Texte intégral
Interview de B. Thibault à France Inter le 9 juin 2005 :
[7h56 - Préambule à "Question directe"]
S. Paoli - Hier à l'Assemblée, le Premier ministre s'est abstenu de tout lyrisme en prononçant un discours qui était très dépouillé, d'un certain point de vue, par rapport à ce qu'on a pu entendre quelquefois. Quand, par exemple, D. de Villepin disait hier "la mondialisation 'est pas un idéal", vous entendez ce qu'il vous dit ? Vous a-t-il convaincu d'abord ou pas ?
B. Thibault - Il ne suffit pas de s'appuyer sur un certain nombre de constats, qui peuvent être partagés, pour autant comprendre ou partager les solutions qui sont préconisées. Alors, que le Premier ministre soit lucide sur les nombreuses interrogations et critiques qui s'expriment notamment à propos de la forme de mondialisation qui creuse les inégalités aujourd'hui, dans notre pays, sur notre continent et plus largement dans le monde entier, ce n'est qu'une évidence de plus en plus partagée, mais encore faut-il promouvoir des pistes et des réformes qui soient susceptibles d'infléchir cette tendance. Ce n'est pas absolument pas le cas dans les points sur lesquels nous reviendrons tout à l'heure, s'agissant des premières mesures défendues par son Gouvernement.
Q- Sur les moyens mis en uvre, J.-F. Copé, qui est au ministère du Budget mais qui est aussi le porte-parole du Gouvernement, vient de dire que les premières ordonnances - puisqu'il s'agit de cela aussi ; ce qui figurait dans le discours de politique générale hier, c'est de gouverner par ordonnances, pour aller vite - ces premières ordonnances seront prises le 1er septembre prochain.
R- Cela fait partie, pour moi, des aspects tout à fait inacceptables, des premières dispositions décidées par le Premier ministre. Nous sommes reçus, je le rappelle, lundi à Matignon, chacun d'entre nous, organisations syndicales et patronales, moins d'une heure d'entretien pour ne rien apprendre du plus petit début d'orientation de politique que s'apprêtait à défendre le Premier ministre devant l'Assemblée deux jours après. Nous mettons en garde sur un certain nombre d'aspects, sans avoir un plus petit début de réponse, et nous sommes, en écoutant son discours à l'Assemblée, mis devant le fait accompli de mesures qui touchent au droit social, avec l'annonce d'un procédé par ordonnances, durant l'été, sans aucune négociation avec les organisations syndicales, dans le contexte d'aujourd'hui, c'est-à-dire dans un contexte d'après référendum, un contexte où les questions sociales, les préoccupations sociales, les craintes, les désaccords se sont très largement exprimés, ça je crois que tout le monde a pu observer que les motivations sociales avaient été très présentes dans les motifs qui avaient inspiré nos concitoyens à s'exprimer lors du référendum. Et la réponse c'est, après les gouvernements très critiqués, de modifier le droit social par ordonnances. C'est ce qui rend aussi la procédure inacceptable, au-delà du fond des mesures envisagées.
Q- C'est un bras de fer que d'ores et déjà vous engagez avec le Premier ministre et le Gouvernement ?
R- Oui. D'une certaine manière, c'est évident, dès lors qu'on nous met au défi de modifier le droit dans les proportions où s'apprête à le faire, durant l'été, dans le contexte social aujourd'hui.... Je l'ai dit dès hier soir, au nom de la CGT, c'est, au-delà du débat social quant aux solutions à mettre en uvre, je le considère comme aussi un choix politique irresponsable, dans le contexte français qui est le nôtre aujourd'hui.
[8h20 - Question Directe]
Q- D. de Villepin trouvera-t-il une troisième voie française, mélange de social et de libéral ? Est-il possible aujourd'hui de rassurer à la fois les syndicats et les patrons ? Le Premier ministre demandait hier dans son discours de politique générale le soutien de tous, "dans cette période, disait-il, de défis sans précédent au pays". Juste avant huit heures, je vous posais la question du bras de fer, je vous demandais si vous engagiez, en effet, un bras de fer avec le nouveau Gouvernement et avec D. de Villepin. Votre réponse c'était " oui ". D'où part une telle détermination, c'est sur ce contrat nouvelles embauches que vous coincez ?
R- Entre autres, mais pas seulement. On est en contre-pied des attentes sociales qui se sont exprimées depuis des mois et pas simplement le 29 mai, même si c'est à l'occasion de ce rendez-vous que bien des sujets ont été mis en évidence. Mais je rappelle que les préoccupations sociales, les critiques sociales, l'insatisfaction en matière de salaires, de précarité dans les emplois ne datent pas d'hier ou même d'avant-hier dans notre pays. Nous avions dit en son temps, à l'occasion des présidentielles de 2002, qu'on avait beaucoup parlé d'insécurité civile et que pour nous, organisations syndicales de salariés, l'insécurité sociale était un des fléaux qui minait la société française et qui préoccupait, qui mécontentait un très grand nombre de foyers. On n'en a pas tenu compte depuis. Ça s'est traduit par des mobilisations, on a réformé d'autorité, on a réformé des droits à la retraite, on a réformé la Sécurité sociale ; à chaque fois, on a eu une majorité qui a applaudi des deux mains l'Assemblée nationale pendant que les salariés, eux, étaient très mécontents. On a eu recrudescence des conflits sur les salaires et sur l'emploi en début d'année. Je rappelle que le 10 mars, il y avait plus d'un million de personnes dans les rues sur la question des salaires et de l'emploi. Le Gouvernement a fait comme ci c'était un mauvais moment à passer. On a eu, après, le lundi de Pentecôte qui a été à ce point contesté tant cette mesure était à la fois inefficace et inégalitaire. Il y a eu le 29 mai et on s'attend donc, après un changement de Gouvernement, même si effectivement le fait de maintenir à peu près les mêmes responsables dans des postes différents ne laissait pas augurer d'un changement radical, mais on peut s'attendre à un moment donné qu'on prenne conscience de l'ampleur du désarroi social. Et qu'est-ce qu'on a comme réponse ? Une photo de famille avec les organisations syndicales le lundi, parce que cet exercice de Matignon n'a consisté qu'à ça, pour afficher soi-disant une volonté de dialogue social et l'annonce de mesures, qui de nouveau s'attaquent aux droits des salariés - il faut qu'on y vienne un peu plus dans le détail -, de nouveau par une forme d'autorité, puisque monsieur Copé confirme que d'ici le 1er septembre des ordonnances seront prises sans aucune négociation avec les organisations syndicales.
Q- Le porte-parole du Gouvernement l'a, en effet, confirmé ce matin. Avant de revenir en détails, parce que là les détails vont vraiment compter, mais tout de même, une réflexion plus transverse. Au moment où le Premier ministre dit à tout le monde - et donc aussi à vous, aux syndicats - qu'il a besoin de tous, compte tenu du fait que le pays est dans une situation exceptionnelle et on comprend qu'il y a de la gravité dans cet "exceptionnel", est-ce qu'il n'y a pas là, peut-être pour vous aussi, vous qui vous êtes d'ailleurs à un moment posé la question du réformisme, une posture différente à envisager ? Est-ce qu'au fond cette tentative de trouver une voie de passage qui permette, en effet, de donner plus de souplesse aux patrons et peut-être de l'autre de garantir aussi - alors c'est là-dessus qu'il faut s'interroger - le droit des salariés, est-ce qu'il n'y a pas quelque chose à chercher dans cette direction-là ?
R- C'est justement parce que nous sommes les premiers à considérer que nous sommes dans une situation exceptionnelle dans notre pays, une crise que je considère, moi, sans précédent ; crise d'un point de vue politique, crise d'un point de vue institutionnel, crise aussi des représentations, et quand je dis des représentations c'est à la fois sociales, patronales, représentations politiques, bien sûr. Notre pays est en crise. C'est la raison pour laquelle personne aujourd'hui, et encore moins le Gouvernement en place, dans les conditions actuelles, ne peut prétendre avoir la vérité révélée, en décrétant, en ordonnant le sens et le contenu des réformes. C'est aussi pour ça que nous avons demandé à ce qu'il y ait des réelles discussions, par exemple, sur les choix structurants de l'année prochaine. Nous avions demandé, lundi, au Gouvernement de débattre du contour du budget pour l'année prochaine ; quelle politique fiscale, quelle politique d'investissement, quelle politique de recherche ? Bref, d'avoir une vraie négociation avec les représentants des salariés et du patronat, que nous réfléchissions aux leviers, aux moyens qu'a notre pays pour faire face à une crise sociale, économique, politique. Bref, une crise sans précédent. Ce n'est pas la démarche qui est retenue. Une nouvelle fois, nous sommes confrontés à des mesures d'autorité. Donc on ne peut pas nous appeler à être tous derrière un Gouvernement dès lors que ce Gouvernement défend des choix dont il n'a même pas pris le soin d'en discuter les finalités, d'autant plus que ces finalités sont contestables.
Q- Croyez-vous que vous serez tous ensemble sur cette ligne ? Quand on entend, par exemple, la CFDT - très critique, en effet, sur le "contrat nouvelle embauche" - dire que dans les propositions de D. de Villepin hier il y avait, je cite les mots de la CFDT "des éléments qui vont dans le bon sens". Alors il citait la prime de 1.000 euros pour la reprise d'activité, le fait que les jeunes qui seront reçus avant fin septembre à l'ANPE, la volonté de combattre les délocalisations, les grands chantiers engagés ; est-ce que tout ça vous paraît...
R- Oui, mais enfin moi je ne peux pas crier victoire au seul fait que les jeunes soient reçus à l'ANPE d'ici fin septembre, ça je... J'ai du mal à présenter ça comme un acquis social incontestable. Je suis désolé, mais moi ce que je retiens, ce sont des modifications, elles, substantielles et réelles, sur le droit du travail. La prime de 1.000 euros dont on parle pour les chômeurs, regardons le discours du Premier ministre ; c'est une prime en forme de solde de tout compte pour que les jeunes, les chômeurs, jeunes ou moins jeunes, soient contraints à l'avenir d'accepter tout emploi ou activité dite raisonnable. On va avoir la négociation sur la nouvelle convention d'indemnisation du chômage. Ce que nous dit, hier, le Premier ministre, c'est qu'on va rouvrir le débat sur ce qu'ils estiment être des abus trop importants dans notre pays, comme si la caractéristique du chômage était principalement due au fait d'avoir des salariés qui refusent les emplois qui leur sont proposés ou les activités disponibles. Et d'ailleurs, il y a deux mesures phares ; on parle beaucoup du "contrat nouvelle embauche", il faut y revenir un instant parce qu'il est très significatif, mais il y en a...
Q- A vos yeux, ça remet en cause le droit du travail ou pas ?
R- A l'évidence ! A l'évidence !
Q- Pourquoi ?
R- Les salariés seront à l'essai pendant deux ans, ça c'est complètement nouveau et c'est bien le droit du travail, en général, quand on est embauché pour un CDI, même si la majorité des offres d'emplois aujourd'hui le sont à contrat à durée déterminée ou à temps partiel. C'est-à-dire que la précarité de l'emploi, c'est déjà une réalité. On accroît cette tendance à la précarité. Donc que disent les petits patrons aujourd'hui ? Ils disent c'est une bonne mesure...
Q- L'un d'entre eux le disait dans le journal de huit heures tout à l'heure.
R- Mais pour deux raisons, alors la première ça nous permet d'essayer les salariés plus longtemps : deux ans. J'ai quand même tendance à penser qu'il ne faut pas forcément deux ans pour évaluer les compétences professionnelles et le savoir-faire d'un salarié, ça me semble une période... Mais c'est le deuxième argument qui est intéressant et C pourquoi la mesure est reprise d'inspiration Medef, c'est que si je n'en ai plus besoin, je pourrais m'en séparer lorsque je le voudrais, c'est ça le cur du problème. Et donc c'est la fin programmée du CDI, il faut le dire, parce qu'il n'y a aucune raison qu'une mesure, aujourd'hui réservée pour les petites entreprises, ça a toujours été le cas d'autres mesures dans le droit social, dès lors que le patronat obtenait un coin dans le droit social, il s'est évertué au fil du temps à obtenir l'élargissement - ça a été le cas du travail du dimanche, ça a été le cas pour le travail de nuit, les heures supplémentaires... Bref, accepter cette mesure pour les petites entreprises, un, ce n'est pas s'attaquer aux vrais problèmes des petites entreprises, parce que je crois que les petites entreprises ne sont pas d'abord victimes du coût du travail dans notre pays, mais d'abord victimes des donneurs d'ordres qui très souvent décident de leur activité et les très petites entreprises n'ont pas la lisibilité sur le long terme du fait de la stratégie des plus grands groupes et des firmes, et c'est à ça qu'il faudrait s'attaquer, mais de ça, on ne veut pas discuter.
Q- Mais, B. Thibault, c'est vrai que sur la deuxième partie de la proposition, c'est-à-dire quand il dit qu'il y aura un meilleur accompagnement des salariés, là c'est encore assez flou.
R- Oui, mais voilà...
Q- Oui, mais attendez, si vous obteniez sur ce segment-là plus de précisions, voire plus de garanties, y aurait-il à vos yeux dans cette réflexion, qui consiste à donner d'une part aux patrons et d'autre part aux salariés un petit peu plus de souplesse quelque chose d'inacceptable ou faut-il continuer de réfléchir à quelque chose qui permettrait de débloquer un système qui est bloqué aujourd'hui ?
R- Mais avant d'avoir un jugement positif comme on nous le suggère, encore faudrait-il avoir une vision complète du dispositif et moi je ne peux pas accepter qu'il y ait une ordonnance, cet été, qui modifie les termes essentiels d'un contrat de travail, sans avoir l'assurance d'autres dispositions qui pourraient être considérées comme, elles, des sécurités. Ce n'est pas le cas et je combattrai cette disposition tant que je n'aurai pas l'assurance qu'il y a des droits réels pour les salariés. C'est la même chose s'agissant du chèque emploi. On n'y a pas prêté beaucoup d'attention depuis hier, mais j'y reviens un instant, le chèque emploi, pour moi, c'est la réinstauration du travail à la tâche ou du travail journalier. On va revenir à des salariés se rendant Place de Grève pour aller faire leurs offres de services et on donne, par cette disposition, la possibilité pour les employeurs d'embaucher à la tâche, à la journée, à la demi-journée, bref on est sur un tout autre rapport salarial. On ne peut pas banaliser ce genre de modification du droit social.
Q- Un dernier mot, B. Thibault, le 21 juin prochain, ce sera le premier grand test social et pour vous d'ailleurs, compte tenu de la mobilisation, et pour le gouvernement ?
R- Nous avons déjà une manifestation à Paris tout à l'heure pour la défense de l'emploi industriel. Je remarque que dans le discours d'hier, d'ailleurs pas grand chose sur la politique industrielle. Nous sommes de ceux qui considérons que la France n'est pas condamnée à voir ses emplois industriels fuir, comme c'est trop souvent le cas aujourd'hui. Nous avons donc une manifestation à Paris. Et puis, dès lors que le Gouvernement nous met en quelque sorte un peu le couteau sous la gorge - ordonnances d'ici le 1er septembre - il y a donc une course de vitesse. C'est la raison pour laquelle nous en avons appelé, dès hier soir, à des premières réactions, des premières mobilisations que nous proposons le 21 juin, parce qu'il se trouve que nous avons une négociation avec le Medef sur la pénibilité du travail. Le Medef se fait tirer l'oreille dans la mesure où, dans ce contexte-là, bien évidemment, tout ce qu'il n'obtient pas par la négociation avec les syndicats, il est en train de l'obtenir par les parlementaires. Donc sur la pénibilité du travail, nous n'avançons pas fondamentalement pour la reconnaissance des contraintes et de ce que ça représente pour les salariés, c'était pourtant un engagement de la réforme des retraites d'il y a deux ans. Avec le recul, on s'aperçoit qu'on a fait voter la réforme sur les retraites, mais sur la pénibilité du travail, on n'avance pas. Donc nous proposons à l'ensemble des salariés de se mobiliser dès le 21 juin pour livrer leur message de nouveau, par la voie syndicale, au Gouvernement pour lui dire qu'il est à côté de la plaque et pour porter, pour continuer à porter nos revendications sur les salaires et l'emploi.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 juin 2005)
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Interview de B. Thibault, dans L'Humanité le 10 juin 2005 :
Paule Masson. Pourquoi en appeler si rapidement à la rue ?
Bernard Thibault. C'est la situation qui nécessite de nouvelles mobilisations. Le débat qui a animé la campagne référendaire sur la constitution européenne, puis le résultat du vote ont considérablement accru les responsabilités syndicales. Les questions sociales sont au cur des attentes mais aussi des critiques. Le soir du scrutin, en exigeant d'accentuer les politiques libérales, le Président de l'UMP, Nicolas Sarkozy, annonçait la couleur. Les syndicats se devaient, si possible dans un cadre unitaire, de porter les revendications. Nous avons invité les autres syndicats à discuter ensemble, ils ont préféré des rencontres en bilatérales. Ceci est en cours. Si nous partageons certaines opinions, nous ne ressentons pas la même nécessité de continuer à exercer la pression pour mettre à l'ordre du jour les revendications des salariés et non celles du Medef.
Vous partez donc tout seul ?
Un élément décisif vient de s'ajouter à ce tableau. Dans un contexte de crise, le gouvernement Villepin, pourtant déjà impopulaire, choisit de réformer par ordonnances. Et il va le faire pendant l'été. Jean-François Copé, ministre délégué au Budget, vient de l'annoncer. Tout doit être bouclé pour le 1er septembre. Dès lors il n'y a que deux alternatives. Où on courbe l'échine ou on confirme notre désaccord. Nous choisissons la seconde solution, en appelant les salariés à se mobiliser le 21 juin, jour de rendez-vous de négociation avec le Medef pour la reconnaissance de la pénibilité du travail. Nous voulons porter un double message°: dire au gouvernement qu'il est à coté de la plaque et continuer à revendiquer sur l'emploi, les salaires et les droits sociaux.
Dominique de Villepin chiffre l'effort entrepris pour l'emploi à 4, 5 milliards d'euros. Cela vous paraît-il insuffisant ?
Parlons en, justement. Il s'agit d'une enveloppe de 4 milliards d'euros d'aides financières pour les employeurs, qui s'ajoutent aux 20 milliards déjà acquis. Ces montants ont été multipliés par dix en dix ans. Pendant cette période, le chômage et la précarité du travail ont augmenté dans les mêmes proportions. Le gouvernement continue et amplifie des recettes coûteuses pour la nation, qui n'ont en aucun cas fait la preuve de leur pertinence au service de l'emploi.
"°Plus de flexibilité, moins de sécurité°", vous partagez cet avis concernant les mesures sur l'emploi °?
Certainement. Le Premier ministre touche à des aspects essentiels du droit du travail. La période d'essai de deux ans, instaurée avec le "°contrat nouvelle embauche°", signifie qu'un salarié pourra être licencié sans justification pendant tout ce temps. Il devient plus corvéable et encore plus dépendant de son employeur. Dans les TPE, les salaires sont déjà plus bas de 20°% que dans les grandes entreprises, le droit du travail et les conventions collectives y sont moins respectés et moins contrôlés. Le "°contrat nouvelle embauche°" ne fait qu'accroître ces différences.
Ne craignez-vous pas un ballon d'essai qui pourrait s'appliquer plus tard à tous les salariés°?
Dès que le patronat obtient une dérogation, il s'efforce de la généraliser. Les précédents sont nombreux. Le travail du dimanche était au départ réservé pour les magasins des zones touristiques et maintenant il s'étend. Le travail de nuit était à été justifié par des impératifs de production et aujourd'hui, il se généralise. On pourrait faire la même démonstration avec les temps d'astreintes ou de gardes. La mesure Villepin ne va pas manquer d'inspirer d'autres projets pour que l'exception devienne la règle. Ce nouveau contrat de travail ouvre un processus qui peut aboutir à la fin du CDI. Il n'est qu'un habillage destiné à rendre la précarité permanente.
Est-ce la mesure qui vous semble la plus dangereuse°?
Avec celle du "°chèque emploi°". Sous couvert de faciliter les opérations d'embauche, Le Premier ministre veut autoriser le recrutement des salariés à la tâche. Alors là, on en revient à plus d'un siècle de droit social, quand les ouvriers se rendaient place de grève pour se vendre à des employeurs à la journée. Jeunes et chômeurs seront poursuivis s'ils n'acceptent pas les activités ou emplois " raisonnables ".
On a par contre peu entendu Dominique de Villepin sur les salaires...
Sauf pour faire de la publicité mensongère sur l'augmentation du SMIC, une décision qui date de deux et nous est revendue pour la troisième fois. J'avais pourtant prévenu le Premier ministre qu'il ne fallait plus mentir à ce sujet. Il a quand même laissé à penser que le bulletin de paie des smicards va bondir de 5°%. C'est absolument faux. Il vend la hausse du SMIC horaire qui est une conséquence du passage de 39 à 35h et ne change rien sur la feuille de paie.
Ce refus de d'aborder la question du pouvoir d'achat, pourtant omniprésent dans les mouvements sociaux, rend-il caduc le rendez-vous sur les salaires Gérard Larcher aujourd'hui°?
Pas du tout. Ce rendez-vous a été obtenu par la mobilisation du 10 mars et après que Raffarin ait joué la montre. La phase d'examen du niveau des minima garantis dans les branches professionnelles est achevée. Nous attendons maintenant des actes. Le gouvernement doit jouer son rôle pour imposer une modification des salaires pratiqués dans les branches.
La Cgt a demandé l'ouverture d'une grande négociation sociale sur les choix structurants de l'économie. Légiférer par ordonnances y coupe court°?
La méthode arrêtée est totalement inacceptable. On ne peut pas reconnaître le très fort mécontentement social et continuer de procéder par autoritarisme. Le gouvernement dispose de deux assemblées parlementaires à son service, mais cela ne lui suffit même plus. Il passe en force durant l'été et c'est un choix lourd de conséquence. Nous avons été reçus lundi à Matignon. Dominique de Villepin ne nous a rien dévoilé des ses intentions. Nous avons réitéré nos demandes de rencontres déjà formulées sur la politique industrielle, les délocalisations ou sur les choix budgétaires. Nous avons demandé le temps de discuter avec les organisations syndicales sur des axes susceptibles de répondre à la crise sociale. La réponse est cinglante. Aucun rendez-vous sur aucun sujet n'est accepté et on procède par ordonnance. Après ce qui s'est passé dans la rue et les urnes c'est un choix politique à haut risque.
A propos des urnes, le sommet européen des chefs d'Etat se profile le 16 juin et juste avant la réunion du comité exécutif de Confédération européenne des syndicats. Comment abordez-vous ce rendez-vous°?
Après le vote en France et aux Pas bas, des interrogations se font jour dans d'autres pays. Le projet européen est en crise. La réunion de la CES sera l'occasion d'analyser la situation. Nous avons besoin d'expliquer quelles ont été les motivations réelles du vote des salariés, notamment sur l'idée qu'il ne s'agit pas d'un rejet de l'Europe mais d'un besoin d'Europe sociale. Même si la CES a soutenu le traité, elle prévient depuis longtemps qu'une Europe construite sans adhésion suffisante des citoyens s'expose aux critiques. Cela se vérifie aujourd'hui. Il va falloir prendre le temps de réfléchir entre responsables syndicaux pour
définir le type d'initiative que nous devons prendre.
Entretien reproduit avec l'aimable autorisation du journal l'Humanité. Tous droits de reproduction et de diffusion réservés au journal.
(Source http://www.cgt.fr, le 15 juin 2005)
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Interview de B. Thibault, dans Le Télégramme de Brest le 10 juin 2005 :
Philippe Reinhard. Vous avez rencontré le nouveau Premier ministre lundi, vous avez écouté son discours de politique générale mercredi. Dominique de Villepin a-t-il apporté des réponses aux questions que se pose le leader de la Cgt ?
Bernard Thibault. Sur la méthode, je trouve que cela commence bien mal. Aucune des mesures qu'il a annoncé mercredi n'a fait l'objet d'un plus petit début de discussion lorsqu'il a reçu les organisations syndicales, lundi. Il a réservé l'ensemble de ses annonces pour sa prestation devant les députés, avant de leur annoncer qu'il procédera par ordonnance ! C'est de cette façon que le gouvernement compte modifier " à la hussarde " certains aspects essentiels des droits sociaux des salariés. Et, cela, pour nous, c'est inacceptable. S'agissant du contenu, je remarque que les organisations d'employeurs, elles ne s'y trompent pas ! se réjouissent des propos du nouveau Premier ministre, alors que pour les organisations de salariés, je dirai que non seulement le compte n'y est pas mais que nous avons là un discours de politique générale qui confirme les orientations précédentes et qui amplifie la cadence de réformes toujours aussi autoritaires et toujours aussi inégalitaires.
Le Premier ministre s'est donné cent jours pour réussir. Pourquoi ne pas lui accorder ce délai ?
Je ne vois pas comment nous pourrions rester cent jours dans l'expectative dès lors qu'on nous annonce qu'on va modifier par ordonnances la nature des contrats de travail dans les entreprises sans négociation avec les syndicats. Je ne vois pas pourquoi il faudrait que nous fassions un chèque en blanc au gouvernement pour lui permettre de modifier le droit du travail comme bon lui semble durant les congés d'été.
Depuis quelques semaines, tout le monde parle du fameux " modèle social français ". Faut-il vraiment défendre un modèle social qui génère plus de 10 % de chômeurs dans la population active ?
Je ne vois pas en quoi la nature des réponses que le gouvernement s'apprête à mettre en uvre sont susceptibles de générer de l'emploi. Elles sont susceptibles de générer plus de précarité. C'est à cela qu'aboutira le nouveau contrat pour les petites entreprises qui consistera à systématiser la pratique de salariés à l'essai.
Vous craignez que ce qui est prévu pour les très petites entreprises soient étendues à l'ensemble du marché du travail ?
Bien sûr. À chaque fois que le patronat est parvenu à placer un coin dans le droit social, il s'est efforcé - et c'est compréhensible d'enfoncer ce coin jusqu'au bout, jusqu'à ce que la porte soit complètement ouverte. Donc ces dispositions constitueront un précédent. Lorsque le patronat a obtenu des exonérations de charges sociales, en parti au prétexte de la défense de l'emploi, il n'a cessé d'obtenir la généralisation de ces exonérations de ces cotisations. Et d'ailleurs aujourd'hui on nous en remet encore de nouvelles. Les employeurs empocheront 4 milliards d'euros supplémentaires sans contrepartie pour l'emploi.
Il y a pourtant une contrepartie politique qui ne devrait pas plaire à l'électorat de la majorité et au patronat puisque le Premier ministre a annoncé le gel des baisses d'impôts. Est-ce que ce gouvernement ne répartit pas les sacrifices ?
Il n'y a pas de contrepartie ! Le gel momentané de baisse d'impôt est seulement remplacé par des baisses de cotisations patronales. Le problème de ce gouvernement c'est bien la question sociale et je considère aujourd'hui qu'avec les réponses du Premier ministre, non seulement on ne répond pas à l'attente et au mécontentement social, mais on propose des mesures qui ne feront qu'accroître ce mécontentement.
À gauche comme du côté syndical, on rejette toute référence aux modèles étrangers (qu'ils soient danois anglais ou autre). N'avons nous vraiment aucun enseignement à tirer des réussites obtenues par des pays étrangers en matière de lutte contre le chômage ?
Il faut comparer ce qui est comparable. Il faut se garder des comparaisons mathématiques ou systémiques dans le mesure où la situation de chaque pays s'apprécie aussi en fonction de ses spécificités, qu'il s'agisse de ses activités, de la place de l'industrie et des services, de la démographie (notre courbe démographique ne se compare pas à celle des autres pays), de la densité de population. Bref, chaque pays a sa spécificité. Il ne faut pas penser que les règles existantes dans un pays sont facilement transposables à un autre. Si, par exemple, on fait référence au Danemark, il faut bien admettre qu'un certain nombre de systèmes danois sont à l'uvre parce que les Danois ont fait le choix d'un taux d'imposition beaucoup plus élevé qu'en France. Donc, il ne faut pas laisser penser qu'on peut avoir en même temps le beurre et l'argent du beurre.
Regrettez-vous de ne pas avoir été entendu au sujet de la " grande négociation sociale " que vous appeliez de vos vux ?
Nous avions effectivement demandé une négociation sociale. Nous avons certes été reçus lundi, mais j'ai tendance aujourd'hui à penser que ce n'était que pour la photographie. Nous n'avons pas eu alors le plus petit début d'information sur les orientations de la nouvelle politique gouvernementale. Il ne suffit pas de parler de dialogue social pour que celui-ci soit effectif. Et on nous annonce mercredi qu'il n'est absolument pas question du début d'un quelconque dialogue social. Notre demande de négociation est ignorée de fait. Mais plus que jamais nous la maintenons.
Election après élection, le pouvoir en place ne change pas de ligne. Cela vous conduit-il à envisager des actions plus dures ? La prochaine fois, les syndicats se feront-ils entendre dans la rue ?
C'est déjà la rue depuis un certain temps. Le dernier rendez-vous en date encore dans les mémoires, c'est la grande mobilisation du 10 mars. Le gouvernement de l'époque avait cherché à minimiser l'ampleur du mouvement en se réfugiant, comme d'habitude, derrière des querelles de chiffres. Mais même les chiffres officiels avaient admis que plus d'un million de manifestants avaient alors défilé et plusieurs millions de salariés avaient arrêté le travail pendant au moins une partie de la journée. Il y a eu par la suite la contestation très forte sur le jour de travail gratuit instauré pour la Pentecôte. Cette affaire était déjà un pré-référendum. C'est parce que le pouvoir fait la sourde oreille qu'il faut de nouvelles mobilisations. Il est, en tout cas, de notre responsabilité d'organisation syndicale de permettre par l'action collective d'obtenir des négociations sur les revendications de salariés et d'éviter ainsi que l'action du gouvernement ne s'inspire, comme c'est une fois de plus le cas, des seules revendications patronales. C'est le sens de notre appel à se mobiliser partout le 21 juin.
(Source http://www.cgt.fr, le 15 juin 2005)
[7h56 - Préambule à "Question directe"]
S. Paoli - Hier à l'Assemblée, le Premier ministre s'est abstenu de tout lyrisme en prononçant un discours qui était très dépouillé, d'un certain point de vue, par rapport à ce qu'on a pu entendre quelquefois. Quand, par exemple, D. de Villepin disait hier "la mondialisation 'est pas un idéal", vous entendez ce qu'il vous dit ? Vous a-t-il convaincu d'abord ou pas ?
B. Thibault - Il ne suffit pas de s'appuyer sur un certain nombre de constats, qui peuvent être partagés, pour autant comprendre ou partager les solutions qui sont préconisées. Alors, que le Premier ministre soit lucide sur les nombreuses interrogations et critiques qui s'expriment notamment à propos de la forme de mondialisation qui creuse les inégalités aujourd'hui, dans notre pays, sur notre continent et plus largement dans le monde entier, ce n'est qu'une évidence de plus en plus partagée, mais encore faut-il promouvoir des pistes et des réformes qui soient susceptibles d'infléchir cette tendance. Ce n'est pas absolument pas le cas dans les points sur lesquels nous reviendrons tout à l'heure, s'agissant des premières mesures défendues par son Gouvernement.
Q- Sur les moyens mis en uvre, J.-F. Copé, qui est au ministère du Budget mais qui est aussi le porte-parole du Gouvernement, vient de dire que les premières ordonnances - puisqu'il s'agit de cela aussi ; ce qui figurait dans le discours de politique générale hier, c'est de gouverner par ordonnances, pour aller vite - ces premières ordonnances seront prises le 1er septembre prochain.
R- Cela fait partie, pour moi, des aspects tout à fait inacceptables, des premières dispositions décidées par le Premier ministre. Nous sommes reçus, je le rappelle, lundi à Matignon, chacun d'entre nous, organisations syndicales et patronales, moins d'une heure d'entretien pour ne rien apprendre du plus petit début d'orientation de politique que s'apprêtait à défendre le Premier ministre devant l'Assemblée deux jours après. Nous mettons en garde sur un certain nombre d'aspects, sans avoir un plus petit début de réponse, et nous sommes, en écoutant son discours à l'Assemblée, mis devant le fait accompli de mesures qui touchent au droit social, avec l'annonce d'un procédé par ordonnances, durant l'été, sans aucune négociation avec les organisations syndicales, dans le contexte d'aujourd'hui, c'est-à-dire dans un contexte d'après référendum, un contexte où les questions sociales, les préoccupations sociales, les craintes, les désaccords se sont très largement exprimés, ça je crois que tout le monde a pu observer que les motivations sociales avaient été très présentes dans les motifs qui avaient inspiré nos concitoyens à s'exprimer lors du référendum. Et la réponse c'est, après les gouvernements très critiqués, de modifier le droit social par ordonnances. C'est ce qui rend aussi la procédure inacceptable, au-delà du fond des mesures envisagées.
Q- C'est un bras de fer que d'ores et déjà vous engagez avec le Premier ministre et le Gouvernement ?
R- Oui. D'une certaine manière, c'est évident, dès lors qu'on nous met au défi de modifier le droit dans les proportions où s'apprête à le faire, durant l'été, dans le contexte social aujourd'hui.... Je l'ai dit dès hier soir, au nom de la CGT, c'est, au-delà du débat social quant aux solutions à mettre en uvre, je le considère comme aussi un choix politique irresponsable, dans le contexte français qui est le nôtre aujourd'hui.
[8h20 - Question Directe]
Q- D. de Villepin trouvera-t-il une troisième voie française, mélange de social et de libéral ? Est-il possible aujourd'hui de rassurer à la fois les syndicats et les patrons ? Le Premier ministre demandait hier dans son discours de politique générale le soutien de tous, "dans cette période, disait-il, de défis sans précédent au pays". Juste avant huit heures, je vous posais la question du bras de fer, je vous demandais si vous engagiez, en effet, un bras de fer avec le nouveau Gouvernement et avec D. de Villepin. Votre réponse c'était " oui ". D'où part une telle détermination, c'est sur ce contrat nouvelles embauches que vous coincez ?
R- Entre autres, mais pas seulement. On est en contre-pied des attentes sociales qui se sont exprimées depuis des mois et pas simplement le 29 mai, même si c'est à l'occasion de ce rendez-vous que bien des sujets ont été mis en évidence. Mais je rappelle que les préoccupations sociales, les critiques sociales, l'insatisfaction en matière de salaires, de précarité dans les emplois ne datent pas d'hier ou même d'avant-hier dans notre pays. Nous avions dit en son temps, à l'occasion des présidentielles de 2002, qu'on avait beaucoup parlé d'insécurité civile et que pour nous, organisations syndicales de salariés, l'insécurité sociale était un des fléaux qui minait la société française et qui préoccupait, qui mécontentait un très grand nombre de foyers. On n'en a pas tenu compte depuis. Ça s'est traduit par des mobilisations, on a réformé d'autorité, on a réformé des droits à la retraite, on a réformé la Sécurité sociale ; à chaque fois, on a eu une majorité qui a applaudi des deux mains l'Assemblée nationale pendant que les salariés, eux, étaient très mécontents. On a eu recrudescence des conflits sur les salaires et sur l'emploi en début d'année. Je rappelle que le 10 mars, il y avait plus d'un million de personnes dans les rues sur la question des salaires et de l'emploi. Le Gouvernement a fait comme ci c'était un mauvais moment à passer. On a eu, après, le lundi de Pentecôte qui a été à ce point contesté tant cette mesure était à la fois inefficace et inégalitaire. Il y a eu le 29 mai et on s'attend donc, après un changement de Gouvernement, même si effectivement le fait de maintenir à peu près les mêmes responsables dans des postes différents ne laissait pas augurer d'un changement radical, mais on peut s'attendre à un moment donné qu'on prenne conscience de l'ampleur du désarroi social. Et qu'est-ce qu'on a comme réponse ? Une photo de famille avec les organisations syndicales le lundi, parce que cet exercice de Matignon n'a consisté qu'à ça, pour afficher soi-disant une volonté de dialogue social et l'annonce de mesures, qui de nouveau s'attaquent aux droits des salariés - il faut qu'on y vienne un peu plus dans le détail -, de nouveau par une forme d'autorité, puisque monsieur Copé confirme que d'ici le 1er septembre des ordonnances seront prises sans aucune négociation avec les organisations syndicales.
Q- Le porte-parole du Gouvernement l'a, en effet, confirmé ce matin. Avant de revenir en détails, parce que là les détails vont vraiment compter, mais tout de même, une réflexion plus transverse. Au moment où le Premier ministre dit à tout le monde - et donc aussi à vous, aux syndicats - qu'il a besoin de tous, compte tenu du fait que le pays est dans une situation exceptionnelle et on comprend qu'il y a de la gravité dans cet "exceptionnel", est-ce qu'il n'y a pas là, peut-être pour vous aussi, vous qui vous êtes d'ailleurs à un moment posé la question du réformisme, une posture différente à envisager ? Est-ce qu'au fond cette tentative de trouver une voie de passage qui permette, en effet, de donner plus de souplesse aux patrons et peut-être de l'autre de garantir aussi - alors c'est là-dessus qu'il faut s'interroger - le droit des salariés, est-ce qu'il n'y a pas quelque chose à chercher dans cette direction-là ?
R- C'est justement parce que nous sommes les premiers à considérer que nous sommes dans une situation exceptionnelle dans notre pays, une crise que je considère, moi, sans précédent ; crise d'un point de vue politique, crise d'un point de vue institutionnel, crise aussi des représentations, et quand je dis des représentations c'est à la fois sociales, patronales, représentations politiques, bien sûr. Notre pays est en crise. C'est la raison pour laquelle personne aujourd'hui, et encore moins le Gouvernement en place, dans les conditions actuelles, ne peut prétendre avoir la vérité révélée, en décrétant, en ordonnant le sens et le contenu des réformes. C'est aussi pour ça que nous avons demandé à ce qu'il y ait des réelles discussions, par exemple, sur les choix structurants de l'année prochaine. Nous avions demandé, lundi, au Gouvernement de débattre du contour du budget pour l'année prochaine ; quelle politique fiscale, quelle politique d'investissement, quelle politique de recherche ? Bref, d'avoir une vraie négociation avec les représentants des salariés et du patronat, que nous réfléchissions aux leviers, aux moyens qu'a notre pays pour faire face à une crise sociale, économique, politique. Bref, une crise sans précédent. Ce n'est pas la démarche qui est retenue. Une nouvelle fois, nous sommes confrontés à des mesures d'autorité. Donc on ne peut pas nous appeler à être tous derrière un Gouvernement dès lors que ce Gouvernement défend des choix dont il n'a même pas pris le soin d'en discuter les finalités, d'autant plus que ces finalités sont contestables.
Q- Croyez-vous que vous serez tous ensemble sur cette ligne ? Quand on entend, par exemple, la CFDT - très critique, en effet, sur le "contrat nouvelle embauche" - dire que dans les propositions de D. de Villepin hier il y avait, je cite les mots de la CFDT "des éléments qui vont dans le bon sens". Alors il citait la prime de 1.000 euros pour la reprise d'activité, le fait que les jeunes qui seront reçus avant fin septembre à l'ANPE, la volonté de combattre les délocalisations, les grands chantiers engagés ; est-ce que tout ça vous paraît...
R- Oui, mais enfin moi je ne peux pas crier victoire au seul fait que les jeunes soient reçus à l'ANPE d'ici fin septembre, ça je... J'ai du mal à présenter ça comme un acquis social incontestable. Je suis désolé, mais moi ce que je retiens, ce sont des modifications, elles, substantielles et réelles, sur le droit du travail. La prime de 1.000 euros dont on parle pour les chômeurs, regardons le discours du Premier ministre ; c'est une prime en forme de solde de tout compte pour que les jeunes, les chômeurs, jeunes ou moins jeunes, soient contraints à l'avenir d'accepter tout emploi ou activité dite raisonnable. On va avoir la négociation sur la nouvelle convention d'indemnisation du chômage. Ce que nous dit, hier, le Premier ministre, c'est qu'on va rouvrir le débat sur ce qu'ils estiment être des abus trop importants dans notre pays, comme si la caractéristique du chômage était principalement due au fait d'avoir des salariés qui refusent les emplois qui leur sont proposés ou les activités disponibles. Et d'ailleurs, il y a deux mesures phares ; on parle beaucoup du "contrat nouvelle embauche", il faut y revenir un instant parce qu'il est très significatif, mais il y en a...
Q- A vos yeux, ça remet en cause le droit du travail ou pas ?
R- A l'évidence ! A l'évidence !
Q- Pourquoi ?
R- Les salariés seront à l'essai pendant deux ans, ça c'est complètement nouveau et c'est bien le droit du travail, en général, quand on est embauché pour un CDI, même si la majorité des offres d'emplois aujourd'hui le sont à contrat à durée déterminée ou à temps partiel. C'est-à-dire que la précarité de l'emploi, c'est déjà une réalité. On accroît cette tendance à la précarité. Donc que disent les petits patrons aujourd'hui ? Ils disent c'est une bonne mesure...
Q- L'un d'entre eux le disait dans le journal de huit heures tout à l'heure.
R- Mais pour deux raisons, alors la première ça nous permet d'essayer les salariés plus longtemps : deux ans. J'ai quand même tendance à penser qu'il ne faut pas forcément deux ans pour évaluer les compétences professionnelles et le savoir-faire d'un salarié, ça me semble une période... Mais c'est le deuxième argument qui est intéressant et C pourquoi la mesure est reprise d'inspiration Medef, c'est que si je n'en ai plus besoin, je pourrais m'en séparer lorsque je le voudrais, c'est ça le cur du problème. Et donc c'est la fin programmée du CDI, il faut le dire, parce qu'il n'y a aucune raison qu'une mesure, aujourd'hui réservée pour les petites entreprises, ça a toujours été le cas d'autres mesures dans le droit social, dès lors que le patronat obtenait un coin dans le droit social, il s'est évertué au fil du temps à obtenir l'élargissement - ça a été le cas du travail du dimanche, ça a été le cas pour le travail de nuit, les heures supplémentaires... Bref, accepter cette mesure pour les petites entreprises, un, ce n'est pas s'attaquer aux vrais problèmes des petites entreprises, parce que je crois que les petites entreprises ne sont pas d'abord victimes du coût du travail dans notre pays, mais d'abord victimes des donneurs d'ordres qui très souvent décident de leur activité et les très petites entreprises n'ont pas la lisibilité sur le long terme du fait de la stratégie des plus grands groupes et des firmes, et c'est à ça qu'il faudrait s'attaquer, mais de ça, on ne veut pas discuter.
Q- Mais, B. Thibault, c'est vrai que sur la deuxième partie de la proposition, c'est-à-dire quand il dit qu'il y aura un meilleur accompagnement des salariés, là c'est encore assez flou.
R- Oui, mais voilà...
Q- Oui, mais attendez, si vous obteniez sur ce segment-là plus de précisions, voire plus de garanties, y aurait-il à vos yeux dans cette réflexion, qui consiste à donner d'une part aux patrons et d'autre part aux salariés un petit peu plus de souplesse quelque chose d'inacceptable ou faut-il continuer de réfléchir à quelque chose qui permettrait de débloquer un système qui est bloqué aujourd'hui ?
R- Mais avant d'avoir un jugement positif comme on nous le suggère, encore faudrait-il avoir une vision complète du dispositif et moi je ne peux pas accepter qu'il y ait une ordonnance, cet été, qui modifie les termes essentiels d'un contrat de travail, sans avoir l'assurance d'autres dispositions qui pourraient être considérées comme, elles, des sécurités. Ce n'est pas le cas et je combattrai cette disposition tant que je n'aurai pas l'assurance qu'il y a des droits réels pour les salariés. C'est la même chose s'agissant du chèque emploi. On n'y a pas prêté beaucoup d'attention depuis hier, mais j'y reviens un instant, le chèque emploi, pour moi, c'est la réinstauration du travail à la tâche ou du travail journalier. On va revenir à des salariés se rendant Place de Grève pour aller faire leurs offres de services et on donne, par cette disposition, la possibilité pour les employeurs d'embaucher à la tâche, à la journée, à la demi-journée, bref on est sur un tout autre rapport salarial. On ne peut pas banaliser ce genre de modification du droit social.
Q- Un dernier mot, B. Thibault, le 21 juin prochain, ce sera le premier grand test social et pour vous d'ailleurs, compte tenu de la mobilisation, et pour le gouvernement ?
R- Nous avons déjà une manifestation à Paris tout à l'heure pour la défense de l'emploi industriel. Je remarque que dans le discours d'hier, d'ailleurs pas grand chose sur la politique industrielle. Nous sommes de ceux qui considérons que la France n'est pas condamnée à voir ses emplois industriels fuir, comme c'est trop souvent le cas aujourd'hui. Nous avons donc une manifestation à Paris. Et puis, dès lors que le Gouvernement nous met en quelque sorte un peu le couteau sous la gorge - ordonnances d'ici le 1er septembre - il y a donc une course de vitesse. C'est la raison pour laquelle nous en avons appelé, dès hier soir, à des premières réactions, des premières mobilisations que nous proposons le 21 juin, parce qu'il se trouve que nous avons une négociation avec le Medef sur la pénibilité du travail. Le Medef se fait tirer l'oreille dans la mesure où, dans ce contexte-là, bien évidemment, tout ce qu'il n'obtient pas par la négociation avec les syndicats, il est en train de l'obtenir par les parlementaires. Donc sur la pénibilité du travail, nous n'avançons pas fondamentalement pour la reconnaissance des contraintes et de ce que ça représente pour les salariés, c'était pourtant un engagement de la réforme des retraites d'il y a deux ans. Avec le recul, on s'aperçoit qu'on a fait voter la réforme sur les retraites, mais sur la pénibilité du travail, on n'avance pas. Donc nous proposons à l'ensemble des salariés de se mobiliser dès le 21 juin pour livrer leur message de nouveau, par la voie syndicale, au Gouvernement pour lui dire qu'il est à côté de la plaque et pour porter, pour continuer à porter nos revendications sur les salaires et l'emploi.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 juin 2005)
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Interview de B. Thibault, dans L'Humanité le 10 juin 2005 :
Paule Masson. Pourquoi en appeler si rapidement à la rue ?
Bernard Thibault. C'est la situation qui nécessite de nouvelles mobilisations. Le débat qui a animé la campagne référendaire sur la constitution européenne, puis le résultat du vote ont considérablement accru les responsabilités syndicales. Les questions sociales sont au cur des attentes mais aussi des critiques. Le soir du scrutin, en exigeant d'accentuer les politiques libérales, le Président de l'UMP, Nicolas Sarkozy, annonçait la couleur. Les syndicats se devaient, si possible dans un cadre unitaire, de porter les revendications. Nous avons invité les autres syndicats à discuter ensemble, ils ont préféré des rencontres en bilatérales. Ceci est en cours. Si nous partageons certaines opinions, nous ne ressentons pas la même nécessité de continuer à exercer la pression pour mettre à l'ordre du jour les revendications des salariés et non celles du Medef.
Vous partez donc tout seul ?
Un élément décisif vient de s'ajouter à ce tableau. Dans un contexte de crise, le gouvernement Villepin, pourtant déjà impopulaire, choisit de réformer par ordonnances. Et il va le faire pendant l'été. Jean-François Copé, ministre délégué au Budget, vient de l'annoncer. Tout doit être bouclé pour le 1er septembre. Dès lors il n'y a que deux alternatives. Où on courbe l'échine ou on confirme notre désaccord. Nous choisissons la seconde solution, en appelant les salariés à se mobiliser le 21 juin, jour de rendez-vous de négociation avec le Medef pour la reconnaissance de la pénibilité du travail. Nous voulons porter un double message°: dire au gouvernement qu'il est à coté de la plaque et continuer à revendiquer sur l'emploi, les salaires et les droits sociaux.
Dominique de Villepin chiffre l'effort entrepris pour l'emploi à 4, 5 milliards d'euros. Cela vous paraît-il insuffisant ?
Parlons en, justement. Il s'agit d'une enveloppe de 4 milliards d'euros d'aides financières pour les employeurs, qui s'ajoutent aux 20 milliards déjà acquis. Ces montants ont été multipliés par dix en dix ans. Pendant cette période, le chômage et la précarité du travail ont augmenté dans les mêmes proportions. Le gouvernement continue et amplifie des recettes coûteuses pour la nation, qui n'ont en aucun cas fait la preuve de leur pertinence au service de l'emploi.
"°Plus de flexibilité, moins de sécurité°", vous partagez cet avis concernant les mesures sur l'emploi °?
Certainement. Le Premier ministre touche à des aspects essentiels du droit du travail. La période d'essai de deux ans, instaurée avec le "°contrat nouvelle embauche°", signifie qu'un salarié pourra être licencié sans justification pendant tout ce temps. Il devient plus corvéable et encore plus dépendant de son employeur. Dans les TPE, les salaires sont déjà plus bas de 20°% que dans les grandes entreprises, le droit du travail et les conventions collectives y sont moins respectés et moins contrôlés. Le "°contrat nouvelle embauche°" ne fait qu'accroître ces différences.
Ne craignez-vous pas un ballon d'essai qui pourrait s'appliquer plus tard à tous les salariés°?
Dès que le patronat obtient une dérogation, il s'efforce de la généraliser. Les précédents sont nombreux. Le travail du dimanche était au départ réservé pour les magasins des zones touristiques et maintenant il s'étend. Le travail de nuit était à été justifié par des impératifs de production et aujourd'hui, il se généralise. On pourrait faire la même démonstration avec les temps d'astreintes ou de gardes. La mesure Villepin ne va pas manquer d'inspirer d'autres projets pour que l'exception devienne la règle. Ce nouveau contrat de travail ouvre un processus qui peut aboutir à la fin du CDI. Il n'est qu'un habillage destiné à rendre la précarité permanente.
Est-ce la mesure qui vous semble la plus dangereuse°?
Avec celle du "°chèque emploi°". Sous couvert de faciliter les opérations d'embauche, Le Premier ministre veut autoriser le recrutement des salariés à la tâche. Alors là, on en revient à plus d'un siècle de droit social, quand les ouvriers se rendaient place de grève pour se vendre à des employeurs à la journée. Jeunes et chômeurs seront poursuivis s'ils n'acceptent pas les activités ou emplois " raisonnables ".
On a par contre peu entendu Dominique de Villepin sur les salaires...
Sauf pour faire de la publicité mensongère sur l'augmentation du SMIC, une décision qui date de deux et nous est revendue pour la troisième fois. J'avais pourtant prévenu le Premier ministre qu'il ne fallait plus mentir à ce sujet. Il a quand même laissé à penser que le bulletin de paie des smicards va bondir de 5°%. C'est absolument faux. Il vend la hausse du SMIC horaire qui est une conséquence du passage de 39 à 35h et ne change rien sur la feuille de paie.
Ce refus de d'aborder la question du pouvoir d'achat, pourtant omniprésent dans les mouvements sociaux, rend-il caduc le rendez-vous sur les salaires Gérard Larcher aujourd'hui°?
Pas du tout. Ce rendez-vous a été obtenu par la mobilisation du 10 mars et après que Raffarin ait joué la montre. La phase d'examen du niveau des minima garantis dans les branches professionnelles est achevée. Nous attendons maintenant des actes. Le gouvernement doit jouer son rôle pour imposer une modification des salaires pratiqués dans les branches.
La Cgt a demandé l'ouverture d'une grande négociation sociale sur les choix structurants de l'économie. Légiférer par ordonnances y coupe court°?
La méthode arrêtée est totalement inacceptable. On ne peut pas reconnaître le très fort mécontentement social et continuer de procéder par autoritarisme. Le gouvernement dispose de deux assemblées parlementaires à son service, mais cela ne lui suffit même plus. Il passe en force durant l'été et c'est un choix lourd de conséquence. Nous avons été reçus lundi à Matignon. Dominique de Villepin ne nous a rien dévoilé des ses intentions. Nous avons réitéré nos demandes de rencontres déjà formulées sur la politique industrielle, les délocalisations ou sur les choix budgétaires. Nous avons demandé le temps de discuter avec les organisations syndicales sur des axes susceptibles de répondre à la crise sociale. La réponse est cinglante. Aucun rendez-vous sur aucun sujet n'est accepté et on procède par ordonnance. Après ce qui s'est passé dans la rue et les urnes c'est un choix politique à haut risque.
A propos des urnes, le sommet européen des chefs d'Etat se profile le 16 juin et juste avant la réunion du comité exécutif de Confédération européenne des syndicats. Comment abordez-vous ce rendez-vous°?
Après le vote en France et aux Pas bas, des interrogations se font jour dans d'autres pays. Le projet européen est en crise. La réunion de la CES sera l'occasion d'analyser la situation. Nous avons besoin d'expliquer quelles ont été les motivations réelles du vote des salariés, notamment sur l'idée qu'il ne s'agit pas d'un rejet de l'Europe mais d'un besoin d'Europe sociale. Même si la CES a soutenu le traité, elle prévient depuis longtemps qu'une Europe construite sans adhésion suffisante des citoyens s'expose aux critiques. Cela se vérifie aujourd'hui. Il va falloir prendre le temps de réfléchir entre responsables syndicaux pour
définir le type d'initiative que nous devons prendre.
Entretien reproduit avec l'aimable autorisation du journal l'Humanité. Tous droits de reproduction et de diffusion réservés au journal.
(Source http://www.cgt.fr, le 15 juin 2005)
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Interview de B. Thibault, dans Le Télégramme de Brest le 10 juin 2005 :
Philippe Reinhard. Vous avez rencontré le nouveau Premier ministre lundi, vous avez écouté son discours de politique générale mercredi. Dominique de Villepin a-t-il apporté des réponses aux questions que se pose le leader de la Cgt ?
Bernard Thibault. Sur la méthode, je trouve que cela commence bien mal. Aucune des mesures qu'il a annoncé mercredi n'a fait l'objet d'un plus petit début de discussion lorsqu'il a reçu les organisations syndicales, lundi. Il a réservé l'ensemble de ses annonces pour sa prestation devant les députés, avant de leur annoncer qu'il procédera par ordonnance ! C'est de cette façon que le gouvernement compte modifier " à la hussarde " certains aspects essentiels des droits sociaux des salariés. Et, cela, pour nous, c'est inacceptable. S'agissant du contenu, je remarque que les organisations d'employeurs, elles ne s'y trompent pas ! se réjouissent des propos du nouveau Premier ministre, alors que pour les organisations de salariés, je dirai que non seulement le compte n'y est pas mais que nous avons là un discours de politique générale qui confirme les orientations précédentes et qui amplifie la cadence de réformes toujours aussi autoritaires et toujours aussi inégalitaires.
Le Premier ministre s'est donné cent jours pour réussir. Pourquoi ne pas lui accorder ce délai ?
Je ne vois pas comment nous pourrions rester cent jours dans l'expectative dès lors qu'on nous annonce qu'on va modifier par ordonnances la nature des contrats de travail dans les entreprises sans négociation avec les syndicats. Je ne vois pas pourquoi il faudrait que nous fassions un chèque en blanc au gouvernement pour lui permettre de modifier le droit du travail comme bon lui semble durant les congés d'été.
Depuis quelques semaines, tout le monde parle du fameux " modèle social français ". Faut-il vraiment défendre un modèle social qui génère plus de 10 % de chômeurs dans la population active ?
Je ne vois pas en quoi la nature des réponses que le gouvernement s'apprête à mettre en uvre sont susceptibles de générer de l'emploi. Elles sont susceptibles de générer plus de précarité. C'est à cela qu'aboutira le nouveau contrat pour les petites entreprises qui consistera à systématiser la pratique de salariés à l'essai.
Vous craignez que ce qui est prévu pour les très petites entreprises soient étendues à l'ensemble du marché du travail ?
Bien sûr. À chaque fois que le patronat est parvenu à placer un coin dans le droit social, il s'est efforcé - et c'est compréhensible d'enfoncer ce coin jusqu'au bout, jusqu'à ce que la porte soit complètement ouverte. Donc ces dispositions constitueront un précédent. Lorsque le patronat a obtenu des exonérations de charges sociales, en parti au prétexte de la défense de l'emploi, il n'a cessé d'obtenir la généralisation de ces exonérations de ces cotisations. Et d'ailleurs aujourd'hui on nous en remet encore de nouvelles. Les employeurs empocheront 4 milliards d'euros supplémentaires sans contrepartie pour l'emploi.
Il y a pourtant une contrepartie politique qui ne devrait pas plaire à l'électorat de la majorité et au patronat puisque le Premier ministre a annoncé le gel des baisses d'impôts. Est-ce que ce gouvernement ne répartit pas les sacrifices ?
Il n'y a pas de contrepartie ! Le gel momentané de baisse d'impôt est seulement remplacé par des baisses de cotisations patronales. Le problème de ce gouvernement c'est bien la question sociale et je considère aujourd'hui qu'avec les réponses du Premier ministre, non seulement on ne répond pas à l'attente et au mécontentement social, mais on propose des mesures qui ne feront qu'accroître ce mécontentement.
À gauche comme du côté syndical, on rejette toute référence aux modèles étrangers (qu'ils soient danois anglais ou autre). N'avons nous vraiment aucun enseignement à tirer des réussites obtenues par des pays étrangers en matière de lutte contre le chômage ?
Il faut comparer ce qui est comparable. Il faut se garder des comparaisons mathématiques ou systémiques dans le mesure où la situation de chaque pays s'apprécie aussi en fonction de ses spécificités, qu'il s'agisse de ses activités, de la place de l'industrie et des services, de la démographie (notre courbe démographique ne se compare pas à celle des autres pays), de la densité de population. Bref, chaque pays a sa spécificité. Il ne faut pas penser que les règles existantes dans un pays sont facilement transposables à un autre. Si, par exemple, on fait référence au Danemark, il faut bien admettre qu'un certain nombre de systèmes danois sont à l'uvre parce que les Danois ont fait le choix d'un taux d'imposition beaucoup plus élevé qu'en France. Donc, il ne faut pas laisser penser qu'on peut avoir en même temps le beurre et l'argent du beurre.
Regrettez-vous de ne pas avoir été entendu au sujet de la " grande négociation sociale " que vous appeliez de vos vux ?
Nous avions effectivement demandé une négociation sociale. Nous avons certes été reçus lundi, mais j'ai tendance aujourd'hui à penser que ce n'était que pour la photographie. Nous n'avons pas eu alors le plus petit début d'information sur les orientations de la nouvelle politique gouvernementale. Il ne suffit pas de parler de dialogue social pour que celui-ci soit effectif. Et on nous annonce mercredi qu'il n'est absolument pas question du début d'un quelconque dialogue social. Notre demande de négociation est ignorée de fait. Mais plus que jamais nous la maintenons.
Election après élection, le pouvoir en place ne change pas de ligne. Cela vous conduit-il à envisager des actions plus dures ? La prochaine fois, les syndicats se feront-ils entendre dans la rue ?
C'est déjà la rue depuis un certain temps. Le dernier rendez-vous en date encore dans les mémoires, c'est la grande mobilisation du 10 mars. Le gouvernement de l'époque avait cherché à minimiser l'ampleur du mouvement en se réfugiant, comme d'habitude, derrière des querelles de chiffres. Mais même les chiffres officiels avaient admis que plus d'un million de manifestants avaient alors défilé et plusieurs millions de salariés avaient arrêté le travail pendant au moins une partie de la journée. Il y a eu par la suite la contestation très forte sur le jour de travail gratuit instauré pour la Pentecôte. Cette affaire était déjà un pré-référendum. C'est parce que le pouvoir fait la sourde oreille qu'il faut de nouvelles mobilisations. Il est, en tout cas, de notre responsabilité d'organisation syndicale de permettre par l'action collective d'obtenir des négociations sur les revendications de salariés et d'éviter ainsi que l'action du gouvernement ne s'inspire, comme c'est une fois de plus le cas, des seules revendications patronales. C'est le sens de notre appel à se mobiliser partout le 21 juin.
(Source http://www.cgt.fr, le 15 juin 2005)