Texte intégral
QUESTION : J. Chirac, ce matin à Nancy, avec G. Schröder, le Chancelier allemand, et le Président polonais, monsieur Kwasnievski, saura-t-il convaincre qu'il ne faut pas aujourd'hui avoir peur du plombier polonais, pas plus qu'il ne fallait craindre, il y a vingt ans, le maçon portugais, pour reprendre la phrase de J. Borrell, le président espagnol du Parlement européen ? Les socialistes européens, favorables au oui, étaient hier soir au Cirque d'Hiver à Paris, pour supporter le courant du oui des socialistes français. Europe libérale, Europe pour une économie sociale de marché, c'est donc là que vont se jouer le oui ou le non. Vous nous dites que le vrai clivage politique dans ce pays, ce n'est plus du tout, à vos yeux en tout cas, entre la droite et la gauche ?
François BAYROU : Je n'ai pas dit "plus du tout". J'ai dit qu'un autre clivage était apparu, qui était un clivage profond et porteur de réalités...
QUESTION : Et vous inscrivez ce clivage entre ceux qui sont partisans d'une forme d'isolement de la France et ceux partisans de l'ouverture à l'Europe ?
François BAYROU : Il y a deux aspects. Le premier aspect, c'est l'acceptation ou le refus d'une économie de liberté pour le monde. Et je m'empresse de dire que le refus est pour moi théorique, complètement artificiel, puisqu'il n'y a pas de chemin - on l'a bien vu - pour ceux qui voudraient remplacer l'économie de liberté par une économie de contrainte, dirigiste. On a vu ce qui s'est passé, hélas, du côté de l'Union soviétique. Deuxième aspect : dans ce monde qui va être, à mes yeux, de plus en plus dur, est-ce que nous voulons être seuls ou, au contraire, souhaitons-nous construire une unité européenne, une solidarité européenne, entre les nations que nous sommes, chacune avec son histoire, mais décidées, désormais, à travailler ensemble ? Voilà les deux clivages, les deux critères de l'avenir.
QUESTION : C'est sur une série de mots très précis que tout va se jouer. Quand vous dites "une économie de liberté", que mettez-vous là-dedans ? Parce que le débat est entre l'Europe libérale et ce texte, qui demande une interprétation tout de même et inscrit dans la Constitution une "économie sociale de marché". On a vu, par exemple, ce qu'un T. Blair fait, s'agissant d'une économie sociale de marché, de la fameuse troisième voie d'un Blair, considéré par beaucoup en France comme une économie libérale tout court. Qu'est-ce que veut dire, dans votre esprit, une "économie libre" ?
François BAYROU : Ce n'est pas dans mon esprit, c'est dans le texte ! Je pense qu'il faut désormais être précis et non plus invoquer des principes mais dire ce qui est dans le texte. Et ce que dit le texte, c'est que pour l'Europe, le modèle est l'économie de marché, l'économie de liberté à vocation sociale. Le but de l'économie, quand elle crée, quand elle fabrique de la richesse, c'est de faire de la solidarité et de rechercher le plein emploi. Voilà ce qui est écrit en toute lettre dans le texte et qui définit le modèle européen, face au modèle américain, qui est un modèle ultralibéral individualiste, où la seule chose qui compte, le seul principe c'est que chacun joue sa chance et au plus fort la guirlande. Et puis, le deuxième modèle, qui est le modèle chinois, qui est encore plus impressionnant, qui est ultra-ultra-ultralibéral communiste, totalitaire. C'est-à-dire pas de protections, enrichissez-vous autant que vous voulez, mais pas de libertés d'opinion. Je veux rappeler simplement que les étudiants de Tien An Men, en 1989 [...], sont toujours en prison. On n'en a aucune nouvelle, et d'ailleurs, on n'en demande pas. Donc, ces deux modèles, le modèle américain très différent du nôtre, avec un certain nombre de valeurs communes, c'est un modèle occidental ; un modèle chinois, très impressionnant. Ces deux modèles sont aujourd'hui ultra-puissants, en affirmation sur la planète ; voulons-nous ou pas le modèle européen ? C'est pourquoi je réponds oui.
QUESTION : Mais quand pourrons-nous faire aboutir ce qui pourrait devenir un modèle européen ? Pourquoi la difficulté ? L'hétérogénéité du système à vingt-cinq, qui fait que les économies sont très différentes les unes des autres et que forcément - c'est d'ailleurs un argument utilisé ici même, hier, par L. Fabius -, cela peut tirer l'Europe vers le bas, c'est-à-dire que certains pays qui ont par exemple des charges sociales quasiment inexistantes, entraîneraient notre système européen économique plutôt dans cette direction-là que vers une autre. Comment arriverons-nous à réguler cela ?
François BAYROU : Deux réponses, et [pour] l'une d'entre elle - on vient d'entendre les informations que l'on nous a données sur les Portugais embauchés avec des contrats particuliers -, je vous demande de prendre le texte, ceux qui l'ont reçu - tout le monde a reçu ce texte avec des étoiles blanches sur fond bleu sur la couverture -,vous prenez ce texte, vous l'ouvrez, vous allez à l'article 133, qui dit ceci : on a le droit d'être embauché dans un autre pays, à condition que ce soit exactement "aux mêmes conditions législatives, réglementaires et administratives" - je cite exactement le texte - qui s'adressent aux travailleurs nationaux. C'est-à-dire que toute entreprise - on en a entendu plusieurs fois ces temps-ci sur les ondes - qui embauche à des conditions différentes des employés ou des salariés venant d'un autre pays, cette entreprise est hors-la-loi, anticonstitutionnelle et elle a ainsi été verbalisée. Donc la Constitution européenne que vous avez, que ceux qui nous écoutent ont entre leurs mains, est une protection contre ce genre de chose. Et pas seulement une protection vague : la protection absolue, puisque c'est interdit. C'est la première chose. La deuxième chose est que moins il y aura d'Europe, plus la concurrence sera sauvage. La Chine n'est pas dans l'Europe que je sache ! Eh bien, vous soyez bien que la Chine est en train de nous imposer, dans un certain nombre de domaines et de produits, une concurrence sauvage, une concurrence qui n'est pas loyale, qui est faussée. Et si l'on veut impressionner, ou en tout cas répondre à la Chine, alors il faut un modèle européen. C'est d'autant plus frappant - j'ai entendu monsieur Fabius que vous citez, hier, sur votre antenne -, c'est d'autant plus impressionnant, l'impression d'avoir ainsi à faire à un double langage : lorsque la Chine est entrée dans l'OMC, entrée qui a entraîné cette dérégulation à l'égard de la Chine, qui était ministre de l'Economie ? C'est L. Fabius. Il est allé à Doha. Il est allé proclamer son soutien et sa fierté que la Chine entre à l'OMC, comme s'il y avait deux langages, un langage quand on est au pouvoir, quand on est en responsabilité à Bercy, ministre de l'Economie, et un langage quand on est dans le débat politique pour essayer d'acquérir des avantages. Il y a cette réalité massive : la mondialisation, on ne l'effacera pas ; la globalisation, on ne l'effacera pas ; la concurrence, on ne l'effacera pas. Si l'on veut se défendre...
QUESTION : Les délocalisations et le dumping social, qui sont aussi inscrits dans cette réalité économique ? Comment gère-t-on ça à l'intérieur de l'Union ?
François BAYROU : En créant une Europe assez forte pour, au fil du temps, s'harmoniser. Je suis élu des Pyrénées-Atlantiques, c'est-à-dire frontalier avec l'Espagne. J'ai le souvenir précis, c'était il y a très peu de temps, des débats qui ont présidé ou qui ont accompagné l'entrée de l'Espagne et du Portugal dans l'Union européenne. Des gens du Parti communiste et des gens de droite nous disaient qu'ils vont prendre tous les marchés, ça va être épouvantable, ça va être une concurrence à laquelle nous ne pourrons pas faire face ! "Rendez vous compte, leur SMIC est tellement plus bas que le nôtre" ! Qu'est-ce qui s'est passé au travers du temps ? Un double miracle. Premièrement, leur niveau de vie a considérablement augmenté et leurs normes sociales ont peu à peu rattrapé les nôtres ou presque. Et deuxièmement, qui en a profité le plus ? C'est nous qui en avons profité le plus. Le pays avec lequel nous faisons le plus d'échanges, le plus de bénéfices dans notre commerce extérieur, c'est l'Espagne. Nous avons acheté l'an dernier, dernier chiffre connu, à l'Espagne 24 milliards d'euros - c'est énorme de marchandises et de services. Et nous leur avons vendu 32,5 milliards d'euros de marchandises et de services. Le développement des pays en retard fait la richesse des pays qui sont développés. Et ça se comprend très bien : quand vous vous développez, vous allez acheter des autoroutes, des aéroports, des relais téléphoniques, des biens et des services. A qui les achetez-vous ? A ceux qui, évidemment, ont acquis la compétence pour les fabriquer. Et donc leur développement est une chance pour eux, et une chance pour nous. C'est une double chance, et c'est cela le miracle européen. A une condition : c'est que le rapport de populations soit assez équilibré. Et les pays de l'Est, c'est exactement, globalement, le même nombre d'habitants que l'Espagne et le Portugal, par rapport à la population européenne.
QUESTION : A propos des voisins et partenaires, c'est une question que j'ai posée à J.-M. Le Pen et aussi à L. Fabius hier matin. L'Allemagne a déjà voté oui - il faut encore que le 27 mai prochain le Bundesrat, c'est-à-dire la chambre haute du parlement entérine, mais enfin l'Allemagne a dit oui. Peut-être la France dira-t-elle non. Et cela pose évidemment la question de l'histoire du fonctionnement du couple européen, qui a tiré quand même les wagons de la construction européenne. Quel paysage politique avant et après ? Comment verriez-vous les choses si, en effet, il y avait ce découplage-là ?
François BAYROU : Vous avez complètement raison de dire que le paysage politique intérieur français change. Mais le paysage politique européen change considérablement, parce que la France était leader de l'Europe. Vous savez bien que c'est la France qui a proposé cette Constitution. C'est un Français, l'ancien président de la République, Monsieur Giscard d'Estaing, qui a entraîné les autres, tenu la plume, porté les attentes françaises dans une Constitution dont un certain nombre de pays, vous le savez bien, ne voulaient pas. Et tout d'un coup, la France va passer de la position de leader à la position de marginal. C'est un choc pour les relations franco-allemandes, vous avez raison de le dire, mais c'est un choc pour tous ceux en Europe, tous les pays qui croyaient à l'Europe, et qui voyaient dans la France le défenseur de cette idée européenne. Et c'est naturellement une perte d'influence extraordinaire sur un certain nombre de sujets : je pense à la Politique agricole commune et à son budget, que nous avons défendus bec et ongle en raison de notre influence européenne et sur lesquels, évidemment, nous serons beaucoup plus faibles demain. Je n'emploie pas de menaces, je veux préciser cela. Je pense que les menaces sont mal venues et contreproductives. Mais il est juste et légitime, quand on est responsable, de dire ce que vont être les conséquences des choix. Et les conséquences d'un choix négatif de la France seraient en effet une chute extraordinaire de l'image et de l'influence de notre pays en Europe.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 20 mai 2005)
François BAYROU : Je n'ai pas dit "plus du tout". J'ai dit qu'un autre clivage était apparu, qui était un clivage profond et porteur de réalités...
QUESTION : Et vous inscrivez ce clivage entre ceux qui sont partisans d'une forme d'isolement de la France et ceux partisans de l'ouverture à l'Europe ?
François BAYROU : Il y a deux aspects. Le premier aspect, c'est l'acceptation ou le refus d'une économie de liberté pour le monde. Et je m'empresse de dire que le refus est pour moi théorique, complètement artificiel, puisqu'il n'y a pas de chemin - on l'a bien vu - pour ceux qui voudraient remplacer l'économie de liberté par une économie de contrainte, dirigiste. On a vu ce qui s'est passé, hélas, du côté de l'Union soviétique. Deuxième aspect : dans ce monde qui va être, à mes yeux, de plus en plus dur, est-ce que nous voulons être seuls ou, au contraire, souhaitons-nous construire une unité européenne, une solidarité européenne, entre les nations que nous sommes, chacune avec son histoire, mais décidées, désormais, à travailler ensemble ? Voilà les deux clivages, les deux critères de l'avenir.
QUESTION : C'est sur une série de mots très précis que tout va se jouer. Quand vous dites "une économie de liberté", que mettez-vous là-dedans ? Parce que le débat est entre l'Europe libérale et ce texte, qui demande une interprétation tout de même et inscrit dans la Constitution une "économie sociale de marché". On a vu, par exemple, ce qu'un T. Blair fait, s'agissant d'une économie sociale de marché, de la fameuse troisième voie d'un Blair, considéré par beaucoup en France comme une économie libérale tout court. Qu'est-ce que veut dire, dans votre esprit, une "économie libre" ?
François BAYROU : Ce n'est pas dans mon esprit, c'est dans le texte ! Je pense qu'il faut désormais être précis et non plus invoquer des principes mais dire ce qui est dans le texte. Et ce que dit le texte, c'est que pour l'Europe, le modèle est l'économie de marché, l'économie de liberté à vocation sociale. Le but de l'économie, quand elle crée, quand elle fabrique de la richesse, c'est de faire de la solidarité et de rechercher le plein emploi. Voilà ce qui est écrit en toute lettre dans le texte et qui définit le modèle européen, face au modèle américain, qui est un modèle ultralibéral individualiste, où la seule chose qui compte, le seul principe c'est que chacun joue sa chance et au plus fort la guirlande. Et puis, le deuxième modèle, qui est le modèle chinois, qui est encore plus impressionnant, qui est ultra-ultra-ultralibéral communiste, totalitaire. C'est-à-dire pas de protections, enrichissez-vous autant que vous voulez, mais pas de libertés d'opinion. Je veux rappeler simplement que les étudiants de Tien An Men, en 1989 [...], sont toujours en prison. On n'en a aucune nouvelle, et d'ailleurs, on n'en demande pas. Donc, ces deux modèles, le modèle américain très différent du nôtre, avec un certain nombre de valeurs communes, c'est un modèle occidental ; un modèle chinois, très impressionnant. Ces deux modèles sont aujourd'hui ultra-puissants, en affirmation sur la planète ; voulons-nous ou pas le modèle européen ? C'est pourquoi je réponds oui.
QUESTION : Mais quand pourrons-nous faire aboutir ce qui pourrait devenir un modèle européen ? Pourquoi la difficulté ? L'hétérogénéité du système à vingt-cinq, qui fait que les économies sont très différentes les unes des autres et que forcément - c'est d'ailleurs un argument utilisé ici même, hier, par L. Fabius -, cela peut tirer l'Europe vers le bas, c'est-à-dire que certains pays qui ont par exemple des charges sociales quasiment inexistantes, entraîneraient notre système européen économique plutôt dans cette direction-là que vers une autre. Comment arriverons-nous à réguler cela ?
François BAYROU : Deux réponses, et [pour] l'une d'entre elle - on vient d'entendre les informations que l'on nous a données sur les Portugais embauchés avec des contrats particuliers -, je vous demande de prendre le texte, ceux qui l'ont reçu - tout le monde a reçu ce texte avec des étoiles blanches sur fond bleu sur la couverture -,vous prenez ce texte, vous l'ouvrez, vous allez à l'article 133, qui dit ceci : on a le droit d'être embauché dans un autre pays, à condition que ce soit exactement "aux mêmes conditions législatives, réglementaires et administratives" - je cite exactement le texte - qui s'adressent aux travailleurs nationaux. C'est-à-dire que toute entreprise - on en a entendu plusieurs fois ces temps-ci sur les ondes - qui embauche à des conditions différentes des employés ou des salariés venant d'un autre pays, cette entreprise est hors-la-loi, anticonstitutionnelle et elle a ainsi été verbalisée. Donc la Constitution européenne que vous avez, que ceux qui nous écoutent ont entre leurs mains, est une protection contre ce genre de chose. Et pas seulement une protection vague : la protection absolue, puisque c'est interdit. C'est la première chose. La deuxième chose est que moins il y aura d'Europe, plus la concurrence sera sauvage. La Chine n'est pas dans l'Europe que je sache ! Eh bien, vous soyez bien que la Chine est en train de nous imposer, dans un certain nombre de domaines et de produits, une concurrence sauvage, une concurrence qui n'est pas loyale, qui est faussée. Et si l'on veut impressionner, ou en tout cas répondre à la Chine, alors il faut un modèle européen. C'est d'autant plus frappant - j'ai entendu monsieur Fabius que vous citez, hier, sur votre antenne -, c'est d'autant plus impressionnant, l'impression d'avoir ainsi à faire à un double langage : lorsque la Chine est entrée dans l'OMC, entrée qui a entraîné cette dérégulation à l'égard de la Chine, qui était ministre de l'Economie ? C'est L. Fabius. Il est allé à Doha. Il est allé proclamer son soutien et sa fierté que la Chine entre à l'OMC, comme s'il y avait deux langages, un langage quand on est au pouvoir, quand on est en responsabilité à Bercy, ministre de l'Economie, et un langage quand on est dans le débat politique pour essayer d'acquérir des avantages. Il y a cette réalité massive : la mondialisation, on ne l'effacera pas ; la globalisation, on ne l'effacera pas ; la concurrence, on ne l'effacera pas. Si l'on veut se défendre...
QUESTION : Les délocalisations et le dumping social, qui sont aussi inscrits dans cette réalité économique ? Comment gère-t-on ça à l'intérieur de l'Union ?
François BAYROU : En créant une Europe assez forte pour, au fil du temps, s'harmoniser. Je suis élu des Pyrénées-Atlantiques, c'est-à-dire frontalier avec l'Espagne. J'ai le souvenir précis, c'était il y a très peu de temps, des débats qui ont présidé ou qui ont accompagné l'entrée de l'Espagne et du Portugal dans l'Union européenne. Des gens du Parti communiste et des gens de droite nous disaient qu'ils vont prendre tous les marchés, ça va être épouvantable, ça va être une concurrence à laquelle nous ne pourrons pas faire face ! "Rendez vous compte, leur SMIC est tellement plus bas que le nôtre" ! Qu'est-ce qui s'est passé au travers du temps ? Un double miracle. Premièrement, leur niveau de vie a considérablement augmenté et leurs normes sociales ont peu à peu rattrapé les nôtres ou presque. Et deuxièmement, qui en a profité le plus ? C'est nous qui en avons profité le plus. Le pays avec lequel nous faisons le plus d'échanges, le plus de bénéfices dans notre commerce extérieur, c'est l'Espagne. Nous avons acheté l'an dernier, dernier chiffre connu, à l'Espagne 24 milliards d'euros - c'est énorme de marchandises et de services. Et nous leur avons vendu 32,5 milliards d'euros de marchandises et de services. Le développement des pays en retard fait la richesse des pays qui sont développés. Et ça se comprend très bien : quand vous vous développez, vous allez acheter des autoroutes, des aéroports, des relais téléphoniques, des biens et des services. A qui les achetez-vous ? A ceux qui, évidemment, ont acquis la compétence pour les fabriquer. Et donc leur développement est une chance pour eux, et une chance pour nous. C'est une double chance, et c'est cela le miracle européen. A une condition : c'est que le rapport de populations soit assez équilibré. Et les pays de l'Est, c'est exactement, globalement, le même nombre d'habitants que l'Espagne et le Portugal, par rapport à la population européenne.
QUESTION : A propos des voisins et partenaires, c'est une question que j'ai posée à J.-M. Le Pen et aussi à L. Fabius hier matin. L'Allemagne a déjà voté oui - il faut encore que le 27 mai prochain le Bundesrat, c'est-à-dire la chambre haute du parlement entérine, mais enfin l'Allemagne a dit oui. Peut-être la France dira-t-elle non. Et cela pose évidemment la question de l'histoire du fonctionnement du couple européen, qui a tiré quand même les wagons de la construction européenne. Quel paysage politique avant et après ? Comment verriez-vous les choses si, en effet, il y avait ce découplage-là ?
François BAYROU : Vous avez complètement raison de dire que le paysage politique intérieur français change. Mais le paysage politique européen change considérablement, parce que la France était leader de l'Europe. Vous savez bien que c'est la France qui a proposé cette Constitution. C'est un Français, l'ancien président de la République, Monsieur Giscard d'Estaing, qui a entraîné les autres, tenu la plume, porté les attentes françaises dans une Constitution dont un certain nombre de pays, vous le savez bien, ne voulaient pas. Et tout d'un coup, la France va passer de la position de leader à la position de marginal. C'est un choc pour les relations franco-allemandes, vous avez raison de le dire, mais c'est un choc pour tous ceux en Europe, tous les pays qui croyaient à l'Europe, et qui voyaient dans la France le défenseur de cette idée européenne. Et c'est naturellement une perte d'influence extraordinaire sur un certain nombre de sujets : je pense à la Politique agricole commune et à son budget, que nous avons défendus bec et ongle en raison de notre influence européenne et sur lesquels, évidemment, nous serons beaucoup plus faibles demain. Je n'emploie pas de menaces, je veux préciser cela. Je pense que les menaces sont mal venues et contreproductives. Mais il est juste et légitime, quand on est responsable, de dire ce que vont être les conséquences des choix. Et les conséquences d'un choix négatif de la France seraient en effet une chute extraordinaire de l'image et de l'influence de notre pays en Europe.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 20 mai 2005)