Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à Europe 1 le 4 juillet 1999, sur le bilan de l'élection européenne, les relations au sein de l'opposition, l'importance des langues régionales, la nécessité de "déjacobinisation" et sa proposition d'élire un président européen au suffrage universel.

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Média : Emission Le Club de la presse - Europe 1

Texte intégral

A. Duhamel : Monsieur François Bayrou, Monsieur le Président de l'UDF, bonsoir. Merci d'avoir accepté ce Club de la presse, l'avant dernier de cette saison. François Bayrou, vous avez été un des principaux animateurs de la campagne européenne. On a au fond maintenant trois questions essentielles à vous poser : la première c'est - ayant effectué une percée d'image et peut être en partie de voix - comment allez-vous faire pour consolider cette percée, quels sont les objectifs que vous allez donner à vos propres électeurs, quelles sont les idées que vous comptez mettre en avant et comment allez-vous vous comporter avec Jacques Chirac et le reste de l'opposition ; le deuxième thème : il y a un gouvernement de gauche qui est populaire en ce moment au bout de deux années, qu'est-ce que vous avez à dire de sa politique, du budget qu'il prépare, des 35 heures (la préparation de la deuxième loi), de ce qui s'esquisse lentement à propos des retraites, de la Corse, de la cohabitation ; et puis troisième thème, ce n'est pas parce que les élections européennes ont eu lieu que l'Europe n'est plus un sujet. Tout au contraire, il va y avoir bientôt l'élection de la Présidente ou du Président du Parlement européen, la désignation des commissaires et puis surtout il va y avoir de grandes négociations, de maintenant à l'année prochaine et la France y jouera forcement un rôle important puisque tout cela doit s'achever sous sa présidence pendant le deuxième semestre de l'an prochain. Cela fait beaucoup de questions à vous poser et vous serez interrogé par Franz Olivier Giesbert du Figaro, Serge July de Libération et Jean-Louis Gombeaud d'Europe 1 qui vous pose la première question.
J.L Gombeaud : Quelle est votre appréciation, M Bayrou, sur votre score ou plutôt en quoi votre score aux élections européennes change quelque chose dans le débat à droite en France.
F. Bayrou : C'est très simple. Je ne vais pas m'y étendre. En une phrase : la plupart des observateurs, vous évidemment y compris, estimaient, avant cette élection, qu'il y avait dans l'opposition, à droite, un parti dominant et puis des ailes. On a vu que ce n'était pas le cas, que l'opposition était désormais composée de trois familles à peu près équilibrées et je suis très fier d'avoir pu conduire ma famille à ce résultat-là.
J.L. Gombeaud : Mais quand on vous dit, par exemple, que vous avez fait un score légèrement supérieur à celui de Simone Veil
F. Bayrou : Oui c'est vrai.
un journaliste : Il faut rappeler que c'était Simone Veil, elle-même tête de liste.
J.L. Gombeaud : Ce n'est pas pour diminuer vos mérites.
F. Bayrou : Puis-je vous rappeler que le score de Simone Veil - qui était en effet de 8,5 % - se comparait à un score de l'autre liste de 28 %. Et cette fois-ci on a fait un score de 9,5 % et l'autre liste, dite principale, à 12,5 %. C'est donc arriver au résultat d'équilibre que je signalais avant.
J.L. Gombeaud : Merci de me servir la question sur un plateau. A cette époque, il y avait effectivement un parti dominant, ce parti dominant s'est effondré, d'une certaine manière, Charles Pasqua a fait un score à peu près identique à celui de de Villiers la dernière fois et vous vous avez fait un score à peu près identique à celui de Simone Veil. Comment interprétez-vous ce phénomène ? On voit bien l'effondrement du parti dominant, mais, d'une certaine manière, vous n'avez pas rassemblé toutes ces voix qui se sont dispersées.
F. Bayrou : Oui, parce que chaque fois qu'il y a une offre nouvelle, elle est pour les électeurs une incertitude. Cependant, ils se sont portés à près de 10 % sur cette offre nouvelle. Puis-je me permettre de vous ramener à des résultats électoraux dont celui, en Italie, d'Emma Bonino qui a obtenu 8,5 % et dont Libération a écrit " quel formidable score " ?
J.L. Gombeaud : Le parti radical italien.
F. Bayrou : Les amis de Prodi ont obtenu 7,8 % - je dis cela sous l'il du politologue averti qu'est Alain Duhamel - ou 7,7 %, c'est un très bon score. Je dis seulement qu'avec 9,5 % c'est un résultat qui montre que l'opposition est désormais composée de familles équilibrées et que la notre a montré qu'elle existait et qu'elle correspondait à un espoir pour l'avenir.
F.O. Giesbert : En attendant il y a un grand malade dans l'opposition, c'est le RPR. Qu'est-ce qui a cloché au RPR, qu'est-ce qui cloche encore aujourd'hui au RPR. Avez-vous le sentiment que le RPR a encore un avenir ?
F. Bayrou : Ce n'est pas à moi d'en parler. Je pense que le RPR est un parti majeur de la vie politique française, mais je n'ai pas envie de gloser sur les difficultés qu'il a rencontrées. Je me souviens assez bien des sentiments qui étaient les nôtres lorsque l'UDF a rencontré, dans le passé, des difficultés - qui n'étaient pas minces. A ce moment-là, chaque fois que je lisais des gloses et des commentaires, j'étais pris par un sentiment d'agacement. Je n'ai pas envie d'infliger aux autres ce que je ressentais à l'époque comme désagréable.
F.O. Giesbert : Qu'est-ce ce que doit faire le RPR pour se relancer ?
F. Bayrou : Je ne sais pas.
F.O. Giesbert : Vous pouvez avoir un avis là
un journaliste : Vous pouvez donner des conseils amicaux.
F.O. Giesbert : La question n'est pas méchante, la réponse ne le sera pas. Qu'est-ce que vous feriez à la place du prochain Président du RPR ?
F. Bayrou : J'aurais fait la compétition pour la présidence parce que c'est le seul moyen d'en sortir ; pour avoir une formation politique, c'est un leadership et un leadership ça se fait dans une compétition. Je le sais parce que notre famille a trouvé son nouvel équilibre à partir du moment où elle a consenti à cette compétition-là.
F.O. Giesbert : Vous pensez donc que l'erreur de base c'est celle de Philippe Seguin qui voulait une élection de maréchal ?
F. Bayrou : Non pas du tout. Je ne le ressens pas comme tel. Je crois qu'il n'y avait pas de concurrent à cette époque. Je pense que Philippe Seguin était dans une configuration tout à fait originale, c'est-à-dire qu'il n'était pas en accord profond avec les idées qu'il défendait et que c'est cela qui, en fin de compte, a provoqué le choc.
F.O. Giesbert : Vous l'avez revu depuis tous ces épisodes ?
F. Bayrou : Non. Mais je le reverrais avec plaisir.
J.L. Gombeaud : Vous flattez votre score mais derrière votre score, est-ce que oui ou non, d'après vous, ces élections européennes ont montré une progression des idées européennes en France, qui est, quand même, le fond de votre politique ?
F. Bayrou : Je pourrais vous faire la réponse hypocrite en vous disant oui, parce que, en effet, les partis européens ont été majoritaires dans l'élection européenne mais mon sentiment est que l'idée européenne n'a pas avancé dans cette élection. Heureusement que nous étions quelques-uns à défendre l'Europe parce que personne ne la défendait - je vous ferais remarquer cela au passage - et que c'est naturellement plus facile de surfer sur le sentiment anti-européen que de prendre la défense de ses convictions, de prendre son drapeau et de le déployer largement pour dire vraiment qui l'on est. Donc, de ce point de vue-là, je pense que cela n'a pas avancé et si je dois fixer une partie de mon programme pour les prochaines années sera de réconcilier l'Europe avec les Français, c'est-à-dire de conduire un diagnostic impitoyable sur tout ce qui a séparé l'Europe des Français. A mon avis, ce qui a séparé l'Europe des Français est accidentel, contingent si l'on veut employer le mot exact. C'est un accident, des accidents, des laisser-faire, un laxisme qui, avec le temps, ont séparé l'Europe des Français. Je suis persuadé que si on proposait à l'immense majorité de tous ceux qui ont voté pour des listes anti-européennes de trancher secrètement, du point de savoir si l'Europe est essentielle pour leur avenir, ils diraient oui ; pour preuve, les anti-européens ont dit mais " nous nous sommes aussi européens que les autres ", ce qui évidemment, je crois, n'est pas le cas. Donc, en tout cas pour moi, je pense de nécessité vitale que la France puisse résoudre son problème européen. J'y travaillerais de toutes mes forces.
J.L. Gombeaud : Comment interprétez-vous, par exemple, le score des chasseurs ? Ce score, à bien des égards, surréaliste.
F. Bayrou : Surréaliste pour ceux qui ne connaissaient pas la France, comment dire, rurale et profonde. J'avais parié qu'ils franchiraient largement la barre des 5 et pas seulement parce que la tête des chasseurs est mon premier voisin et si j'ose dire, nous sommes amis d'enfance.
J.L. Gombeaud : Vous êtes dans un village. Entre vous et celui de M Douste-Blazy est le village de M. Josse.
F. Bayrou : Saint-Josse.
Un journaliste : Saint-Josse, surtout avec 7,7.
F. Bayrou : Voilà, je vous rappelle que Saint-Josse est maire de Couaraz où Henri IV a été élevé. Mais ce n'est pas cela. J'avais écrit, il y a plusieurs années - si vous me permettez de me citer - un livre qui s'appelle " Le droit au sens " et qui expliquait qu'il y a une crise parallèle et, à mon avis, de nature semblable entre les banlieues françaises et le monde rural français. L'un et l'autre se sentant en situation de fracture, de rupture, d'abandon, se sentant sans défenseur, et pour ma part et depuis longtemps je pense qu'il convient de conduire la réflexion sur ces deux sujets en même temps. Le besoin d'identité et de reconnaissance des banlieues et du monde rural français, c'est le même. La ruralité et les banlieues ont le même besoin de reconnaissance et d'identité. C'est un des problèmes auquel nous avons à répondre et pardonnez-moi de vous le dire, ces deux problèmes sont liés au mal français qui est la centralisation excessive de la France, le fait que les décisions soient toujours prises loin, le fait que ce soit toujours Paris (enfin ce que l'on appelle Paris et qui n'est pas toujours Paris, qui est un petit périmètre dans lequel des gens ayant les mêmes formations, les mêmes origines et la même destinée, c'est-à-dire celle de gouverner, prennent les décisions tout seul). Cela est pour moi depuis longtemps un des éléments majeurs du mal français. Et cela a éclaté à cette élection. Ce n'est pas une surprise.
J.L. Gombeaud : Ca c'est un diagnostic, mais quelle est la thérapeutique ?
F. Bayrou : Réinvestir la responsabilité dans la société française, prendre le contre-pied ...
S. July : Décentraliser. Une nouvelle grande phase de décentralisation.
J.L. Gombeaud : Serge July, pour une fois c'est François Bayrou qui répond.
F. Bayrou : Je vais essayer de vous répondre. Prendre le contre-pied du jacobinisme français, et quand vous dites décentraliser, vous avez raison le mot est proche, mais la décentralisation - comme on l'imagine à la française - c'est souvent un traitement différent du jacobinisme français.
J.L. Gombeaud : Alors " déjacobiniser ". ?
F. Bayrou : Un masque sur le visage du jacobinisme français. Et cette " déjacobinisation " - si on pouvait risquer ce néologisme-là - est absolument essentiel pour la France. Mais cela ne se traduit pas qu'en direction des banlieues ou du monde rural, des petits villages français dont je suis issu. Cela se traduit aussi en direction des corps sociaux, de ceux que l'on appelait les corps intermédiaires et qui n'existent plus, de l'expérience professionnelle qui n'est pas prise en compte, de l'association, de la participation nécessaire - vous savez que je suis un amoureux, un défenseur de ce que nous appelons la démocratie de participation - c'est-à-dire le fait que les décisions et les réformes soient à l'avenir conduite en donnant à ceux qui vont en être les acteurs une place dominante dans les décisions et dans le choix, et la France est rebelle à cela, les gouvernements de droite comme les gouvernements de gauche sur ce point, se trompent.
F.O. Giesbert : Jusqu'à présent, vous aviez des relations très suivies, des accords électoraux avec le RPR. Comment imaginez vous les rapports avec le RPF de Charles Pasqua et Philippe de Villiers ? Est-ce que cela va être facile de faire des alliances avec des gens aussi jacobins et aussi anti-européens ?
F. Bayrou : Est-ce qu'ils sont tous jacobins ? Dans ce courant de pensée, je ne sais pas, cela mériterait qu'on y réfléchisse.
F.O. Giesbert : Pourquoi, vous avez un doute ?
F. Bayrou : Oui. J'ai non seulement des doutes, mais je sais qu'il y a des différences historiques majeures sur ce point. La tradition de Philippe de Villiers n'est pas très jacobine, si vous me permettez.
F.O. Giesbert : Elle est carrément vendéenne.
F. Bayrou : Voilà.
un journaliste : Donc vous vous sentez plus proche de Philippe de Villiers que de Charles Pasqua, c'est ça ?
F. Bayrou : Les choses sont complexes. À certains égards, j'ai une vision qui est assez proche de Pasqua sur des aspects de la société française et nous les avons exprimés ensemble, quand nous étions au gouvernement. Il le sait bien, ce n'est pas un effet d'aujourd'hui. A d'autres égards, je suis un défenseur de cette rupture avec le jacobinisme dont on a besoin en France. Et tout cela c'est d'abord ...
F.O. Giesbert : Et vous pensez faire du bon travail ensemble ?
F. Bayrou : Ils appartiennent à l'opposition, le RPR appartient à l'opposition, nous appartenons à l'opposition. Simplement, nous UDF, nous avons une responsabilité particulière. C'est qu'aujourd'hui nous sommes le pôle de stabilité et de développement de l'opposition, parce que les deux autres mouvements sont à la recherche de leur équilibre, en tout cas de leur organisation, nous c'est fait. Nous avons reconstruit la maison avant de conduire cette aventure-là, et il nous revient donc de montrer que nous sommes dans la reconstruction de l'opposition parmi les architectes et parmi les maçons.
F.O. Giesbert : Parmi les deux pôles, il y a, excusez-moi, le RPR, le RPF, et Démocratie Libérale d'Alain Madelin a disparu ?
F. Bayrou : Non, c'est vous qui avez posé les choses. On parle de trois pôles parce qu'il y a eu trois listes aux européennes qui ont fait un résultat à peu près équivalent.
S. July : Et pourquoi seriez-vous le pôle de reconstruction ?
F. Bayrou : Parce que nous avons reconstruit notre maison avant les autres.
S. July : Vous n'êtes pas celui qui a fait le plus ?
F. Bayrou : Non mais j'ai dit parmi les architectes et parmi les maçons. Pas le seul architecte ni le seul maçon.
S. July : Un collège d'architectes et de maçons ?
F. Bayrou : Une volonté de construire, une volonté de faire en effet que l'opposition sorte du sentiment de désordre qu'elle a donné et elle donnait ce sentiment de désordre parce que sa réalité ne correspondait pas à la définition que l'on en donnait. Je veux dire que l'étalage, la vitrine et la réalité n'étaient pas les mêmes. En vitrine, vous annonciez - comme tout le monde - un parti majeur, dominant et puis des accessoires, et la réalité c'était qu'il y avait une demande de diversité et d'équilibre dans l'opposition. Vous me concéderez que j'ai toujours exprimé cette demande de diversité et d'équilibre.
un journaliste : Vous allez déjeuner demain comme tous les parlementaires d'Aquitaine avec Jacques Chirac à Bordeaux. Qu'est-ce qu'il représente aujourd'hui pour les principaux leaders de l'opposition ? Pour vous-même et ceux avec qui vous en parlez ?
F. Bayrou : Il y a deux choses majeures : il est le chef de l'Etat, c'est-à-dire une référence commune pour tous les Français, et il est dans l'opposition le plus haut responsable, enfin je veux dire qu'il est dans le courant de pensée de l'opposition celui qui assume les responsabilités les plus importantes. Donc forcement une référence.
un journaliste : Le seul patron ?
F. Bayrou : Le patron, ce genre de terme n'est pas dans mon vocabulaire. Si il y a des patrons, ce sont les électeurs.
S. July : C'est le chef de l'opposition ?
F. Bayrou : Non. Il n'est pas le chef de l'opposition et il n'a pas à l'être. Et c'est chaque fois que l'on a voulu l'entraîner dans ce rôle du chef de l'opposition, qu'on lui a fait faire des erreurs.
S. July : Mais il représente l'opposition.
F. Bayrou : Et il en a souffert.
S July : Mais il représente l'opposition.
F. Bayrou : Il est parmi ceux qui se réclament de la droite et du centre en France, celui qui exerce les responsabilités les plus hautes.
un journaliste : Vous n'avez pas le sentiment de le rapetisser quand vous dites cela ?
F. Bayrou : Non pas du tout, c'est le chef de l'Etat. Je n'ai pas l'impression que l'on rapetisse quelqu'un quand on dit qu'il est la référence commune de tous les Français. Autrement dit, si vous me demandez clairement si Jacques Chirac doit jouer un rôle actif de responsable de l'opposition, ma réponse est que vous trahissez la fonction de Président de la République et vous lui faites faire des erreurs quand vous allez dans ce sens.
un journaliste : Mais s'il n'est pas le chef de l'opposition, est-ce qu'il peut ne pas en être l'inspirateur, c'est autre chose cela ? Parce que vous dites une référence, mais une référence, cela peut être une référence abstraite, en revanche l'inspirateur peut avoir un rôle discret mais un rôle concret.
F. Bayrou : Chaque fois que Jacques Chirac mettra son poids - s'agissant de la fonction de Président de la République qui est réelle - dans le sens d'une opposition équilibrée qui respectera tous ces courants et qui essayera de les faire travailler ensemble, je dirais que, à ce moment-là, son inspiration sera bonne.
S. July : Par exemple, quand il décide de ne pas réformer la Constitution sur la charte des langues régionales et minoritaires, vous pensez que cela va dans ce sens-là ?
F. Bayrou : Non. Je me suis exprimé à ce sujet-là, vous le savez bien, ce n'est pas mon sentiment. Vous voulez qu'on en parle ? On en parle parce que cela mérite en effet une réflexion et j'ai eu un entretien avec le Président de la République à ce sujet.
S. July : Avant ou après ?
F. Bayrou : Cette semaine, après sa décision. C'est un sujet très important qui paraît anecdotique comme cela, à Paris, cela paraît loin. Mais la reconnaissance par la France de ce qu'elle est soudée par une culture nationale mais que, dans son patrimoine, il y a plusieurs cultures et plusieurs langues qui appartiennent au patrimoine commun de la France et de l'humanité. Je vois souvent des Français se battre pour des cultures minoritaires ailleurs, commençons par chez nous. Et donc la reconnaissance par la France que le patrimoine français comprend aussi cette part du patrimoine qui est sa partie basque, béarnaise, Gascogne, occitane ou catalane, corse ou alsacienne ...
un journaliste : Normande, flamande, bretonne etc...
F. Bayrou : Tout cela c'est la France, et la reconnaissance de cette richesse culturelle de la France, pour moi, c'est un signe de modernité essentiel. De ce point de vue-là j'étais partisan de la signature de la charte. Je rappelle au demeurant (les spécialistes le savent), que les reproches que l'on a fait à cette charte - s'agissant de la signature par la France - n'étaient pas fondés puisqu'il y avait une déclaration signée par Jacques Chirac pour signer cette charte disant que, en France, nous ne pouvions pas accepter - ce qui est légitime - que dans la vie publique il faille traduire les actes législatifs - par exemple - dans une langue qui ne soit pas notre langue nationale. Telle était notre tradition nationale. De ce point de vue-là je me suis prononcé, comme le Conseil général des Pyrénées Atlantiques, le Parlement de Navarre que je préside, pour un changement de la Constitution. En même temps, je souhaite vraiment que l'on fasse attention à ce qu'il n'y ait pas un débat qui sépare les Français.
un journaliste : Est-ce que vous avez l'impression que Jacques Chirac vous a entendu quand vous l'avez vu la semaine dernière là-dessus ?
F. Bayrou : Il m'a exprimé, avec beaucoup de force, qu'il était décidé à aller dans ce sens de la défense des langues et cultures des régions de France. Il m'a dit avec force qu'il pensait que toutes les mesures devaient être reprises dans une loi, et je pense qu'il y est profondément ouvert.
un journaliste : Alors Jean-Louis Gombeaud, je crois que vous vouliez poser encore une question sur le risque de division à propos des langues régionales ?
J.L. Gombeaud : François Bayrou a fait un plaidoyer pour les langues régionales. Est-ce que ce n'est pas faire toute une histoire pour ce qui n'est, somme toute, qu'un symbole ?
F. Bayrou : C'est-à-dire que, quand il s'agit des langues amérindiennes, vous trouvez qu'il ne s'agit pas d'un symbole. Quand il s'agit des langues de l'Amérique centrale, vous trouvez que ce n'est pas un symbole. Il n'y a qu'en France que vous trouvez cela un symbole ou réduit. Je suis de ceux qui pensent que le patrimoine français est aussi constitué de ces millions et millions d'hommes qui ont parlé et parlent encore ces langues qui sont aussi importantes et aussi belles que les nôtres. Je voudrais ajouter un deuxième point. Je sais qu'il y a un risque d'un de ces feux de paille, d'un de ces affrontements brûlants comme la France les aime sur ce point, parce que la langue tient profondément au cur des gens. Ils ne le savent pas, ils ne savent pas l'exprimer, et ça déclenche des passions incroyables. Comment ce fait-il que quelqu'un puisse avoir deux langues alors que moi je n'en ai qu'une ? Et bien, il me semble qu'il y a un travail pédagogique profond à conduire pour que les gens se rendent compte que c'est une richesse pour eux aussi, qu'ils participent au patrimoine français, qu'ils ont des droits sur lui, qu'il a des droits sur eux, et cela constitue un ensemble. Je demande que l'on fasse attention aux procédures sur ce sujet.
un journaliste : Alors, on élargit peut-être un petit peu le débat, si vous me le permettez. Les Allemands ont boycotté une réunion de la Commission de Bruxelles en Finlande parce que l'allemand n'était pas reconnu comme langue officielle de l'Union européenne. Est-ce que vous pensez qu'il est légitime que les Allemands demandent, comme d'autres pays un par un, que leur langue nationale soit reconnue comme langue officielle de travail au même titre que l'anglais ou le français ?
un journaliste : Il faut rappeler pour nos auditeurs qu'il s'agit seulement des réunions de travail et pas des réunions officielles, que pour ces réunions de travail il y a deux langues qui sont le français et l'anglais pour éviter la multiplication des traducteurs, des interprètes, des coûts, des longueurs et de l'impossibilité de discuter et que effectivement les Allemands ont demandé d'être les troisièmes.
F. Bayrou : Essayons de réfléchir une seconde à cela parce que je suis persuadé que les langues latines auront aussi une demande de cet ordre un jour ou l'autre, autre que le français. Pourquoi L'Europe s'est faite ? L'Europe s'est faite pour défendre ce que nous ne pourrions pas défendre sans elle. Or, nous ne pourrions pas défendre nos langues sans elle, et donc le mot d'ordre de l'Europe c'est le pluralisme linguistique et culturel. Je ne me reconnaîtrais pas dans une Europe qui écraserait la diversité des langues au bénéfice d'une seule ou de deux seulement. Je pense que, notamment dans le domaine de l'enseignement, le travail que nous avons à conduire pour que chaque jeune européen - je l'avais fait décidé à l'époque où j'étais ministre de l'Education nationale au moins dans le principe (cette idée a été reprise depuis et c'est très bien) - doit nécessairement, à la fin de l'enseignement secondaire maîtriser deux autres langues que la sienne ; ça ce n'est pas seulement une disposition administrative, c'est la réalité profonde de l'Europe.
S. July : Trois langues et un patois ou ...
F. Bayrou : Ne parlez pas de patois, M July, ce ne sont pas des patois, ce sont des langues. Le basque est une langue préindoeuropéenne.
S. July : Oui, c'est la seule.
F. Bayrou : Le béarnais - que je connais mieux que d'autres - est une langue qui avait ses textes juridiques au XIème siècle à l'époque où le français que vous parlez était encore dans les limbes. Alors ne parlez pas de patois.
un journaliste : Mais est-ce que ce n'était pas un dialecte à l'époque ?
F. Bayrou : Non ce n'était pas un dialecte, c'est une langue. Les troubadours, dont vous savez qu'ils ont fait la littérature occidentale, s'exprimaient en occitan. Le changement complet de la philosophie des sentiments et de la considération de la femme, est écrit en occitan.
un journaliste : Vous avez répondu avec passion, c'est très bien.
F. Bayrou : N'utilisez pas ce genre de mot méprisant à propos de langues qui sont plus vieilles que les nôtres.
un journaliste : Serge July n'était pas du tout méprisant en parlant de patois
F. Bayrou : Si, j'ai vu son il.
un journaliste : Je vous ai posé une question à laquelle vous avez répondu avec feu mais pas directement. Je vous ai demandé si à l'époque le béarnais n'était pas un dialecte et vous m'avez répondu non parce que l'occitan
F. Bayrou : Excusez-moi le béarnais c'était une langue qui avait son état et son droit et permettez-moi de vous dire que la première constitution démocratique de l'Occident après Athènes, c'est en béarnais qu'elle a été écrite.
un journaliste : Avant la Grande-Bretagne qui d'ailleurs n'a pas de Constitution.
F. Bayrou : 500 ans avant.
un journaliste : On revient un peu sur l'opposition ? Sur la réorganisation de l'opposition, par exemple l'Alliance, la célèbre Alliance, a beaucoup de plombs dans l'aile, non ?
F. Bayrou : Si je pouvais risquer une excursion, ces problèmes sont exactement les mêmes. On croit que l'on parle de sujets extrêmement différents, les langues, l'opposition, les régimes politiques
S. July : Il faut dire qu'il y a plusieurs langues au sein de l'opposition
un journaliste : Il faut apprendre à vivre avec la diversité.
F Bayrou : Il y a aujourd'hui dans les sociétés du XXIème siècle, celle que nous allons vivre ensemble, deux besoins : le premier besoin est un besoin d'ouverture ; le monde est désormais une réalité, il est devenu une unité et ce monde-là nous impose, M Gombeaud, économiquement comme socialement et culturellement d'assumer l'ouverture. Deuxièmement, il y a un besoin d'identité. Dans l'opposition, c'est la même chose : il faut l'ouverture et l'identité en même temps. Il faut donc que chacun soit respecté à la mesure de ce qu'il est et de ce qu'il apporte.
un journaliste : Mais ça se passe comment ? Il y aurait une alliance ?
F. Bayrou : Le grand courant du centre et de la droite européenne, ce grand courant existera et le grand courant de la droite national existera.
un journaliste : Comment cela se passe concrètement, M Bayrou ? Il y aura une alliance pour fédérer tout cela ?
F. Bayrou : Vous avez dit le mot exact : il faut une fédération, c'est-à-dire une organisation qui permette à la fois d'avoir le respect de son identité et puis d'avoir ensemble la construction d'une coopération, d'une collaboration et la mise en commun de choses essentielles. Par exemple, les investitures des élections aux scrutins majoritaires locaux, nous devons en décider ensemble, soit que nous fassions des primaires soit que nous choisissions les candidatures uniques (pour les sortants par exemple) ; cela sera décidé ensemble.
un journaliste : Vous voyez une tête à cette fédération ?
F. Bayrou : On verra, c'est une deuxième partie de la discussion que nous aurons lorsque nos partenaires auront retrouvé leur équilibre.
S. July : Vous appelez donc, ce soir, à la formation d'une fédération, une fédération dont on ne sait pas très bien comment elle sera dirigée, par qui : Jacques Chirac ?
F. Bayrou : Une fédération ce n'est pas une direction unique. Une fédération c'est une organisation qui permette de respecter l'identité de chacun et qui permette, en plus, au bout du compte, de mettre en commun des intérêts essentiels. Je l'ai plaidé pour l'Europe, je le plaide pour l'opposition.
un journaliste : Est-ce que vous croyez que, compte tenu de ses déclarations le soir même des élections européennes, Charles Pasqua et son RPF accepteront d'appartenir à cette fédération puisqu'il n'avait pas voulu que l'on additionne ses voix avec les vôtres ?
F. Bayrou : Mais il y a un temps pour la revendication identitaire, c'est vrai pour nous comme c'est vrai pour lui, et il y a un temps pour le travail en commun. Je suis persuadé que le temps du travail en commun viendra.
S. July : Je voudrais une précision. Tout à l'heure vous disiez qu'il y a eu trois listes aux élections, ça représente trois courants au sein de l'opposition et puis quand vous essayez de vous projeter dans l'avenir, vous dites il y a finalement deux grands courants : un courant européen modéré et puis un courant droite souverainiste, on passe de trois à deux. Est-ce que la fédération c'est à trois ou à deux ?
F. Bayrou : Le fond de ce que je pense, et ce n'est pas d'aujourd'hui, c'est qu'il y a deux grandes familles. Il y a une famille européenne et une famille nationale, on peut le retrouver sur d'autres sujets, mais il arrive que les périmètres des formations politiques ne correspondent pas exactement aux inspirations.
S. July : Ma question est : c'est à deux ou à trois ?
F. Bayrou : Ecoutez tant que l'on sera trois on sera trois. Après il s'agit pour le RPR de dire ce qu'il est.
S. July : On a cru comprendre qu'au sein du RPR il y avait beaucoup de dirigeants - qui étaient même d'anciens dirigeants - très favorables à ce qu'il ait un rapprochement entre l'UDF et le RPR par exemple.
F. Bayrou : Tout cela, le périmètre des formations politiques, on peut en parler. Nous avons conservé, gagné quelque chose de tout à fait essentiel qui est notre liberté dans cette affaire.
S. July : Quand on parle des grandes formations de type CDU, on croit comprendre que cela vous englobe.
F. Bayrou : La liberté c'est un bien précieux. A partir du moment où on est libre et créatif, on peut proposer des idées nouvelles. Pour ma part, je ne suis pas décidé naturellement à ce que cette liberté que nous avons gagnée au prix du risque et du combat pour des idées, demain matin disparaisse. On a besoin de formations libres et d'hommes libres pour que les idées de l'opposition se renouvellent. Si vous me demandiez quelles sont mes deux priorités pour l'avenir
S. July : Oui je vous le demande.
F. Bayrou : Je l'avais entendu. Mes deux priorités c'est de faire apparaître des générations nouvelles et des idées nouvelles, on a besoin, ne serait-ce que pour les élections locales de générations nouvelles, de responsables nouveaux. Depuis trop longtemps, on tourne dans l'opposition avec une absence de renouvellement des femmes et des hommes. On a besoin d'idées nouvelles, clairement exprimées, aussi simplement que nous l'avons fait sur l'Europe ; nous essayerons de le faire sur la politique française.
F.O. Giesbert : Comment expliquez-vous l'extraordinaire popularité de Lionel Jospin et de son gouvernement, est-ce mérité ? Ce n'est pas totalement démérité ?
F. Bayrou : D'abord ils ont de la chance et il en faut quand on gouverne. Ils ont des conjonctures économiques et spécialement dans l'économie française qui sont profitables pour eux. Deuxièmement ils ont fait des efforts de style qui sont méritoires.
F.O. Giesbert : Qu'est-ce qui ne va pas alors ?
F. Bayrou : Si vous m'interrogez pour savoir ce qui ne va pas, je vous répondrais qu'ils ne font pas les réformes de fond sans lesquelles il est impossible d'offrir un avenir à la France.
F.O. Giesbert : Vous pensez à quoi, les retraites ?
F. Bayrou : Non, je pense d'abord à la dépense publique en France. Nous sommes un pays qui est depuis longtemps " shooté " à la dépense publique. Nous sommes le pays d'Europe qui dépense le plus ou presque, sous forme de dépense publique alors que tous les pays autour de nous conduisent un immense effort. Regardez les Allemands qui viennent d'annoncer un plan très important de réduction de quelque chose comme 100 milliards de francs par an de leur dépense publique pour alléger la création, une économie est portée - ce que l'on appelle croissance - par les créateurs en France qui ont des boulets ; ces boulets s'appellent impôts, charges sociales, et tout cela, c'est la dépense publique de la France. Les Allemands ont décidé en suivant d'autres comme les Anglais, les Espagnols, les Italiens, d'alléger ces boulets qui pèsent aux pieds des créateurs. Tant que l'on ne conduira pas une réflexion de cet ordre en France, on se trompera. Il y a d'ailleurs des gens de gauche qui y appellent, Laurent Fabius a fait des déclarations nombreuses sur le sujet et en décalage net avec ce que M Jospin a fait. Cette réflexion est d'intérêt national : comment faire en sorte que la dépense publique baisse sans que la justice soit atteinte ? Sans que le sentiment de justice soit blessé ?
J.L. Gombeaud : Vous ne diriez pas la même chose que ce que vous avez dit à M Sarkozy : c'est trop facile de promettre des baisses d'impôts, que c'est un peu facile de promettre des baisses de dépenses.
F. Bayrou : Excusez-moi, vous ne m'avez pas entendu articuler la moindre promesse, je sais bien que vous avez le réflexe auditif sur ce sujet mais ce n'est pas mon sujet. Je pense qu'il faut que la société française, et c'est l'une des missions de l'opposition de conduire une réflexion profonde, ne doit pas être articulée en terme de promesses qui ne reposent sur rien comme il m'est arrivé de m'en émouvoir, mais articulée sur une vraie stratégie : à quel endroit va-t-on essayer d'appliquer la baisse de la dépense publique ? Cela ne se fera pas sur les policiers, cela ne se fera pas sur l'Education nationale, cela ne se fera pas sur les infirmières.
J.L. Gombeaud : Qu'est-ce qu'il reste ?
F. Bayrou : Je pense qu'il y a l'administration de papier, ce que j'appelle les réformes administratives qui n'ont pas été conduites dans la société française.
S. July : Donc cela c'est la " déjacobinisation " ?
F. Bayrou : Absolument. Et vous savez pourquoi, elles n'ont pas été conduites ? Parce que l'on avait une administration centrale et on l'a doublée d'une administration locale sans réduire l'administration centrale. Nous avons réussi à faire cela, personne n'y travaille, personne n'en dit un mot en tout cas pas à ma connaissance. Voilà un très grand sujet. Les retraites en sont un second, les institutions - peut-être allons y venir dans une seconde - en sont un troisième, bref on a des réformes majeures à conduire dans la société française et pour l'instant, le gouvernement ne les conduit pas et spécialement dans le domaine qui est de sa compétence, celui du budget.
S. July : Pourquoi est-ce que l'on peut dire que c'est le réflexe Balladur, c'est-à-dire on est candidat à la prochaine élection présidentielle quand on est Premier ministre et on ne fait pas les réformes qu'il faut ?
F. Bayrou : Je ne sais pas. Je pense qu'il y a aussi des plis culturels, le gouvernement est un gouvernement de gauche et par nature les gouvernements de gauche considèrent plutôt la dépense publique comme bienfaisante. Je pense qu'il y a de ce point de vue-là une grave imprudence à ne pas conduire la réflexion sur ce sujet parce que le retard de la France sera ensuite trop difficile à rattraper.
S. July : Et comment proposez-vous de conduire cette réflexion ?
F. Bayrou : Je pense que c'est le travail de l'opposition. Vous savez que j'ai essayé de distinguer, pendant ces deux derniers mois, deux sortes de sujet : les sujets sur lesquels il faut que la différence naturelle entre majorité et opposition joue, autrement dit il faut que l'opposition propose la relève des idées comme elle propose la relève des équipes, mais il y a une deuxième sorte de sujet - j'y ai identifié les retraites - dans lequel il me parait juste que droite et gauche travaillent ensemble, parce que sur les retraites, par exemple, on sait bien ce qui est arrivé lors des gouvernements précédents, et ce qui peut très bien arriver dans les gouvernements qui viennent. C'est un si grand sujet, si crucial pour la société française que l'affrontement majorité-opposition empêche la réforme mais c'est au détriment de la société française.
S. July : François Bayrou, c'est une proposition que vous faites au gouvernement, vous proposez une conférence nationale ou ...
F. Bayrou : Je l'ai faite souvent. Je pense que le travail qu'il convient de conduire sur les retraites devrait être un travail transcourant majorité-opposition.
un journaliste : En dehors de vous-même, qui y est acquis à gauche ou dans l'opposition ?
F. Bayrou : Disons qu'on le verra dans les mois qui viennent. Je suis persuadé que le gouvernement et l'opposition seraient bien avisés l'un et l'autre sur ce sujet de ne pas chercher des réflexes d'affrontement.
S. July : Alors, à propos des institutions, on est quand même en train de vivre une expérience qui a énormément d'applications, qui est cette longue cohabitation dans laquelle nous sommes ; avant c'était des cohabitations de deux ans qui étaient des campagnes électorales à chaque fois. Là, on est aussi dans une campagne électorale, mais, enfin, on est engagé comme dans une cohabitation qui, en principe, va durer cinq ans. Est-ce que ça ne modifie pas très profondément, finalement, l'ensemble des institutions françaises ? Est-ce que ça ne relativise pas finalement le rôle du chef de l'Etat ?
F. Bayrou : Moi j'étais opposé, vous le savez bien, aux cohabitations courtes et je ne suis pas plus favorable aux cohabitations longues.
S. July : Donc ni l'une ni l'autre.
F. Bayrou : Je pense que c'est un mauvais système parce que c'est un système qui met en embuscade chacun des deux piliers de l'exécutif l'un contre l'autre, c'est-à-dire que sans le dire et en s'en défendant vertueusement, chacun attend que l'autre fasse un faux pas. Et ce n'est pas une situation favorable pour la France, voilà pourquoi je défends ...
S. July : Donc il faut réformer profondément le système pour sortir ...
F. Bayrou : Oui, il faut réformer nos institutions et vous savez ce que je propose depuis longtemps qui est la concomitance des élections présidentielles et législatives.
S. July : C'est-à-dire la disparition du droit de dissolution ?
F. Bayrou : Non, pas du tout.
un journaliste : Non ce n'est pas la même chose.
F. Bayrou : La proposition que j'ai faite est un peu plus, non ? Je suis pour que l'on garde le droit de dissoudre parce qu'il faut que ce soit le peuple qui tranche une crise entre le législatif et l'exécutif,. En revanche, le système que je propose, encore une fois depuis longtemps, c'est celui-ci : que les élections présidentielles et législatives aient lieu en même temps, de sorte que le peuple donne une légitimité équivalente au Président de la République élu et à la majorité législative élue. Le drame de la cohabitation c'est que la légitimité de l'un détruit la légitimité de l'autre comme on le voit, ou du moins tend à détruire la légitimité de l'autre.
S. July : Mais qu'est-ce qui, dans ce système, empêcherait qu'il y ait une majorité dans un sens et une majorité autre ?
F. Bayrou : Rien, mais le Président de la République aurait la liberté de composer son gouvernement avec la majorité que les Français lui donnent et avec des hommes qui travailleraient avec lui. Ceci, le système d'aujourd'hui ne le permet pas.
un journaliste : Autrement dit, contrairement à Philippe Seguin qui, il y a une semaine, prenait position en faveur d'un régime réellement présidentiel, c'est-à-dire sans droit de dissolution et sans premier ministre, vous pensez qu'il faut des élections et donc des mandats de même longueur pour le Président de la République et pour l'Assemblée nationale, mais que l'on conserve un gouvernement et que l'on conserve un droit de dissolution.
F. Bayrou : Je défends cette idée qui est à la base de la Vème République selon laquelle le Président est la clé de voûte des institutions. Il représente le peuple dans son ensemble, et pas la moitié du peuple contre l'autre. Lorsque vous avez un Président dans un régime présidentiel, il est le chef d'un parti politique et je trouve qu'il n'est pas bon qu'un Président de la République française soit un chef de parti. Nous avons conservé de notre histoire cette aspiration à avoir un Président réconciliateur.
S. July : Depuis trente ans c'est ce qui s'est passé.
F. Bayrou : Je défends cette idée. En revanche je trouve légitime qu'il y ait une majorité. Ce qui cloche, en France, c'est que cette majorité - lorsque l'on est en cohabitation - est en affrontement avec le Président de la République. Et ce n'est pas bien.
S. July : Cela ne permet pas d'avancer. Il y a quelque temps au " Club de la presse ", vous vous êtes prononcé pour l'élection du Président de l'exécutif européen au suffrage universel, maintenant vous voyez un calendrier ?
F. Bayrou : Je me suis prononcé pour que ce Président qui existera un jour - si l'Europe existe un jour elle aura un visage - soit choisi par le peuple, et cela se produira à mon avis dans les dix ans qui viennent.
S. July : C'est pour quand, comment allez-vous procéder ?
F. Bayrou : Je me suis prononcé pour que dans un premier temps il soit élu par les Parlementaires nationaux et européens en même temps.
S. July : On passe d'abord par la IVème République avant d'aller vers la Vème ?
F. Bayrou : Il faut faire naître une vie politique européenne qui pour l'instant n'existe pas.
S. July : Pour l'instant ça reste au niveau du vu pieu, Monsieur Bayrou, alors quel est le calendrier ?
F. Bayrou : Attendez, je ne suis pas pour l'instant au gouvernement.
S. July : Vous êtes un Parlementaire européen important.
F. Bayrou : Mais en revanche, au sein du Parlement européen, je me suis inscrit au sein de la Commission des Constitutions pour essayer de faire avancer cette idée.
un journaliste : Et alors votre idée, c'est quoi ?
F Bayrou : Mon idée c'est : une Constitution pour l'Europe et non plus des traités que personne ne lit. Deuxièmement, cette Constitution il va falloir l'écrire de toute manière dans les années qui viennent. Vous savez que désormais on est lancé, on a ouvert une nouvelle étape de réformes institutionnelles pour l'Europe et c'est heureux parce que cette Europe-là ne fonctionnera pas, elle se bloquera.
S. July : On est en retard d'ailleurs.
F. Bayrou : Je ne voudrais pas être prophète de malheur, mais vous verrez que l'idée qui consiste - c'est un tout petit peu technique mais je le dis pour les initiés - à changer les droits de vote à l'intérieur de la communauté européenne entre les grands pays et les petits pays, n'ira pas de soi. C'est pourquoi je préfère une démarche qui permette d'avoir une voix et un visage chargés de fédérer, chargés de faire se rencontrer les intérêts des uns et des autres, mais on aura de nombreuses occasions d'en parler ensemble. Pour aller jusqu'au bout, je pense que, comme toujours en Europe, cela se fera par la mise en place officielle ou officieuse d'un comité, d'un petit groupe d'hommes ayant exercé des responsabilités majeures.
S. July : Le Comité des Sages qui devait être nommé et qui ne l'a pas été.
F. Bayrou : Je dis officielle ou officieuse, désignée par les gouvernements ou qui choisissent de travailler ensemble, des hommes comme Delors, comme Kohl, comme Giscard ( je cite des noms connus parmi les Français pour les responsabilités européennes qui ont été les leurs), Barre, des hommes qui ont exercé des responsabilités majeures et qui décideraient de mettre leur expérience au service de la nouvelle étape de la construction de l'Europe.
S. July : Enfin, vous savez que c'était le principe du Comité des Sages qui devait être désigné au sommet de Cologne et qui ne l'a pas été.
F. Bayrou : Parce que le Comité des Sages c'était une institution. Les comités qui ont fait progresser l'Europe, la plupart du temps, c'était des comités que personne n'avait désignés.
F.O. Giesbert : Monsieur Bayrou, la petite question qui fâche : les élections présidentielles de 2002, vous y avez toujours pensé un peu. Vous y pensez de plus en plus ?
F. Bayrou : M. Giesbert, je sais bien que vous avez écrit cela dans votre journal cette semaine - je ne vous reproche pas de l'avoir écrit. Simplement 2002 c'est dans trois ans, et celui qui peut aujourd'hui vous parler de ce qui se passera dans trois ans, regardez le bien, c'est quelqu'un qui n'est pas très sérieux. Il y a trois ans, nous étions au gouvernement pour encore un an, vous voyez que les choses ont depuis beaucoup changé. On va laisser couler l'eau du Gave sous les ponts des Pyrénées.
A. Duhamel : Monsieur Bayrou, ce sera votre dernier mot pour le " Club de la presse ", merci d'être venu, bonsoir et à dimanche prochain.

(source http://www.udf.org, le 8 juillet 1999)