Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à RTL le 2 juin 2005, sur la situation de "rupture sociale" après le référendum sur la Constitution européenne en France et aux Pays-Bas, l'avenir de l'Europe et le refus de M. Bayrou de participer au nouveau gouvernement.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- Jean-Michel APHATIE : Bonjour François Bayrou. Les Hollandais après les Français ont massivement voté "Non" hier au traité constitutionnel européen. Il est mort ce traité François Bayrou ?
R- François BAYROU : En tout cas il est aujourd'hui en situation de crise absolue.
Q- C'est dépassé le traité, il faut faire autre chose, non ?
R- Vous voyez, il y a quatre jours on a pris une décision, et vous voyez les conséquences en chaîne qui commencent. Et vous voyez aussi quelle était la vanité, plus que ça, quelle était l'illusion de ceux qui ont raconté qu'un "Non" français serait fondateur de quelque chose d'autre.
Q- Ils ont raison, ils disaient que d'autres répondraient non après nous.
R- D'une Europe qui serait encore plus européenne, disaient certains, les plus responsables, et encore plus sociale. Je vais raconter une histoire, je suis arrivé un peu moins tôt que d'habitude à votre antenne.
Q- Ça va, vous étiez à l'heure François Bayrou.
R- Parce que je prenais un café au bar du coin de ma rue. Et puis un Monsieur est venu me voir, et ce monsieur m'a dit : "voilà, je vais vous dire qui je suis, j'ai écouté ce que vous avez dit, ça m'intéresse beaucoup, je vais vous dire qui je suis. Je suis quelqu'un qui a beaucoup d'argent, et je suis installé à l'étranger. Pour moi, votre décision de dimanche, le référendum de dimanche c'est formidable, parce que les marchés internationaux, parce que la possibilité de jouer sur les marchés financiers ça va être extraordinaire. Pour vous Français, je trouve que vous avez manqué une chance extraordinaire de mettre une autorité politique en face du monde économique et financier de la planète".
Q- Deuxièmement, le traité est mort, est-ce qu'il faut faire autre chose, c'est ça la question maintenant, et puis quoi ? On ne sait pas trop hein, on va attendre un peu.
R- Non, il ne faut pas attendre. Vous savez bien que les forces qui en Europe ne voulaient pas que l'Europe politique existe, qu'une union forte existe, se frottent aujourd'hui les mains. Vous savez bien que se prépare une décision britannique, puisque Tony Blair va exercer la responsabilité pendant six mois à la tête de l'Union Européenne, et que tout le monde chuchote à voix plus ou moins basse qu'il va dire : le traité est mort, restons-en au traité de Nice. Ceci est une catastrophe pour l'avenir.
Q- Donc il ne faut pas en rester au traité de Nice, il faut inventer autre chose.
R- Non il ne faut pas inventer autre chose. Il faut reprendre les principes fondateurs de ceux qui veulent que l'Europe s'affirme et devienne démocratique. Et il ne faut rien lâcher de cette ambition. Il y a beaucoup de Français, il y a des millions de Français qui sont depuis dimanche, encore très tristes et il y a beaucoup de Français qui ont voté non et qui commencent à se demander si, au fond, ils ne se sont pas laissé entraîner dans une voie qui n'était pas vraiment la leur.
Q- Dominique de Villepin a fait sa première intervention télévisée hier soir sur TF1, vous l'avez écouté bien sûr François Bayrou, vous avez appris quelque chose sur sa politique ?
R- Non, honnêtement je n'ai pas appris grand chose sur la politique suivie. Ce qui m'a frappé si vous voulez c'est, outre le sentiment de bonheur qu'Alain Duhamel soulignait à l'instant, outre ce sentiment de bonheur c'était la répétition de mots qu'on avait l'impression d'avoir déjà entendus très souvent. Alors peut-être n'est-il pas très facile de trouver des mots nouveaux. Mais le sentiment d'une rupture, que moi je crois indispensable, n'était pas là. Bon je ne veux pas faire de procès d'intention a priori. Il y a une chose qui est frappante et qui est dans l'actualité d'aujourd'hui.
Q- Allez-y.
R- Une chose qui est frappante, c'est que l'homogénéité nécessaire d'un gouvernement, la solidarité et la cohésion nécessaires d'un gouvernement, tout le monde qui tire dans le même sens, cela va être mis à rude épreuve, et on voit qu'hier soir, Dominique de Villepin était à la télévision sur TF1, Nicolas Sarkozy va être ce soir à la télévision, on va [sic : voit] une espèce de binôme comme ça, qui va perpétuellement mettre à l'épreuve la cohésion gouvernementale, et qui pour moi est une des principales hypothèques. Si on me dit : est-ce que ça peut marcher un navire avec deux capitaines intronisés ensemble ? Ma réponse est : non je ne crois pas que ça puisse marcher.
Q- Alors revenons aux choix politique. Vous avez vu le Président de la République lundi matin, vous a t-il expliqué quelle politique économique allait suivre le nouveau gouvernement ?
R- Non. Pas vraiment.
Q- Il ne vous a pas expliqué ça. Comment avez-vous trouvé Jacques Chirac ? Affaibli ? Déprimé ? Triste ?
R- Non, je n'ai pas du tout eu ce type de sentiment-là. J'étais venu voir Jacques Chirac pour lui dire ce qu'était, pour moi, l'état de la France. Et l'état de la France est extrêmement inquiétant. Jamais on a connu une rupture aussi forte entre deux pôles de la France : le pôle du oui et le pôle du non, qui recoupent un vote de rupture sociale. Et peut-être même de rupture de classes. Ce qui est une terrible épreuve pour la France, qui s'est entièrement bâtie notre pays s'est entièrement bâti sur l'unité.
Q- Jacques Chirac, lui, vous a dit quoi ?
R- Et j'attendais de Jacques Chirac, mesurant la profondeur de ce gouffre, qu'il choisisse d'ouvrir une page vraiment nouvelle. Or ce qu'on voit et ce que je crains, ce dont on va avoir la confirmation je le crains dans les heures qui viennent, ce soir ou demain, c'est qu'on va avoir un gouvernement composé en réalité, pour la plupart, des mêmes personnes qui étaient en place.
Q- Mais vous François Bayrou, qui avez vu Jacques Chirac, vous n'avez aucune idée de la politique qui va être suivie.
R- Non.
Q- Donc vous avez dit non au gouvernement sans savoir ce qu'ils allaient faire.
R- C'est parce que j'attendais un cadre nouveau, et qu'il n'y a pas eu de cadre nouveau, qui m'a paru qu'il n'était pas juste d'entrer ce gouvernement.
Q- Chris Patten, l'ancien commissaire européen britannique, disait à la télévision Chanel-4, mardi : "Jacques Chirac a rendu la France moins compétitive. Il a fait monter le chômage, il laisse la France dans le marasme, avec un fossé énorme entre l'électorat et les élites". Ce jugement, venant d'un Britannique, vous parait juste ou vous parait excessif ?
R- C'est l'état de la France aujourd'hui. C'est le bilan qu'on peut faire aujourd'hui.
Q- C'est le bilan de Jacques Chirac.
R- Non, je ne veux pas.
Q- C'est ce que vous pensez mais vous ne voulez pas le dire.
R- Vous savez bien que c'est tellement facile de faire de la polémique accusatoire.
Q- Non, ce n'est pas de la polémique, c'est l'heure du bilan peut-être après ce référendum...
R- Dieu sait que ce n'est pas moi qui vais m'instaurer en défenseur. Je pense qu'il y a aujourd'hui une situation qui mérite qu'on pense complètement différemment cet avenir. Le projet européen est en miettes. Le projet français est en miettes. Et pour moi, ce qu'il faut aujourd'hui, c'est exercer (moi je ne veux pas être au gouvernement comme vous le savez) c'est exercer un ministère, nouveau, qu'on ne peut pas exercer à l'intérieur du gouvernement.
Q- Lequel ?
R- C'est le ministère de la reconstruction nationale et européenne. Il y a quelque chose à faire pour penser un projet, qui soit un projet de reconstruction, et non pas d'acceptation, ou de résignation confuse en face de la situation que nous rencontrons aujourd'hui.
François Bayrou, qui a trouvé son ministère, mais pas dans le gouvernement était l'invité d'RTL ce matin. Bonne journée.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 juin 2005)