Texte intégral
Q- En France, et en Allemagne, la machine est en route. Est-ce que vous savez comment arrêter la machine infernale ?
R- La machine infernale elle existe un petit peu en Allemagne. Là on ne sait pas très bien comment les résultats des élections vont se traduire en terme de gouvernement, mais honnêtement, moi ce qui m'épate, c'est la formidable remontée de G. Schröder, le fait qu'on disait les Allemands dégoûtés par la politique qu'il a conduite, et la façon dont ils se sont rendu compte que donner le pouvoir aux conservateurs c'était prendre le risque d'une politique bien plus difficile encore.
Q- Oui, mais vous ne répondez pas, comment on arrête la machine infernale ?
R- Laquelle ?
Q- La machine à perdre. Regardez, à Evian, aux "Journées parlementaires" UMP, B. Accoyer trouve qu'elle menace la droite. Le duel Villepin/Sarkozy, est-ce que c'est bon pour le PS
déjà ?
R- Le duel Villepin/Sarkozy, ça regarde la droite, ce duel d'ailleurs pour le moment n'est pas encore vraiment équilibré. Moi je ne me fonde pas là dessus. Moi je me fonde sur le fait que la gauche est en train, par son congrès au Parti socialiste, de définir ses orientations, et ensuite elle ira vers le meilleur.
Q- Vous ne croyez pas que le PS risque les mêmes déboires ? Je ne parle pas de l'extrême gauche, de la gauche, mais...
R- Non, je pense le contraire.
Q- Avec tous les candidats potentiels du PS.
R- Je pense le contraire. Nous sommes dans une phase de convergence, une phase où sur des textes, chacun se met d'accord sur les orientations futures. Qu'est-ce que c'est que le congrès du PS ? C'est choisir l'orientation que nous voulons proposer aux Français. Eh bien, à la fin du processus, en novembre, le PS aura une ligne claire qu'il pourra proposer aux français.
Q- F. Hollande gardera la majorité ?
R- Oui, je crois.
Q- Vous connaissez bien l'Allemagne, sa langue et sa culture. Qui a gagné ? Schröder ou Merkel ?
R- A vrai dire, comme beaucoup de commentateurs l'expliquent, personne n'a totalement gagné, mais seulement Merkel a certainement perdu. Schröder n'a pas totalement gagné. Il montre une chose en tous cas, c'est que quand on est authentique, quand on croit à ce qu'on a fait, quand on croit à ce qu'on dit, quand on se bat sur ses idées, qu'on ne cède rien notamment...
Q- Quand on gouverne vraiment...
R- Oui, quand on gouverne vraiment, vous avez raison.
Q- Quand on a le courage de prendre des mesures, comme l'agenda 2010.
R- Moi je ne veux pas faire de commentaire sur la politique qui a été menée en Allemagne, les Allemands ont jugé qu'elle était trop libérale, et c'est pour ça que le SPD a perdu des voix, mais néanmoins, G. Schröder s'est battu sans céder un seul pouce à ses adversaires, que ce soit ses adversaires de gauche ou de droite, et cette authenticité-là, les Allemands l'ont reconnue.
Q- La leçon pour un français ?
R- La leçon c'est celle-là, c'est qu'il faut être ce que l'on est, dire ce que l'on pense, ne pas vouloir singer ses prétendus partenaires, et encore moins ses adversaires.
Q- Et qui a perdu ? La sociale démocratie ou l'ultra libéralisme ?
R- Honnêtement, c'est plutôt l'ultra libéralisme. Ce qui a été rejeté, c'est la politique que madame Merkel voulait mettre en uvre. La sociale démocratie, elle a perdu des soutiens tout au long de ces dernières années, ça il faut le reconnaître.
Q- Comme tout gouvernement qui gouverne. Mais, il y avait dans la sociale démocratie de Schröder, peut-être un peu de mesures libérales.
R- Peut-être un peu trop d'ailleurs, mais ce qui dans la campagne a perdu, quand les Allemands se sont posés la question, " alors, finalement, qu'est-ce que je veux pour demain en Allemagne ? ", ils ont dit " non ". Merkel/Kirchhoff, cette politique ultra libérale, on n'en veut pas.
Q- Alors ce matin, même si la presse allemande commence à proposer une grande coalition, sans Schröder, sans Merkel, est-ce que vous voyez encore Schröder, peut-être, chancelier à Berlin ?
R- Je crois que c'est possible, c'est aux allemands d'en décider. Je crois que les possibilités de constitution d'une majorité en Allemagne continuent d'exister. Moi ce qui me frappe, c'est qu'il y a une majorité de gauche au Bundestag. C'est la volonté absolue de l'extrême gauche... Oui, parce que vous comptez l'extrême gauche. Exactement. C'est la volonté absolue du Linkspartei, le parti de gauche, d'O. Lafontaine, de ne pas vouloir gouverner avec la gauche, qui risque de faire échouer la gauche, et c'est une leçon qu'il faut pouvoir tirer en France aussi, parce qu'au Bundestag, au Parlement allemand, il y a une majorité de gauche.
Q- Oui, mais un mode de scrutin qui est complètement différent, qui donne des chances aux petits partis etc. D. Strauss-Kahn, récemment vous avez proposé d'augmenter la TVA ?
R- Non.
Q- Je vais essayer d'expliquer, vous allez voir si j'ai raison ou pas ; sur des produits à bas prix, parce qu'importés de Chine, d'Inde, d'Asie, ils détruisent des emplois.
R- Oui, ça oui.
Q- C'est ça ?
R- Comme ça, ça va.
Q- Mais c'est un impôt, ou une TVA sélective, sur la consommation. Est-ce que vous ne croyez pas qu'elle punit le consommateur, qu'elle accroît le protectionnisme, qu'elle risque d'entraîner, de la part de l'Asie, des représailles ? Est-ce que vous maintenez cette idée aujourd'hui ?
R- On m'a attribué l'idée de vouloir augmenter globalement la TVA, c'est faux. En revanche, je crois que comme il y a plusieurs taux de TVA, on peut en effet choisir de faire monter des produits dans certains taux et descendre dans d'autres. Au total, la moyenne ne change pas...
Q- C'est compliqué à faire.
R- Ce n'est pas facile, je suis d'accord, mais de choisir par cela les produits qu'on veut aider et ceux qu'on ne veut pas aider. Est-ce que c'est du protectionnisme, [comme] vous avez dit, est-ce que c'est pour nous protéger de la destruction d'emplois ? Oui, il faut le reconnaître, c'en est. Il y a des moments où il faut savoir utiliser les armes. Est-ce que ça risque d'entraîner des représailles des autres pays ? Peut-être. Mais si on craint toujours les représailles, on n'avance pas.
Q- Mais c'est au détriment du consommateur parce qu'il voit les prix
baisser.
R- Sur certains produits...
Q- Il est complice de ceux qui délocalisent etc.
R- C'est vrai que la situation de la mondialisation, c'est que le consommateur gagne sur certains produits parce qu'il les achète moins chers, mais d'un autre côté, il perd comme salarié parce que les emplois sont détruits. Quand on est un libéral, on trouve que c'est très bien, c'est le marché qui a décidé ça : il gagne d'un côté, il perd de l'autre. Quand on est un socialiste, on regarde si le compte y est, et moi je dis que le compte n'y est pas. Nous perdons plus en emplois, en solidité territoriale, en homogénéité sociale, que nous ne gagnons comme pouvoir d'achat. Et donc, en effet, moduler les taux de TVA - non pas augmenter globalement la TVA, la moyenne peut rester la même, doit rester la même... - mais modeler la TVA...
Q- Mais même les socialistes ont dit que c'est une idée infaisable ou impraticable, ou mauvaise, vous la gardez ou vous la retirez ?
R- Je considère qu'il faut continuer à creuser cette idée, elle est difficile à mettre en uvre, il lui faut nos partenaires européens, mais ils ont les mêmes problèmes que nous, donc ils peuvent avoir les mêmes solutions. C'est une idée difficile, je ne dis pas le contraire, elle est d'ailleurs aussi difficile à expliquer, c'est pour ça qu'il faut que j'y revienne plusieurs fois. Toutes les armes dont nous disposons, y compris les armes fiscales, de mon point de vue, doivent pouvoir être utilisées pour lutter contre les méfaits de la mondialisation.
Q- T. Breton a confirmé hier qu'en 2005 l'objectif du déficit reste 3%, et il dit en 2006, le déficit sera dans cette marge et pas au-dessus. Et on a traduit : "il sera au moins à 3% en 2006". Quel est votre avis ?
R- Les comptes publics dérapent, ça c'est sûr. Quand on regarde le rapport sur la Sécurité sociale récemment, on voit bien que le plan Douste- Blazy n'a rien réglé. Le déficit public dérape, ce sont nos enfants qui sont en cause, c'est la solidarité entre les générations, mais aussi c'est le scandale que nous vivons aujourd'hui, que je ne vois pas dénoncer, que moi je ne peux pas supporter, qui est que, on baisse l'impôt sur le revenu, non pas pour les couches moyennes, comme ça a été dit, mais pour les revenus les plus élevés. On ne gagne vraiment dans la baisse d'impôt sur le revenu qui a été annoncée qu'à partir de 15 000 euros. Vous parlez d'une définition des couches moyennes ! On baisse l'impôt sur le revenu pour les plus riches, et on augmente le déficit. En clair, on creuse le déficit pour donner de l'argent aux plus riches dans notre pays. Voilà la politique qui est aujourd'hui...
Q- D'accord, vous avez dénoncé le scandale. C'est dans quelle partie du programme socialiste, la fiscalité ?
R- Mais c'est dans une partie... la motion comprend des éléments fiscaux.
Q- Non, non, le programme socialiste. Est-ce que ce n'est pas indécent
qu'il n'y ait pas encore de programme chez les socialistes ?
R- Non, non, non...
Q- Et que vous vous contentiez de critiquer...
R- Mais non, ce n'est pas vrai, monsieur Elkabbach. Il n'y a pas encore de
programme...
Q- Vous me le montrez...
R- Il n'y a pas encore de programme... il y aura un programme lorsque
nous rentrerons dans la phase présidentielle.
Q- C'est-à-dire ?
R- Grosso modo vers le printemps, la fin du printemps en 2006. Aujourd'hui, nous en sommes à choisir nos orientations, mais pour autant, sur la fiscalité, il y a des choses. Et par exemple, ce qui est en train d'être fait sur l'impôt sur le revenu, il faudra revenir dessus.
Q- Pourquoi vous disiez récemment : "il faut réformer le modèle social français" ? Comment, par qui, par quoi on commence ?
R- J'entends la droite, N. Sarkozy, nous dire, le modèle social français ne marche plus, il faut le jeter.
Q- Mais vous ?
R- Moi je dis, il ne marche pas aussi bien qu'il n'a marché dans le passé, que nous le voudrions, il faut le modifier, le changer, pour garder l'esprit de ce modèle social. Et en effet, ce modèle il repose sur la solidarité. Et je reviens que l'exemple qu'on vient de donner, sur l'impôt sur le revenu. Est-ce que c'est la solidarité issue des grands idéaux de la République qui rendent l'impôt, qui est progressif, moins progressif ? Non.
Q- Autrement dit, il faut partager.
R- Oui, il faut que ceux qui ont plus, contribuent plus. Moi je ne peux pas continuer à voir qu'on manque de ressources, vous l'avez dit, le déficit augmente, dans le même temps on abandonne des ressources importantes, des centaines de millions d'euros, à la baisse de l'impôt sur le revenu, alors que l'on devrait s'en servir pour aider les salariés qui aujourd'hui sont en difficultés, les boîtes qui délocalisent. Regardez Hewlett Packard à Grenoble, ABB en Champagne, Nestlé à Marseille. Il y a à intervenir pour réindustrialiser le territoire, pour aider les hommes et les femmes qui sont dans cette situation là. Et plutôt que de dépenser l'argent à cela, on baisse l'impôt sur le revenu de la catégorie supérieure des français, 5 à 10% des Français.
Q- Si on est franc et réaliste, on dit : il faut moderniser la France, l'industrie française, mais en fonction de ce qu'est en train de devenir le 21ème siècle, avec la montée de l'Inde, de la Chine etc., c'est peut-être ça.
R- Mais moderniser l'économie française, c'est laisser partir Hewlett Packard de Grenoble ? Mais non. M. Destot, le maire de Grenoble, qui se préoccupe tous les jours de cette question là...
Q- Est-ce que vous vous mettez à la porte de Grenoble et vous dites : ça ne passe pas ?
R- Non. On fait en sorte que Hewlett Packard ait intérêt à rester en France.
Q- Il serait intéressant de le lire dans le programme socialiste...
R- Vous êtes ironique sur le programme parce que vous voulez absolument...
Q- Mais parce que je ne le vois pas.
R- Mais parce que vous voulez absolument que les socialistes, aujourd'hui, aient un programme. Aujourd'hui, ils n'en ont pas encore défini, ils ont des propositions.
Q- Une force d'opposition doit en avoir...
R- Sur cette question précise, puisque vous me titillez là-dessus, monsieur Elkabbach, je ne veux pas laisser passer, ce sont des questions sérieuses, il ne faut pas uniquement qu'on les traite pas l'ironie.
Q- C'est parce que c'est sérieux que je vous le demande.
R- J'ai fait des propositions là dessus, avançant que les capitaux publics devaient être capables d'intervenir pour soutenir une entreprise jugée stratégique, que l'on voulait garder. Certains ont appelé ça des "nationalisations temporaires" - il y avait aussi un peu d'ironie là dedans. Mais, oublions l'ironie. Ce qui est important, c'est qu'on utilise les fonds publics pour aider l'emploi et l'investissement dans notre pays, et encore une fois, pas des billevesées, comme de dire que la seule chose la plus urgente à faire, c'est de baisser l'ISF ou l'impôt sur le revenu.
Q- C'est un leitmotiv, l'impôt sur le revenu !
R- Mais c'est important. Parce que c'est le plus grand scandale fiscal
qu'on ait connu depuis 30 ans, qui est en train de se dérouler.
Q- Vous estimez qu'au Parti socialiste le danger c'est le trop plein de
candidatures pour 2007, c'est ça ?
R- Non. Non...
Q- Il y en a trop ?
R- Non, il y a plusieurs candidatures, ce n'est pas illégitime.
Q- Mais vous avez dit qu'il y a une multiplication presque insupportable.
R- Non, je n'ai pas du tout dit ça.
Q- Est-ce que ce matin vous avez envie de retirer votre propre candidature ?
R- Je n'ai pas absolument pas dit qu'elle était insupportable, je trouve qu'elle est un peu bourgeonnante, mais finalement ça montre que le Parti socialiste est plein d'hommes et de femmes capables de remplir cette fonction. Vous savez, là aussi, on présente ces choses, et c'est normal, de façon un peu dérisoire, comme si c'était un concours de beauté, un défilé de mannequins, il ne s'agit pas de ça. Il s'agit de savoir qui, dans notre pays - et pour moi à gauche -, est capable de conduire le pays, de montrer le chemin. Ce sont des choses sérieuses, c'est la vie des hommes et des femmes qui est en cause.
Q- En dehors de vous, qui a cette capacité ?
R- Plusieurs, bien sûr. Plusieurs ont cette capacité, heureusement, et nous verrons à l'arrivée, au moment où il faudra choisir, qui sera le plus apte à conduire cette politique...
Q- En novembre 2006, c'est ça ?
R- En novembre 2006, oui. Mais ne plaisantons pas sur ces choses...
Q- Mais je ne plaisante pas, chaque fois que je vous pose une question précise vous dites...
R- Oui, parce qu'aujourd'hui...
Q- Est-ce que vous confirmez votre candidature pour 2006 ?
R- Je confirme ma candidature devant mes camarades socialistes, et j'espère qu'en effet je saurai les convaincre que, dans un moment où la France va mal, où la confiance n'est pas au rendez-vous, où nous avons besoin d'un homme ou d'une femme qui conduise une politique différente que les bégaiements ou des atermoiements que l'on voit aujourd'hui, j'ai confiance dans le fait que les socialistes sauront choisir le meilleur candidat. Et ce jour là, vous ne direz plus : il y a une multitude de candidats, il y aura une compétition interne. Quand, aux Etats-Unis...
Q- Mais c'est la démocratie.
R- Quand aux Etats-Unis il y a des primaires, tout le monde les regarde avec intérêt, et on voit le candidat qui, finalement, apparaît choisi par son camp. Eh bien, ça se passera, grosso modo, de la même manière au Parti socialiste.
Q- De préférence, ça devrait être D. Strauss-Kahn ?
R- Si vous voulez savoir ma préférence, vous l'avez trouvée.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 septembre 2005)
R- La machine infernale elle existe un petit peu en Allemagne. Là on ne sait pas très bien comment les résultats des élections vont se traduire en terme de gouvernement, mais honnêtement, moi ce qui m'épate, c'est la formidable remontée de G. Schröder, le fait qu'on disait les Allemands dégoûtés par la politique qu'il a conduite, et la façon dont ils se sont rendu compte que donner le pouvoir aux conservateurs c'était prendre le risque d'une politique bien plus difficile encore.
Q- Oui, mais vous ne répondez pas, comment on arrête la machine infernale ?
R- Laquelle ?
Q- La machine à perdre. Regardez, à Evian, aux "Journées parlementaires" UMP, B. Accoyer trouve qu'elle menace la droite. Le duel Villepin/Sarkozy, est-ce que c'est bon pour le PS
déjà ?
R- Le duel Villepin/Sarkozy, ça regarde la droite, ce duel d'ailleurs pour le moment n'est pas encore vraiment équilibré. Moi je ne me fonde pas là dessus. Moi je me fonde sur le fait que la gauche est en train, par son congrès au Parti socialiste, de définir ses orientations, et ensuite elle ira vers le meilleur.
Q- Vous ne croyez pas que le PS risque les mêmes déboires ? Je ne parle pas de l'extrême gauche, de la gauche, mais...
R- Non, je pense le contraire.
Q- Avec tous les candidats potentiels du PS.
R- Je pense le contraire. Nous sommes dans une phase de convergence, une phase où sur des textes, chacun se met d'accord sur les orientations futures. Qu'est-ce que c'est que le congrès du PS ? C'est choisir l'orientation que nous voulons proposer aux Français. Eh bien, à la fin du processus, en novembre, le PS aura une ligne claire qu'il pourra proposer aux français.
Q- F. Hollande gardera la majorité ?
R- Oui, je crois.
Q- Vous connaissez bien l'Allemagne, sa langue et sa culture. Qui a gagné ? Schröder ou Merkel ?
R- A vrai dire, comme beaucoup de commentateurs l'expliquent, personne n'a totalement gagné, mais seulement Merkel a certainement perdu. Schröder n'a pas totalement gagné. Il montre une chose en tous cas, c'est que quand on est authentique, quand on croit à ce qu'on a fait, quand on croit à ce qu'on dit, quand on se bat sur ses idées, qu'on ne cède rien notamment...
Q- Quand on gouverne vraiment...
R- Oui, quand on gouverne vraiment, vous avez raison.
Q- Quand on a le courage de prendre des mesures, comme l'agenda 2010.
R- Moi je ne veux pas faire de commentaire sur la politique qui a été menée en Allemagne, les Allemands ont jugé qu'elle était trop libérale, et c'est pour ça que le SPD a perdu des voix, mais néanmoins, G. Schröder s'est battu sans céder un seul pouce à ses adversaires, que ce soit ses adversaires de gauche ou de droite, et cette authenticité-là, les Allemands l'ont reconnue.
Q- La leçon pour un français ?
R- La leçon c'est celle-là, c'est qu'il faut être ce que l'on est, dire ce que l'on pense, ne pas vouloir singer ses prétendus partenaires, et encore moins ses adversaires.
Q- Et qui a perdu ? La sociale démocratie ou l'ultra libéralisme ?
R- Honnêtement, c'est plutôt l'ultra libéralisme. Ce qui a été rejeté, c'est la politique que madame Merkel voulait mettre en uvre. La sociale démocratie, elle a perdu des soutiens tout au long de ces dernières années, ça il faut le reconnaître.
Q- Comme tout gouvernement qui gouverne. Mais, il y avait dans la sociale démocratie de Schröder, peut-être un peu de mesures libérales.
R- Peut-être un peu trop d'ailleurs, mais ce qui dans la campagne a perdu, quand les Allemands se sont posés la question, " alors, finalement, qu'est-ce que je veux pour demain en Allemagne ? ", ils ont dit " non ". Merkel/Kirchhoff, cette politique ultra libérale, on n'en veut pas.
Q- Alors ce matin, même si la presse allemande commence à proposer une grande coalition, sans Schröder, sans Merkel, est-ce que vous voyez encore Schröder, peut-être, chancelier à Berlin ?
R- Je crois que c'est possible, c'est aux allemands d'en décider. Je crois que les possibilités de constitution d'une majorité en Allemagne continuent d'exister. Moi ce qui me frappe, c'est qu'il y a une majorité de gauche au Bundestag. C'est la volonté absolue de l'extrême gauche... Oui, parce que vous comptez l'extrême gauche. Exactement. C'est la volonté absolue du Linkspartei, le parti de gauche, d'O. Lafontaine, de ne pas vouloir gouverner avec la gauche, qui risque de faire échouer la gauche, et c'est une leçon qu'il faut pouvoir tirer en France aussi, parce qu'au Bundestag, au Parlement allemand, il y a une majorité de gauche.
Q- Oui, mais un mode de scrutin qui est complètement différent, qui donne des chances aux petits partis etc. D. Strauss-Kahn, récemment vous avez proposé d'augmenter la TVA ?
R- Non.
Q- Je vais essayer d'expliquer, vous allez voir si j'ai raison ou pas ; sur des produits à bas prix, parce qu'importés de Chine, d'Inde, d'Asie, ils détruisent des emplois.
R- Oui, ça oui.
Q- C'est ça ?
R- Comme ça, ça va.
Q- Mais c'est un impôt, ou une TVA sélective, sur la consommation. Est-ce que vous ne croyez pas qu'elle punit le consommateur, qu'elle accroît le protectionnisme, qu'elle risque d'entraîner, de la part de l'Asie, des représailles ? Est-ce que vous maintenez cette idée aujourd'hui ?
R- On m'a attribué l'idée de vouloir augmenter globalement la TVA, c'est faux. En revanche, je crois que comme il y a plusieurs taux de TVA, on peut en effet choisir de faire monter des produits dans certains taux et descendre dans d'autres. Au total, la moyenne ne change pas...
Q- C'est compliqué à faire.
R- Ce n'est pas facile, je suis d'accord, mais de choisir par cela les produits qu'on veut aider et ceux qu'on ne veut pas aider. Est-ce que c'est du protectionnisme, [comme] vous avez dit, est-ce que c'est pour nous protéger de la destruction d'emplois ? Oui, il faut le reconnaître, c'en est. Il y a des moments où il faut savoir utiliser les armes. Est-ce que ça risque d'entraîner des représailles des autres pays ? Peut-être. Mais si on craint toujours les représailles, on n'avance pas.
Q- Mais c'est au détriment du consommateur parce qu'il voit les prix
baisser.
R- Sur certains produits...
Q- Il est complice de ceux qui délocalisent etc.
R- C'est vrai que la situation de la mondialisation, c'est que le consommateur gagne sur certains produits parce qu'il les achète moins chers, mais d'un autre côté, il perd comme salarié parce que les emplois sont détruits. Quand on est un libéral, on trouve que c'est très bien, c'est le marché qui a décidé ça : il gagne d'un côté, il perd de l'autre. Quand on est un socialiste, on regarde si le compte y est, et moi je dis que le compte n'y est pas. Nous perdons plus en emplois, en solidité territoriale, en homogénéité sociale, que nous ne gagnons comme pouvoir d'achat. Et donc, en effet, moduler les taux de TVA - non pas augmenter globalement la TVA, la moyenne peut rester la même, doit rester la même... - mais modeler la TVA...
Q- Mais même les socialistes ont dit que c'est une idée infaisable ou impraticable, ou mauvaise, vous la gardez ou vous la retirez ?
R- Je considère qu'il faut continuer à creuser cette idée, elle est difficile à mettre en uvre, il lui faut nos partenaires européens, mais ils ont les mêmes problèmes que nous, donc ils peuvent avoir les mêmes solutions. C'est une idée difficile, je ne dis pas le contraire, elle est d'ailleurs aussi difficile à expliquer, c'est pour ça qu'il faut que j'y revienne plusieurs fois. Toutes les armes dont nous disposons, y compris les armes fiscales, de mon point de vue, doivent pouvoir être utilisées pour lutter contre les méfaits de la mondialisation.
Q- T. Breton a confirmé hier qu'en 2005 l'objectif du déficit reste 3%, et il dit en 2006, le déficit sera dans cette marge et pas au-dessus. Et on a traduit : "il sera au moins à 3% en 2006". Quel est votre avis ?
R- Les comptes publics dérapent, ça c'est sûr. Quand on regarde le rapport sur la Sécurité sociale récemment, on voit bien que le plan Douste- Blazy n'a rien réglé. Le déficit public dérape, ce sont nos enfants qui sont en cause, c'est la solidarité entre les générations, mais aussi c'est le scandale que nous vivons aujourd'hui, que je ne vois pas dénoncer, que moi je ne peux pas supporter, qui est que, on baisse l'impôt sur le revenu, non pas pour les couches moyennes, comme ça a été dit, mais pour les revenus les plus élevés. On ne gagne vraiment dans la baisse d'impôt sur le revenu qui a été annoncée qu'à partir de 15 000 euros. Vous parlez d'une définition des couches moyennes ! On baisse l'impôt sur le revenu pour les plus riches, et on augmente le déficit. En clair, on creuse le déficit pour donner de l'argent aux plus riches dans notre pays. Voilà la politique qui est aujourd'hui...
Q- D'accord, vous avez dénoncé le scandale. C'est dans quelle partie du programme socialiste, la fiscalité ?
R- Mais c'est dans une partie... la motion comprend des éléments fiscaux.
Q- Non, non, le programme socialiste. Est-ce que ce n'est pas indécent
qu'il n'y ait pas encore de programme chez les socialistes ?
R- Non, non, non...
Q- Et que vous vous contentiez de critiquer...
R- Mais non, ce n'est pas vrai, monsieur Elkabbach. Il n'y a pas encore de
programme...
Q- Vous me le montrez...
R- Il n'y a pas encore de programme... il y aura un programme lorsque
nous rentrerons dans la phase présidentielle.
Q- C'est-à-dire ?
R- Grosso modo vers le printemps, la fin du printemps en 2006. Aujourd'hui, nous en sommes à choisir nos orientations, mais pour autant, sur la fiscalité, il y a des choses. Et par exemple, ce qui est en train d'être fait sur l'impôt sur le revenu, il faudra revenir dessus.
Q- Pourquoi vous disiez récemment : "il faut réformer le modèle social français" ? Comment, par qui, par quoi on commence ?
R- J'entends la droite, N. Sarkozy, nous dire, le modèle social français ne marche plus, il faut le jeter.
Q- Mais vous ?
R- Moi je dis, il ne marche pas aussi bien qu'il n'a marché dans le passé, que nous le voudrions, il faut le modifier, le changer, pour garder l'esprit de ce modèle social. Et en effet, ce modèle il repose sur la solidarité. Et je reviens que l'exemple qu'on vient de donner, sur l'impôt sur le revenu. Est-ce que c'est la solidarité issue des grands idéaux de la République qui rendent l'impôt, qui est progressif, moins progressif ? Non.
Q- Autrement dit, il faut partager.
R- Oui, il faut que ceux qui ont plus, contribuent plus. Moi je ne peux pas continuer à voir qu'on manque de ressources, vous l'avez dit, le déficit augmente, dans le même temps on abandonne des ressources importantes, des centaines de millions d'euros, à la baisse de l'impôt sur le revenu, alors que l'on devrait s'en servir pour aider les salariés qui aujourd'hui sont en difficultés, les boîtes qui délocalisent. Regardez Hewlett Packard à Grenoble, ABB en Champagne, Nestlé à Marseille. Il y a à intervenir pour réindustrialiser le territoire, pour aider les hommes et les femmes qui sont dans cette situation là. Et plutôt que de dépenser l'argent à cela, on baisse l'impôt sur le revenu de la catégorie supérieure des français, 5 à 10% des Français.
Q- Si on est franc et réaliste, on dit : il faut moderniser la France, l'industrie française, mais en fonction de ce qu'est en train de devenir le 21ème siècle, avec la montée de l'Inde, de la Chine etc., c'est peut-être ça.
R- Mais moderniser l'économie française, c'est laisser partir Hewlett Packard de Grenoble ? Mais non. M. Destot, le maire de Grenoble, qui se préoccupe tous les jours de cette question là...
Q- Est-ce que vous vous mettez à la porte de Grenoble et vous dites : ça ne passe pas ?
R- Non. On fait en sorte que Hewlett Packard ait intérêt à rester en France.
Q- Il serait intéressant de le lire dans le programme socialiste...
R- Vous êtes ironique sur le programme parce que vous voulez absolument...
Q- Mais parce que je ne le vois pas.
R- Mais parce que vous voulez absolument que les socialistes, aujourd'hui, aient un programme. Aujourd'hui, ils n'en ont pas encore défini, ils ont des propositions.
Q- Une force d'opposition doit en avoir...
R- Sur cette question précise, puisque vous me titillez là-dessus, monsieur Elkabbach, je ne veux pas laisser passer, ce sont des questions sérieuses, il ne faut pas uniquement qu'on les traite pas l'ironie.
Q- C'est parce que c'est sérieux que je vous le demande.
R- J'ai fait des propositions là dessus, avançant que les capitaux publics devaient être capables d'intervenir pour soutenir une entreprise jugée stratégique, que l'on voulait garder. Certains ont appelé ça des "nationalisations temporaires" - il y avait aussi un peu d'ironie là dedans. Mais, oublions l'ironie. Ce qui est important, c'est qu'on utilise les fonds publics pour aider l'emploi et l'investissement dans notre pays, et encore une fois, pas des billevesées, comme de dire que la seule chose la plus urgente à faire, c'est de baisser l'ISF ou l'impôt sur le revenu.
Q- C'est un leitmotiv, l'impôt sur le revenu !
R- Mais c'est important. Parce que c'est le plus grand scandale fiscal
qu'on ait connu depuis 30 ans, qui est en train de se dérouler.
Q- Vous estimez qu'au Parti socialiste le danger c'est le trop plein de
candidatures pour 2007, c'est ça ?
R- Non. Non...
Q- Il y en a trop ?
R- Non, il y a plusieurs candidatures, ce n'est pas illégitime.
Q- Mais vous avez dit qu'il y a une multiplication presque insupportable.
R- Non, je n'ai pas du tout dit ça.
Q- Est-ce que ce matin vous avez envie de retirer votre propre candidature ?
R- Je n'ai pas absolument pas dit qu'elle était insupportable, je trouve qu'elle est un peu bourgeonnante, mais finalement ça montre que le Parti socialiste est plein d'hommes et de femmes capables de remplir cette fonction. Vous savez, là aussi, on présente ces choses, et c'est normal, de façon un peu dérisoire, comme si c'était un concours de beauté, un défilé de mannequins, il ne s'agit pas de ça. Il s'agit de savoir qui, dans notre pays - et pour moi à gauche -, est capable de conduire le pays, de montrer le chemin. Ce sont des choses sérieuses, c'est la vie des hommes et des femmes qui est en cause.
Q- En dehors de vous, qui a cette capacité ?
R- Plusieurs, bien sûr. Plusieurs ont cette capacité, heureusement, et nous verrons à l'arrivée, au moment où il faudra choisir, qui sera le plus apte à conduire cette politique...
Q- En novembre 2006, c'est ça ?
R- En novembre 2006, oui. Mais ne plaisantons pas sur ces choses...
Q- Mais je ne plaisante pas, chaque fois que je vous pose une question précise vous dites...
R- Oui, parce qu'aujourd'hui...
Q- Est-ce que vous confirmez votre candidature pour 2006 ?
R- Je confirme ma candidature devant mes camarades socialistes, et j'espère qu'en effet je saurai les convaincre que, dans un moment où la France va mal, où la confiance n'est pas au rendez-vous, où nous avons besoin d'un homme ou d'une femme qui conduise une politique différente que les bégaiements ou des atermoiements que l'on voit aujourd'hui, j'ai confiance dans le fait que les socialistes sauront choisir le meilleur candidat. Et ce jour là, vous ne direz plus : il y a une multitude de candidats, il y aura une compétition interne. Quand, aux Etats-Unis...
Q- Mais c'est la démocratie.
R- Quand aux Etats-Unis il y a des primaires, tout le monde les regarde avec intérêt, et on voit le candidat qui, finalement, apparaît choisi par son camp. Eh bien, ça se passera, grosso modo, de la même manière au Parti socialiste.
Q- De préférence, ça devrait être D. Strauss-Kahn ?
R- Si vous voulez savoir ma préférence, vous l'avez trouvée.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 septembre 2005)