Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec France 3 le 23 août 2005, sur la libération du journaliste de France 3 Mohamed Ouathi, la situation dans les Territoires palestiniens avec le retrait israélien de Gaza et la poursuite du processus de paix au Proche-Orient, le projet de Constitution irakienne et le risque de guerre civile en Irak et d'instabilité dans la région, la famine au Niger.

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Texte intégral

Q - Monsieur Douste-Blazy, bonsoir, vous étiez, vous aussi, on l'a vu, à la descente d'avion de Mohamed. Alors, cette prise d'otage d'un journaliste à Gaza - qui a eu des précédents avec, ces dernières semaines, plusieurs civils qui ont été capturés et relâchés assez vite -, est-ce que ce mode d'enlèvements témoigne d'une incapacité de l'Autorité palestinienne à maintenir l'ordre dans les Territoires ?
R - Permettez-moi d'abord d'exprimer mon soulagement, ma joie de voir Mohamed Ouathi ce soir en France et puis remercier aussi France 3, remercier aussi sa famille, parce que les liens que nous avons su tisser entre eux et nous pendant ces huit jours nous ont permis d'avoir cet événement heureux hier.
Le président de la République s'est investi personnellement. Nous avons travaillé avec l'Autorité palestinienne pendant huit jours. Je voudrais aussi remercier les Palestiniens qui nous ont permis cela.
Q - Cela s'est fait dans une grande discrétion ?
R - Oui, dans une grande discrétion, car je crois que c'est la seule solution dans une affaire d'otages.
La question que vous posez est réelle. A mon avis, ce qui s'est passé là, avec Mohamed Ouathi, ou avec d'autres, montre combien l'Autorité palestinienne a besoin de rétablir l'ordre public. Et la communauté internationale a tout intérêt à aider aujourd'hui les Palestiniens à rétablir l'ordre public dans ses Territoires.
Q - On peut imaginer que, d'ici les législatives, cet ordre sera revenu, des législatives qui sont prévues en janvier prochain ?
R - C'est fondamental. Vous savez, au moment où nous parlons, il se passe quelque chose d'historique, puisqu'il y a le retrait des colons de Gaza voulu par Ariel Sharon. C'est une étape majeure, une étape historique. Il y a non seulement Gaza, mais quatre colonies du Nord de la Cisjordanie. Il est évident que la décision d'Ariel Sharon de sortir de Gaza, d'évacuer Gaza, alors que ce territoire a été occupé par l'armée depuis 1967, est un fait historique. Maintenant, en réalité, l'heure de vérité est là, il faut continuer.
Q - Alors, Monsieur le Ministre, vous parlez d'heure de vérité. Ariel Sharon, ces dernières semaines, a clairement dit que le retrait se limiterait à Gaza, et il n'irait pas au-delà, c'est-à-dire pas aux frontières de 67. Alors, est-ce qu'à partir de là, vous ne craignez pas que, dans les semaines qui viennent, il y ait un affrontement direct entre les Israéliens d'un côté et les Islamistes du Hamas et du Jihad qui vont mener la vie dure à M. Abou Mazen ?
R - Qui aurait dit il y a encore deux mois que, le 23 août, nous aurions l'évacuation de la bande de Gaza, qui se passe actuellement et qui se passe plutôt bien, une société israélienne sereine, courageuse, capable d'accepter cela, une société palestinienne capable aussi de le faire ?
Q - Mais la suite alors...
R - C'est vrai, vous avez raison, maintenant c'est la Feuille de route. Et tout cela n'aurait pas de sens si la Feuille de route n'était pas respectée. C'est l'objet de la résolution 1515 qui a été acceptée par le Conseil de sécurité, il faut maintenant continuer en Cisjordanie. Et il faut bien évidemment que ce processus de paix avance pour obtenir ce que nous voulons obtenir, ce que la communauté internationale veut depuis le début, c'est-à-dire deux Etats, Israël et la Palestine, côte à côte, vivant en paix et en sécurité.
Mais c'est important pour les Israéliens qui vivent un moment actuellement très difficile, pour les Palestiniens qui doivent montrer qu'ils sont responsables de ces Territoires et c'est important pour la région car cela fait quarante ans, cinquante ans maintenant, que cette région est instable en raison d'un processus de paix difficile.
Q - Précisément, sur l'Irak, Monsieur le Ministre, la minorité sunnite, oppresseur hier, opprimée aujourd'hui, ne veut pas entrer dans le jeu du processus démocratique avec les Chiites et les Kurdes, on le voit bien sur le terrain. Est-ce que, pour vous, il y a aujourd'hui risque de guerre civile en Irak ?
R - Il y a aujourd'hui, en Irak, très clairement, d'abord, une course contre la montre parce qu'il y a d'un côté un processus politique, c'est la Constitution pour la formation de laquelle toutes les forces politiques irakiennes doivent être associées, et de l'autre des forces centrifuges extrémistes qui ne veulent pas, qu'en définitive, l'Irak ne forme qu'un. Or, l'Irak ne doit former qu'un, l'Irak doit être stable, l'Irak doit être souverain sur son propre territoire, avec une Constitution qui rassemble tout le monde. Plutôt que d'avoir des petites communautés qui se battent, avec une guerre civile, il faut une Constitution qui rassemble tout le monde. C'est la résolution 1546, qui prévoit un référendum le 15 octobre, des élections le 15 décembre, un gouvernement au 31 décembre, c'est fondamental pour l'Irak. C'est l'avenir de l'Irak qui se joue là.
Alors, comme vous le savez, une Constitution est pratiquement prête, il reste quelques sujets : fédéralisme ou pas fédéralisme ; ressources financières du pétrole, est-ce qu'il faut les partager ? Certainement ; et puis surtout, vous l'avez dit, tout à l'heure, est-ce que l'Islam est la source principale du droit ? C'est tout le sujet.
Q - C'était une revendication très forte de la communauté chiite. Elle semble sur le point d'aboutir puisque ce projet de texte qui a été présenté va, semble-t-il, être, pour ce qui concerne la charia, le texte définitif. Est-ce que cela ne veut pas dire que l'on a remplacé une dictature, celle de Saddam Hussein, par une République islamique avec, juste à côté, le voisin iranien ?
R - Ce qu'il faut c'est une Constitution, et la France a tout fait depuis le début, le président de la République l'a dit le premier, pour que soit respectée la souveraineté de l'Irak. Respecter la souveraineté de l'Irak, c'est respecter les électeurs, c'est donc avoir des élus. Une fois que vous avez une démocratie en Irak, alors je dirais qu'on aura tous gagné, la communauté internationale aura gagné. Donc, il faut tout faire aujourd'hui pour que toutes les forces politiques puissent reconnaître une même Constitution et, ensuite, une même démocratie. Ce jour-là, je crois que l'Irak sera stable, c'est essentiel pour la stabilité de la région.
Q - Et la région ne serait pas déstabilisée justement par deux Républiques islamiques cohabitant, celle de l'Irak et celle de l'Iran ?
R - Non, je ne pense pas. Je pense que l'Iran - qui est un autre sujet - est un grand peuple, un grand pays, et aujourd'hui est un sujet qui nous occupe tous les jours puisque le 3 septembre l'AIEA dira ce qu'elle pense des activités nucléaires sensibles en Iran. Mais l'Iran est un pays que nous respectons, avec lequel nous travaillons, auquel nous avons fait des propositions sur le nucléaire civil, sur les technologies, sur le commerce et, en particulier, sur l'OMC. Nous souhaitons travailler avec l'Iran, nous tendons la main à l'Iran mais à une condition, c'est qu'il respecte l'Accord de Paris pour suspendre les activités nucléaires sensibles.
Q - Philippe Douste-Blazy, vous vous êtes rendu au Niger, vous avez dénoncé cette situation. Comment expliquer ce retard de la communauté internationale face à une situation qui était quand même prévisible ?
R - Ce n'est pas le gouvernement du Niger qui a été en retard, c'est la communauté internationale.
Q - ... je parlais de la communauté internationale...
R - Oui, je le dis par rapport au film que l'on vient de voir.
Q - Oui, parce que le gouvernement du Niger a quand même tendance à minimiser un peu la situation.
R - Oui, mais lui l'a dit depuis le mois d'octobre dernier. Or, la communauté internationale n'a pas répondu. C'est le système d'alerte qui ne fonctionne pas. Je suis allé au Niger mais je me suis aussi rendu, le 13 août, à l'UNICEF, pour parler avec les responsables de l'UNICEF. Il faut mettre en place un système d'alerte épidémiologique. Aujourd'hui vous avez 33.000 enfants de moins de cinq ans qui sont en danger de mort parce qu'ils sont en état de dénutrition sévère, vous en avez 162.000 qui, s'ils n'ont pas de l'Unimix, du lait thérapeutique, vont aussi passer dans un état de dénutrition sévère. Donc, évidemment, nous l'avons fait là, j'ai eu mon homologue allemand, nous avons travaillé, les 4 000 tonnes arriveront, mais là c'est de l'humanitaire de court terme.
La seule solution c'est l'aide au développement de long terme, c'est l'irrigation, c'est l'éducation des enfants, c'est la santé publique avec la lutte contre le sida, la lutte contre le paludisme, ce sont ces sujets-là. Or, aujourd'hui, personne ne s'occupe véritablement du sujet. Il y a eu au G8, le président en a parlé, Tony Blair aussi, une acceptation générale des grands pays riches pour donner de l'argent pour les pays africains, les pays du Sud. Mais je dirais qu'à la sortie, il n'y a pas véritablement de mise en place, il n'y a pas de communautarisation, il n'y a pas d'envie.
Q - C'est pourtant un des combats de Jacques Chirac ? Cela veut dire quoi ? Que la voix de la France n'est pas assez forte ?
R - Cela veut dire que la France est le premier contributeur aujourd'hui, au monde, au Niger, mais simplement, la France ne peut pas tout faire. Donc, il faut aujourd'hui mettre en place un système d'alerte qui permette d'être efficace le plus vite possible. On ne peut pas laisser des gouvernements africains dire pendant un an "attention, on a une catastrophe naturelle qui va se surajouter à la sécheresse" et ne rien faire. Donc, il faut avoir un système d'alerte, au niveau européen d'abord, et ensuite, comme le disait "Médecins sans Frontières", il faut que sur le terrain cela aille au bon endroit. Nous avons affrété des avions, nous continuerons à faire des ponts aériens, la France a triplé son aide mais cela ne suffira pas s'il n'y a pas une organisation. Donc, je le dis très franchement, c'est d'autant plus idiot, c'est d'autant plus bête pour les pays riches que si l'on ne s'occupe pas des pays les plus pauvres, nous ne pourrons pas nous étonner s'il y a ensuite des réactions terribles, comme du terrorisme, comme de la haine, comme de l'intolérance, parce que tout cela ne forme qu'un.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 août 2005)