Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur l'Europe sociale et la construction européenne, la politique de l'emploi et la lutte contre le chômage et les mesures prises par la France dans le cadre de la loi quinquennale pour l'emploi, Paris le 30 mars 1995.

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Circonstance : Conférence sociale européenne, Paris le 30 mars 1995

Texte intégral

Messieurs les Ministres,
Monsieur le Commissaire,
Mesdames, Messieurs,
La Conférence Sociale Européenne qui s'achève a mis en lumière, au-delà des légitimes différences, la volonté commune des partenaires sociaux, des États membres et de la Commission de réfléchir et de travailler ensemble pour répondre à une question essentielle : "Créer des emplois en Europe : Comment ?".
Au cours de cette journée, vous vous êtes attachés à répondre de manière concrète à cette interrogation. Vous avez également voulu formuler des suggestions pour mieux associer les partenaires sociaux à la construction de l'Europe.
Je vous félicite pour la qualité du travail que vous avez effectué et pour la volonté de dialogue dont cette réunion témoigne. Je tiens également à remercier le Commissaire FLYNN dont je salue l'esprit de coopération.
Permettez-moi d'expliquer en deux mots pourquoi j'ai voulu cette conférence et pour quelles raisons, comme vous, je juge prioritaire le thème de l'emploi.
Une conférence sociale européenne m'est apparue comme une nécessité pour deux raisons : je crois au dialogue entre partenaires sociaux et je crois à l'Europe sociale.
1 - L'Europe doit être sociale et doit être construite avec les partenaires sociaux.
Les débats qui se sont engagés autour de la ratification du Traité sur l'Union Européenne ont montré une méfiance grandissante d'une partie de l'opinion à l'égard de l'Europe.
Cette expérience doit nous inciter à la réflexion.
J'en tire pour ma part deux enseignements :
1) Premier enseignement : la construction de l'Europe ne peut plus demeurer l'apanage de quelques spécialistes.
Les Parlements nationaux, les régions, les associations, les syndicats doivent être associés à la construction de l'Europe.
1996 : nouvelle réforme institutionnelle de l'Europe.
Il faut que chacun y soit associé.
C'est dans cet esprit que j'ai demandé aux organisations syndicales et patronales reconnues représentatives au niveau européen de communiquer à la Présidence française leur appréciation sur l'application du Traité.
De même esprit, la France a demandé à la Commission de réunir un comité de personnalités spécialistes des questions sociales pour faire des propositions sur l'avenir de l'Europe sociale.
2) Second enseignement, il faut aller plus vite et plus loin dans la construction de l'Europe sociale.
L'Europe jusqu'à présent a été bâtie autour du grand marché. Tout n'est pas achevé dans ce domaine, loin de là : il faut encore réaliser la monnaie européenne. Mais la route est tracée.
Si nous voulons une Europe qui suscite l'adhésion des citoyens, il faut qu'elle contribue à répondre aux inquiétudes majeures de nos concitoyens.
C'est pourquoi il faut une Europe de la défense : aspiration à la sécurité et à la stabilité du continent.
De même, il faut une Europe sociale ; de ce point de vue, le Traité sur l'Union européenne marque un progrès.
Mais il faut donner chair et contenu à cette Europe sociale.
La construction d'un marché unique doit s'accompagner d'une certaine harmonisation dans les réglementations sociales, sauf à créer des distorsions de concurrence.
L'Europe est porteuse d'un modèle de société, de valeurs humanistes. Il s'agit de défendre la dignité de l'homme au travail en Europe et dans le monde.
Ces principes doivent conduire à orienter nos efforts dans quatre directions :
- premier axe, le progrès des conditions sociales dans tous les États-membres. Au cours des années passées, nous avons ainsi adopté des directives sur l'hygiène et la sécurité qui ont permis de mieux protéger les travailleurs. Naturellement, il faut continuer à progresser dans cette voie. Mais dans ce domaine, l'essentiel est d'assurer l'application effective du droit communautaire. Si des textes adoptés ne sont pas appliqués dans les faits, nous aurons créé de nouvelles distorsions de concurrence et découragé les citoyens et les partenaires sociaux.
A cet égard, je salue la résolution sur l'application de la législation sociale communautaire adoptée par le Conseil lundi dernier.
- Le deuxième axe d'effort doit porter sur la libre-circulation des travailleurs. La liberté de circuler et de s'établir en Europe risquerait d'être vidée de son contenu si un Belge qui travaille en Allemagne ne pouvait être soigné et remboursé comme un Allemand, si au moment de prendre sa retraite en Belgique, les années passées en Allemagne n'étaient pas prises en compte dans le calcul de sa pension.
Des progrès importants ont été enregistrés mais beaucoup reste encore à accomplir, notamment pour assurer les mêmes droits dans le travail à tous les européens.
- La troisième priorité de l'Europe sociale doit être d'assurer l'égalité de traitement entre hommes et femmes.
La Commission doit présenter bientôt son quatrième programme communautaire pour l'égalité des chances. Les partenaires sociaux se sont engagés aujourd'hui à discuter de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Je me réjouis de ces efforts car l'égalité des hommes et des femmes est une condition du progrès de nos sociétés.
- la quatrième priorité doit être d'assurer le rayonnement des principes sociaux auxquels nous sommes attachés au-delà de nos frontières. C'est la question de la dimension sociale du commerce international. Tous les États-membres n'abordent pas ce sujet de la même manière. Je suis d'autant plus heureux de constater que le dernier Conseil présidé par M. GIRAUD a pu dégager un large accord autour de quelques principes simples :
- il y a des droits fondamentaux, ceux qui touchent à la dignité de la personne, sur lesquels il n'est pas possible de transiger ;
- il faut ouvrir un dialogue dans toutes les enceintes internationales concernées et notamment à l'OCDE, à l'OIT et à l'OMC sur le lien entre dimension sociale et libéralisation des échanges ;
- enfin, cette démarche doit exclure tout protectionnisme mais viser au contraire à faire du développement des échanges un moteur du progrès social.
Voilà à mon sens les domaines dans lesquels l'Europe sociale peut et doit progresser. Je souhaite que le moment venu, tous les États-membres de l'Union puissent avancer du même pas dans la construction de l'Europe sociale.
II - Les objectifs sont clairs. La méthode, nous la connaissons : c'est le dialogue entre les partenaires sociaux.
J'ai en effet une conviction forte :
- nécessité de développer le dialogue social ;
- nécessité d'une concertation régulière entre pouvoirs publics et organisations professionnelles.
Ce dialogue et cette concertation existent dans chacun de nos pays : ils doivent se développer, s'intensifier et s'étendre au niveau européen.
Je sais que le dialogue social existe au niveau communautaire. Cette expression a d'ailleurs un sens particulier puisqu'il renvoie à des négociations entre la Confédération Européenne des Syndicats, l'Union des Industries de la Communauté Européenne et le Centre Européen de l'Entreprise Publique sous l'égide de la Commission.
Ce niveau de dialogue est utile : je me réjouis qu'au cours de cette conférence, ces organisations importantes aient manifesté leur disponibilité à discuter de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.
Mais la concertation sociale doit trouver d'autres forums : le Comité Permanent pour l'Emploi me paraît adapté pour faire converger les analyses de tous les partenaires sociaux, des États membres et de la Commission.
Dans vos conclusions, vous plaidez pour une revitalisation du Comité Permanent pour l'Emploi.
Sachez que je soutiendrai cette demande : j'ai d'ailleurs choisi le cadre de ce Comité pour tenir la conférence sociale européenne.
Cette revalorisation du rôle du Comité Permanent pour l'Emploi peut, comme vous le suggérez, prendre la forme d'une association du Comité pour l'Emploi aux réflexions menées sur l'emploi à la lumière des conclusions du Conseil européen d'Essen. D'ores et déjà, c'est le parti que vous avez pris en centrant vos travaux sur la question des créations d'emploi.
III - L'emploi doit être en effet au centre de notre politique, au niveau européen comme au niveau national.
Il n'est pas admissible que l'Europe, l'une des régions les plus prospères au monde, connaisse un taux de chômage représentant 11 % de sa population active, plus élevé qu'aux États-unis ou qu'au Japon.
Il faut donc promouvoir en Europe une croissance à la fois plus forte et plus créatrice d'emplois.
Il y a deux ans, l'Europe traversait l'une de ses récessions les plus sévères de l'après-guerre : près de 4,5 millions d'emplois ont été détruits en 1992-93. C'est pourquoi l'action que j'ai moi-même menée on France a eu pour toute première priorité de retrouver le chemin de la croissance. Cet objectif est aujourd'hui atteint, et la reprise se révèle même plus forte que prévu : en France comme dans l'ensemble de l'Europe, la croissance s'est finalement élevée à 2,5 % en 1994, et elle devrait approcher 3,5 % cette année.
Grâce à ce retour de la croissance, les pays européens se remettront à créer des emplois. C'est particulièrement vrai en France. Ceci montre bien - si besoin en était- qu'il n'y a pas de fatalité du chômage dans nos pays européens ; en combinant une croissance plus forte et un marché du travail fonctionnant mieux, il est possible de faire reculer le chômage.
Pour autant, il convient de ne pas relâcher nos efforts et au contraire de les amplifier.
Il faut tout d'abord que la croissance forte que nous venons de retrouver en Europe soit durable. C'est là bien sûr la finalité première du Grand marché et de l'Union Économique et Monétaire.
Il faut aussi que son contenu en emplois soit accru. Cela passe par des actions structurelles à la fois raisonnables et audacieuses.
Ces actions ont bien sûr une dimension pour partie nationale compte tenu des différences dans le fonctionnement des marchés du travail et dans les formes du dialogue social, certaines réformes structurelles à mettre on oeuvre peuvent varier d'un État-membre à l'autre.
Pour sa part, le Gouvernement français a placé la lutte contre le chômage et le développement de l'emploi au premier rang de ses priorités.
Depuis deux ans, tous les moyens humains, juridiques et financiers ont été mobilisés au service d'un objectif : arrêter la progression du chômage et amorcer la décrue.
Au-delà des mesures d'urgence prises dès l'été 1993, le Gouvernement a jeté les bases d'une politique nouvelle de lutte contre le chômage. La loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle répond à cette ambition.
Elle vise, en premier lieu, à alléger les charges sociales pesant sur les bas salaires. A ce titre, le transfert au budget de l'État d'une partie des cotisations familiales dues par les employeurs représente un effort financier supérieur à 30 MdsF sur 5 ans. Cet effort aura permis, en 1994, de créer quelque 70 000 emplois.
En deuxième lieu, la loi quinquennale comporte un ensemble de mesures de simplification de la réglementation du travail, qui tout en conservant les droits des salariés, facilitent l'embauche.
En troisième lieu, la loi a ouvert aux partenaires sociaux des champs de négociation d'une ampleur sans précédent dans le domaine de l'annualisation du temps de travail et de la réduction de la durée du travail. Je me réjouis que les partenaires aient, tout récemment, décidé de se saisir des possibilités qui leur sont ainsi offertes.
Enfin, certaines dispositions ont été arrêtées, qui servent à faciliter la création d'emplois dans le secteur des services. Ainsi en est-il du chèque-emploi-service, qui rencontre un succès grandissant.
Au total, c'est grâce à l'ensemble de ces mesures que la croissance avec laquelle la France a renoué en 1994 a permis la création de plus de 220 000 emplois. Naguère, il était d'usage de dire qu'à croissance égale, la France créait moins d'emplois que d'autres pays. L'année 1994 - on ne l'a pas assez souligné me semble-t-il - apporte un démenti à cette idée reçue.
Au surplus, ces créations d'emplois ont permis à notre pays d'enrayer la montée du chômage et d'engager le mouvement inverse, celui de la réduction du chômage. Pour le cinquième mois consécutif, la France enregistre une diminution du nombre de demandeurs d'emplois. Le chômage a diminué de 50 000 personnes au cours de cette période.
Ces résultats sont encourageants. Je souhaite qu'ils servent d'exemple et qu'ils montrent que le chômage n'est pas une fatalité pour peu que la lutte pour le développement de l'emploi se fonde sur une mobilisation collective, dont je souhaite que les partenaires sociaux prennent leur part.
Mais les actions pour l'emploi doivent aussi comporter un volet européen. Exemple : réalisation de grandes infrastructures de transport au niveau européen. Le Conseil Européen d'Essen a pris des engagements, la Présidence française vient de faire adopter par le conseil le règlement qui permettra d'engager rapidement les travaux. C'est un moyen concret de soutenir la croissance mais aussi de renforcer l'unité du continent européen.
L'autre mérite de l'approche européenne est qu'elle permet de confronter les différentes analyses et donc d'éclairer les choix opérés au niveau national.
Certes, au terme de cette journée, des différences d'appréciation subsistent.
Je note cependant une convergence sur au moins trois éléments essentiels d'une stratégie pour l'emploi :
- il faut baisser les charges sur les bas salaires,
- il faut trouver de nouvelles formes d'organisation du temps de travail,
- il faut développer des activités nouvelles, créatrices d'emplois, en particulier dans les services.
Il y a également convergence sur un élément encore plus fondamental qui est un point de méthode : la mise en oeuvre de ces instruments ne doit pas être effectuée de manière centralisée et autoritaire, mais négociée au niveau approprié. Nous retrouvons là l'exigence centrale qui sous-entend toute notre démarche commune : celle d'un dialogue social nourri et permanent.
Qu'il puisse y avoir, entre des personnes venues d'horizons aussi différents, un consensus aussi large, est un gage d'espoir.
Espoir pour l'emploi tout d'abord. Nos concitoyens ne croient plus aux remèdes des faiseurs de miracles, à ceux qui expliquent que du relâchement des efforts pourra naître une société plus efficace et plus juste. Tout le monde sait désormais que la lutte contre le chômage nécessite des réformes de structures audacieuses mais concertées avec les partenaires sociaux. Tout le monde sait aussi que seule la croissance les rend possibles.
Espoir pour le dialogue social ensuite. Il faut que celui-ci se développe et se renforce. Il n'est pas possible aujourd'hui de créer des emplois, de réduire le temps de travail, de partager les fruits de la croissance retrouvée sans qu'au préalable se soient renoués, au niveau national et au niveau européen, les fils de la concertation et du dialogue.
Espoir pour l'Europe enfin. L'Europe a besoin de toutes ses forces dans la compétition mondiale. Elle a besoin de l'adhésion de tous. Hier, elle a su mobiliser toute une génération autour du thème de la réconciliation. L'emploi retrouvé doit être le mot d'ordre aujourd'hui. On ne peut plus construire l'Europe sans votre adhésion et votre enthousiasme. C'est notre responsabilité. Sachons bâtir ensemble l'Europe de l'emploi.