Déclaration de M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, sur les prélèvements obligatoires, au Sénat le 26 octobre 2005.

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Intervenant(s) : 

Texte intégral

Monsieur le Président, 
Monsieur le Président de la Commission des Affaires sociales, 
Monsieur le Président de la Commission des Finances,
Monsieur le Rapporteur Général du Budget, 
Monsieur le Rapporteur de la Commission des Affaires sociales,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, 
Les rapports des deux commissions du Sénat ainsi que l'intervention du ministre délégué au Budget, que je salue, ont parfaitement mis en lumière l'importance des enjeux liés à la maîtrise des prélèvements obligatoires. 
Je suis heureux qu'un tel débat puisse se tenir ce soir au Sénat, au moment où le Parlement délibère du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2006.
Il est en effet essentiel que la représentation nationale puisse discuter de l'évolution de nos prélèvements obligatoires, en tournant le dos aux approches compartimentées, aux approches à tiroirs et aux cloisonnements qui empêchent trop souvent d'affirmer les vues d'ensemble sans lesquelles il n'est pas de bonne politique.
Les comptes sociaux et ceux de l'Etat ne font qu'un dans l'esprit de nos compatriotes, et c'est eux qui ont raison. Pour eux, tout cela est voté par le Parlement et dépend, en exécution, du Gouvernement et c'est la responsabilité politique qui est en cause. 
Quelle que soit la géographie des inscriptions comptables, budget de l'Etat ou Comptes de la Sécurité sociale, il s'agit toujours de faire fonctionner des services publics aussi importants que l'école ou l'hôpital. Le fait que l'un soit financé par l'Etat, l'autre par la Sécurité sociale est en définitive de peu d'intérêt, car ce qui importe avant tout c'est que les services publics fonctionnement bien.
De même, le fait de savoir que les retraites des salariés du secteur privé sont financées par la Sécurité sociale tandis que celles des fonctionnaires sont payées sur le budget de l'Etat est à l'évidence moins important que le fait de savoir que l'avenir des retraites est désormais garanti.
Et puisque vous m'y avez invité, je ne m'attarderai pas sur des considérations de court terme dans lesquelles le sacro-saint principe de l'annualité budgétaire nous enferme trop souvent.
La question que nous devons nous poser est la suivante : d'ici cinq à dix ans, quels seront les secteurs dans lesquels les besoins de financement publics seront les plus importants ? Et plus précisément, quels seront les secteurs dans lesquels ces besoins progresseront le plus vite ?
De la réponse à ces questions dépendent les choix politiques de l'avenir.
Regardons d'abord le chapitre des dépenses régaliennes. Depuis 2002, sous l'impulsion personnelle du Président de la République, un immense effort de rattrapage, en investissement comme en fonctionnement, a été lancé. 
Il se traduit chaque année par la mise en œuvre en loi de finances d'une nouvelle tranche d'exécution des grandes lois de programmation pour la défense, pour la justice et pour la sécurité intérieure. Il était temps de le faire, et on ne dira jamais assez combien le sacrifice de l'effort de défense de la Nation entre 1997 et 2002 a retardé à cette époque la nécessaire modernisation de nos armées, aujourd'hui relancée au prix d'un effort d'autant plus grand que les retards s'étaient accumulés. Puisque cet effort est aujourd'hui d'un niveau exceptionnel dans tous les domaines qui concernent notre sécurité intérieure et extérieure, il devra sans aucun doute se poursuivre, mais rien n'indique, partant d'un niveau si élevé, qu'il devra encore être amplifié à moyen terme.
Regardons l'école et la recherche. Les besoins sont immenses, et le Gouvernement s'efforce d'y répondre en mettant en œuvre la loi d'orientation et une amplification sans précédent de nos programmes de recherche. Mais l'évolution de la démographie ne laisse pas prévoir à moyen terme une progression irrésistible des crédits que la Nation devra consacrer à l'éducation, beaucoup étant déjà fait à travers un meilleur emploi des moyens très importants que nous consacrons déjà à ce grand service public. C'est l'une des exigences de la politique que conduit le Gouvernement dans ce domaine sous l'autorité de Gilles de Robien.
La politique de l'emploi mobilise aussi des crédits très importants. Mais il est certain, pour des raisons qui tiennent d'abord aux résultats que cette politique est en train de donner, même s'ils invitent encore à la vigilance et à la persévérance, pour des raisons qui tiennent aussi à la démographie et aux besoins prévisibles de notre économie, que ces dépenses diminueront, grâce à l'amélioration de la situation de l'emploi, parce qu'elles seront moins nécessaires à l'horizon de quelques années.
Il en va tout autrement des dépenses de santé et de prise en charge des besoins des personnes très âgées. C'est donc là que devront être progressivement affectées les ressources publiques les plus dynamiques, comme le sont déjà la CSG et les cotisations sociales. Il nous faudra à l'évidence continuer à diversifier ces ressources.
D'ici à 2050, le vieillissement de la population pourrait conduire à une augmentation des dépenses publiques comprises entre 3 % et 7 % du PIB. Dans la plupart des Etats membres, cet impact budgétaire débutera dès 2010, les répercussions les plus importantes étant attendues entre 2010 et 2030. En outre, la croissance des dépenses de santé devrait se traduire, dans l'ensemble des Etats membres, par des augmentations de dépenses publiques comprises entre 1,5 % et 4 % du Produit Intérieur Brut.
Nous savons donc que ces dépenses augmenteront. Nous voulons qu'elles n'augmentent que dans la mesure strictement nécessaire à la satisfaction des besoins qui relèvent de la solidarité. Nous mettons en uvre pour cela les politiques qui permettent de maîtriser les évolutions en améliorant la gestion de notre système. Mais nous savons aussi que pour faire face à ces évolutions, la Nation devra veiller au dynamisme des recettes sociales et fiscales affectées à la Sécurité sociale. Car la Nation devra mettre ses moyens là où les besoins progressent le plus, en restant fidèle au pacte scellé voici 60 ans lors de la création de notre Sécurité sociale, sans accepter que la solidarité se désengage. Il en va de notre cohésion sociale, de la confiance des Français face à l'avenir et aussi, de ce fait, de notre dynamisme économique.
Le financement de la protection sociale représente - Jean-François Copé vient de le rappeler - la moitié des prélèvements obligatoires dans notre pays, soit 340 milliards d'euros, c'est-à-dire un peu plus d'un cinquième de la richesse nationale. C'est une proportion considérable, et c'est une proportion qui n'a cessé de s'accentuer, reflétant l'aspiration des sociétés modernes à une plus grande protection contre les risques de l'existence.
Depuis la mise en place de notre système de protection sociale au lendemain de la seconde guerre mondiale, l'importance des dépenses de protection sociale dans l'économie a progressé régulièrement : ces dépenses représentaient environ 12 % de notre produit intérieur brut en 1950, 15 % en 1960, 20 % en 1970, 25 % en 1980 et 30 % aujourd'hui.
Au cours des années, ces dépenses de protection sociale ont connu une forte progression, en particulier sous l'effet des dépenses consacrées aux retraites et à la santé, mais aussi en raison du poids de l'indemnisation du chômage.
Quand nous nous battons pour une croissance sociale, quand nous nous battons pour l'emploi et le pouvoir d'achat, nous nous battons aussi pour l'équilibre de nos comptes sociaux. C'est vrai en dépenses comme en recettes.
Notre système social a évidemment un prix, qui nous oblige à faire appel à la responsabilité de tous, assurés sociaux, prescripteurs, industriels, organismes complémentaires, pour maîtriser durablement l'évolution des dépenses, non pas par des mesures conjoncturelles, mais par un changement profond des comportements, y compris dans la lutte contre la fraude, les abus et les gaspillages.
L'augmentation des ressources consacrées aux dépenses de Sécurité sociale et l'accroissement, au sein de l'ensemble des prélèvements publics, de la part affectée au financement de ces dépenses, est compréhensible. Il est en effet naturel que les ressources soient affectées au secteur dans lequel les besoins sont les plus importants et les plus dynamiques. Notre choix politique est d'assurer le financement de ces besoins par la solidarité, car cette solidarité est au cœur du pacte républicain français. Cela impose bien sûr de veiller à la qualité et à la maîtrise de la dépense, j'y reviendrai.
Il est bien sûr nécessaire de diversifier et de rendre plus stables et plus dynamiques des recettes sociales aujourd'hui trop dépendantes de la conjoncture économique : c'est pourquoi, même si la part des cotisations sociales demeure prépondérante, ces dernières années ont permis une certaine fiscalisation des prélèvements sociaux, depuis notamment le basculement des cotisations salariales d'assurance maladie et d'allocations familiales sur la CSG. Ce mouvement de diversification des recettes de la Sécurité sociale se poursuivra nécessairement. Au stade où notre prélèvement social est arrivé, il ne saurait peser uniquement sur les cotisations salariales, c'est-à-dire sur le travail. 
Je voudrais rappeler le choix du Gouvernement de financer, dès 2006, les allégements généraux de cotisations sociales par l'affectation à la Sécurité sociale de recettes fiscales, et notamment d'une part de taxe sur la valeur ajoutée, à hauteur de 5 M d'euros. Il ne s'agit pas là de " TVA sociale ". Mais cette décision participe du même mouvement de diversification et de consolidation des ressources de la Sécurité sociale : l'ensemble des recettes destinées à financer les allègements généraux soit 18,9 milliards d'euros en 2006 comprendra ainsi l'essentiel de la taxe sur les salaires, les droits sur les alcools et, à hauteur de plus de 5 milliards d'euros, la fraction de la taxe sur la valeur ajoutée assise sur les tabacs et les produits pharmaceutiques. L'affectation d'une partie de la TVA qui s'inscrit pour moi dans une démarche à venir, la variété de ces recettes et les garanties entourant leur évolution, permettront d'apporter à la Sécurité sociale des ressources dynamiques et ne pesant pas uniquement sur le coût du travail.
Mais au-delà des réflexions sur la nature et la structure des prélèvements sociaux, l'enjeu décisif réside désormais dans notre capacité à maîtriser l'évolution des dépenses, afin de pouvoir corrélativement maîtriser l'évolution des prélèvements sociaux. 
La clé de la réussite n'est pas dans de nouveaux financements ; elle est d'abord et avant tout dans la maîtrise des dépenses. Aucune perspective de recettes supplémentaires ne nous permettra de faire l'économie de cet effort. Il a été trop longtemps éludé. Je pense, pour être précis, à cette période pas si lointaine où les dépenses de santé galopaient de 5 à 7 % par an alors qu'elles ont depuis lors été ramenées à peine plus de 2 % par an.
L'enjeu à cet égard n'est pas de débattre sans fin de la ligne de partage entre la solidarité et l'initiative individuelle, mais de mettre en œuvre une régulation de nos dépenses sociales qui permette d'en maîtriser l'évolution toute en répondant aux besoins des Français. C'est tout le sens des réformes engagées depuis 2002 pour les retraites et l'assurance maladie.
Il importe en effet de réduire les déficits, non en application d'une logique comptable, mais tout simplement parce que l'assainissement des comptes sociaux est la condition sine qua non de la pérennité de notre système de Sécurité sociale et de la capacité à répondre à de nouveaux besoins. 
Le maintien de notre compétitivité, au service de la croissance et de l'emploi, seuls capables de garantir nos droits sociaux, n'est pas compatible avec la poursuite de la hausse de nos prélèvements, déjà parmi les plus élevés au monde.
Les réformes structurelles qui ont été engagées s'imposent à l'évidence pour maîtriser les dépenses et atteindre les objectifs de " soutenabilité " des finances publiques inscrits dans les engagements européens de la France.
Ces réformes structurelles, le Gouvernement les conduit avec détermination. C'est notre devoir de les poursuivre et de les approfondir. 
La loi portant réforme des retraites a, sans conteste, mis en œuvre une réforme historique et nécessaire, compte tenu de l'évolution démographique. Les réformes menées devraient ainsi permettre de réduire d'environ un tiers le besoin de financement du régime général de l'assurance vieillesse à l'horizon 2020 et de moitié celui des fonctions publiques. 
La réforme de l'assurance maladie instaurée par la loi du 13 août 2004, constitue le deuxième pilier de cette politique. 
La réforme a permis d'enrayer la dérive des déficits et de sauvegarder l'assurance maladie. Sans la réforme, le déficit aurait été de 16 M d'euros en 2005, et les résultats présentés il y a trois semaines par la Commission des comptes de la Sécurité sociale font état d'un déficit prévisionnel de 8,3 M d'euros. 
L'effort est considérable, car si l'assurance maladie a bénéficié d'un apport de recettes complémentaires de 4 M d'euros dans le cadre du plan de redressement, on voit bien que, par rapport à un déficit tendanciel de 16 M d'euros, le reste du chemin a été fait grâce à de moindres dépenses d'autant que nous avons aussi perdu 1,2 milliard de ressources de cotisations sociales en raison d'une croissante insuffisante. 
La mise en œuvre de la réforme se traduit donc par une réelle maîtrise des dépenses, notamment s'agissant des soins de ville. 
Pour la première fois depuis des années, et malgré le scepticisme initial de certains observateurs, l'objectif de dépenses d'assurance maladie sera respecté en 2005. 
Monsieur le Président, 
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, 
Ce défi de la croissance historique des dépenses sociales, nous nous donnons les moyens de le relever ensemble par une réelle maîtrise des dépenses, notamment d'assurance maladie, afin de ramener la croissance des dépenses sociales prises en charge par les mécanismes de solidarité nationale à un rythme proche de celui du PIB. 
Ce n'est qu'ainsi que nous serons à même de maîtriser l'évolution des prélèvements obligatoires pour préserver le pouvoir d'achat et maintenir notre compétitivité, au service de la croissance et de l'emploi. En dépensant mieux, en évitant les gaspillages, en développant l'esprit de responsabilité, nous pourrons continuer d'aider nos concitoyens qui en ont le plus besoin, les malades, les personnes âgées dépendantes, les personnes handicapées, mais aussi les familles, parce qu'elles sont l'avenir de notre pays. Et ces progrès, nous les réaliserons en évitant de freiner ou d'entraver ceux qui par leur travail rendent cette solidarité possible. 
Je vous remercie.

(Source http://www.sante.gouv.fr, le 27 octobre 2005)