamais.
Q - Si les Français adoptent la Constitution le 29 mai, ne va-t-on pas voir arriver, par d'autres moyens, une directive bis Bolkestein, déguisée ou masquée ?
R - Je vous fais observer que cette directive-là, qui a posé tant de problèmes, est arrivée alors que nous n'avions pas encore la Constitution. La Constitution va nous donner des moyens que nous n'avons pas aujourd'hui de contrôle politique. Cette Constitution nous permet d'avoir une Europe plus démocratique.
Q - Il faudra, pendant les semaines qui viennent, que vous l'expliquiez bien aux Français parce que beaucoup sont encore "paumés" !
R - Cette Constitution nous permet, non pas des miracles, mais elle ne comporte que des progrès. Il n'y a aucun recul par rapport aux textes actuels. Nous aurons plus de sûreté avec, par exemple, le statut pénal européen, nous aurons plus de sécurité, nous aurons plus de démocratie, par exemple pour les citoyens, la capacité d'interpeller la Commission. Un million pourront avoir un pouvoir d'interpellation.
Q - Je suis sûr que vous êtes prêt à en débattre pendant toute la campagne. Pour le président de la République, c'est également important car il joue "gros" le 29 mai et il joue aussi sa place dans l'histoire.
R - Mais, il n'y a pas que le président de la République. Il a pris ce risque nécessaire, parce qu'il pensait que le débat européen doit être le débat du peuple, comme François Mitterrand il y a 10 ans, cela remonte maintenant assez loin. Il pensait qu'une question aussi importante que cette Constitution doit être soumise à chacune et chacun des Français.
Et il n'y a pas que lui, dans notre pays. Les partis politiques doivent animer le débat. Il y a trois grands partis politiques, l'UDF avec François Bayrou, le PS avec François Hollande, l'UMP avec Nicolas Sarkozy. Ils ont une responsabilité pour animer le "oui" et le débat politique. Et puis, il y a les ministres qui doivent jouer leur rôle.
Q - Vous voyagez beaucoup et vous voyez la France dans le monde. Pourquoi les Français qui adorent Jules Vernes, Victor Hugo, les innovations dans les sciences, ont aujourd'hui tellement peur de l'Europe ?
R - Les Français ont leur langue en partage avec 150 millions d'autres citoyens dans le monde, 63 pays. C'est vrai que lorsque l'on voit cette réaction, on se dit qu'elle n'est pas juste, qu'elle n'est pas légitime, que nous avons des raisons, non pas d'être arrogants, non pas d'imposer notre point de vue, mais de partager nos idées et d'avoir une certaine confiance en nous. Pourquoi y a-t-il cette peur ? Parce que cela fait 50 ans que l'on construit l'Europe pour les citoyens, mais sans eux.
Q - Une question vous est posée, l'Europe doit-elle avoir peur de l'immigration ?
R - Je crois que nous n'avons jamais eu à nous plaindre qu'une partie des gens qui étaient malheureux chez eux soient venus chercher leur avenir chez nous. Dans le sport, la culture, la politique, les activités économiques, il y a beaucoup de filles et de fils d'immigrés aujourd'hui qui apportent à la France ce qu'ils étaient, ce qu'ils sont. Et c'est aussi une force pour la France, dans un continent, permettez-moi de le dire qui, si cela continue, va perdre 70 millions de citoyens d'ici 30 ans alors que, dans le même temps, il y en aura 140 millions de plus de l'autre côté de la Méditerranée. Notre continent est le seul des continents du monde qui perd de la population. Voilà aussi pourquoi il faut être ensemble.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 avril 2005)