Texte intégral
Comment expliquez-vous la montée du non au référendum ?
Jean-Louis BORLOO. - Nous ne sommes qu'au tout début de la campagne. Ce qui compte, c'est le point d'arrivée. Bien des scrutins nous rappellent qu'une campagne ne se termine jamais comme elle a commencé. Je suis convaincu qu'un très grand nombre de gens vont changer d'avis, dans un sens comme dans l'autre.
Les défenseurs de la Constitution n'ont-ils pas malgré tout un "retard à l'allumage" par rapport à ses opposants ?
C'est vrai que le traité souffre de ce que j'appellerai le syndrome du texte consensuel. Jamais un texte de cette importance n'a été élaboré dans une telle transparence. Tout ce que l'Europe compte d'acteurs sociaux, économiques, associatifs, a été consulté par la Convention. La quasi-totalité des syndicats a approuvé le document. En toute bonne foi, les artisans de la Constitution ont sans doute cru que l'accord allait de soi. Et quand les choses semblent aller de soi, on en oublie de travailler un argumentaire solide.
Qui doit relancer la campagne du oui ? Et est-ce au président de la République ou au premier ministre d'en être le chef ?
Faire campagne, c'est d'abord et avant tout écouter les Français. Bien sûr que le chef du gouvernement doit donner aux Français les moyens de connaître le traité constitutionnel et d'en débattre. Mais le débat n'appartient pas qu'aux forces politiques. Nous devons entendre la voix des associations, des défenseurs des droits de l'homme, des droits des enfants, des défenseurs de la paix, des laïques et des Églises. Tous doivent défendre les valeurs du modèle démocratique européen, qui est peut-être une évidence à nos yeux, mais qui, à l'échelle de la planète, reste une exception. La campagne référendaire doit être la campagne des peuples européens.
Diriez-vous que cette Constitution est "libérale", comme l'affirment ses opposants ?
Ce traité est tout sauf un traité libéral. Lisez-le ! Pour la première fois, un texte européen prend en compte le fait social. L'expression "cohésion sociale" y figure même. La véritable avancée du texte est dans l'affirmation d'un modèle social européen, fondé sur l'égalité des droits, l'égalité entre les hommes et les femmes, le droit à l'information des salariés, la lutte contre les discriminations, les droits de l'homme. C'est donc l'énoncé de valeurs communes à nos vingt-cinq démocraties.
Nous avons gagné la bataille européenne de la paix interne, de la démocratie et, dans une moindre mesure, des grands projets. Mais la question aujourd'hui est de savoir ce que nous faisons de notre victoire, face aux modèles indien, chinois, nord ou, même, sud-américain. Le reste du traité n'est que la reprise, en plus court et en plus lisible, du droit existant.
Si ce traité est aussi social que vous l'affirmez, pourquoi les Français en ont-ils peur ?
Quand la France est inquiète, elle a tendance à se retourner vers l'État. Du coup, tout ce qui est perçu, à tort ou à raison, comme affaiblissant l'État, comme remettant en cause la proximité des services publics, est rejeté. Je peux comprendre les manifestations de Guéret ; je peux comprendre que l'on redoute une Europe trop lointaine. Mais ne faisons pas de l'Europe le bouc émissaire de toutes les inquiétudes de la société française. Nos problèmes spécifiques d'exclusion ou de chômage, c'est à nous d'y répondre. C'est ce que nous tentons de faire avec le plan de cohésion sociale notamment.
Justement, un an après votre nomination dans ce ministère, le chômage reste à plus de 10%. Quand les résultats seront-ils au rendez-vous ?
Les Français commencent à sentir les effets de la politique de rénovation urbaine, lancée il y a deux ans, lorsque j'étais ministre de la Ville. Quant au plan de cohésion sociale, il a été voté en janvier, les décrets d'application viennent d'être publiés et nous signons aujourd'hui les premiers contrats d'avenir. Pouvait-on aller plus vite ? Ce plan, je le rappelle, court sur cinq ans, car ça n'est pas en claquant des doigts que l'on restaure la cohésion sociale. Au terme du quinquennat, tous les objectifs seront tenus. Pour ma part, j'ai toujours dit que ça n'est qu'à partir du dernier trimestre 2005 que l'on enregistrerait une baisse significative du chômage.
Une victoire du non obligera-t-elle Jacques Chirac à donner une nouvelle impulsion à son quinquennat, en changeant de premier ministre ?
L'enjeu du référendum n'est pas de choisir le candidat à l'élection présidentielle, de désigner un nouveau gouvernement ou de remettre en cause l'organisation du Parti socialiste. De grâce, ne créons pas de débat de politique intérieure au sein du débat européen !
(Source http://www.u-m-p.org, le 4 avril 2005)