Interview de M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire, à France 2 la 18 juillet 2005, sur les privatisations d'autoroutes, la préservation du littoral, la création de pôles de compétitivité et les relations entre M. Nicolas Sarkozy et le président de la République.

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Média : Emission Les Quatre Vérités - France 2 - Télévision

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QUESTION : L'Etat va privatiser à partir d'aujourd'hui les sociétés d'autoroutes. Cela va rapporter entre 11 et 12 milliards d'euros. Mais que va faire l'Etat de cet argent ?
Christian ESTROSI : D'abord l'introduire, pour baisser le déficit public, dans le budget global de l'Etat. Et ensuite, en faire bénéficier un nouveau plan de relance d'infrastructures routières, de communication, de ferroutage, de rail, dont a besoin notre pays pour son aménagement du territoire.
QUESTION : Ce sont des projets que l'Etat n'entreprendrait pas s'il n'y avait pas ces privatisations ?
Christian ESTROSI : Bien évidemment, nous voyons que nous avons eu un ralentissement depuis 20 ans sur les axes de déplacements, que ce soit la route ou le rail. Nous avons besoin, nous le voyons notamment avec la saturation due à la fermeture du tunnel du Fréjus aujourd'hui, de relancer un grand plan d'infrastructure de déplacement et de transport, notamment par le rail. Et je suis convaincu que la vente des actifs de l'Etat dans les sociétés autoroutières nous permettra d'aller beaucoup plus vite dans cette direction.
QUESTION : Autre actualité qui vous concerne, les 30 ans du Conservatoire du littoral, l'organisme qui vise à protéger les côtes françaises. A quoi cela sert-il exactement ?
Christian ESTROSI : C'est J. Chirac qui, il y a 30 ans, a lancé la construction du Conservatoire du littoral. Et je dois dire que depuis 30 ans, nous avons réussi à endiguer ce bétonnage qui a dénaturé, hélas, des sites parmi les plus merveilleux de l'ensemble du littoral de notre pays. Aujourd'hui, nous nous sommes fixés de pouvoir préserver près d'un tiers de l'ensemble des sites les plus exceptionnels de notre pays. Il faut poursuivre avec le Conservatoire du littoral cette politique.
QUESTION : On rappelle qu'il y a une loi qui interdit toute construction à moins de 50 mètres du bord de mer. Mais finalement, cette loi n'est-elle pas un frein au développement du tourisme qui est nécessaire aussi à l'économie ?
Christian ESTROSI : Oui, je crois que le tourisme au contraire se plaît aujourd'hui à chercher une qualité de vie, un environnement, une forme d'écologie. Il est attaché à la préservation de nos espaces naturels. Moi-même, qui suis un élu local dans les Alpes-Maritimes, je déplore que pendant 40 ans on ait bétonné sauvagement des sites exceptionnels et qu'on les ait gâchés. Grâce au Conservatoire du littoral aujourd'hui, je peux préserver les sites existants encore pour les valoriser et en faire des attraits touristiques.
QUESTION : Il y a quand même des pressions, des élus, qui réclament plus de souplesse, pour que certains promoteurs, certains hôteliers puissent quand même s'installer encore aujourd'hui.
Christian ESTROSI : Mais peu importe, ce qui compte, c'est de préserver quand même la qualité de vie dans notre pays. Nous avons des sites exceptionnels, une faune, une flore, qu'il nous appartient de protéger. Nous avons un outil exceptionnel avec le Conservatoire du littoral. Il faut l'utiliser, tisser des partenariats avec les collectivités publiques, les collectivités locales, et même des institutions privées et des fondations pour que celui-ci puisse nous permettre d'acquérir, d'ici à 2050, près de 200.000 hectares supplémentaires le long de nos côtes.
QUESTION : Un autre domaine qui concerne votre ministère, le ministère de l'Aménagement du territoire, ce sont les fameux "Pôles de compétitivité" dont on a beaucoup parlé la semaine dernière. On rappelle brièvement ce dont il s'agit : ce sont des sites où seront réunis les entreprises, les chercheurs, les étudiants. Il y en aura 67 disséminées dans tout le pays, 67 Silicon Valley en quelque sorte. Cela ne fait-il pas un peu beaucoup tout de même ?
Christian ESTROSI : Nous avons eu 105 dossiers de candidature. Les Pôles de compétitivité, c'est une formidable synergie entre la recherche privée et publique, l'université, les industriels de notre pays. On avait fini par penser que nous vivions dans une espèce de médiocratie où il n'y avait plus de génie français. Celui-ci s'est révélé à travers ces candidatures. Et le comité d'experts nous a révélé qu'il y avait près de 67 dossiers de très grande qualité. Nous avons mis l'excellence au service de l'attractivité de nos territoires. Cela va nous permettre de générer la création de dizaines de milliers d'emplois supplémentaires, et surtout de mettre en valeur tous les talents et toute l'excellence de notre pays.
QUESTION : Et pourtant, certains plaidaient pour qu'il y ait moins de sites, comme T. Breton par exemple, le ministre de l'Economie, et plus d'argent injecté dans chacun d'eux. Cela n'aurait-il pas été peut-être plus judicieux comme solution ?
Christian ESTROSI : Nous avons réussi les deux, puisque avec N. Sarkozy nous avons plaidé pour qu'il y ait 67 sites de retenus, 67 Pôles de compétitivité. C'était 550 millions d'euros pour 15 Pôles à l'origine. Nous avons doublé la mise avec 1,5 milliard d'euros. Nous réussissons aujourd'hui, comme dans la Silicon Valley en Californie, finalement, à l'échelle de l'Hexagone, d'un pays comme la France, nous avons réussi à rendre attractifs tous nos territoires...
QUESTION : C'est un pari, Silicon Valley c'est une réussite, là, c'est un pari...
Christian ESTROSI : ...Mais je peux vous dire que tous ceux qui son labellisés aujourd'hui, d'ores et déjà, sont en train d'enrayer un processus de désindustrialisation, de délocalisation, de déclin qui frappait des territoires de notre pays. Je suis convaincu que ce sera une grande réussite au service de l'emploi.
QUESTION : Alors, vous êtes aussi l'une des "nouvelles têtes", si l'on peut dire, du Gouvernement de Villepin, l'un des six nouveaux ministres. On sait que le Premier ministre s'est fixé cent jours pour avoir de premiers résultats, cent jours pour convaincre. Finalement, c'est un pari que vous trouvez audacieux ? A-t-il eu raison ?
Christian ESTROSI : Oui, c'est un pari audacieux. Et tous les ministres jouent le jeu aujourd'hui de ce pari, relèvent ce défi. Nous voyons à travers les ordonnances que toutes les mesures avancent à un bon rythme, que ce soit pour le contrat nouvelles embauches, que ce soit pour les chèques emploi, que ce soit pour les nouvelles mesures qui permettront aux entreprises, aux très petites entreprises de dix salariés, de pouvoir bénéficier de mesures attractives pour passer à un seuil de 20. Et d'autres mesures encore et les Pôles de compétitivité qui, en termes d'Aménagement du territoire vont compléter cette politique. Je crois que le seuil des cent jours que nous nous sommes fixé pour que toutes ces mesures soient mises en uvre, sera atteint. Et je crois en cette dynamique nouvelle qui est engagée dans le gouvernement de D. de Villlepin.
QUESTION : Justement la dynamique de ce Gouvernement n'est-elle pas enrayée par, peut-être votre meilleur ami dans ce Gouvernement, N. Sarkozy, le ministre de l'Intérieur, qui n'a de cesse de critiquer, notamment le chef de l'Etat - on l'a encore vu le 14 Juillet. Selon J.- L. Debré, hier, N. Sarkozy ruine l'action du Gouvernement. Qu'en pensez-vous ?
Christian ESTROSI : Je dis d'abord que tout ce qui est excessif est totalement dérisoire. Mais qui peut prétendre que N. Sarkozy, aujourd'hui, au côté de D. de Villepin, n'est pas celui des ministres qui tire le plus le Gouvernement par le haut ? Il est dans l'action au quotidien. Dire la vérité ce n'est pas mériter d'être interprété comme une critique permanente à l'égard du chef de l'Etat. Chacun veut caricaturer ses propos...
QUESTION : Donc, c'est-ce la vérité selon vous, lorsque N. Sarkozy dit qu'il y a de l'immobilisme, qu'il y a de la langue de bois ? Sans citer le chef de l'Etat, tout le monde a compris qu'il parlait de lui ?
Christian ESTROSI : Mais non, mais bien au contraire ! N. Sarkozy ne parle pas du Chef de l'Etat, il dénonce un état d'esprit dont est victime notre pays. D'alternance en alternance, de lobbies médiatiques en lobbies médiatiques, depuis près de 20 ans, notre pays est enfermé dans la langue de bois et dans la pensée unique. Nous avons besoin de réveiller ce pays, et dire la vérité, et être dans l'action. C'est le leitmotiv aujourd'hui de N. Sarkozy. Il fait bouger des lignes. Qui peut prétendre que, dans le domaine de l'insécurité, de la lutte contre l'intégrisme, de la lutte en faveur d'une relance des services publics en zones rurales qui sont en voie de désertification, il ne fait pas avancer le débat ? Je crois que c'est une grande contribution pour se rendre utile à notre Gouvernement et son unité au coté de D. de Villepin, c'est une chance pour nous.
QUESTION : Est-il loyal quand il critique aussi fortement le chef de l'Etat ? Ne fait-il pas preuve un peu d'esprit personnel ?
Christian ESTROSI : Pourquoi voir dans chacun de ses propos une critique à l'égard du Chef de l'Etat ? Tel n'est pas le cas. N. Sarkozy est aussi le chef d'une grande formation politique, il est normal qu'il s'exprime pour tirer des projections sur l'avenir de notre pays, faire des propositions. Ne voyons pas en chacun de ses propos une critique systématique, tel n'est pas le cas. Je crois qu'il agit au contraire avec une grande loyauté au sein du Gouvernement. Il a souhaité se rendre utile à la France, et je crois que les Français mesurent au quotidien que ce langage de vérité, sa volonté d'action répondent à leurs aspirations.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 juillet 2005)