Déclaration de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, sur le pluralisme et la liberté de la presse écrite, son financement et les aides de l'Etat, Paris le 5 juillet 2005.

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Circonstance : Présentation du rapport : Garantir le pluralisme et l'indépendance de la presse quotidienne pour assurer son avenir à Paris le 5 juillet 2005

Texte intégral

Monsieur le Président,
Messieurs les Ministres,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
Je suis très heureux de prendre la parole aujourd'hui devant vous, pour ma première intervention dans l'hémicycle du Palais d'Iéna, sur le sujet, fondamental pour la démocratie, dont vous vous êtes saisis.
Je tiens tout d'abord à rendre hommage au travail remarquable que vous avez effectué, Monsieur le Rapporteur, avec la section du cadre de vie, qui honore votre assemblée, en illustrant parfaitement le rôle de conseil, de réflexion et de prospective qui lui est assigné par la Constitution et la loi organique, en amont de la décision publique et du travail gouvernemental et parlementaire, associant les représentants que vous êtes des forces vives de notre pays. Votre rapport, tout comme le projet d'avis que vous soumettez aujourd'hui à la délibération de l'assemblée plénière, feront date.
Vous montrez parfaitement l'enjeu capital que représentent la préservation et le renforcement du pluralisme de la presse écrite, vous pointez les fragilités qui le menacent et vous ouvrez avec force, pertinence et créativité des voies d'améliorations et d'actions ambitieuses susceptibles d'éclairer la réflexion et la politique du gouvernement et de la nation.
Je vous sais gré, tout d'abord, du retour aux sources auquel vous nous invitez. Ce sont les sources de la liberté retrouvée et nourrie par tous ces Résistants qui ont fait prévaloir, au coeur même des combats de l'ombre, la force de ce droit, énoncé par l'article XI de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et que Benjamin Constant nommait " le droit des droits " : " la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ". N'oublions jamais que c'est le Conseil national de la Résistance qui a fait de la presse quotidienne le pilier de la reconstruction. Je le dis avec une certaine émotion, soixante et un ans après les ordonnances de 1944 et devant l'un d'entre vous, Monsieur le Ministre Philippe Dechartre, qui fut, comme membre du Conseil national de la Résistance, puis de l'assemblée consultative provisoire, l'un des grands acteurs de ce combat. Un combat qu'Albert Camus exprimait ainsi, le 31 août 1944, dans le premier éditorial du journal éponyme : " Notre désir, d'autant plus profond qu'il était souvent muet, était de libérer les journaux de l'argent et de lui donner un ton et une vérité qui mettent le public à la hauteur de ce qu'il y a de meilleur en lui. Nous pensions alors qu'un pays vaut souvent ce que vaut sa presse. Et s'il est vrai que les journaux sont la voix d'une nation, nous étions décidé, à notre place et pour notre faible part, à élever ce pays en élevant son langage "
Oui, les principes fondateurs, les valeurs fondamentales, de la République et de la démocratie retrouvées et refondées, continuent à orienter notre réflexion et notre action. Vous les avez rappelés. Il s'agit du respect et de la défense du pluralisme, de la transparence, et de la solidarité.
Au-delà de ce rappel historique, le panorama que vous dressez dans votre rapport, Monsieur le Rapporteur, est complet, le diagnostic que vous avez établi est pénétrant, et les propositions que vous formulez dans votre projet d'avis sont à la fois audacieuses et réalistes. Vous ne laissez de côté aucun thème clé, qu'il s'agisse par exemple de la formation des journalistes - thème cher à l'élu de Tours que je suis, où se trouve l'une des écoles reconnues par la profession - mais aussi de la déontologie, de la concentration des entreprises, du lectorat des jeunes ou encore des problèmes spécifiques à la distribution. Au-delà de chacune de ces préoccupations très actuelles et très concrètes, sur lesquelles je vais revenir dans un instant, votre travail nous fournit l'occasion - trop rare - d'une réflexion transversale sur l'ensemble des problèmes de la presse. Je vous en remercie.
Sur ce sujet, le ministère de la culture et de la communication n'est pas resté inactif et je tiens à redire ici l'importance que les pouvoirs publics attachent à la vitalité de la presse écrite, d'information générale et politique en particulier. Le Gouvernement déploie une action résolue pour accompagner les évolutions de ce secteur, favoriser son développement et assurer son avenir.
Dans l'introduction de votre projet d'avis, Monsieur le rapporteur, vous évoquez, avec une finesse que je veux saluer, cette " intelligence de l'information " qui caractérise la presse écrite dès lors qu'elle permet de " trouver la bonne distance à l'égard des évènements ". Vous soulignez aussi la " fonction historique " de la presse en tant que " support de l'expression démocratique et du pluralisme des idées et des opinions ".
Je reprends volontiers ces formules heureuses à mon compte ! Le pluralisme des idées et des opinions, si nécessaire à l'exercice effectif de la liberté d'expression proclamée par l'article XI de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, par quoi passe-t-il mieux en effet que par la presse écrite, qui permet une appropriation active de l'information, une mise en perspective des évènements, une confrontation des commentaires et des analyses, et à travers cela, la construction d'une véritable conscience collective, culturelle et politique ?
Or la presse écrite, si essentielle au débat démocratique et à la vie de la Cité, connaît actuellement de profondes mutations et fait face à de nouveaux enjeux. L'émergence de nouvelles habitudes de consommation, l'essor toujours accéléré des nouvelles technologies, le développement d'une culture de la gratuité, bousculent les repères anciens et commandent d'agir pour préserver et régénérer la presse écrite. Tel est le rôle régulateur de l'État, aux côtés des professionnels. À la fois illustration et conséquence des mutations actuellement à l'oeuvre, le tissu des entreprises de presse est en pleine ébullition et se recompose à une allure vertigineuse. Pratiquement aucune semaine ne passe sans qu'une recapitalisation, un rachat, une prise de participation ou une fusion ne soient conclus ou annoncés.
Accompagner ces mouvements et en empêcher les dérives, sans en bloquer les effets bénéfiques, tel est le devoir de l'État. Tel est notre objectif. Il paraît en effet vital que des groupes à la structure financière solide puissent investir dans le secteur de la presse et le dynamiser, sans que cela nuise à la pluralité des titres et de leurs lignes éditoriales.
C'est dans cet esprit que le Premier ministre a confié à une commission indépendante, présidée par M. Alain LANCELOT, une mission de réflexion sur les aménagements susceptibles d'être apportés à la législation applicable en la matière. À la lumière des conclusions que rendra bientôt cette commission, le Gouvernement jugera de l'opportunité de remodeler les dispositifs concourant à la préservation du pluralisme actuellement en vigueur.
L'État se mobilise avec détermination pour soutenir la presse et faire vivre le principe fondateur de solidarité - j'ai noté que vous préférez ces termes à celui " d'aide " - afin de lui permettre de faire face aux difficultés qu'elle affronte et aux défis qu'elle doit relever, dans le contexte de l'érosion du lectorat et d'une conjoncture publicitaire qui reste difficile, alors que les charges ne cessent de croître.
Le budget sans précédent des aides à la presse pour 2005, dont j'ai obtenu l'adoption par le Parlement, témoigne de mon engagement.
Avec un montant total de près de 280 millions d'euros, soit une progression, à périmètre constant, de près de 30 % par rapport à l'année précédente, la loi de finances pour 2005 a consacré à la presse des moyens exceptionnels par leur ampleur. Vous notez justement dans votre rapport le caractère également exceptionnel de l'ampleur de notre système de soutien en Europe et dans le monde. C'est un gage de l'importance que j'attache à l'apport inestimable à la diversité culturelle de la presse écrite. La presse exprime profondément l'identité de chaque nation et au sein de celle-ci, de ses régions.
Cet effort budgétaire en faveur de la presse, je pense en particulier au doublement des aides directes, entre 2004 et 2005, ce qui constitue un effort sans précédent en faveur du secteur, est d'autant plus notable qu'il intervient dans un contexte de forte tension sur les finances publiques.
Près de cinquante millions d'euros de crédits supplémentaires sont consacrés cette année au financement de nouveaux dispositifs, destinés à soutenir massivement les efforts de modernisation engagés par la presse écrite, afin de restaurer ou de conforter les conditions de son indépendance économique et de son développement futur.
Dans le même temps, le Gouvernement poursuit un ambitieux chantier de réforme des fonds existants, afin de répondre avec la plus grande réactivité, la plus grande efficacité, et bien sûr la plus grande transparence possibles aux besoins, en constante évolution.
Nos objectifs sont clairs.
Il s'agit d'abord d'encourager la modernisation du secteur, qu'il s'agisse des conditions de fabrication de la presse ou des conditions de sa distribution, avec le souci d'intégrer tous les maillons de la chaîne.
Ainsi, 38 millions d'euros sont consacrés cette année à une nouvelle aide à la modernisation sociale de la fabrication de la presse quotidienne d'information politique et générale. L'État prend ainsi les dispositions nécessaires pour soutenir les initiatives de modernisation des processus de production, de redéfinition des métiers et de rénovation des relations du travail, mises en oeuvre tant par la presse quotidienne nationale que par la presse quotidienne en régions. Pour la presse nationale, je souhaite que le décret permettant d'organiser le soutien public soit prochainement publié au Journal officiel. L'État est également prêt à accompagner l'effort de modernisation sociale en régions dès que les partenaires sociaux et les représentants des salariés auront trouvé un accord sur les modalités de cette modernisation.
L'avenir de la presse écrite passe, j'en suis convaincu, par un fort soutien à sa diffusion et à sa distribution. S'agissant des conditions de diffusion de la presse, l'aide instituée en 2002 pour la distribution de la presse quotidienne nationale d'information politique et générale est complétée, en 2005, par une aide spécifique à la modernisation du réseau des diffuseurs, dotée de 3,5 millions d'euros. Ce nouveau dispositif, qui a commencé de fonctionner - une première série de subventions devant être attribuée d'ici la fin du mois - renforce le plan global de consolidation du réseau actuellement mis en place par la filière.
Deuxième priorité de notre action : contribuer au développement de la diffusion, sous toutes ses formes. Il s'agit notamment du transport postal de la presse, de l'impression décentralisée des quotidiens, du portage et de l'expansion de la presse française à l'étranger.
À cette action en faveur de la diffusion, je tiens à ajouter, cette année, un effort tout particulier pour soutenir le développement du lectorat des jeunes. Nous avons " sanctuarisé " à cette fin une enveloppe de 3,5 millions d'euros au titre du fonds d'aide à la modernisation de la presse, l'objectif étant de faire émerger des projets innovants en la matière et de contribuer à leur financement. J'ai présidé ce matin même une réunion du Comité d'orientation du fonds de modernisation dédiée à ce sujet : les choses avancent et je m'en réjouis. L'avenir de la presse passe par cette reconquête des lecteurs de demain.
Vous le voyez, nous travaillons dans le même sens : une rationalisation et une modernisation des aides à la presse pour une plus grande efficacité. Certaines de vos propositions sont innovantes. C'est avec beaucoup d'intérêt que je les étudierai.
Il nous faut enfin veiller au maintien du pluralisme. Vous le rappelez avec énergie, vous avez raison. Comme Vous le savez, un soutien spécifique est dédié aux quotidiens à faibles ressources publicitaires, afin de garantir la pérennité et l'indépendance des titres d'information et d'opinion qui incarnent la richesse et la vitalité de notre débat démocratique. La réforme du fonds d'aide à la modernisation de la presse quotidienne et assimilée d'information politique et générale prolonge cette action, en prévoyant l'augmentation des taux de subvention appliqués aux investissements portés par les titres concernés. J'ai le plaisir de vous annoncer que le décret introduisant ces changements a été publié ce matin même au Journal officiel.
Vous le voyez, l'action des pouvoirs publics en faveur de la presse écrite, et en particulier de la presse quotidienne d'information politique et générale, est nécessairement multiple. Elle est cohérente, car, en s'adaptant à la diversité des situations, elle converge vers un même but : garantir l'avenir de la presse écrite, en accompagnant sa nécessaire modernisation, en contribuant au développement de sa diffusion et de son lectorat, tout en veillant au maintien de son indépendance et de son pluralisme.
Je tiens à vous remercier, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers, pour votre contribution majeure, ambitieuse et forte à notre réflexion collective sur cet objectif partagé.
Je vous remercie
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 6 juillet 2005)