Point de presse de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, et entretien avec France 2, France 3 et Europe 1, sur la directive européenne sur les services et sur la poursuite du processus de ratification de la Constitution européenne, à Luxembourg le 6 juin 2005.

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Circonstance : Conseil compétitivité, à Luxembourg le 6 juin 2005

Média : Europe 1 - France 2 - France 3 - Télévision

Texte intégral

(Point de presse de Catherine Colonna, à Luxembourg le 6 juin 2005)
Merci de votre présence et bonjour à tous et à ceux d'entre vous que je connais.
François Loos et moi-même sommes les deux premiers ministres français à participer à un Conseil des ministres européens depuis la formation du nouveau gouvernement, et c'est la raison pour laquelle j'ai tenu, à l'occasion de ce premier Conseil des ministres et devant nos collègues, à redire la force de l'engagement européen de la France. Celle ci est engagée, et reste engagée, en Europe : elle en est un membre actif et entend continuer à jouer tout son rôle. Le président de la République l'a dit dès le lendemain du referendum et l'a écrit à chacun de ses 24 collègues, chefs d'Etat et de gouvernement ; mais il importe que ceci soit rappelé pour qu'il n'y ait aucun doute dans l'esprit de nos collègues.
Ce Conseil compétitivité comporte plusieurs points, il n'est pas terminé et François Loos vient de prendre la suite au banc de la France, mais pour ce qui me concerne le point le plus important portait sur la proposition de directive "services".
Depuis le Conseil européen, les choses sont claires, la feuille de route est tracée. Le Conseil européen, les 22 et 23 mars, a appelé de ses voeux un marché intérieur des services préservant le modèle social européen, et il a souhaité un large consensus, tout en notant que la proposition de la Commission ne répondait pas pleinement aux exigences posées. Sur le fond, ce que demande la France, c'est donc simplement que soit respectée cette feuille de route, rien de plus, rien de moins. Pour préserver le modèle social européen il faut remettre à plat cette directive et travailler dans l'esprit qui a été défini par le Conseil. En particulier, il faut repartir du principe d'harmonisation minimale partout où c'est nécessaire, sinon c'est la porte ouverte à un alignement par le bas. Il faut aussi clairement exclure tout ce qui concerne le droit du travail et que cela soit prévu de façon certaine. Et puis, il faut réduire le champ d'application de cette directive en excluant un certain nombre de secteurs : la santé, les services publics, y compris ce que l'on appelle les services économiques d'intérêt général, l'audiovisuel et le cinéma pour n'en citer que quelques-uns uns.
Plus important aujourd'hui me paraît être le calendrier, les choses étant acquises sur le fond depuis le Conseil européen. Le Conseil doit attendre que le Parlement européen achève ses travaux ; celui-ci doit se prononcer prochainement sur le rapport de Mme Gebhardt, je crois que sera le 14 juin. Puis, il donnera son avis à l'automne prochain et la Commission fournira une proposition révisée. C'est ce que vient de rappeler le commissaire compétent, M. McCreevy.
Un dernier mot sur ce sujet : personne ne doit sous estimer la portée de ce débat en Europe. On sait bien que ce projet de directive, j'ai presque envie de dire "la non-directive services", en tout cas le débat qui s'en est suivi, a joué un grand rôle, et un rôle négatif, dans la campagne référendaire française. Il faut donc bien mesurer les enjeux et ne pas s'y tromper. C'est un débat maintes fois renouvelé entre harmonisation et libéralisation en Europe. C'est un débat qui ne fait que commencer et qui est tout à fait essentiel pour les citoyens européens et pour l'avenir du modèle européen. Donc, nous poursuivrons pour notre part dans cet esprit et dans la droite ligne des conclusions du Conseil européen d'il y a quelques semaines.
Q - Vous n'avez pas parlé du principe du pays d'origine ?
R - C'est un point important. J'ai parlé d'harmonisation mais ce n'est pas tout à fait l'effet du hasard qui m'a fait choisir ce terme. Néanmoins, nous considérons qu'il faut distinguer le fond, avec les positions françaises qui demeurent et qui sont renforcées je crois par le message des électeurs français, du calendrier et de la façon dont les choses doivent être faites. En poursuivant le travail, le Conseil européen n'a pas demandé l'arrêt mais la remise à plat. Il faut travailler dans l'esprit du Conseil et demander à l'unanimité et avec ce rythme qui permet de prendre en compte l'avis du Parlement européen, lequel n'interviendra qu'à l'automne.
Q - Votre réaction quant à la décision de Londres de geler son referendum ?
R - Je me dois, avant de vous répondre, de vous rappeler que M. Straw ne s'est pas encore exprimé officiellement aux Communes et il serait plus raisonnable, de votre part comme de la mienne de l'attendre. Néanmoins, vous avez raison, il y a des indications de sources officielles, données par Downing Street, donc je dirais que cette décision n'est pas totalement inattendue. Si elle se confirmait, il me semble que cette décision ne serait pas de nature à modifier la position de la France.
La position de la France : quelle est-elle ? Elle a été exprimée tout récemment encore, après le dîner entre le président de la République et le chancelier fédéral, qui ont tenu à faire savoir l'un et l'autre qu'il est souhaitable que le processus de ratification puisse continuer, et ceci pour deux raisons.
D'abord c'est une question de démocratie : le peuple français s'est exprimé, le peuple néerlandais aussi, le peuple espagnol l'a fait. En tout cas, nous l'avons dit, il n'appartient pas à un Etat membre seul de bloquer le processus de ratification d'un traité qui a été élaboré et signé à 25.
Et puis, il y a aussi le respect que l'on doit aux pays qui se sont déjà exprimés : sur les 12 pays que se sont exprimés, 10 ont ratifié la Constitution, c'est la raison pour laquelle la suite du processus doit permettre à ceux qui le souhaitent de s'exprimer et, en tout état de cause, ce doit être une décision collective.
Il faudra répondre, c'est évident, aux préoccupations qui se sont exprimées, aux attentes, aux inquiétudes et le Conseil européen des 16 et 17 juin donnera l'occasion de lancer la réflexion de fond sur ce sujet. Il est bon qu'un débat s'engage de façon tout à fait ouverte, au grand jour. Nous savons bien qu'à ce stade les réponses ne sont pas unanimes, mais ce débat nécessite un travail en profondeur. Il ne faut pas tirer hâtivement des conclusions définitives dans la situation présente. Ce qui s'est passé aux Pays-Bas comme en France, crée une situation nouvelle, indiscutable et il faut en tenir compte. Les préoccupations exprimées imposent une réflexion en profondeur, au-delà de tel ou tel point technique ou de tel ou tel aspect de la politique de l'Union européenne sur la relation entre les citoyens et la construction européenne. Et cela, c'est un travail, me semble-t-il, qu'il faut mener, chacun pour ce qui nous concerne, et en France ce sera fait, mais aussi de façon collective parce que l'Europe, c'est une aventure collective. Nous sommes 25 et nous sommes ensemble.
Q - A propos de l'atmosphère du Conseil ?
R - L'atmosphère était bonne mais ce n'était pas une atmosphère de rassemblement. J'y vois un bon augure pour la présidence britannique, mais je ne veux pas taquiner qui que ce soit et donc je m'arrêterai là !
Q - Quel est le calendrier de la directive "services" ?
R - Le travail technique se poursuit, comme le Conseil européen l'a demandé. Encore une fois, il ne faut pas confondre la remise à plat nécessaire, dans cet esprit de meilleure conciliation des impératifs sociaux et de l'harmonisation, avec un arrêt des travaux. Ce qui est demandé, c'est un travail de meilleure qualité avec la prise en compte des préoccupations qui se sont fait jour chez certains Etats membres, très clairement aussi du côté du Parlement européen, et c'est la raison pour laquelle nous pensons qu'il faudra attendre que le Parlement ait exprimé son avis avant que la Commission ne dépose une proposition révisée. Elle l'a d'ailleurs confirmé, je vous ai cité M. McCreevy.
Q - La décision britannique ne va t-elle pas enterrer la Constitution ?
R - Je n'ai pas le même point de vue que vous. Je vous disais que l'exigence démocratique nous pousse à souhaiter que le processus se poursuive, par respect pour ceux qui se sont exprimés et qui, dans leur grande majorité, ont approuvé le traité, et par respect pour ceux qui souhaitent le faire. Donc, voilà où nous en sommes aujourd'hui. Je n'ai pas vu dans ce que l'on a annoncé de la position britannique, d'éléments qui modifieraient cette façon de voir les choses.
Q - La volonté exprimée par Varsovie de maintenir son referendum est plutôt positive ?
R - Cela va dans le même sens. D'autres ont annoncé vouloir le faire.
Q - Cette décision collective peut-elle avoir lieu au prochain Conseil européen ?
R - Je crois qu'il s'agira d'engager cette réflexion en commun. Chacun doit l'améliorer pour ce qui le concerne et particulièrement les pays qui avaient organisé un referendum et pour lesquels les choses ne se sont pas passées comme les gouvernements l'imaginaient. Mais il faut aussi une réflexion collective qui ne peut démarrer qu'au moment du Conseil européen. Elle sera sans doute de plus longue durée, il faudra plus qu'un dîner, plus qu'un Conseil européen pour réfléchir à ce qu'imposera la prise en compte du message des urnes. Il ne faut pas se hâter inutilement. Tous ces messages sont multiples et parfois contradictoires, on le sait bien. Cela impose une réflexion globale sur la question de la relation entre les citoyens européens et l'Europe qui se construit. C'est donc un travail considérable.

Q - Avez-vous des indications sur votre calendrier pour les semaines à venir ?
R - Les choses se précipitent comme toujours dans ces situations un peu inattendues. Je pense commencer par un déplacement en France. Les affaires européennes sont, depuis longtemps et depuis toujours, des affaires françaises. Alors, on peut allier l'utile à l'agréable et trouver un moyen d'envoyer un message aux Français et aux Européens. Nous allons chercher, avec Philippe Douste-Blazy, un moyen d'envoyer déjà ce premier signal. Laissez-moi un peu le temps d'organiser ma semaine !
Cela va faire partie de l'exigence d'impulsion et d'action qui va marquer ce nouveau gouvernement !
Q - (A propos de l'avenir de la construction européenne)
R - La construction européenne continue, la stratégie de Lisbonne continue, les perspectives financières sont un autre dossier et heureusement que les Européens continuent de travailler ensemble. Mais il ne faut pas prétendre que les choses continuent comme si de rien n'était ! Vous avez cité le cas de la proposition de directive "services". Nous sommes certains que le projet révisé de la Commission comportera beaucoup d'éléments révisés et donc, ce sera une proposition différente qui sera présentée au Parlement et au Conseil européen. Donc, les choses continuent, parce que c'est la nature de l'Europe de continuer à avancer mais, non, elles ne continuent pas comme si de rien n'était. De même, sur le plan institutionnel, nous prendrons en compte, et dans le champ national et dans le champ européen, le message qui a été adressé en France comme aux Pays-Bas. Nous avons déjà commencé de le prendre en compte en France : il y a eu un changement de gouvernement et la déclaration de politique générale que fera mercredi le Premier ministre vous donnera des indications complémentaires. Oui, les choses continuent, mais pas comme si de rien n'était.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 juin 2005)
(Entretien de Catherine Colonna avec France 2, France 3 et Europe 1, à Luxembourg le 6 juin 2005)
Q - (Sur la décision britannique de geler le référendum)
R - Pour autant que se confirme officiellement cette indication, mais elle n'est pas totalement inattendue, cette décision n'est pas de nature à modifier la position de la France. La position de la France, comme celle de l'Allemagne, est de souhaiter que le processus de ratification se poursuive, par respect pour les pays qui se sont déjà exprimés et aussi par exigence démocratique et respect de ceux qui souhaitent s'exprimer.
Néanmoins, il faut bien sûr prendre en compte ces interrogations sur la construction européenne.
Le prochain Conseil européen des 16 et 17 juin sera l'occasion d'une première réflexion des Vingt-cinq pour analyser ce qui se passe, définir des solutions et engager un processus de réflexion qui devra être de longue durée.
Q - On est loin des exigences de rassemblement ?
R - Chaque pays est libre, pour ce qui le concerne, en démocratie. A l'inverse, aucun pays, dans la construction européenne, ne peut, seul, décider du sort de tous les autres. L'Union européenne est une construction collective, c'est collectivement qu'il faudra définir des solutions, notamment au prochain Conseil européen sur la suite de la construction européenne sur le plan institutionnel.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 juin 2005)