Déclaration de M. Arnaud Montebourg, député PS, sur le résultat du vote contre le traité de Constitution européenne et sur le projet socialiste de construction de la social-démocratie européenne, Paris 4 juin 2005.

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Circonstance : Conseil national du Parti socialiste à Paris le 4 juin 2005

Texte intégral

Mes chers camarades, il y a eu un mot prononcé, je crois que c'était en 1848 au balcon de l'Hôtel de ville, qui évoquait la puissance incompressible du suffrage universel : on ne peut lutter contre les enseignements d'un vote aussi massif, aussi clair, aussi clivé sociologiquement, aussi expressif des problèmes que traversent les sociétés française et européenne.
On ne peut pas dévaloriser ce vote. On ne peut pas l'abaisser. On ne peut pas le réduire. On doit le respecter, s'en imprégner, et en faire notre force.
Chers camarades, le souverain a parlé, on ne peut pas le diminuer, on n'injurie pas son souverain, le suffrage universel. Il ne faut jamais, nous en faisons chaque jour l'expérience, injurier l'avenir.
Les enseignements sont assez simples : 63 % des électeurs de gauche ont voté non, 73 % des sympathisants de droite ont voté oui, nous avons noté 80 % de oui à Neuilly dans le 16e arrondissement et la défaite cuisante de de Villiers en Vendée, département de droite, sur le non.
72 % des électeurs du non se sont déclarés être favorables à la poursuite de la construction européenne. Le non est un non pro-européen, il n'est pas souverainiste. Le non a été porté par nombre de nos électeurs, c'est un vote sociologique, disons les mots, un vote de classe.
Est-il possible de décrypter ce que tous ces gens que nous avons rencontrés, qui sont avec nous, qui sont les nôtres, ce qu'ils ont voulu dire ? Ils ne veulent pas, je crois que le message est clair, d'une Europe qui expose, mais au contraire qui protège contre l'alignement rapide, violent, brutal, généralisé, uniforme, sur les standards anti-sociaux de la mondialisation.
Et ce, chers camarades, parmi nous, dans nos débats, qui ont prôné la mondialisation heureuse, bienveillante, ont perdu ce dernier dimanche leur pari. Nos électeurs n'en veulent pas. Il faut que nous tirions la leçon, le premier enseignement de ce scrutin à cet égard.
Ils veulent de la protection, et l'Union européenne leur offre de la concurrence, de la mise en concurrence des protections sociales, des niveaux de salaire, des niveaux de fiscalité, des niveaux de service public. Leur internationalisme à eux, c'est le désir de coopération entre les salariés d'Europe qui ne vient pas, et que leurs dirigeants, obstinément à la tête des États qui font l'Europe, exclusivement d'ailleurs à leur profit et selon leurs intérêts, leur refuse.
Il n'y a pas de peur, je ne suis pas d'accord, permettez-moi de le dire. La peur, c'est quand on est devant l'inconnu. Mais là, ceux qui ont voté connaissent parfaitement le sort qui leur est fait, en ont fait l'analyse. Il n'y a pas de peur chez les travailleurs qui travaillent, il n'y a pas de peur chez nos électeurs qui nous font confiance, il y a le constat, chers camarades, que l'on ne peut pas accepter une situation inacceptable.
Lorsque, toutes les semaines, en dehors des injures que la droite adresse à ceux qui travaillent ou qui ne peuvent pas travailler, les fainéants, nous entendons chaque jour cela à l'Assemblée nationale à mots à peine couverts, lorsque la droite met en relation les atteintes à la condition sociale et salariale en permanence avec l'insertion dans la compétition européenne et internationale, les électeurs, les nôtres, savent et connaissent le lien entre leur sort quotidien et l'appui très puissant que l'Europe et la mondialisation ont apporté aux politiques libérales. C'en est donc fini depuis le 29 mai en ce qui nous concerne, chers camarades.
Le Parti socialiste, notre parti, n'a pas d'autre choix, s'il ne veut pas se condamner à l'isolement, que de proposer des perspectives altermondialistes les plus claires par un projet d'une diplomatie européenne et internationale qui sera trempée dans d'autres analyses, d'autres diagnostics que ceux qui sont arrivés jusqu'à nous et sur nos rives et qui devra s'inspirer de l'audace, du volontarisme, de la novation, je n'ose dire de la rénovation.
Mais, chers camarades, le point le plus saisissant encore, c'est que nos électeurs ont porté dans ce non pro-européen une formidable espérance démocratique.
Ils ont pris le contrôle, en quelque sorte, ils ont pris le pouvoir sur la construction européenne qui se faisait sans eux. Elle restait, il est vrai, le monopole des États, et l'irruption des citoyens, soudain, s'est traduite, nous l'avons vu dans cette campagne, par la façon dont même ceux qui votaient oui, chers camarades, le regrettaient sur tel point, auraient voulu qu'on en discute avant, défendaient des amendements, ils étaient comme législateurs d'un texte qui leur avait échappé, élaboré ailleurs, et sur lequel ils n'avaient plus de prise car c'était trop tard, il était non négociable et non re-négociable.
Ils ont préféré dire en masse : nous sommes les souverains. Et nous entrevoyons là d'ailleurs, chers camarades, le projet si moderne et si actuel d'inspiration jaurèssienne qui combine à la fois l'exigence sociale et l'instrument démocratique.
Les électeurs socialistes se sont emparés du pouvoir qu'on leur donnait et ont décidé de mettre l'Union européenne à leur service et on souhaitait la placer sous leur contrôle.
Nous sommes exactement dans cette configuration aux Pays-Bas et la crise européenne qui se déroule sous nos yeux marque l'ouverture d'une lutte nouvelle qu'il faut avoir la force de regarder en face et de désigner clairement.
C'est la confrontation d'ailleurs historique, dans toutes les constructions fédérales, il suffit de se retourner sur les archives de la construction des États-Unis d'Amérique où on a vu, il y a deux cents ans, les États et les populations se confronter pour obtenir la mise en commun du contrôle démocratique sur la chose qu'ils étaient en train de faire.
Et il est vrai que dans cette construction européenne, les États ont des intérêts puissants, et les peuples, les citoyens européens ont décidé, dans cette affaire, de défendre les leurs.
Les États, nous le savons, se servent de l'Europe. Et c'est une constatation que nous voyons partout, se servent de l'Europe pour imposer à leur peuple ce qu'ils refuseraient sur le plan national.
Cette déferlante démocratique, chers camarades, non seulement nous devons la reconnaître, la constituer comme une réalité et comme une force et en prendre la tête. Faire aboutir les points sur lesquels nous serons ici tous d'accord : marcher vers le fédéralisme, le plus possible, avec toutes les forces européennes qui constateront les difficultés dans lesquelles nous sommes. Et c'est, chers camarades, dans la zone euro que l'affaire de la croissance, de l'emploi, des services publics, que la question budgétaire, la question monétaire se posent. C'est dans le premier cercle de la zone euro que nous avons plus que jamais besoin des embryons d'une République européenne qui gère démocratiquement les biens que tous les citoyens européens partagent et ont en commun.
C'est au Parti socialiste européen en effet de prendre la main sur cette question pour traiter enfin les questions que les États avaient dans leur monopole et ne voulaient pas traiter.
Il y a, chers camarades, dans les socialistes du oui et du non, les éléments de consensus et de retrouvailles pour travailler tous ensemble sur ces débouchés positifs au scrutin du 29 mai.
Il y a aussi dans ce vote la réédition du 21 avril 2002 lorsque la gauche institutionnelle a été désavouée par la gauche électorale ; en ce que l'offre de la gauche et du Parti socialiste ne correspond plus à la demande de nos électeurs. Le système politique se replie sur lui-même, fait la torture romaine et refuse d'entendre. Le gouvernement a décidé de répondre par le mépris aristocratique. Chirac, déguisé en Charles X, nomme son prince de Polignac, Galouzeau de Villepin, l'affaire s'est très mal terminée. Le Président de la République ne peut pas répondre, il ne peut que démissionner, mais il irait chez les juges. Il ne peut pas dissoudre car il serait balayé et serait menacé à son tour. Il a donc décidé de nommer un homme à lui, parce qu'il sait que, s'il prenait l'homme qui a la confiance de sa majorité parlementaire, il aggraverait la crise sociale. Il a donc choisi le risque d'aggraver la crise politique en nommant deux premiers ministres en accord sur rien.
Pendant que la classe médiatique injurie les électeurs pour avoir mal voté, le système de l'autoritarisme présidentiel est impuissant à répondre à la volonté populaire.
Nous avons donc devant nous à poser la question, dans nos propositions et notre projet, du nouveau pacte social face au rejet massif du libéralisme. Nous avons à poser également la construction d'un régime nouveau. J'ai noté ici et là dans les discours qui ont été entendus qu'il y avait un léger progrès de l'idée selon laquelle nous pourrions devenir des révolutionnaires politiques au sens du 20e et du 19e siècles, capables d'accomplir une révolution raisonnable et douce sur la rupture avec la Ve République.
Il n'est que grand temps, lorsque nous avions proposé au congrès de Dijon, je me souviens que nous avions été un peu diabolisés et mal traités. Nos idées progressent, la rénovation entre dans les têtes.
La démocratie, c'est tout ce qu'il reste aux citoyens dans une économie mondialisée. Nous pouvons bâtir une grande sociale démocratie européenne et populaire qui sache construire les véritables contrepoids à la violence économique, la cruauté sociale de ce capitalisme mondialisé. On ne s'en sortira pas sans les instruments fédéraux européens, sans une démocratie authentique, sixième du nom s'agissant de notre République en France. On ne s'en sortira pas en ressassant les mêmes éléments depuis des années sur les bienfaits de la mondialisation. Nous aurons à affronter cette question en face, cela peut faire partie d'un congrès s'il est un véritable congrès.
Chers camarades, si nous ne répondons pas, nous ne pourrons pas gagner en 2007, nous ne serons pas au rendez-vous de ceux qui attendent.
Et, de ce point de vue, je crois, je le dis en toute franchise, la chasse aux hérétiques, les dragonnades contre les Huguenots nouveaux du Parti socialiste, ne peuvent pas être l'instrument par lequel on réglerait cette affaire.
On ne peut pas, et je voudrais vous dire pourquoi, lorsque nous avons avancé quelques idées après ce premier choc qu'était le 21 avril 2002, où on nous a déguisés en diables, et maintenant il se trouve que nous avons raison. Attention à ce que les diables ne puissent pas avoir raison.
Mais, pendant ce temps, nous risquerions d'avoir raté ce devoir qui est dans l'histoire des socialistes : exécuter la volonté du suffrage universel.
Je terminerai ainsi : au procès de Horion, Léon Blum était accusé d'avoir scellé les accords Matignon.
Et il avait répondu : " En exécutant la volonté du suffrage universel souverain, je remplissais mon premier devoir. "
Remplissons tous ensemble notre premier devoir !
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 6 juin 2005)