Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, à France-Info le 31 août 2005, sur la situation économique, la croissance et le chômage, le logement social et la sécurité et l'urgence des mal logés.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Info

Texte intégral

Q- C'est un miracle, la croissance stagne, l'investissement des entreprises s'effondre, la consommation des ménages et en berne, et le chômage est à la baisse. Comment l'expliquez-vous ?
R- [Il baisse] pour le quatrième mois consécutif, ce qui ne relève plus tout à fait de l'accident. Tout simplement parce qu'un certain nombre de mesures ont été prises, qui ont pour vocation à réduire le chômage de manière très significative. Je les rappelle rapidement : un dossier unique, un guichet unique, donner toutes les informations, accompagner les demandeurs d'emploi, les recevoir tous les mois et non pas une fois tous les ans. Deuxièmement : les services à la personne - marché extrêmement porteur - qui se développent. On glosait, il y a quelques mois, quand j'annonçais 150.000 recrutements par an. Troisièmement : le bâtiment, c'est 300 à 400.000 mises en chantiers, ce n'est pas tout à fait un hasard. Ensuite, les nouveaux "contrats d'avenir" : enfin, on a tout un dispositif qui se met en place par la loi de cohésion sociale, qui finit par, évidemment, porter ses fruits. J'avais dit à l'époque que je pensais que l'aiguille bougerait un peu au deuxième semestre 20005 - et elle bouge -, et que l'on serait en plein effet en 2006. Voilà, on y est ! Alors, j'en tire comme leçon essentielle deux choses. La première, c'est que les Français sont "bosseurs", il y a des tas de gens qui bossent 25, 30 heures, qui font 50, 60 "bornes" pour aller travailler. On avait juste un problème, à la fois, d'information, de suivi, de calage entre l'offre et la demande. Deuxièmement, nous avons un pays qui est face à une crise du recrutement. Vous allez voir, dans les chiffres, que ce qui est le plus exceptionnel, c'est l'apprentissage. On avait lancé une grande opération "apprentissage" : 1.600 euros de crédit d'impôt ; les nouvelles conventions ; on avait lancé une campagne, il y a quatre mois : "l'apprentissage a changé, c'est le moment d'y penser" -, elle redémarre demain : + 11,6 %. Et les "contrats d'avenir" pour le secteur public. Qu'est-ce que cela veut dire ? La France a un taux de chômage qui reste élevé, mais en réalité, et face à une crise du recrutement majeure, il y a deux millions de recrutements dans les trois ans : les grandes entreprises viennent de s'engager à augmenter l'apprentissage de 20 % ; dans le secteur public, ce sont "les contrats d'avenir", dans le secteur privé, c'est l'alternance.
Q- 25.600 chômeurs de moins, ce sont des gens qui trouvent véritablement un travail, ou bien s'agit-il de gens qui sont radiés des listes ? Je regardais les chiffres : 34.667 radiations au mois de juillet.
R- 5.000 de moins que le mois d'après (sic). Les radiations, c'est lorsque les gens ont tout simplement retrouvé un travail et que, par le recoupement des fichiers -on a les déclarations -, l'Assedic les radie. Simplement, il ne peut pas y avoir de polémique puisqu'il y en a moins que le mois précédent. Le mois dernier, où l'on avait eu une baisse très forte du chômage, il y a toujours les oiseaux de mauvaise augure, toujours ceux qui adorent expliquer que, quand il y a une bonne nouvelle dans ce pays, en réalité c'est une fausse bonne nouvelle ; ils sont nombreux ceux-là. Vous avez expliqué que c'était à cause de cela, ce ne sont pas du tout des gens qui ont repris un travail, qui n'étaient plus sur les fichiers, mais bien entendu, une espèce de manne, de main noire qui manipulerait les statistiques. Là, de surcroît, il y en a moins. Et puis, je tiens à vous dire deux choses. La première, c'est que le décompte mensuel fait que, autant je suis convaincu que l'on est sur une tendance lourde de 18 mois à deux ans, autant on peut prendre un mois, il y a de telles masses en jeu... mauvais. Et la deuxième, c'est, j'en profite pour dire que, les mesures récemment prises par le Gouvernement, par D. de Villepin... Notamment le contrat "nouvelles embauches", démarre extrêmement vite, extrêmement fortement, on n'a pas de chiffres précis, et pour cause cela a démarré le 4 août. Mais on est plutôt dans les zones de plusieurs dizaines de milliers que dans les plusieurs milliers ou plusieurs centaines. Et compte tenu du nombre de coups de fil que nous recevons dans les directions du travail, notamment pour avoir des informations sur ce nouveau dispositif, il y a tout lieu à penser que l'on va avoir un développement extrêmement fort dans ce domaine.
Q- Je voudrais que l'on parle un peu du logement social. Vous êtes ministre du Logement. N. Sarkozy a finalement créé un petit peu la polémique en proposant, pour arrêter les drames, de "fermer tous les squats". Que fait-on des gens qui sont à l'intérieur ?
R- Permettez que l'on dise deux mots, parce que le logement, on en parle toujours à un jour "j", mais ce sont toujours les conséquences de décisions de cinq ou dix ans avant. C'est un paquebot, le logement. Entre le moment où l'on prend des mesures et le moment où il y a des résultats, par nature, il faut prendre le terrain, les recours des tiers, les permis de construire, etc. On a quand même vécu une décennie assez terrible dans les années 1980-1990, où l'on a construit 240.000 logements par an, tout compris - ces logements, c'est une chaîne -, 240 à 250.000 alors que le besoin est de 350 à 400 000. Et dans le logement social, on a eu une décennie historique, on a construit, en gros, 40.000 logements sociaux, là où en France il en faut de 70 à 80.000. Ce que l'on paye aujourd'hui, c'est cela. Alors, on est remontés à 380.000 constructions neuves, cette année - on sera à 400.000 en 2005. Mais il faudra des années de ce rythme, et en matière de logement social permettez-moi de vous dire que l'on est à 77.000, on est passé de 40.000 à 77.000 en trois ans. La machine il a fallu qu'elle produise, ne serait-ce que les équipes, le bâtiment a dû recruter. Enfin, tout cela c'est difficile. Et il nous faudra trois ou quatre ans à ce rythme-là pour faire baisser globalement la pression. Par ailleurs, pour l'Ile-de-France, qui est un cas particulier, qui est "un cas dans le cas", si j'ose dire parce que tout n'est pas homogène sur le territoire national, il y a une spécificité Ile-de-France, à la fois, sur l'urgence, sur le logement, sur les constructions, enfin de manière générale. Le Premier ministre annoncera demain des mesures très fortes. Il m'avait demandé il y a deux mois d'en préparer pour lui, il les dévoilera demain...
Q- S'agira-t-il de "fermer tous les squats", comme le préconise N. Sarkozy ? Vous n'avez pas répondu à ma question.
R- Mais non, parce qu'il y a deux sujets. Il y a le sujet de la sécurité et de l'urgence. Evidemment que, s'il y a des risques de drames humains, on ne va pas recommencer une polémique là-dessus ! Lorsqu'il y a drame humain, et cela fera aussi partie des mesures que j'ai proposées au Premier ministre, il n'est pas question que l'on continue à risquer la vie de gens, d'enfants, enfin c'est un problème de sécurité !
Q- Et pour les reloger, allez-vous débloquer des fonds ?
R- Mais, et cela va vous paraître bizarre, nous n'avons pas de problèmes de financement et d'argent. Sur la ville de Paris, j'ai signé une convention il y a six mois : pilotage unique, ville de Paris sur le logement insalubre, sur tout le dispositif, 560 millions d'euros mis par l'Etat - 850 d'ailleurs par la ville de Paris -, on n'a pas de problèmes de "pognon" dans cette affaire. On a simplement des problèmes d'organisation, des problèmes de technicité, des problèmes de lenteur. Cela prend du temps et c'est complexe. Mais il est hors de question de laisser des gens dans une situation de risque vital ! Et je pense qu'il y aura probablement, pendant quelques mois, parce que il faut se méfier des risques... Vous savez, ce genre de situation en rappelle d'autres. Probablement une vigilance de sécurité civile nécessaire et plus élevée.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 31 août 2005)