Interview de M. Christian Jacob, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat, des professions libérales et de la consommation, dans "LSA" le 11 mars 2005, sur le projet de loi destiné aux PME.

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Média : L.S.A.

Texte intégral

LSA : Selon le premier ministre, la loi que vous allez défendre devant le Parlement doit permettre une baisse de prix et une augmentation du pouvoir d'achat. De combien ?
Christian Jacob : Il faut remettre les choses dans leur contexte. Ce projet de loi est avant tout destiné aux PME et vise à lever les blocages et les contraintes qui freinent leur développement. Il s'articule autour de cinq axes forts : un volet sur le financement, un sur le statut, un la transmission des PME, un concernant la simplification administrative, un volet qui réforme le Code de commerce et enfin des initiatives pour favoriser l'intéressement des salariés aux résultats de leurs entreprises.
Concernant les prix, ce sont les professionnels qui sont venus me voir à la fin de l'année dernière pour les aider à renouer les fils du dialogue qui était totalement rompu entre fournisseurs et distributeurs. J'ai alors mis en place un groupe de travail qui a mis en commun ses conclusions avec la mission parlementaire présidée par Luc-Marie Châtel qui m'a remis des propositions. Depuis, nous sommes plutôt entrés dans une logique de stabilisation de la tendance baissière des prix avec l'idée que la distribution doit transférer une partie de ses marges dans les prix et en faire bénéficier le consommateur.
Je vous rappelle par ailleurs que dans le contrat France 2005, Jean-Pierre Raffarin défend à la fois le pouvoir d'achat et l'emploi : on marche sur les deux pieds et il faut veiller à ce que la baisse des prix ne se fasse pas au détriment de l'emploi. Je ne veux pas de guerre des prix. Je suis frappé par l'exemple des Pays-Bas, où la baisse des prix de 10 % sur les grandes marques et de 3 % en moyenne, a provoqué 10 000 suppressions d'emplois équivalent temps plein sur 100 000 dans le commerce sans compter les conséquences non encore chiffrées pour les fournisseurs et les PME. Défendre le pouvoir d'achat, c'est d'abord faire en sorte que les salariés gardent leur emploi.
LSA : Votre projet évoque les " pratiques prédatrices " de la distribution et son intitulé ne mentionne même pas le commerce. Etes-vous défavorable à ce secteur ?
C. J. : Je n'aime pas le terme de distribution, je préfère celui de commerce. Quand je vois les campagnes de Leclerc et ses affiches avec des matraques, je pense qu'il donne une image catastrophique de la grande distribution à la population. Le commerce, c'est l'accueil, le service, pas le coup de bâton !
Dans les années 80-90, le commerce de proximité a souffert de la croissance de la grande distribution. Mais aujourd'hui, il se revitalise, avec des chartes de bonnes pratiques, un réveil de la franchise La grande distribution au contraire a vécu sur un modèle qui a plus de 20 ans, ses acquis, ses rentes et les fortunes accumulées et elle a un vrai problème d'adaptation. Elle a le choix de crier au loup sur le code du commerce ou de trouver les moyens de s'adapter.
La grande distribution est un secteur très pourvoyeur d'emplois qui a été plébiscité par les Français et qui doit pouvoir se transformer et se moderniser.
LSA : Votre projet de loi prévoit de bloquer le seuil des marges arrière à 20 %. Pourquoi ?
C.J. Ce seuil, qui correspond à la fois au niveau de la coopération commerciale antérieur à la loi Galland et à celui qu'on trouve en moyenne chez nos voisins européens, permet de conserver les équilibres et notamment de protéger les PME. En dessous de 20 %, les conséquences auraient pu être néfastes pour les petites entreprises en raison de la baisse de prix possible des grandes marques dont les marges arrière atteignent en moyenne près de 35 %. Cela permettra de faire baisser les prix de manière raisonnable. Avec ce seuil les distributeurs pourront aussi recycler les NIP, ces instruments promotionnels qui font que les consommateurs ne comprennent plus rien au prix. Nous envisageons en outre pour les secteurs dont les niveaux de marges arrière sont beaucoup plus élevés, comme la salaisonnerie, d'inclure un dispositif de progressivité, car on ne peut envisager de faire chuter les taux de 50 % à 20 % en une seule fois
LSA : N'allez-vous pas ainsi légaliser le " blanchiment de marges arrière " que vous dénonciez au moment des accords Sarkozy ?
C. J. Au contraire, la loi va permettre de lutter contre l'opacité des pratiques commerciales. Elle exigera des formes de contrats très précis pour la coopération commerciale et les contrôleurs de la DGCCRF se verront confier la charge de vérifier qu'ils sont respectés. En réduisant l'opacité, nous permettrons que les PME puissent mieux résister et nous établirons un rapport de force plus équilibré. Je suis favorable à la libre concurrence, mais pas à l'anarchie !
Ainsi, les conditions générales de vente et le prix de vente fixé par l'industriel ne seront pas négociables. En revanche, des conditions particulières de vente, inscrites dans la loi - alors que la circulaire Dutreil était d'application facultative,- permettront d'ouvrir les négociations. Si un distributeur dispose de camions de livraison pour chercher les produits à l'usine, il est normal qu'il puisse bénéficier d'un avantage par rapport à un magasin qui se fait livrer, par exemple.
LSA : Votre loi prévoit de renverser la charge de la preuve des services rendus aux distributeurs et de forte sanctions. Pourquoi ce renforcement de la pénalisation ?
C.J. Les fournisseurs n'ont pas les moyens de faire valoir leurs droits en matière de coopération commerciale et ne peuvent porter plainte parce qu'ils risquent de subir un déréférencement qui peut mettre en péril 25 ou 30 % de leur chiffre d'affaires, voire plus. Avec le renversement de la charge de la preuve, c'est le distributeur qui devra prouver, lorsque l'administration le sollicitera, qu'il a respecté ses engagements. L'amende pourra atteindre 75 000 euros en cas de non respect si elle est prononcée par le juge pénal ou pourra faire l'objet d'une transaction auprès des contrôleurs de la DGCCRF pour paiement immédiat, ou du procureur, avec ce qu'on appelle une composition pénale. Pour les délits comme le franchissement du seuil de revente à perte, nous gardons les sanctions existantes mais en introduisant la possibilité d'une convocation simplifiée et d'une ordonnance pénale (jugement sans comparution) devant le juge du tribunal correctionnel avec publication systématique du jugement. Jusqu'ici les dépôts de plaintes étaient très rares et les poursuites aboutissaient souvent à des sanctions ridicules. Avec ce dispositif, tout le monde aura clairement conscience que la loi est la loi et qu'on n'y déroge pas !
LSA : Vous comptez aussi créer une Commission d'évaluation des pratiques commerciales avec pour objectif de surveiller les prix et les marges. N'est-ce pas un retour au contrôle des prix ?
C. J. Non, car cette commission remplacera la Commission d'examen des pratiques commerciales et l'Observatoire du commerce, deux instances qui existent déjà. Je veux inscrire cette loi dans la durée et il est nécessaire d'observer comment évoluent les prix, le référencement des PME, mais aussi l'emploi car je veux savoir s'il diminue ou s'il augmente dans la distribution et chez ses fournisseurs. La Commission sera donc ouverte à la DGCCRF, mais aussi à la Direction du Travail et de l'Emploi, aux associations de consommateurs, aux représentants des PME, de la grande distribution.
LSA : Que prévoyez-vous concernant les accords de gamme ?
C.J. C'est un point important du projet de réforme, je veux éviter les situations de monopole dans les linéaires, les accords de gamme abusifs. Mais il n'est pas question de les interdire, ils sont utiles pour préserver l'innovation, quand un industriel propose une remise sur une référence en contrepartie du lancement d'un produit nouveau, par exemple. Les PME elles-mêmes les utilisent, et je ne rentrerai pas dans la chasse aux grandes marques, car elles ont aussi leur rôle à jouer.
LSA : Que devient le volet concernant l'urbanisme commercial et la modernisation des magasins ?
C.J. Nous ne voulions pas complexifier un projet déjà très riche. Le sénateur Fouché, qui a réalisé à ma demande un rapport sur la question, déposera donc une proposition de loi avant l'été. Cela dit, je pense que les Cdec fonctionnent bien, mais qu'on peut simplifier certaines choses comme la nécessité de renouveler, à chaque demande, les études d'impact. Cela multiplie inutilement les possibilités de recours. (De même, je reste très prudent sur l'excès de réglementation concernant la fixation hypothétique d'un seuil maximum de 25 % de parts de marché à ne pas dépasser lors de l'implantation d'un nouveau magasin). Il faut tenir compte de l'histoire locale des enseignes quand on examine la notion de marché pertinent localement. Auchan, dans le Nord, et Leclerc dans le Finistère ont une légitimité dans leurs bassins de vie respectifs.
(Source http://www.PME.gouv.fr, le 12 mai 2005)