Tribune de M. Bernard Accoyer, président du groupe parlementaire UMP à l'Assemblée nationale, dans "Le Figaro" le 17 octobre 2005, sur une réforme du mode de scrutin visant à une représentation proportionnelle pour les élections législatives, intitulée "Un mode de scrutin vecteur de confusion".

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La réconciliation entre le politique et les Français passe t-elle par un changement de mode de scrutin pour les élections législatives, en particulier par l'introduction d'une dose plus ou moins importante de proportionnelle, afin de mieux prendre en compte et représenter au Parlement toute la diversité des opinions exprimées ?
Notre première réponse est que le débat sur la loi électorale n'est pas prioritaire, loin s'en faut, aux yeux des Français. Néanmoins, il mérite de ne pas être éludé, en allant au fond de la réflexion.
Une proposition avancée par certains consisterait à faire élire la moitié de nos députés au scrutin proportionnel. C'est le mode de scrutin en vigueur en Allemagne, dont on vient de mesurer les effets les plus désastreux à l'occasion des élections du 18 septembre. Plus de deux semaines après la tenue des élections générales, l'Allemagne, première puissance économique de l'Union et qui en est l'Etat le plus peuplé, se cherche toujours une coalition politique majoritaire pour gouverner le pays.
Une fois encore, la preuve est apportée que la représentation électorale à la proportionnelle, si elle paraît séduisante pour son ouverture à de nombreuses sensibilités, porte en elle le risque de confusion et de paralysie des institutions démocratiques, en empêchant les électeurs de désigner clairement leurs gouvernants.
L'application du scrutin majoritaire, comme en France ou en Grande-Bretagne, aurait permis à l'alliance CDU-CSU-Libéraux, arrivée en tête avec 45 % des voix, de disposer d'une majorité nette au Bundestag. Le scrutin mixte utilisé va déboucher sur une " grande coalition " entre la CDU-CSU et le SPD, version allemande de notre cohabitation, pis-aller contre-nature, dans lequel les partenaires se neutralisent mutuellement.
Le scrutin proportionnel est donc bien celui du régime des partis, ainsi que l'a démontré l'histoire de la Quatrième République, régime des assemblées instables, des partis-charnières, des gouvernements à durée de vie limitée. Le destin d'un pays est laissé à la discrétion d'accords d'état-major, pouvant déboucher, après les élections, sur les coalitions les plus improbables, les plus éphémères, incompréhensibles pour les électeurs.
La proportionnelle tend, en outre, à gonfler mécaniquement la représentation des extrêmes. Hier en France, lorsque François Mitterrand, par calcul politicien, avait imposé le scrutin proportionnel pour les législatives de 1986 et offert un groupe parlementaire à l'extrême droite. Aujourd'hui en Allemagne, où poussant à recourir à une " grande coalition ", l'ancien parti communiste est-allemand est placé, par les effets de la proportionnelle, en position d'arbitre de la vie politique allemande.
La proportionnelle institutionnalise les divisions de la société en encourageant l'expression des intérêts catégoriels ou communautaristes. Or, une élection n'est pas un sondage d'opinion. L'objectif de représenter l'électorat dans la moindre de ses nuances ressort de ce que Michel Debré qualifie dans ses Mémoires d'" idéologie irréelle " méconnaissant les ressorts profonds de la " démocratie parlementaire qui n'est légitime et efficace qu'en étant assurée d'une majorité dégagée aussi clairement que possible par le corps électoral. "
Autre proposition avancée, qui doit être débattue, elle aussi, de manière approfondie, celle qui consisterait à instiller, pour employer le terme que l'on utilise lorsque l'on parle de poison, une petite dose de proportionnelle dans notre mode de scrutin, sans remettre en cause le fait majoritaire.
Cette réforme permettrait-elle de garantir la représentation au Parlement de toutes les formations politiques plus efficacement que le scrutin majoritaire ? Rien n'est moins sûr. Pour une soixantaine de sièges attribués à la proportionnelle, seule une poignée d'entre eux iraient aux formations peu ou non représentées. Or, contrairement aux idées reçues, le scrutin majoritaire n'a pas empêché l'élection en 1997 et en 2002 de sept, puis de trois députés Verts ni, par le passé, celle de députés du Front National.
Mais, surtout, recourir à une faible dose de proportionnelle reviendrait à diviser la représentation nationale en deux catégories de députés. Or, il ne peut y avoir, d'un côté, les députés du terrain s'occupant des Français, directement responsables devant les électeurs et, de l'autre, ceux des fauteuils rouges de l'hémicycle, choisis par les appareils partisans pour figurer sur la liste des élus à la proportionnelle et investis du pouvoir de faire la loi. Chacun d'entre nous, législateur potentiel, doit conserver un lien direct avec les Français.
Ainsi, la proportionnelle à forte ou à faible dose, loin de rapprocher les Français de leurs élus, creuserait encore davantage le fossé préjudiciable à notre démocratie, que le personnel politique n'a pas su empêcher. Des élus exclusivement centrés sur leur mandat, avant tout à l'écoute de leurs électeurs, assidus à des travaux parlementaires pas trop pléthoriques, voilà la priorité qui doit prévaloir.
(Source http://www.ump.assemblee-nationale.fr, le 18 octobre 2005)