Déclaration de M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'État, porte-parole du gouvernement, sur la modernisation des modes de gestion et de contrôle de l'État et la mise en oeuvre concrète de la LOLF, Bercy le 31 mai 2005.

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Circonstance : Universités du GERFIP (groupement européen de recherches en finances publiques) à Bercy le 31 mai 2005

Texte intégral

Cher Professeur Michel BOUVIER,
Cher Pierre Méhaignerie,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi tout d'abord de vous souhaiter la bienvenue ici, à Bercy, pour cette deuxième journée des " Universités de finances publiques " du GERFIP (groupement européen de recherches en finances publiques).
C'est la deuxième année consécutive que, sous votre houlette, cher Professeur BOUVIER, s'organise un tel séminaire entièrement consacré aux finances publiques. Je salue votre initiative, qui permet aux universitaires et aux responsables politiques et administratifs de débattre de façon approfondie, pendant deux journées, sur cette matière (les finances publiques), si centrale pour l'ensemble des administrations, et qui a besoin, pour être pleinement reconnue, du soutien et de la mobilisation de tous les passionnés que nous sommes !
En cette année de mise en oeuvre de ce que j'appelle volontiers la " révolution de la LOLF ", vous avez choisi un thème de travail on ne peut plus approprié : " Innovations, créations et transformations en finances publiques ". Après avoir débattu hier, au Sénat, des finances locales, vous abordez ce matin la modernisation des modes de gestion et de contrôle de l'État, avant d'aborder cet après-midi les questions de fiscalité et de gestion active de la dette.
Je voudrais très rapidement vous dire ce matin :
1. quelle est ma vision de la mutation que sont en train de vivre les finances publiques;
2. où nous en sommes, ce 31 mai, de la mise en oeuvre de la LOLF et quels chantiers nous attendent dans les prochaines semaines ;
3. et enfin comment je souhaite moderniser notre approche sur la question essentielle de l'enseignement des finances publiques.
I. Les grands principes fondateurs de la LOLF, telle que je souhaite la mettre en oeuvre
Mais tout d'abord, comment analyser la mutation que sont en train de vivre, avec la LOLF, les finances publiques ?
Je vous le disais, la LOLF est pour moi une véritable révolution qui va bien au-delà de la procédure budgétaire : il s'agit de la mutation de toute notre gestion publique. C'est donc un rendez-vous absolument historique, une occasion unique de moderniser en profondeur notre administration, un vrai levier de réforme de l'État, tel que les Français attendent depuis des années.
Et c'est pour cela qu'il faut parvenir à en tirer tous les bénéfices possibles, à tous les niveaux. Car cette révolution ne sera réussie qu'à la condition de voir la culture du changement se diffuser le plus largement possible. Vous avez chacun un rôle à jouer dans ce processus : c'est une approche totalement renouvelée et modernisée de nos finances publiques qu'il s'agit ensemble de bâtir, et de faire vivre. Nous sommes donc tous partie prenante de cette aventure !
Ce qui guide mon action de Ministre du Budget, depuis mon arrivée, c'est ma volonté de remédier à ce qui mine depuis des années l'action de l'État, à savoir ses difficultés à tenir les comptes et à rendre des comptes :
- à tenir les comptes d'abord, puisque nous sommes dans un pays qui a pris l'habitude de la dépense publique : nos dépenses publiques aujourd'hui consomment plus de la moitié de la richesse produite, soit presque 7 points de plus que la moyenne de la zone euro. Et le résultat, c'est qu'en 20 ans, l'encours de la dette a été multiplié par cinq !
- une incapacité à rendre des comptes d'autre part, aux Français comme à la représentation nationale. Nous étions dans un système absurde qui consistait à s'écharper sur 5 % du budget (les mesures nouvelles) et à reconduire les yeux fermés les 95 % restants (les services votés). D'où un budget peu lisible, un débat parlementaire atone et tronqué auquel s'ajoute un sentiment général d'irresponsabilité des administrations.
Désormais tout cela va changer. Et avec la LOLF cela va changer brutalement. Pour trois grandes raisons :
1. On passe tout d'abord d'un régime déresponsabilisant, où certains imaginaient que Bercy était censé veiller seul contre tous à l'orthodoxie des comptes, à un système où chaque ministre devient, en pleine responsabilité, son propre ministre des finances. Avec obligation de faire à son niveau, et au sein des enveloppes très larges dont il dispose, ses propres arbitrages en fonction de ses priorités. Et de s'interroger sur l'utilité de ses dépenses dès le premier Euro : c'en est fini de la rente acquise des " services votés ".
2. Ensuite, on passe d'une obligation de moyens à une obligation de résultats, mesurée en toute transparence avec des objectifs et des indicateurs de performances, sur lesquels chaque ministre, et derrière lui chaque responsable de programme, s'engagent devant le Parlement.
3. Enfin, la LOLF c'est la culture de l'évaluation et du " reporting " désormais, il faut rendre des comptes, et des comptes clairs, établis selon les mêmes normes que celles qu'appliquent les entreprises, et sous l'oeil du commissaire aux comptes que devient la Cour des comptes.
La LOLF met l'administration sous tension. Chaque service devra se mettre en position d'être performant, de se montrer efficace, productif et innovant. Et tout cela doit permettre, nous en avons bien besoin, de renouveler en profondeur le rapport entre le citoyen et le responsable public, de moderniser les modes de gouvernance dans notre pays, pour un service public plus efficace et de meilleure qualité. Nous sommes donc face à un enjeu absolument majeur.
II. Point d'étape sur la mise en oeuvre de la LOLF et les chantiers qui s'ouvrent jusqu'au 1" janvier 2006
J'en viens à la deuxième question que je souhaitais aborder ce matin : où en sommes-nous aujourd'hui de la mise en oeuvre concrète de ce processus ?
Nous sommes à mi-parcours de cette année 2005, qui est vraiment l'année charnière pour la LOLF.
Un travail extrêmement important a déjà été accompli depuis le début de l'année, avec l'entrée en vigueur d'une nouvelle procédure budgétaire, dans le contexte exigeant de la stabilisation du volume de nos dépenses :
- l'architecture du nouveau budget en missions et programmes a été arbitrée ;
- des réunions se sont tenues, avec chaque ministre, pour proposer des réformes concrètes et ambitieuses susceptibles de dégager des économies structurelles ;
- nous avons retravaillé aux objectifs et aux indicateurs, en tenant compte des observations du Parlement et de la Cour des comptes ;
- des lettres-plafond seront prochainement adressées par le Premier ministre, sur la base de la nomenclature des missions, pour laisser ensuite chaque ministre procéder à la répartition fine des crédits.
Quelle est maintenant la feuille de route des prochaines semaines ?
- Notre premier rendez-vous, c'est le débat d'orientation budgétaire à la fin du mois, où pour la première fois nous présenterons la liste des missions, programmes, objectifs et indicateurs du futur budget.
D'ici là, nous aurons, je l'espère, achevé la révision du texte de la LOLF, sur laquelle vous savez que nous travaillons depuis plusieurs mois. Je souhaite notamment que ce soit l'occasion de rendre plus intelligente, et plus transparente, notre approche de la régulation budgétaire.
- Ensuite viendra la présentation en septembre de la loi de finances " nouvelle formule ", et ensuite le débat renouvelé devant le Parlement, ce qui va demander d'avoir réglé d'ici là les derniers arbitrages sur les crédits et sur les emplois, et préparé des documents budgétaires, dont de nombreux sont inédits.
- Enfin, il y aura le basculement au 1er janvier 2006 de la gestion de l'ensemble des administrations en mode LOLF. D'où le chantier de " déploiement " de la LOLF que nous venons d'engager, avec un triple enjeu :
1. passer de l'expérimentation à la généralisation de la gestion en mode LOLF,
2. passer du central (les programmes) au déconcentré (les budgets opérationnels de programme)
3. passer de l'information de quelques spécialistes, à la formation de tous.
Et un ensemble de chantiers très opérationnels à mettre en uvre :
l. la mise en place des BOP et, plus généralement, de toute la nomenclature d'exécution du budget ;
2. la préparation des opérations de passage de l'exercice 2005 vers 2006 (ce qu'on appelle " la bascule ")
3. l'accompagnement du changement en termes de communication, de management et de formation des agents.
III. La modernisation de l'enseignement et de la recherche en matière de finances publiques
Ce chantier du déploiement de la LOLF me donne l'occasion d'en venir à la troisième et dernière question que je souhaitais aborder devant vous ce matin : celle de l'enrichissement de nos pratiques d'enseignement et de recherche en matière de finances publiques.
Bien sûr, je sais quel est le rôle déterminant et quotidien que chacun d'entre vous, et notamment vous, cher professeur Bouvier, jouez pour promouvoir et moderniser l'enseignement des finances publiques dans notre pays. Je sais également quel retard nous avons en cette matière par rapport à certains de nos voisins, avec sans doute un trop grand et très regrettable cloisonnement entre les milieux universitaires et administratifs.
Ce que je souhaite donc très profondément, c'est que la nouvelle culture de la LOLF trouve toute sa place dans l'enseignement et la recherche en finances publiques. C'est d'ailleurs un enjeu fondamental : je n'imagine pas que les futurs responsables économiques, administratifs, juridiques de notre pays n'aient pas été formés à cette nouvelle gestion, à ce nouvel esprit, à ces nouvelles pratiques. En permettant une ouverture des finances publiques vers d'autres disciplines, comme la gestion des ressources humaines par exemple.
Je vois trois perspectives de réforme sur lesquelles il me paraît possible d'avancer :
1. la généralisation et la modernisation de l'enseignement des finances publiques dans le cursus de formation initiale des fonctionnaires ;
2. le rapprochement de la communauté académique et des praticiens des finances publiques, avec un soutien accru des universités et des laboratoires de recherche ;
3. et l'émergence d'une expertise de renommée internationale en matière de gestion publique, notamment par l'amélioration de la compréhension des expériences étrangères.
Je précise mon propos.
1. Je souhaite tout d'abord que les fonctionnaires d'encadrement du Ministère des Finances, et à terme l'ensemble de la fonction publique, bénéficient, tant lors de leur formation initiale que continue, d'un enseignement de finances publiques et de gestion publique modernisé.
Ce mouvement est déjà en marche au niveau interministériel et je m'en félicite :
- Les concours d'entrée aux Instituts régionaux d'administration, les IRA, vont intégrer un programme entièrement actualisé de finances publiques : c'est une première étape importante déjà franchie.
- S'agissant de l'École nationale d'administration, un enseignement renouvelé de gestion publique a été mis en place, et la réflexion sur l'évolution de la place des finances publiques s'inscrit naturellement dans le cadre des réformes d'ampleur des programmes et du concours d'entrée à cette École.
- J'ai également lancé, le mois dernier, un " forum " à destination des futurs responsables de programmes, ainsi qu'une " école de la LOLF " à destination de l'encadrement intermédiaire, notamment des futurs responsables des BOP dont je parlais à l'instant. Cette école, constituée au sein de l'IGPDE (Institut de la gestion publique et du développement économique, qui dépend du Minéfi), démarrera sa première session dès la rentrée prochaine. Il s'agira bien sûr d'un lieu de formation, mais aussi d'une école des bonnes pratiques, grâce aux échanges et à la confrontation des expériences.
Mais je souhaite qu'on aille plus loin, et que le MINER montre l'exemple. Il faut que les formations délivrées au sein des écoles du MINEFI fassent l'effort d'intégrer un enseignement généraliste de finances publiques et de gestion publique. Je serai particulièrement attentif à l'avancée de ce chantier qui, à mes yeux, peut entraîner l'ensemble des écoles de formation de la fonction publique.
2. En deuxième lieu, je crois indispensable, sur un sujet comme la LOLF, de rapprocher la communauté académique et les praticiens des finances publiques. Ce que je souhaite, c'est mettre en oeuvre une coopération tout à fait concrète entre le ministère et le monde de la recherche.
Il existe d'ores et déjà des liens forts entre INSEE, la direction de la prévision, et la recherche universitaire. Dans le même esprit, je souhaite rapprocher le monde universitaire des administrations budgétaires. Nous avons tout à gagner de ces échanges : ils ne peuvent qu'être fertiles de part et d'autre. Je sais que je peux compter sur vous pour faire avancer une telle démarche commune.
J'ai demandé de mettre en place un fonds de recherche en finances publiques, destiné soutenir financièrement les étudiants de DEA et de thèse qui engageront les travaux les plus prometteurs. Il s'agira d'allouer des bourses en fonction de l'intérêt opérationnel des travaux. Je proposerai de mettre en place un jury composé de hauts fonctionnaires, d'universitaires, mais aussi de parlementaires.
Je souhaite également que des conventions soient signées avec des laboratoires de recherche, pour soutenir les initiatives en matière de finances publiques. Cela nous sera très utile pour nos travaux quotidiens, qui manquent souvent - c'est la loi de l'urgence - de la mise en perspective suffisante, à la fois dans le temps et dans l'espace.
3. Enfin, en troisième lieu, comme on ne peut se réformer sans comparer, je souhaite que le réseau des correspondants dont nous disposons en matière de la gestion publique à l'étranger soit renforcé. Et pourquoi ne pas ouvrir des postes de coopérants spécifiquement destinés à des étudiants de finances publiques qui analyseraient de façon approfondie les expériences menées par nos voisins ?
Là encore, c'est un enjeu capital, puisque plusieurs pays, comme le Canada ou la Grande-Bretagne, nous ont précédés sur certains aspects de la réforme de la gestion publique : leur exemple peut être instructif si nous savons en tirer les enseignements de façon opérationnelle.
Voici les grandes pistes de réflexion qui sont les miennes aujourd'hui : je veux naturellement en débattre largement avec vous pour que nous puissions construire ensemble cette modernisation de nos finances publiques, de leur enseignement et de leur pratique.
J'ai confié pour cela à Franck Mordacq, le directeur de la réforme budgétaire, la mission de réfléchir aux modalités de mise en oeuvre concrète de ces orientations. Il me rendra ses conclusions à l'automne. Je compte également sur votre collaboration à tous, et notamment la vôtre, cher Professeur Bouvier, pour notamment étendre ce chantier aux universités et permettre la pleine prise en compte de la problématique de la gestion publique induite par la LOLF dans les enseignements universitaires. Je crois qu'il s'agit d'un beau sujet et d'une perspective particulièrement stimulante.
Vous comprenez à quel point la LOLF constitue à mes yeux une réforme essentielle. Nous la portons sur les fonts baptismaux cette année, et c'est à chacun qu'il appartiendra de la faire vivre, et d'en tirer tous les bienfaits possibles au fil du temps : par votre travail, par vos recherches, par vos enseignements, vous serez tous les chevilles ouvrières de ce projet de très grande ampleur.
Votre colloque est ce matin l'occasion d'avancer. Soyez assuré que, de mon côté, je serai entièrement mobilisé et engagé pour mener à bien tous les projets qui s'inscriront dans cette ambition.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 14 juin 2005)