Entretiens de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, avec RTL et TF1 le 15 mars 2004, sur les questions internationales liées au terrorisme après les attentats de Madrid, à la situation en Irak et à la poursuite de la construction européenne.

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Texte intégral

(Entretien de Dominique de Villepin avec RTL, à Paris le 15 mars 2004) :
Q - Une militante socialiste espagnole qui s'exprimait au micro de notre envoyé spécial disait qu'il est triste de voir que le parti socialiste espagnol a gagné à cause des attentats. Partagez-vous cette analyse et éventuellement la tristesse ?
R - Les attentats de Madrid ont certainement marqué un tournant mais les Espagnols ont fait clairement le choix du changement, le choix de la vérité aussi par rapport à ces attentats et derrière ce choix, il y a une leçon d'humilité qui doit toucher chaque homme politique, chaque responsable politique, je crois que c'est important.
Q - Le choix du changement, notamment en politique étrangère puisque José Luis Zapatero, le nouveau leader socialiste, a dit que, dès juillet, les 1.300 militaires espagnols qui sont en Irak rentreraient en Espagne. N'est-ce pas ce que cherchaient d'abord les terroristes ?
R - Ce n'est un secret pour personne, nous ne partagions pas un certain nombre des orientations du gouvernement espagnol de M. Aznar, en particulier sur l'Europe et c'est vrai sur l'Irak. Il est important, ceci dit, que le terrorisme ne dicte pas son comportement à nos pays.
Q - C'est un peu ce qu'il fait ce matin ?
R - Il faut prendre le temps de la réflexion sur cette question. Cela fait des mois que nous essayons d'expliquer à la communauté internationale et à un certain nombre de nos partenaires que, pour cela, il faut prendre la mesure des enjeux. Quels sont ces enjeux ? C'est bien sûr une mobilisation sur la sécurité. Il est essentiel que nous nous regroupions, que nous nous coordonnions et c'est ce que l'Europe doit faire. Il y a des initiatives qui sont prises depuis quelques heures pour que les ministres de l'Intérieur se retrouvent, se coordonnent. Les mêmes initiatives doivent être prises sur le plan extérieur, et c'est pour cela que nous proposons une réunion exceptionnelle du Conseil Affaires générales des ministres des Affaires étrangères. Gardons le même élan que celui qui avait été organisé après le 11 septembre en particulier au Conseil de sécurité des Nations unies. Pourquoi ne pas réunir d'urgence l'ensemble des ministres du Conseil de sécurité pour étudier et coordonner ? Parce que, bien sûr, nous pouvons faire mieux sur le plan de la sécurité, dans le domaine policier, dans le domaine judiciaire, dans le domaine financier. N'oublions pas qu'il y a là beaucoup à faire ! Pour le terrorisme, l'argent, c'est le nerf de la guerre, alors travaillons contre le blanchiment.
Et puis, il y a une autre dimension, au-delà de la sécurité, c'est la paix. C'est le règlement des crises. Or, nous ne pouvons pas ne pas voir qu'il y a aujourd'hui deux foyers qui nourrissent l'instabilité et le terrorisme dans le monde : le premier, c'est bien sûr la crise du Proche-Orient et le deuxième, c'est l'Irak.
Alors, il faut bien sûr effacer les divisions de la guerre irakienne, mais il est essentiel de tirer les leçons de ce qui a été fait. Je crois que la guerre d'Irak a été une erreur, je dirais même une faute.
Q - Vous l'avez souvent dit, et donc aujourd'hui ?
R - Il faut avancer résolument unis.
Q - Si les ministres des Affaires étrangères de l'Europe se réunissent selon votre vu, est-ce pour tenter, dans cette circonstance malheureuse, d'évoluer ou de faire évoluer Tony Blair par exemple, de lui faire comprendre cette leçon ?
R - Nous devons tenter d'affirmer notre unité et de tirer les leçons. En Irak, cela veut dire quoi ? Nous devons nous mobiliser pour lancer un processus politique, la clef c'est de rendre aux Irakiens leur souveraineté. Nous ne pouvons pas nous substituer au peuple irakien.
Q - C'est ce que vont faire les Américains en juin avec l'organisation d'élections en Irak ?
R - Faisons en sorte que ceci se passe dans les meilleures conditions, qu'il n'y ait pas, à cette occasion, un vide qui soit créé. Ceci veut dire que, dès maintenant, il s'agit de déléguer des pouvoirs aux responsables irakiens, d'assurer la légitimité du processus, de faire en sorte que toutes les forces irakiennes soient parties prenantes à ce processus. Cela veut dire créer une dynamique régionale parce que, sans elle, sans le soutien des voisins, il n'y aura pas de sécurité en Irak. Cela veut dire une dynamique de la communauté internationale et c'est pour cela que nous proposons une conférence internationale pour donner l'impulsion indispensable au retour de la stabilité de ce pays.
Q - Espérez-vous, attendez-vous une évolution du discours, une prise de conscience de Tony Blair ou du président Bush après ce qui s'est passé en Espagne ?
R - Oui, j'attends une réflexion de chacun, c'est-à-dire d'abord un devoir de lucidité. Regardons en face ce qui se passe : c'est vrai que depuis quelques mois, il y a un regain du terrorisme mondial. Pourquoi ? Nous ne sommes pas assez en initiative au Proche-Orient et nous sommes devant une situation sans précédent en Irak. Tirons les leçons, mobilisons-nous, agissons en liaison avec les pays de cette région ! Il y a des projets qui fleurissent - le "grand Moyen-Orient" - nous proposons un partenariat pour la paix et le progrès dans cette région. Agissons en liaison avec les responsables de cette région, répondons aux aspirations de ses peuples ! Je crois que nous devons garder beaucoup d'humilité dans notre action et en même temps, savoir que seule l'unité de la communauté internationale est garante de l'efficacité.
Q - L'Espagne a été frappée à cause de sa politique en Irak, nous l'avons dit, cela veut-il dire que selon vous, la France est préservée aujourd'hui du terrorisme islamiste ?
R - Non, personne ne peut se considérer préservé. Nous devons être mobilisés, c'est bien ce que nous faisons sur le plan intérieur, vous avez vu l'ensemble des mesures qui ont été prises sous l'égide du président de la République, du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin et de Nicolas Sarkozy. Il faut le faire dans tous les domaines. Dans le domaine des transports, nous l'avons vu, nous sommes passés à un échelon de sécurité plus élevé, aussi bien dans les métros, que dans les aéroports, dans les gares, et je crois que ce devoir de vigilance est essentiel. Parallèlement, nous n'avancerons pas sans une action politique, sans une action et une mobilisation de nos diplomaties pour accorder véritablement l'attention qu'il faut porter aux règlement des grandes questions politiques du monde. Il faut soigner les plaies.
Q - Le départ de José Maria Aznar, c'est une bénédiction pour la construction européenne, pensez-vous que le dossier de la future Constitution européenne peut avancer plus rapidement aujourd'hui ?
R - Il nous faut saisir toutes les occasions pour faire avancer l'Europe. Là, c'est vrai, je pense que nous avons l'occasion, sur ce dossier européen, d'essayer plus rapidement encore de régler cette question constitutionnelle. C'est indispensable. Comment l'Europe peut-elle espérer aujourd'hui, y compris face au terrorisme, occuper son rang, répondre aux aspirations de ses citoyens, si elle n'est pas capable d'adopter une règle commune ? Je crois que c'est la mesure la plus importante que nous puissions prendre : marquer notre volonté de vivre ensemble, marquer notre volonté de respecter les mêmes règles.
Q - Et le départ de M. Aznar est-il une opportunité ?
R - Je crois que c'est aujourd'hui, pour M. Zapatero le dossier le plus urgent, le plus brûlant.
Q - Vous citiez les plaies, vous avez parlé de l'Irak et du Proche-Orient, vous n'avez pas parlé de la Tchétchénie qui pourtant, dit-on, est un foyer aussi de l'islamisme. Vladimir Poutine vient d'être réélu, il n'est pas près de changer de politique en Tchétchénie d'autant qu'on ne lui fait pas beaucoup de reproches !
R - Je l'ai dit pour l'Irak et pour le Proche-Orient, je l'ai dit à Moscou clairement, publiquement, au côté de mon collègue russe. Notre responsabilité est de trouver des solutions politiques aux crises, il n'y a pas d'autres solutions.
Q -Y compris en Tchétchénie ?
R -Y compris, bien sûr, en Tchétchénie et je l'ai dit clairement. Aujourd'hui, constatons néanmoins que la Russie avance dans la voie de la démocratie, regardons le chemin parcouru depuis 10 ans, c'est un travail énorme qui a été fait, je crois que nous devons accompagner les Russes sur ce chemin, c'est aussi notre responsabilité d'Européens.
Q - D'un mot, confirmez-vous les informations de "Libération" et du "Parisien" sur une tentative de remise de rançon de la part des autorités françaises au fameux groupe "AZF" vendredi ?
R - Sur cette question, je fais confiance à Nicolas Sarkozy, il est en charge de ce dossier sous l'égide de Jean-Pierre Raffarin. Ma confiance est entière.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 mars 2004)
(Entretien de Dominique de Villepin avec TF1, à Paris le 15 mars 2004) :
Q - Pourquoi souhaitez-vous une réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Europe, et dans quels délais ?
R - Nous souhaitons qu'elle se tienne, le plus rapidement possible, dans les tous prochains jours. Nous nous retrouvons lundi, pour aborder les thèmes généraux de l'Europe. Eh bien concentrons-nous sur cette question centrale du terrorisme. Nous le voyons bien, pour avancer sur les questions de sécurité, il faut bien sûr se mobiliser sur le plan intérieur. C'est ce que nous faisons. Le gouvernement français est aux avant-postes. Nous le faisons dans les aéroports, dans le métro, dans les gares. Il y a là des actions d'urgence qui doivent être prises si l'on veut parer à toute éventualité. Mais il faut aussi prendre la mesure aujourd'hui de l'insécurité. On ne peut pas seulement lutter contre elle en prenant la seule dimension sécuritaire. Il faut agir politiquement. Il faut aller aux sources des problèmes, et c'est donc l'action que nous devons mener pour apporter des règlements aux questions d'urgence qui se posent. C'est vrai en Irak. Cette guerre en Irak qui fut, vous le savez c'est la conviction de la France, non seulement une erreur, mais une faute. Il faut trouver le moyen maintenant de trouver ensemble des solutions, et le retour à la souveraineté des Irakiens est une des clés indispensables. Et puis le Proche-Orient, parce que ce conflit nourrit aussi beaucoup de haine, beaucoup de terrorisme. Voilà les sujets qui doivent être au coeur de l'engagement des Européens. Les Européens ont une capacité à contribuer au règlement de ces crises. Avec nos partenaires espagnols, avec nos amis anglais, avec nos amis allemands, l'ensemble des Européens, oui, nous pouvons changer les choses ! Alors réunissons l'ensemble des responsables et faisons en sorte que l'Europe puisse prendre des initiatives. Nous avons beaucoup réfléchi à ces questions : il faut que nous soyons plus courageux, il faut que nous soyons plus mobilisés. C'est tout le sens de cette réunion. Et nous pensons qu'au-delà de l'Europe, il faut bien sûr que le Conseil de sécurité prenne la mesure de cette escalade du terrorisme que nous constatons depuis plusieurs mois. Cela veut dire que le Conseil de sécurité doit se réunir, c'est une proposition de la France. Nous présidons en ce moment le Conseil de sécurité pour le mois de mars, nous proposons qu'il se réunisse une nouvelle fois sur le terrorisme au niveau ministériel. La dernière fois que nous nous sommes réunis à l'échelon ministériel, c'était sur proposition de la France au début de l'année 2003. Aujourd'hui, je crois qu'il y a urgence, réunissons donc la communauté internationale à nouveau.
Q - M. Zapatero souhaite que soit adoptée plus rapidement la Constitution européenne. Est-ce que cette crise va permettre à l'Europe de passer à la vitesse supérieure ?
R - Nous voulons le croire, parce qu'il faut transformer le mouvement, la conscience qui s'est exprimée en Espagne, cette volonté de changement, cette volonté de vérité, qui est aussi une formidable leçon d'humilité pour les responsables politiques. Transformons cela au service de nos peuples ! Cela veut dire évidemment, pour les Européens, travailler pour cette Constitution, qui doit être notre règle commune. Comment les Européens peuvent-ils espérer être efficaces s'ils ne sont pas capables d'accepter cette Constitution ? Il y a, là encore, urgence. Nous allons nous réunir au Conseil européen à la fin du mois de mars. Faisons en sorte que ce Conseil européen puisse marquer un pas décisif vers la Constitution européenne.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 mars 2004)