Déclarations de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, sur les raisons de son engagement en faveur du "oui" au Traité constitutionnel européen, Assemblée nationale à Paris le 3 mai et Nantes le 19 mai 2005.

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Circonstance : Rencontre des parlementaires socialistes de l'Union européenne "Pour le Oui à la Constitution" à l'Assemblée nationale le 3 mai 2005 et meeting "Pour le oui au référendum" à Nantes le Jeudi 19 mai 2005

Texte intégral

Discours d'accueil
Chers amis, permettez-moi de vous remercier d'être à nos côtés dans cette campagne référendaire. Au moment où mon pays doute de ses choix européens, votre présence est un témoignage d'amitié et de considération au peuple français. Nous le savons tous, de son choix va dépendre bien plus qu'un traité, il va engager l'avenir de l'Europe. Dès lors quoi de plus légitime que vous participiez à notre débat, que vous expliquiez le sens de votre engagement à nos côtés.
L'Europe a toujours été au cur du projet de la social-démocratie. Nous avons été à sa fondation. Nous avons porté chacun de ses progrès. Nous avons défendu chacune de ses conquêtes. Quelles que soient nos différences, nous n'avons jamais varié. Aujourd'hui comme hier, notre Oui est un combat qui nous unit de Paris à Tallin, de Stockholm à Nicosie, de Madrid à Dublin. L'Europe est notre histoire. La Constitution est notre victoire. Nous avons voulu la reconnaissance des droits sociaux. Nous avons voulu le renforcement des pouvoirs démocratiques. Nous avons voulu l'avènement d'une communauté fondée sur des valeurs et des solidarités. Cette Constitution est notre enfant. Elle porte notre empreinte.
Parler de renoncement, de " camisole libérale ", de soumission à la loi des marchés, comme le font les partisans du non, est une blessure pour les socialistes de toute l'Europe qui ont uvré au coude à coude pour que leurs idéaux d'égalité, de solidarité, de développement durable deviennent les principes de l'Union.
Sans doute le texte comporte-t-il des lacunes. Sans doute est-il le fruit de compromis. Mais le rejeter reviendrait pour la gauche à se couper un bras, à garder le marché sans en avoir les protections. Le libéralisme n'a pas besoin de constitution.
Ce qu'il faut changer en Europe, ce n'est pas ce traité qui est un progrès pour le monde du travail, ce sont les politiques conservatrices qui sont menées : le manque d'ambition politique, la faiblesse du gouvernement économique, l'indifférence sociale.
C'est cela notre Oui de combat. Faire de l'Europe souhaitée une Europe réelle. La Constitution est une étape, un levier. Il dépend de la gauche et des forces syndicales de la faire vivre, de la concrétiser dans des politiques de justice et de solidarité. Nous n'avons plus le droit de décevoir. Trop de promesses sont restées lettre morte. Si nous biaisons, si nous tergiversons, si nous sommes impuissants à dépasser nos intérêts nationaux, alors soyez sûrs que les Français renverseront la table et d'autres peuples avec eux.
C'est tout le sens de notre rencontre. Retrouver l'esprit bâtisseur de la social-démocratie. Aider mon pays à sortir de la caricature d'une France victime, d'une France assiégée par les légions libérales. Lui redonner foi en la capacité de l'Europe à se réformer, à traduire les progrès de sa Constitution dans la réalité des peuples.
L'appel que nous adressons aujourd'hui va bien au-delà d'une proclamation de circonstance. Il porte l'engagement public et solennel de mettre en uvre solidairement une politique européenne de croissance et de plein-emploi. Il porte l'engagement de traduire la reconnaissance des services publics dans une loi européenne. Il porte l'engagement de consolider la solidarité envers les régions les plus fragiles.
Comme le disait le poète Jean Cocteau : " Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour ". Il en va de même pour l'Europe. Il ne suffit plus de vanter ses acquis. Il nous faut prouver qu'existe en son sein une volonté politique de répondre aux défis de notre époque : nous avons à transformer un espace économique en une puissance émancipée ; nous avons à inventer de nouvelles régulations ; nous avons à protéger nos peuples des insécurités sociales qu'engendre la mondialisation financière.
Que vaut-il mieux pour le réaliser ? Un compagnonnage avec la social-démocratie européenne ou un obscur " Apocalypse Non ! " sans allié et sans alternative. On ne construit pas l'Europe dans le vide et dans la solitude. Elle est un combat permanent qui exige des partenaires.Voilà pourquoi je refuse que la politique européenne de la France soit dictée par l'extrême-gauche ou par l'extrême-droite. Je refuse que le cours de l'Europe soit déterminé par les forces qui l'ont toujours combattue. C'est avec vous socialistes, sociaux démocrates, travaillistes que nous avancerons. C'est avec vous que nous pourrons travailler à la réorientation de l'Europe.
Comme l'a écrit André Malraux : " Il n'y a pas cinquante manières de combattre Il n'y en a qu'une, c'est d'être vainqueur. "
Nous n'avons pas attendu la Constitution pour vouloir transformer cette réalité. C'est la majorité socialiste du Conseil européen qui, en 2000, a conçu le programme de Lisbonne pour faire de l'Europe la première zone en matière de croissance, de plein-emploi, de formation, de recherche, de protection sociale. Ce sont nos parlementaires qui à Strasbourg et à Bruxelles oeuvrent à des alternatives progressistes aux directives sur les services et sur le temps de travail.
Le Non se présente comme une sécurité.
Le Non se présente comme un progrès
Le Non se présente comme une alternative. L'Europe n'est ni le paradis, ni l'enfer. Elle est une bataille quotidienne. Les socialistes Notre exigence de socialistes européens est de porter le grand combat social et politique qui a fondé notre idéal à l'échelle de toute l'Europe.
(Source http://www.deputessocialistes.fr, le 1er juin 2005)
Chers amis,
Chers camarades,
Je veux vous dire le bonheur de nous voir rassemblés si nombreux.
Nantes a toujours eu l'Europe au cur. Elle a toujours cru en son rayonnement. Elle a toujours relevé ses défis pour elle-même et pour la France. Comment oublier que c'est un enfant du pays, Aristide Briand, qui en a été le pionnier à travers la première tentative de réconciliation franco-allemande.
Cette histoire là est aussi celle des socialistes. Depuis cinquante ans, nous avons porté l'Europe. Depuis cinquante ans, nous en avons été les architectes. Même quand le destin nous a été contraire, nous n'avons jamais varié, nous ne nous sommes jamais détournés.
Cette fidélité, nous la devons à François Mitterrand, le plus européen des socialistes et le plus socialiste des européens. Il a changé l'Europe et nous a changés avec elle.
Cette fidélité, nous te la devons également, Lionel. A la tête du Parti socialiste comme à la direction du gouvernement, tu as constamment concilié l'exigence du patriotisme et l'engagement européen. L'Europe n'est pas pour toi un rêve, une France en grand. Elle est une réalité que la volonté politique doit chaque jour modeler. Ta présence ce soir va bien au-delà des liens d'amitié qui nous unissent. Elle est la voix d'un homme libre, d'un homme d'Etat libre, qui vient servir ses convictions et aider son pays quand l'essentiel est en jeu. Alors merci Lionel d'être là. Tu grandis la politique. Tu honores les socialistes.
Merci à toi aussi François de maintenir le cap : celui qu'a défini le vote démocratique des militants du Parti socialiste le 1er décembre dernier. Il te faut sang-froid et courage pour répondre aux provocations incessantes. Jamais tu n'as renié tes convictions socialistes et européennes. Jamais tu n'as cédé à la facilité d'opposer l'Union de la gauche et l'Union de l'Europe. Alors même qu'il était si tentant de jouer la démagogie de la rupture, de dire Non en chevauchant la colère sociale, tu as gardé les principes et les engagements du parti socialiste. Ta boussole n'a qu'une direction : rassembler les socialistes en défendant l'intérêt général.
Oui, le 29 mai, nous pouvons gagner ! Oui nous devons gagner ! Parce qu'il y va de la plus belle de nos conquêtes depuis cinquante ans. Dans quelle vie d'homme a-t-on vu un continent s'unir tout entier dans la démocratie ? Dans quelle vie d'homme a-t-on vu des Nations fourbues de guerres et d'affrontements fonder le premier espace mondial de coopération ? Dans quelle vie d'homme a-t-on vu des peuples accepter souverainement de partager des disciplines et des solidarités communes ?
Avant toute autre considération économique, sociale ou politique, la Constitution est le couronnement de cette révolution silencieuse. C'est la mise en partage de toutes les valeurs, de tous les droits qui font le modèle européen. C'est la volonté de l'Europe de s'émanciper, d'avoir une identité, une personnalité, d'être un acteur dans le monde.
Quand les partisans du Non dénoncent un " carcan libéral ", ils blessent ces millions de socialistes qui de Paris à Tallin, de Stockholm à Nicosie, de Madrid à Dublin, se sont battus pour que leurs idéaux soient affirmés dans ce texte. Nous avons voulu que le marché communautaire devienne une communauté de destin. Nous avons voulu que le soudeur de Gdansk et le fraiseur de Saint-Nazaire aient les mêmes droits fondamentaux. Nous avons voulu que toutes les politiques européennes comportent une dimension sociale. Nous avons voulu que les institutions européennes deviennent plus démocratiques.
Nous avons voulu que la France et les pays fondateurs pèsent davantage, qu'ils puissent se lancer dans des projets d'intégration plus poussée.
Toutes ces exigences figurent dans le traité. Il est notre enfant. Il porte notre empreinte. Les forces qui s'y opposent sont les mêmes qui ont toujours dénoncé l'Europe supranationale ou l'Europe des multinationales. De Villiers à Laguiller, l'Europe c'est toujours " Apocalypse Non ".
Eh bien moi je refuse que la politique de la France soit dictée par l'extrême droite ou par l'extrême gauche. Je refuse de mettre le sort de l'Europe dans les mains de ceux qui l'ont toujours combattue. A ces apôtres du déclin, j'oppose un Oui de vérité, un Oui de progrès, un Oui de combat.
La Constitution n'est certes pas le manège enchanté. Elle ne va pas supprimer le chômage, augmenter les salaires, supprimer les délocalisations d'un coup de baguette magique. Aucune constitution n'a jamais eu ce pouvoir. Et son rejet non plus. Mais elle est un levier, un cadre fondateur, un ensemble de droits qui permettront à la gauche et au mouvement social de peser pour réformer les politiques européennes. Elle est aussi un garde-fou qui protègera mieux face à la mondialisation. C'est l'engagement solennel que nous avons pris avec tous les parlementaires sociaux-démocrates de l'Union. Développer une stratégie de croissance et d'emploi. Voter une loi-cadre pour défendre les services publics. Garantir la solidarité envers les régions les plus déshéritées. Le Non n'offre aucune alternative. Il ne dispose d'aucun partenaire, d'aucun allié dans le reste de l'Europe. La renégociation n'a ni candidat, ni précédent en Europe. Elle est une chimère pour endormir les Français.
Alors réveillons-nous ! Assumons ce que nous sommes ! Défendons ce que nous avons réalisé ! Notre Oui est un combat d'orgueil !
Je sais que la France doute, je sais qu'elle hésite. Et comment ne pas la comprendre ? Depuis trois ans elle sombre à nouveau dans la crise. Depuis trois ans, elle voit les inégalités se creuser. Le pouvoir porte une écrasante responsabilité dans cette crise de confiance. Il a cassé l'emploi, sabré les acquis, précarisé les salariés, paupérisé les plus fragiles. Ses mystifications du lundi de pentecôte ont été la pire illustration de ce qu'il ne faut pas faire : culpabiliser les Français, les montrer du doigt, les accuser de n'être pas solidaires. Absurde contresens. La corvée, le travail gratuit ne seront jamais la solidarité. Celle-ci relève de l'impôt ou des cotisations. C'est la raison pour laquelle nous avons été à la pointe de la bataille contre cette mesure injuste et que nous avons déposé une proposition de loi pour la supprimer.
Nous n'avons aucune leçon d'opposition à recevoir des partisans du Non. A aucun moment nous ne nous sommes reniés ou déjugés. Notre Oui est à l'Europe, pas à M. Chirac. Notre Oui est à la Constitution, pas à la politique de la droite.
Je n'accepte plus le comportement de ces dirigeants politiques qui utilisent l'Europe pour se défausser de leurs impuissances, de leurs erreurs ou de leurs renoncements.
La fin ne justifie pas les moyens. Le socialisme c'est l'éthique de responsabilité. C'est assumer les politiques que l'on mène en France et en Europe. Aucune institution de Bruxelles ne nous empêche de faire les 35 heures. Aucune n'interdit d'augmenter le SMIC. Aucune n'exige de privatiser EDF. Aucune ne somme de baisser les impôts des plus riches. Aucune ne réclame la défiscalisation des stocks-options.
Et que dire de cette détestable litanie d'accusations envers les nouveaux pays adhérents. Que l'élargissement ait été mal anticipé, que des dispositifs d'harmonisation fiscale et sociale manquent est une réalité. Mais en tant que socialiste, en tant qu'internationaliste, je n'accepterai jamais que l'on oppose l'ouvrier français à l'ouvrier polonais, tchèque ou letton. Eux aussi veulent des emplois, eux aussi veulent des bons salaires, eux aussi veulent une protection sociale. Et c'est notre intérêt, l'intérêt des salariés français qu'ils les obtiennent. C'est en se battant au coude à coude avec eux, avec tous les Européens progressistes, avec la Constitution que nous pouvons le réaliser.
Les nouveaux pays membres ne sont pas des invités de bout de table. Ils ne sont pas les pauvres à qui l'on fait l'aumône. Leur malchance est d'avoir été du mauvais côté du mur, d'avoir subi cinquante ans d'oppression soviétique. L'Europe est leur maison. Ils sont des partenaires à égalité de droits et de devoirs.
Sans la solidarité entre ses pays membres, sans la fraternité entre ses citoyens, l'Europe n'existe pas et le socialisme encore moins. C'est aussi cela le Oui de combat.
Si la France traverse une crise aussi grave, c'est parce qu'elle est trop souvent bercée d'illusions par des dirigeants changeants et versatiles prompts à promettre le grand soir et à finir dans les petits matins blêmes. C'est d'abord en se disant la vérité à elle-même que la France trouvera les ressources de son redressement.
Alors oui, ce référendum est un espace de vérité. Un de ces carrefours de l'Histoire où la France engage une part de son destin.
Que voulons-nous être ? Une nation qui inspire ou une forteresse enfermée sur elle-même ? Un grand pays sûr de ses choix dans le monde ou un pays toujours victime de grands ensembles anonymes ?
Tout notre défi est là. Sortir la France de ses peurs. Lui redonner foi en elle-même et en la construction de l'Europe. Un Oui de combat est peut être moins spectaculaire qu'un Non tonitruant. Mais il est la promesse d'une réalité plutôt que d'une chimère.
Nous ne sommes pas seuls. Le Oui des socialistes est le Oui de toute la gauche européenne. C'est à ces rendez-vous que je vous invite le 29 mai.
Comme l'écrivait Malraux : " Il n'y a pas cinquante manière de combattre. Il n'y en a qu'une, c'est d'être vainqueur ". C'est cela notre Oui de combat. Une victoire sur les peurs. Une victoire sur nous-mêmes. Une victoire de la France. Une victoire pour l'Europe.
(Source http://www.deputessocialistes.fr, le 1er juin 2005)