Interview de M. Dominique Strauss-Kahn, député PS, à "France 2" le 5 juillet 2005, sur les raisons du PS de présenter une motion de censure, sur les propos de Nicolas Sarkozy.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

G. Leclerc - Le Parti socialiste défend aujourd'hui une motion de censure contre le Gouvernement et ses ordonnances. J'allais vous demander : une motion de censure, pourquoi faire, puisqu'elle est vouée à l'échec ? Et le Gouvernement a obtenu la confiance il y a juste un mois !
R - Vous avez raison de dire que la motion de censure ne passera probablement pas. Pour autant, c'est un acte important. Pourquoi ? D'abord parce que ce Gouvernement a une méthode qui n'est pas acceptable. Passer en force par ordonnances, cela devient la méthode du Gouvernement. Regardez ce que disait N. Sarkozy à propos des banlieues ! On veut partout passer en force. L'argument qui est avancé est de dire qu'il y a urgence. Bien sûr qu'il y a urgence sur le chômage. Mais cela fait trois ans que cette majorité est en place ! Dire aujourd'hui qu'il faut absolument légiférer par ordonnances, passer par-dessus le Parlement, passer par-dessus bord la démocratie, parce qu'il y a urgence, c'est un tel constat d'échec sur le passé, que sur la forme, on ne peut pas accepter la méthode. Et puis, il y a le fond.
Q - Sur le fond, il y a le contrat "nouvelles embauches" justement, qui sera en place dès le mois de septembre et qui permettra de faire baisser le chômage, dit le Gouvernement...
R - Le Gouvernement dit ça depuis un moment. Je connais un gouvernement qui a fait baisser le chômage, c'est celui de L. Jospin de 1997 à 1999. Je n'en connais pas d'autres...
Q - Et vous étiez ministre de l'Economie !

R - Que dit ce contrat ? C'est transformer le CDD, le rallonger à deux ans. On crée donc plus de précarité. Est-ce que vraiment, quand on voit les gens qui souffrent, les gens qui sont au chômage, les familles dans lesquelles aujourd'hui il y a un chômeur, on a le sentiment que leur redonner confiance, faire qu'ils reconsomment, qu'ils reviennent sur le devant de la scène, qu'ils aient envie de préparer l'avenir, consiste à leur donner plus de précarité ? Ma conviction, c'est le contraire. Il faut redonner confiance aux Français et à la France. Et ce n'est pas en précarisant les salariés comme on le fait aujourd'hui, en terrorisant les banlieues comme le fait N. Sarkozy, qu'on va faire avancer les choses.
Q - Vous savez que le Gouvernement annonce une baisse plus marquée du chômage à partir du deuxième semestre et une croissance qui revient l'an prochain, à 2,5 %...
R - J'espère que la croissance reviendra l'an prochain. J'espère surtout que les prévisions du Gouvernement pour l'an prochain seront meilleurs que celles qu'il a faites pour cette année. Parce qu'il nous avait aussi dit 2,5 % pour cette année, et ce n'est pas au rendez-vous, malgré une croissance mondiale qui est, en ce moment, la plus forte que l'on ait connu depuis trente ans.
Q - La vraie raison de cette motion de censure, n'est-ce pas une "motion de diversion", comme le dit l'UMP, c'est-à-dire pour permettre au Parti socialiste de se refaire un peu une santé ?
R - On dit toujours cela : dès qu'il y a une motion de censure, dès l'opposition en dépose une et par définition, c'est toujours l'opposition, on dit que c'est pour refaire l'unité de l'opposition !
Q - Mais vous êtes effectivement dans une situation difficile au Parti socialiste, au bord de l'implosion...
R - Non, nous sommes face à un congrès, que nous préparons. Un congrès, c'est toujours un débat au sein d'un parti, c'est bien normal. Mais nous n'avons pas du tout besoin de ce genre de choses pour nous réunir. D'ailleurs, on se réunira, vous le verrez, en novembre.
Q - V. Peillon, dans Le Parisien de ce matin, dit qu'il y a "le feu à la maison socialiste, tout le monde déraille. La question du renouvellement du premier secrétaire est posée". On peut difficilement en dire plus !
R - Est-ce que vous avez le sentiment qu'il y a plus de dissensions entre V. Peillon et F. Hollande, qu'entre N. Sarkozy et D. de Villepin ? Est-ce que vous n'avez pas le sentiment qu'aujourd'hui, le problème de la France n'est pas de savoir si, préparant un congrès, les socialistes s'envoient quelques flèches, ou de savoir si au sein du Gouvernement, il y a deux chefs de gouvernement qui se détestent et un vice-Premier ministre, N. Sarkozy, qui ne peut pas voir en peinture le président de la République ? Est-ce que le problème de la France, aujourd'hui, ce n'est pas la façon dont le pouvoir a éclaté entre les mains de la droite, plutôt que de savoir si, préparant un congrès et donc, par définition, voulant savoir qui va les conduire pour l'avenir, les socialistes s'envoient quelques flèches de ce genre-là ?
Q - L'enjeu de ce prochain congrès du Mans, au mois de novembre, c'est d'établir un projet. Mais un projet existe déjà, c'est celui de L. Fabius, qu'il a présenté ce week-end ! Il a dit qu'il fallait "un emploi, un logement, un savoir pour tout le monde", tout cela dans une "République rénovée et un rassemblement à gauche". Voilà, tout y est !
R - "Un emploi, un logement, un savoir", tout le monde est d'accord. Mais avec ça, on n'est pas encore à un programme. Si on croit que l'on va convaincre les Français en leur disant que l'on veut pour eux un emploi, un logement, un savoir, on est encore assez loin du compte. Mais le problème n'est pas celui-là. Le problème est aujourd'hui un problème de stratégie pour les socialistes. Je vous le dis avec un peu de gravité. Ce que nous avons appris de l'histoire de F. Mitterrand, c'est qu'il fallait d'abord définir et réunir les socialistes et, après, aller discuter avec nos partenaires. Et moi je ne suis pas prêt à sacrifier l'identité des socialistes à l'union de la gauche. L'union de la gauche, c'est très important. Mais pour la faire, il faut d'abord définir l'identité des socialistes et faire l'unité. Et je ne pense pas que l'on contribue à beaucoup faire l'unité, en commençant par aller voir nos voisins et, dans une certaine mesure, il faut bien le dire, en renouant avec ce qu'a été le Parti socialiste d'avant F. Mitterrand, c'est-à-dire en se soumettant à ce que veulent nos voisins communistes, d'extrême gauche, pour être plus sûrs d'être proches d'eux. Il faut d'abord dire ce que nous voulons. Et c'est là la stratégie que moi je préconise. Il y a donc effectivement une différence de stratégie. Elle n'est pas sur "un emploi, un logement, un savoir". Elle est sur la question de savoir si nous devons d'abord redéfinir ce que pensent les socialistes et ensuite aller parler avec nos voisins, ou s'il faut faire le contraire. Mon choix est fait.
Q - A propos de débat d'idées, tout le problème du Parti socialiste n'est-il pas que ce n'est pas vous qui menez le débat d'idées en France, mais l'UMP, et en particulier N. Sarkozy ? C'est lui qui fait vivre le débat.
R - Vous avez raison, N. Sarkozy est actif. Je pense qu'il fait vivre le débat d'une façon qui est très dommageable à la France. Mais c'est le Gouvernement qui mène la danse...
Q - Pourquoi "dommageable à la France" ? Il lance des idées, comme les quotas d'immigration, la discrimination positive...
R - Justement, ce sont des idées, comme les quotas d'immigration et d'autres idées de ce genre, qui ne font pas du bien à notre pays. Je vois aujourd'hui une dérive très droitière de ce Gouvernement, je vois une sorte - le mot est un peu fort, je le dis avec des guillemets - de "bonapartisme", qui naît sous une volonté de populisme. Lorsque l'on passe son temps à la télévision ou à l'Assemblée nationale à dire, comme le fait N. Sarkozy, "est-ce que admissible que dans les banlieues, il y ait tel et tel débordement", alors qu'il est - ou ses amis - au pouvoir depuis trois ans, il ne suffit pas aujourd'hui de se poser des questions et puis, par là même, de se rapprocher de ceux qui souffrent. Tout le monde est d'accord pour se rapprocher de ceux qui souffrent, et tout le monde le fait... Moi, j'ai été maire d'une ville de banlieue, je suis maintenant le premier adjoint du maire. Tous les collègues que je rencontre, communistes, socialistes, les Verts aussi, tous ceux de gauche, ont ce contact - comme ceux de droite souvent - avec la réalité. Le problème n'est plus de dire "Je vous comprends". Le problème est d'apporter des solutions, de donner des réponses. Et je ne vois pas ces réponses...
Q - En attendant, vous avez vu les sondages : N. Sarkozy battrait tous les présidentiables de gauche.
R - C'est vrai, c'est ce que disent les sondages. Six mois avant le référendum du 29 mai, les sondages donnaient le "oui" gagnant à 60 %, et vous savez ce qu'il en a été. Ne nous fions pas trop à cela. Il faut que la gauche soit prête, que son candidat soit prêt, le jour de l'élection présidentielle. Mais je ne dis pas que la question est une question de personnes, je dis que c'est une question de programme, de projet. Un Président pour quoi faire ? C'est cela la question aujourd'hui. Pas encore de savoir qui il sera.
Q - Oui, mais enfin "la question de personnes" est également importante. A ce propos, vous êtes toujours candidat à la candidature ?
R - Je n'ai jamais dit une chose pareille, je n'ai jamais dit le contraire non plus. J'ai dit ceci...
Q - Justement, il serait peut-être temps de le dire clairement.
R - Je vais le dire très clairement. Il faut que le socialiste le mieux placé pour gagner soit notre candidat. Si c'est moi, je n'hésiterai pas une seconde, et j'ai bien l'intention de faire que cela soit moi. Mais cela peut tout à fait être un autre, on verra cela le moment utile.
Q - La compétition du jour, ou plus exactement de demain, ce sont les Jeux Olympiques. Est-ce vraiment important pour la France d'obtenir les Jeux en 2012 ?
R - Oui, il faut que l'on gagne. Et je crois que le travail qui a été fait, notamment par B. Delanoë, de ce point de vue-là, est formidable. Alors, il y a toujours un aléa, on n'est jamais sûrs, on le saura demain.
Q - Il y a un consensus politique, il faut le dire ; il y a Delanoë, mais il y a également le président Chirac qui y va, tout le monde, depuis que l'on a des chances de gagner.
R - Depuis que l'on a des chances de gagner il y a beaucoup de monde. Je dois reconnaître qu'il y a un consensus politique, vous avez raison. Et par exemple, le ministre des Sports, M. Lamour, s'y est beaucoup donné aussi. C'est vrai que cela traverse la politique. Reconnaissez que le maire de Paris en a beaucoup fait. Très bien. Mais si on gagne, c'est la France qui gagne, ce n'est ni la gauche, ni la droite, ni Paris, ni la province, c'est la France qui gagne. Et je pense que ce sera un formidable coup en avant pour que nous repartions. Ce dont on a besoin, c'est de la confiance en nous. Ce qu'il faut être capable de redonner aux Français, c'est la confiance en eux-mêmes. Les Jeux Olympiques, comme la Coupe du monde en son temps, en 1998, peuvent y contribuer. Rien que pour cela, vraiment, je formule des voeux pour que l'on puisse l'avoir.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 5 juillet 2005)