Déclaration de M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, sur la décentralisation culturelle et le service public de la culture, notamment l'intercommunalité et le financement de la culture par les collectivités locales, Paris le 25 mai 2000.

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Circonstance : Colloque "culture et service public" à Paris le 25 mai 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi de vous remercier de m'accueillir à l'ouverture du colloque "culture et service public".
Vous dire que le thème général m'intéresse serait peu dire lorsqu'en tant que secrétaire d'Etat, me revient de traiter pour le ministère de la Culture un sujet aussi essentiel que la décentralisation culturelle.
J'ai entrepris de me rendre systématiquement dans les régions et d'y travailler sur le thème de la décentralisation et de la réforme corollaire de l'Etat, avec les DRAC et l'ensemble des collectivités partenaires.
C'est d'abord en termes de cohérence des politiques publiques que se pose le sujet du service public de la culture. Je ne cesse d'être impressionné par la complexité croissante des politiques publiques qui traversent le domaine culturel : habitat et urbanisme, tourisme, ville, lutte contre les exclusions par exemple. Nous pourrions citer la loi Solidarité et renouvellement urbain. Je constate aussi l'importance du volet Culture dans les contrats de plan Etat / Régions, le nombre non moins significatif d'associations - outils de partenariats entre l'Etat et des collectivités territoriales - intervenant formidablement dans la culture. Dans le même temps, les politiques ont pris conscience de cette évolution et pris nombre d'initiatives évoluant vers la coopération comme mode de gestion pertinent au regard de cette complexité et de ce foisonnement.
Nous assistons, je crois, à une révolution silencieuse : celle de l'intercommunalité, celle des pays. C'est une révolution qui a ses acteurs, ses militants pourrait-on dire, élus, acteurs de la vie culturelle. On sent bien qu'émergent des projets culturels et de gestion plus riches, des acteurs territoriaux plus solides et prêts à l'action culturelle. C'est d'ailleurs le moment qu'a choisi le Premier Ministre pour demander à Pierre Mauroy de faire le bilan de la décentralisation et d'esquisser les grandes lignes d'une nouvelle étape.
Votre colloque vient à point, je crois, pour éclairer le cadrage des ces questions clefs. Il doit nous donner l'occasion de nous interroger à nouveau sur la notion de service public de la culture qui s'enracine dans la culture française et correspond à une donnée fondamentale de notre histoire. C'est l'Etat qui a dans un premier temps assumé pour de multiples raisons l'essentiel de cette obligation. Cette responsabilité a été soulignée avec éclat par la création en 1959 du ministère de la culture.
Toutefois, au cours de ces dernières années, les collectivités territoriales ont pris une part croissante dans le financement public de la culture au point que désormais elles y participent, aux côtés de l'Etat, pour moitié. Elles ont ainsi montré, en répondant à l'attente de nos concitoyens, qu'elles souhaitaient assumer pleinement leur part de responsabilité en matière culturelle.
Ce faisant, elles ont aussi ouvert une double problématique qui est aujourd'hui au coeur de nos débats :
- la première concerne la nécessité de refonder le partenariat entre l'Etat et les collectivités sur des objectifs démocratiques communs. Il s'agit de corriger, par une action solidaire, les situations inégalitaires d'accès à la culture qui sont encore trop importantes aujourd'hui.
- la seconde concerne l'hypothèse de nouveaux transferts de compétences et de moyens, au delà de ceux qui ont été expérimentés avec succès en matière d'archives et de bibliothèques, et pour rendre l'action des pouvoirs publics plus proche du citoyen, plus efficace. Catherine Tasca et moi même sommes pleinement investis dans cette problématique. Sachez simplement que le ministère de la culture et le secrétariat d'Etat abordent aujourd'hui ces questions dans un esprit d'ouverture et avec le souci d'une approche dynamique.
Traiter cette problématique suppose d'abord de veiller simultanément au maintien de l'unité et de la cohésion nationale et au respect du pluralisme et des diversités locales. Il s'agit là d'un enjeu de taille qu'il nous faut relever.
La clarification en effet, du rôle et des missions de chacun des partenaires qui doit nous permettre de répondre aux nouveaux enjeux du développement local, doit également permettre une action dialectique face aux perpétuels mouvements et accélérations de notre société.
A travers ces adaptations indispensables, l'étape qui se joue aujourd'hui est donc celle de la modernisation de l'Etat. Nous nous situons en effet, au coeur du modèle républicain français qui doit préserver un Etat présent et disponible avec un Etat "démocrate", partenaire, à l'écoute au plus près du citoyen.
Ce défi est culturel. Il est aussi éminemment social.
Avec l'ensemble des collectivités publiques nous retrouverons ainsi de nouveaux espaces de développement pour dégager de nouvelles marges de manoeuvre budgétaires.
Je voudrais insister sur l'objectif politique de cette "mission de service public" que constitue l'accès de tous à la culture.
Il s'agit là d'un devoir impérieux de la démocratie qui ne saurait s'accommoder de la culture comme "territoire réservé". La culture, le bien culturel, ne peuvent se réduire à un bien marchand, même si elle entre pour une part plus ou moins grande dans la sphère de l'économie.
La coexistence, sur un même domaine, entre les institutions de service public et les industries privées, impose de réfléchir sur l'aménagement de leurs relations.
A cet égard et par exemple, les déclarations de Catherine Tasca au sujet de la question du prêt payant dans les bibliothèques de lecture publique, sont une illustration de la ligne de partage qu'il convient de tracer entre service public et ses usagers et la rémunération légitime du créateur.
Pour permettre à tous cet accès à la culture,
- il nous faudra continuer d'oeuvrer avec force en faveur de la généralisation de l'éducation artistique et culturelle. Les expérimentations menées jusqu'à ce jour ce sont additionnées au fil du temps sans jamais déboucher sur un programme généralisé.
- Il nous faudra également vaincre les inégalités géographiques. La question se pose en termes d'aménagement équilibré du territoire et se trouve, là encore, au cur de la coopération entre l'Etat et les collectivités territoriales
Ensuite, et ce n'est pas la moindre de nos missions, nous devrons prendre en considération la diversité culturelle à travers la mise en question du modèle culturel, de ses formes, de ses contenus artistiques, dans un souci de pluralisme.
Enfin, dans le souci également de convaincre, car rien n'est jamais acquis dans ce domaine, il devient indispensable de s'ouvrir à d'autres sphères aujourd'hui trop éloignées de nos pré "occupations, de devenir interlocuteurs du monde du travail et de l'entreprise et de renouer avec le milieu socio-culturel trop isolé et souvent incompris.
Ce domaine culturel, traversé par ces politiques publiques nombreuses et complexes, pensé par de nombreux élus comme vecteur d'une action prioritaire doit demeurer mouvant, nourri de l'émergence des pratiques et porté par une haute exigence artistique. A cet égard, le rôle de la création, de l'art, doit être constamment réaffirmé car il n'y a pas d'irréversibilité dans ce domaine.
Le chemin parcouru par l'action publique culturelle, tout particulièrement depuis 20 ans a été considérable. N'oublions pas que notre expérience est enviée à l'extérieur bien qu'elle se soit déployée dans un contexte économique général défavorable. Gageons qu'aujourd'hui, dans cette période de croissance retrouvée, nous réussirons les réformes dont le service public de la culture a besoin.

(source http://www.culture.gouv.fr, le 26 mai 2000)