Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS et de Mme Marie-George Buffet, secrétaire national du PCF, à "France Inter" le 30 mai 2005, sur le résultat du référendum sur le projet de Traité constitutionnel européen, et les perspectives pour la gauche.

Prononcé le

Média : France Inter

Texte intégral

Q- Comment recevez-vous le choc ce matin ? On vient d'entendre la lecture des différents chroniqueurs et de points de vue dans la presse, sur la difficulté à être premier secrétaire du Parti socialiste ce matin...
R- F. Hollande : D'abord, le "choc", nous nous y étions préparés...
Q- A ce point-là ?
R- F. Hollande : Peut-être pas avec cette ampleur, avec cette participation surtout. On voyait bien qu'il y avait, ces dernières semaines, un rejet puissant du pouvoir, du président de la République, du Premier ministre, qu'il y avait, sur l'Europe, des critiques qui étaient portées, alors même que le traité constitutionnel pouvait y répondre. Mais le malaise était aussi par rapport à l'Europe. Et enfin, une situation économique et sociale, notamment dans les quartiers populaires et pour les Français au travail qui sont inquiets par rapport à leur propre situation, à leur propre avenir... Il y avait là tous les ressorts du "non". Mais c'est une situation extrêmement difficile ; le pays vit mal, va mal et donc, il faut lui trouver un débouché politique. Ce débouché politique, ce n'est pas un changement de gouvernement qui en sera la traduction. Qui l'imagine ? Et j'ai d'ailleurs toujours prévenu, aussi bien les électeurs du "oui" que les électeurs du "non", qu'il n'y avait rien à attendre de ce point de vue de la consultation référendaire. Deuxièmement, ce débouché politique ne peut pas venir de N. Sarkozy, qui s'est annoncé, on ne sait si c'était pour Matignon ou pour l'Elysée - ce serait d'ailleurs un comble, qu'à un moment où beaucoup ont voulu sanctionner le pouvoir et le libéralisme, on aurait plus libéral encore à Matignon ou demain à l'Elysée, si cette candidature pouvait vivre jusque-là... Le débouché politique ne peut venir que de la gauche, à condition que la gauche sache se rassembler, au-delà des électeurs qui ont pu voter "oui" ou qui ont pu voter "non", sur un projet crédible et mobilisateur.
Q- Mais de quelle gauche parlez-vous aujourd'hui ?
R- F. Hollande : De la gauche, à mon avis, qui veut venir aux responsabilités du pays et qui ne veut pas mentir. Parce que c'est la question, aujourd'hui, qui doit être, à un moment, abordée : est-ce que l'on est simplement dans un mouvement protestataire ? On peut dire "non", on sait dire "non" et on est capable de construire, et de construire quelque chose de durable, c'est-à-dire une alternative qui soit à la fois victorieuse sur le plan électoral - c'est déjà un premier pas décisif - et, deuxièmement, qui soit capable de durer, c'est-à-dire de ne pas s'éloigner des aspirations qui porteraient la gauche aux responsabilités. Voilà pourquoi je pense qu'il faut tenir le discours de la vérité.
Q- Mais la gauche jusqu'où d'abord ? Vous dites la gauche, très bien la gauche, mais quelle gauche et jusqu'où la gauche ?
R- F. Hollande : La gauche qui veut gouverner sur cette base, c'est-à-dire qui accepte l'Europe et qui accepte le pouvoir. Il y a une partie de la gauche - je ne vous apprends rien - qui considère qu'elle n'a même pas à se poser la question de la participation au pouvoir - c'est l'extrême gauche - et qui ne veut même pas gouverner avec le Parti socialiste, c qui, quand même, paraît difficile. Et puis, il y a des tenants à gauche qui pensent que l'on peut rompre avec le marché - pas avec le libéralisme, il faut rompre avec le libéralisme -, avec le capitalisme. Mais là, disons les choses : je ne veux pas le double discours. Je ne veux pas que l'on soit, dans l'opposition, capables de porter toutes les espérances qui peuvent être demain des illusions ; et demain, aux responsabilités, les mêmes seraient là en train de dire qu'il y a la réalité, que l'on ne peut pas la contourner. Il faut être capable d'avoir de la volonté pour peser sur la réalité et, en même temps, de savoir ce que l'on peut promettre et ce que l'on peut tenir.
Q- Le problème, ce matin, c'est que si l'on parlait de "gauche plurielle", c'est dans les différences que la gauche s'exprime maintenant. Est-ce que ce sont les militants qui vont apporter la réponse ? M.-G. Buffet est en ligne avec nous. F. Hollande nous dit à l'instant que c'est la gauche qui peut répondre à la situation du pays. Mais vous incluez-vous dans cette gauche-là ? Imaginez-vous quelque chose de possible avec un homme comme F. Hollande c matin ou pas ?
R- M.-G. Buffet : D'abord, il faut entendre ce qu'ont dit les électeurs et les électrices. Ils ont participé massivement à ce scrutin et ils ont dit "non" à une Europe libérale, "non" à des politiques libérales menées en pleine complicité entre la France et l'Europe. Donc, je crois que la gauche peut, en effet, apporter une réponse si elle entend cela, c'est-à-dire si elle construit une réponse qui rompt avec toutes les politiques libérales menées et apporte des réformes audacieuses, courageuses. Et je crois que l'on peut y arriver si l'on entend les citoyens et les citoyennes. C'est pour cela que j'ai proposé que, dès cette semaine, on se réunisse, dans chacune des communes de France, les hommes et les femmes de gauche, leurs élus, les responsables, toute la gauche, pour dire maintenant quelle construction politique et quel projet nous proposons, qui répondent aux attentes qu'ont exprimé les Français et les Français...
Q- Et ça, F. Hollande, c'est un type de réunion auquel vous vous associeriez volontiers ?
R- F. Hollande : On doit entendre - c'est un principe sur lequel nul ne peut être en désaccord - tous les électeurs, ceux qui ont dit "non" et pourquoi ils ont dit "non" et quelle est la traduction que l'on peut apporter sans trahir leur message. Et puis ceux qui ont "oui", et beaucoup d'électeurs de gauche ont aussi dit "oui". Il faut rassembler ceux du "non" et ceux du "oui" pour porter une alternative. Alors, comment faire ? Il y a effectivement ce que l'on peut lancer comme débats, forums, chacune des formations politiques doit faire ce travail. Et puis, ensuite, il faut que l'on puisse se retrouver entre formations politiques de la gauche pour savoir si nous pouvons porter une plate-forme commune au moment des élections présidentielles et législatives. Chacun de son côté, j'imagine, au moment de la présidentielle, mais à un moment, il va falloir faire un contrat de gouvernement. Est-ce que l'on est capables de se retrouver sur de grandes orientations, avec des choix, entre formations politiques de gauche ? Je le souhaite. C'est le travail qui nous reste jusqu'en 2007, mais il n'y a pas de temps à perdre.
Q- Allez-vous rentrer dans ce protocole de réflexion, M.-G. Buffet, sur une plate-forme 2007 commune avec le Parti socialiste ?
R- M.-G. Buffet : Les Français et les Françaises ont décidé de reprendre la politique entre leurs mains. Il y a eu des débats formidables autour de la question du référendum. Aujourd'hui, je crois qu'il faut repartir avec eux et avec elles. Ils ne surtout pas les dessaisir de leur choix. C'est donc pourquoi nous proposons que ce soit avec les citoyens et les citoyennes que nous élaborions un projet, une alternative à gauche. Ensuite, on verra le contour du rassemblement possible, à partir de cette alternative profondément antilibérale, telle que les Français la souhaitent aujourd'hui. Et je crois que c'est ce qui va monter, sans attendre, contre la droite au pouvoir, parce que ce n'est pas le changement de gouvernement qui va nous satisfaire, mais également pour construire une véritable alternative.
Q- Tout de même F. Hollande, on ne peut pas faire l'impasse sur une réalité politique qui est sévère chez vous : ce Parti socialiste aujourd'hui, comment le qualifiez-vous ? Est-il partagé, divisé, déchiré ? Dans quel état est-il ce matin ?
R- F. Hollande : Le Parti socialiste avait fait un choix courageux et démocratique. Courageux, parce qu'il avait considéré que dans le cadre de ce référendum, il fallait répondre à la question qui nous était posée : est-ce que le traité constitutionnel était un progrès par rapport aux traités existants ? Il a donc fait ce choix, et il l'a fait démocratiquement, en votant, c'est-à-dire en participant d'abord à un référendum interne, avant d'en aller devant le pays pour ce référendum, qui connaît le résultat que l'on sait. Nous n'avons pas pu, je le reconnais, convaincre nos électeurs de se départir de ce qui était leur intention première, c'est-à-dire sanctionner un pouvoir qui ne les avait pas entendu l'année dernière, exprimer un malaise par rapport à la situation économique et sociale, dire qu'ils ne partageaient pas l'orientation, aujourd'hui, de l'Europe et qu'ils ne voyaient pas dans le traité, finalement, la réponse appropriée... Nous avons bien sûr entendu ce message. Mais nous n'avons pas été capables de leur dire de séparer les enjeux, que l'enjeu européen qui était très important, et que l'enjeu de politique intérieure, nous aurions l'occasion de revenir en 2007. Maintenant, beaucoup de mes électeurs m'ont dit que l'on se retrouvera en 2007, mais que là, c'était trop dur pour eux et qu'ils allaient dire "non". Je n'en tire pas la conclusion que le Parti socialiste serait lui-même en situation d'être contredit par ses électeurs. Nous avons à les rassembler sur une perspective d'alternance. Maintenant, il y a des socialistes qui n'ont pas respecté le choix des militants ; nous aurons à nous en expliquer et nous aurons à faire un grand débat en notre sein, sur trois points : un, quelle orientation pour le Parti socialiste, c'est-à-dire sur quelle ligne politique il veut aller devant les électeurs...
Q- Dont vous restez le premier secrétaire, au passage ? A aucun moment, vous ne mettez cela en cause ?
R- F. Hollande : Dont je reste le premier secrétaire... Deuxième choix que nous avons à faire, c'est quelle est la règle que nous nous imposons à nous-mêmes quand nous décidons au Parti socialiste, quand nous choisissons une orientation, quand nous choisissons un candidat. J'entends déjà certains dire qu'il faut faire des primaires au-delà du Parti socialiste... Alors, quel est le rôle du Parti socialiste ? Et troisièmement, quelle stratégie de rassemblement de la gauche ? Nous venons d'en parler. C'est sans doute en donnant la parole aux militants, et bien entendu, c'est à ce moment-là que la question des dirigeants est forcément posée, lorsque l'on a cette confrontation démocratique en notre sein.
Q- Je remarque qu'à aucun moment, depuis que vous êtes dans le studio, vous n'avez prononcé le nom de L. Fabius... Il y a un moment où il va falloir que vous vous retrouviez l'un et l'autre. Vous vous diriez quoi, ce matin, si vous l'aviez en face de vous ?
R- F. Hollande : Nous sommes dans le même parti et nous aurons des choses à nous dire par rapport aux échéances que j'ai fixées et aux choix qu'il y a à faire. Mais j'ai un principe : c'est que quand on est dans la même formation politique, on doit respecter les règles, parce que sinon, on est forcément dans une confrontation qui ne peut pas être réglée. Et c'est pourquoi, les règles, c'est le vote des militants. Et notre prochaine échéance, où nous serons tous concernés, ce sera d'aller devant les adhérents du Parti socialiste, que je souhaite nombreux à faire leur choix d'orientation, de stratégie et de direction.
Q- Et y aura-t-il, cette fois, pour ceux qui ne respectent pas les règles, des sanctions ?
R- F. Hollande : Justement, c'est quand même le point fondamental : on va avoir à fixer encore notre orientation, à désigner notre candidat. Il faut que chacun soit capable de dire que ce que décidera le Parti socialiste sera la ligne de tous, parce que sinon, il ne peut plus y avoir de formation politique organisée. Et moi, je suis, comme premier secrétaire du Parti socialiste, comptable de ce qu'est le Parti socialiste, responsable de son rôle historique qui est de rassembler la gauche et de donner une alternative au pays. Je parlais de débouché politique : tous les électeurs aujourd'hui, qui ont pu voter "non" ou qui ont pu voter "oui", me disent que maintenant, c'est à nous, socialistes, de leur offrir une perspective, de ne pas les trahir, de ne pas les tromper, de ne pas leur dire ce que nous ne pourrons pas faire, de faire en sorte de leur offrir ce débouché politique, qu'ils n'attendent plus rien de J. Chirac - sitant est qu'ils en aient attendu quelque chose -, plus rien du prochain gouvernement, pas davantage de N. Sarkozy, que c'est de nous que doit venir l'alternance. Eh bien, c'est cette responsabilité qui nous est confiée et c'est pourquoi je dis aux militants et aux électeurs du Parti socialiste qu'il faut se rassembler et qu'il faut dire la vérité.
Q- On n'a absolument pas dit un mot de l'Europe, vous l'avez remarqué, on ne parle que du PS et des règlements...
R- F. Hollande : ...C'est vous qui m'interrogez !
Q- En effet, mais il faudra que l'on dise un mot de l'Europe ! Et la dissolution de l'Assemblée nationale, ce que demande J. Lang, vous y souscrivez ou pas ?
R- F. Hollande : J'ai prévenu les électeurs avant le vote, je leur ai dit : "n'attendez rien de J. Chirac, il ne partira pas !". Il n'est pas parti. Hier soir, il est venu nous dire qu'il restait. Il n'a même pas eu besoin de le dire, il a dit qu'il fallait trouver une "nouvelle impulsion". On sait laquelle : changement de Premier ministre... Mais cela fait des mois et des mois qu'on nous en parle et cela n'apportera aucun changement. Deuxièmement, dissolution de l'Assemblée nationale ? Je crois qu'il l'avait déjà fait, de mémoire, en 1997. Je n'ai pas eu le sentiment qu'il se mettait dans cette perspective. Mais de toute manière, c'est en 2007 que va se faire l'alternance, on le sait maintenant. Alors n'attendons pas que l'on nous fasse des échéances anticipées. Si elles viennent, on les prendra. Je vais vous en faire la confidence : si J. Chirac disait "je m'en vais" ou s'il disait "je dissous", nous serions en situation de répondre. Mais puisqu'il n'a pas pris ces décisions qui relèvent de lui, à nous d'être prêts au moins pour 2007. Parce que le comble, ce serait que l'on laisse passer 2007 à force de ne pas répondre à la bonne question le moment venu.
Q- D. McShane, l'ancien ministre britannique des Affaires européennes nous disait, ce matin, que le traité était enterré par la France.
R- F. Hollande : C'est la conséquence européenne, puisque vous souhaitez - et vous avez raison - qu'on y revienne. Les ressorts du vote sont essentiellement intérieurs : situation économique et sociale, impopularité du pouvoir, angoisse par rapport à l'avenir, mais la conséquence est européenne. Parce que - je l'avais aussi annoncé avant le référendum - le plus probable aujourd'hui, c'est qu'il n'y aura plus jamais de Constitution européenne, en tout cas avant très longtemps. Nous allons vivre - et c'est finalement le souhait des Britanniques, ils vous ont fait cette confidence - avec les traités existants pendant de longues années. C'est-à-dire que toute l'Europe que nous avons critiquée, les uns et les autres, tenants du "oui" et tentants du "non", pendant cette campagne, c'est cette Europe-là qui va continuer. Voilà la conséquence.
(Source : premier-ministre, Service du gouvernement, le 31 mai 2005)