Texte intégral
Monsieur le président,
Monsieur le rapporteur,
Mesdames et Messieurs les députés,
Le projet de loi que je vous présente aujourd'hui s'efforce de mettre en oeuvre les principales mesures retenues par le gouvernement à l'issue du débat public consécutif aux dramatiques conséquences de la canicule.
Ces conséquences sont aujourd'hui connues avec précision grâce aux investigations menées à l'initiative du Parlement et aux analyses de l'Institut de veille sanitaire, de l'INSERM, de l'INSEE ainsi que de l'inspection générale des affaires sociales. Plusieurs enseignements peuvent être dégagés de toutes ces expertises.
D'abord sur l'impact de cette canicule. Les fortes températures de la première quinzaine d'août ont eu pour effet un pic de mortalité que notre pays n'avait pas connu depuis de très nombreuses années. Le nombre annuel de décès n'avait jamais été aussi élevé en métropole depuis 1985. Cette vague de chaleur a été exceptionnelle par sa durée, par son intensité et par son étendue géographique. Elle dépasse largement les canicules observées dans plusieurs autres pays, notamment aux Etats-Unis ou en Grèce, et celles de 1976 et 1983 en France.
Le projet de loi, j'en ai conscience, n'épuise pas à lui seul la totalité des mesures à prendre pour éviter la répétition d'une telle crise. Il propose cependant de répondre à deux interrogations majeures, qui ont été au centre du débat public : comment anticiper les risques exceptionnels, climatiques ou autres ? comment renforcer les moyens destinés aux personnes âgées dans la perspective d'une augmentation inéluctable du nombre des personnes isolées, fragiles ou vulnérables ?
La première partie du projet de loi s'attache à organiser la prévention de la crise en instituant un dispositif de veille et d'alerte. Ce dispositif est destiné principalement à venir en aide aux personnes les plus isolées ou en perte d'autonomie, en raison de leur âge ou de leur handicap.
Un plan de veille et d'alerte sera préparé dans chaque département par le préfet et par le président du conseil général. Sa mise en oeuvre sera déclenchée par le préfet en cas de risque exceptionnel. Il permettra l'intervention des services sanitaires et sociaux sur la base des informations recueillies préalablement par les communes auprès des personnes âgées et des personnes handicapées. Le recensement sera effectué sur la demande des intéressés eux-mêmes ou de leurs tuteurs, conformément à l'avis du Conseil d'Etat, dès lors que leur situation le justifie, en raison notamment de leur isolement ou encore de leur difficultés psychiques ou motrices.
Le projet de loi institue une obligation de planification opérationnelle pour les périodes de crise, mais il ne prendra toute sa force que si l'alerte est déclenchée à temps. Aujourd'hui les prévisions météorologiques ne sont fiables que sur les 3 à 5 jours à venir. Il faut donc être prêt, de façon continue, à intervenir face à une menace imminente et disposer d'indicateurs permettant d'identifier les phénomènes exceptionnels qui présentent un risque sanitaire majeur.
C'est pourquoi la réforme s'accompagne d'un dispositif d'anticipation, qui est en cours d'élaboration grâce à l'accord cadre signé récemment par l'InVS et Météo France : ce dispositif, qui sera opérationnel au 1er juin prochain, permettra de repérer à l'avance les situations météorologiques à risque sanitaire et de prévenir la population en fonction de plusieurs seuils d'alerte.
L'objectif est ainsi de tisser un réseau de surveillance et d'intervention, qui permettra d'éviter la répétition du dysfonctionnement constaté en 2003 : l'information, trop diluée à la base pour être perceptible, n'a été signalée qu'en aval de la crise par les services d'urgences hospitalières, les sapeurs pompiers ou les pompes funèbres. A ce mode d'action trop tardif, la réforme s'attache à substituer un chaînage préétabli entre la prévention par les services météorologiques, l'alerte et le déclenchement des opérations par le préfet, l'intervention enfin des services sanitaires et sociaux auprès des personnes fragiles repérées et recensées par chaque commune.
Ce dispositif me paraît correspondre aux propositions de la commission d'enquête de votre Assemblée concernant les mesures de prévention et d'alerte.
D'autres travaux, en cours, vont dans le sens des recommandations de la commission d'enquête. Les services ministériels achèvent actuellement l'expertise des conditions optimales d'une bonne climatisation. En effet rafraîchir quelques heures par jour évite le risque d'hyperthermie, mais inversement trop climatiser expose à des risques infectieux. L'Agence française pour la sécurité sanitaire et environnementale fera connaître le résultat de ses travaux dans quelques semaines. Toutefois, sans attendre ces résultats, des instructions ont déjà été données pour que les maisons de retraite se dotent d'au moins une pièce rafraîchie avant juin prochain.
D'autre part, ainsi que le constate la commission d'enquête, la grande diversité des établissements et des facteurs à prendre en compte oblige à une analyse au cas par cas pour déterminer les causes de la surmortalité. Le rapport de l'inspection générale des affaires sociales sur la prise en charge médico-sociale des personnes âgées apporte les premiers éléments de réponse. Toutefois j'ai demandé une analyse complémentaire sur la soixantaine d'établissements, où le taux de décès pendant la canicule a été supérieur à 20 %. Ils représentent à eux seuls environ 800 décès.
Enfin, sur un plan plus sanitaire, la présence de médecins coordonnateurs dans les maisons de retraite médicalisées sera généralisée par un décret à paraître dans quelques semaines. Avec mon collègue, Ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, nous nous attachons également à créer dans les hôpitaux une filière de prise en charge des personnes âgées par l'individualisation de lits de court séjour gériatrique dans les hôpitaux sièges d'un service d'urgence et par le développement significatif des réseaux gérontologiques.
Le projet de loi répond, par ses titres II et III, à la deuxième grande préoccupation issue de l'après-crise : le renforcement des moyens.
La crise estivale a en effet révélé que l'effort de la société en faveur des personnes dépendantes était insuffisant malgré la création de la PSD puis de l'APA. Le nombre de décès en maison de retraite a souligné des besoins importants de médicalisation en raison de l'évolution démographique de notre pays et de l'augmentation continue de l'espérance de vie. Cette évolution, qui a été qualifiée de " révolution de la longévité ", est un progrès social considérable. Mais elle a aussi son revers : la fragilité du grand âge l'expose plus que d'autres aux risques sanitaires. C'était déjà le cas de la grippe et du froid. Nous savons désormais que c'est le cas aussi des fortes hausses de chaleur.
La mise en place de l'APA et le plan de médicalisation, lié initialement à la réforme de la tarification des maisons de retraite, ont amorcé une réponse collective. Mais ce n'était qu'une esquisse, car l'action engagée n'était pas financée : il manquait 1,2 milliard d'euros fin 2002 pour financer l'APA. Et au rythme du conventionnement tripartite réalisé entre 2000 et 2002 il aurait fallu de très nombreuses années pour renforcer correctement le taux d'encadrement en personnel soignant des maisons de retraite médicalisées.
Le projet de loi accélère et amplifie la réponse attendue. Il ne se contente pas d'annoncer un plan, il le finance. Il le finance aussi sans recourir à un prélèvement obligatoire supplémentaire.
Ce financement propose une double rupture : il est d'abord gagé par la création de richesses nouvelles, c'est-à-dire par une journée de travail supplémentaire dans l'année. Il est ensuite affecté à une caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, afin d'éviter le retour d'anciennes tentations, à l'exemple de la vignette automobile.
Le titre II institue la journée de la solidarité. Comme l'a indiqué le Premier ministre, cette journée trouve son sens autour d'une valeur, qui, je le crois, subsiste dans notre pays : celle de la fraternité. Elle se traduira pour chaque salarié et pour chaque fonctionnaire par une journée de travail supplémentaire non rémunérée.
Dans les trois fonctions publiques cette journée de solidarité correspond dès 2005 au lundi de Pentecôte. Dans le secteur privé, le projet de loi ouvre la possibilité aux partenaires sociaux de la branche ou de l'entreprise de choisir, par la négociation collective, un autre jour que le lundi de Pentecôte.
Le projet de loi introduit les modifications nécessaires du code du travail, notamment pour le régime des heures supplémentaires ou la durée annuelle de travail. Il modifie également le statut de la fonction publique.
En supprimant le lundi de Pentecôte le projet ne porte atteinte à aucune conviction religieuse. Il ne pénalise pas davantage notre pays au plan international : la France restera dans la moyenne des pays européens en matière de jours fériés, au même niveau que la Suède ou l'Irlande. Son mérite est en fait ailleurs : les salariés et fonctionnaires donneront un peu de leur temps, mais ne perdront aucun pouvoir d'achat, à la différence des augmentations de cotisation salariale ou des suppléments d'impôts. Ce sont les employeurs qui restitueront à la solidarité nationale la valeur ajoutée produite par la journée supplémentaire de travail, sous la forme d'une contribution patronale, dont le niveau a été estimé à 0,3 % des salaires et traitements.
Ceux pour lesquels la notion de travail supplémentaire n'a pas de signification seront exonérés de cette contribution. Soit parce qu'ils ont cessé leur vie professionnelle : les retraités. Soit parce que leur temps de travail n'est pas assimilable à un horaire contraint ou organisé : c'est le cas, pour ce qui les concerne eux-mêmes, des travailleurs indépendants ou des agriculteurs.
La même contribution de 0,3 % s'appliquera également aux revenus du patrimoine et des placements, à l'exception des produits de l'épargne populaire comme le livret A.
Cette nouvelle recette permettra de mobiliser chaque année environ 2 milliards d'euros. La transparence du dispositif est absolument nécessaire, car les Français doivent être certains du bien fondé de leur effort. Pour assurer à nos concitoyens que la journée de solidarité correspond bien à des actions supplémentaires au bénéfice des personnes dépendantes, âgées ou handicapées, le produit de cette journée sera entouré d'une garantie : il ne sera pas fondu dans le budget de l'Etat ou dans les comptes de la sécurité sociale, mais affecté à une caisse bien identifiée : la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, à laquelle est consacré le titre III du projet de loi.
Cette caisse est instituée sous forme d'établissement public national à caractère administratif pour assurer sa transparence. Ses dépenses sont destinées tout d'abord à la consolidation du concours national versé aux départements pour la prise en charge de l'allocation personnalisée d'autonomie : 400 millions d'euros s'ajouteront chaque année au 0,1 point de CSG déjà affecté au fonds de financement de l'APA. De plus 400 millions d'euros supplémentaires permettront en 2004 de rembourser par anticipation l'emprunt contracté au titre de 2003. La caisse sera ainsi en mesure de mettre un terme, de manière durable, à la grave impasse financière dont nous avions hérité.
La caisse prendra aussi en charge des dépenses, qui s'ajouteront à celles de l'assurance-maladie sur toute la durée du plan, c'est-à-dire jusqu'en 2008. Elles seront reparties de manière égale entre, d'une part, la compensation du handicap, au titre de la réforme de la loi de 1975 que vient d'engager le gouvernement, et, d'autre part, la mise en oeuvre du plan vieillissement et solidarités annoncé par le Premier ministre le 6 novembre dernier.
Ce plan permettra de médicaliser davantage les maisons de retraite et de créer 10 000 places supplémentaires en établissement, 17 000 places en services de soins infirmiers à domicile et 13 000 places d'hébergement temporaire et d'accueil de jour.
La montée en charge de ce plan sera progressive, au rythme des capacités de recrutement des personnels soignants. Les quotas de formation ont déjà été fortement relevés. Le développement de la validation des acquis de l'expérience élargira encore les possibilités de recrutement.
Le plan mobilisera à lui seul environ 800 millions d'euros par an, qui s'ajouteront aux ressources dégagées chaque année par le projet de loi de financement de la sécurité sociale au titre de l'objectif national des dépenses d'assurance-maladie dans le domaine médico-social. Il renforcera la vie à domicile, conformément à l'attente prioritaire des personnes âgées, tout en améliorant l'accueil médicalisé en établissement, lorsque la vie à domicile n'est plus possible.
D'ores et déjà les dépenses supplémentaires de médicalisation des établissements et services médico-sociaux pour personnes âgées progressent de plus de 300 M, soit +10 %, au titre de l'objectif national des dépenses d'assurance-maladie pour 2004. Cet effort sera amplifié ensuite grâce à la création de la caisse.
Le projet de loi introduit ainsi une amélioration significative de la prise en charge des personnes âgées à domicile comme en établissement. Il n'est toutefois qu'une étape dans une dynamique de modernisation plus vaste de notre système social, qu'illustrent plusieurs réformes proposées actuellement au Parlement.
Le projet de loi relatif aux responsabilités locales devrait élargir dès 2005 les compétences des conseils généraux dans le domaine des personnes âgées : il est examiné en ce moment par votre Assemblée.
De même, le projet de loi " pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des handicaps " devrait rénover les modalités de prise en charge des personnes handicapées : le Sénat vient de l'adopter en première lecture.
Enfin, la réforme en préparation de l'assurance-maladie pourrait elle aussi se traduire par des modifications non seulement financières mais aussi institutionnelles.
Compte tenu de toutes ces évolutions en cours, le projet de loi devra être adapté et complété ultérieurement pour préciser les modalités de fonctionnement de la caisse, notamment en ce qui concerne ses relations avec les conseils généraux et avec l'assurance-maladie.
Pour éclairer les arbitrages à venir, le Premier ministre a confié à deux personnalités, Monsieur BRIET, conseiller maître à la Cour des Comptes, et Monsieur JAMET, directeur général des services du conseil général du Rhône, une mission de concertation et d'expertise. Leur rapport est attendu à la fin mai.
Le projet de loi devrait prendre effet dès le 1er juillet prochain. Il vous propose, sans attendre, de construire un partenariat d'un type nouveau pour répondre à des besoins nouveaux.
En effet, la réforme privilégie, en premier lieu, un mode de gestion décentralisé, fondé sur la proximité et adossé à une organisation nationale garante de l'utilisation exclusive de la nouvelle ressource aux personnes dépendantes.
La nouvelle caisse ne se limite donc pas à un simple fonds de péréquation ; elle ne répartit pas seulement des dépenses, mais les renforce et les démultiplie. Elle ne démembre pas non plus l'organisation actuelle de la sécurité sociale, mais maintient son unité et préserve l'universalité de l'assurance-maladie, en refusant toute prise en charge différenciée des soins aux personnes âgées.
D'autre part, la réforme instaure pour la première fois dans la protection sociale de notre pays une prise en charge globale de la perte d'autonomie due à l'âge ou au handicap, sans préjuger à ce stade des évolutions complémentaires à venir. Je sais que de nouvelles pistes de réflexion ont été ouvertes pour aller plus loin dans la prise en charge de la dépendance : le rapport de votre mission d'information sur la canicule et l'avis récent du Conseil économique et social permettront, le cas échéant, de poursuivre ultérieurement la réforme qui vous est proposée aujourd'hui.
Le projet de loi est, en définitive, tout à la fois pragmatique et ambitieux. Pragmatique, parce qu'il vous propose une démarche évolutive et un financement assuré. Mais ambitieux aussi, parce qu'il représente une véritable avancée face au nouveau défi du vieillissement.
En vous présentant ce dispositif original et audacieux, je ne puis cependant oublier, au fond de moi-même, qu'il a fallu une crise terriblement douloureuse pour précipiter l'action et la prise de conscience de notre société vis-à-vis du sort réservé à ses anciens, qui sont et qui seront de plus en plus nombreux à l'avenir. Ce défi démographique nous ne l'avions pas, de façon collective, suffisamment débattu et anticipé. Cette réflexion m'amène à dire qu'il n'est rien de plus périlleux pour notre modèle social que le statu quo et les certitudes intellectuelles.
(source http://www.social.gouv.fr, le 18 mars 2004)
Monsieur le rapporteur,
Mesdames et Messieurs les députés,
Le projet de loi que je vous présente aujourd'hui s'efforce de mettre en oeuvre les principales mesures retenues par le gouvernement à l'issue du débat public consécutif aux dramatiques conséquences de la canicule.
Ces conséquences sont aujourd'hui connues avec précision grâce aux investigations menées à l'initiative du Parlement et aux analyses de l'Institut de veille sanitaire, de l'INSERM, de l'INSEE ainsi que de l'inspection générale des affaires sociales. Plusieurs enseignements peuvent être dégagés de toutes ces expertises.
D'abord sur l'impact de cette canicule. Les fortes températures de la première quinzaine d'août ont eu pour effet un pic de mortalité que notre pays n'avait pas connu depuis de très nombreuses années. Le nombre annuel de décès n'avait jamais été aussi élevé en métropole depuis 1985. Cette vague de chaleur a été exceptionnelle par sa durée, par son intensité et par son étendue géographique. Elle dépasse largement les canicules observées dans plusieurs autres pays, notamment aux Etats-Unis ou en Grèce, et celles de 1976 et 1983 en France.
Le projet de loi, j'en ai conscience, n'épuise pas à lui seul la totalité des mesures à prendre pour éviter la répétition d'une telle crise. Il propose cependant de répondre à deux interrogations majeures, qui ont été au centre du débat public : comment anticiper les risques exceptionnels, climatiques ou autres ? comment renforcer les moyens destinés aux personnes âgées dans la perspective d'une augmentation inéluctable du nombre des personnes isolées, fragiles ou vulnérables ?
La première partie du projet de loi s'attache à organiser la prévention de la crise en instituant un dispositif de veille et d'alerte. Ce dispositif est destiné principalement à venir en aide aux personnes les plus isolées ou en perte d'autonomie, en raison de leur âge ou de leur handicap.
Un plan de veille et d'alerte sera préparé dans chaque département par le préfet et par le président du conseil général. Sa mise en oeuvre sera déclenchée par le préfet en cas de risque exceptionnel. Il permettra l'intervention des services sanitaires et sociaux sur la base des informations recueillies préalablement par les communes auprès des personnes âgées et des personnes handicapées. Le recensement sera effectué sur la demande des intéressés eux-mêmes ou de leurs tuteurs, conformément à l'avis du Conseil d'Etat, dès lors que leur situation le justifie, en raison notamment de leur isolement ou encore de leur difficultés psychiques ou motrices.
Le projet de loi institue une obligation de planification opérationnelle pour les périodes de crise, mais il ne prendra toute sa force que si l'alerte est déclenchée à temps. Aujourd'hui les prévisions météorologiques ne sont fiables que sur les 3 à 5 jours à venir. Il faut donc être prêt, de façon continue, à intervenir face à une menace imminente et disposer d'indicateurs permettant d'identifier les phénomènes exceptionnels qui présentent un risque sanitaire majeur.
C'est pourquoi la réforme s'accompagne d'un dispositif d'anticipation, qui est en cours d'élaboration grâce à l'accord cadre signé récemment par l'InVS et Météo France : ce dispositif, qui sera opérationnel au 1er juin prochain, permettra de repérer à l'avance les situations météorologiques à risque sanitaire et de prévenir la population en fonction de plusieurs seuils d'alerte.
L'objectif est ainsi de tisser un réseau de surveillance et d'intervention, qui permettra d'éviter la répétition du dysfonctionnement constaté en 2003 : l'information, trop diluée à la base pour être perceptible, n'a été signalée qu'en aval de la crise par les services d'urgences hospitalières, les sapeurs pompiers ou les pompes funèbres. A ce mode d'action trop tardif, la réforme s'attache à substituer un chaînage préétabli entre la prévention par les services météorologiques, l'alerte et le déclenchement des opérations par le préfet, l'intervention enfin des services sanitaires et sociaux auprès des personnes fragiles repérées et recensées par chaque commune.
Ce dispositif me paraît correspondre aux propositions de la commission d'enquête de votre Assemblée concernant les mesures de prévention et d'alerte.
D'autres travaux, en cours, vont dans le sens des recommandations de la commission d'enquête. Les services ministériels achèvent actuellement l'expertise des conditions optimales d'une bonne climatisation. En effet rafraîchir quelques heures par jour évite le risque d'hyperthermie, mais inversement trop climatiser expose à des risques infectieux. L'Agence française pour la sécurité sanitaire et environnementale fera connaître le résultat de ses travaux dans quelques semaines. Toutefois, sans attendre ces résultats, des instructions ont déjà été données pour que les maisons de retraite se dotent d'au moins une pièce rafraîchie avant juin prochain.
D'autre part, ainsi que le constate la commission d'enquête, la grande diversité des établissements et des facteurs à prendre en compte oblige à une analyse au cas par cas pour déterminer les causes de la surmortalité. Le rapport de l'inspection générale des affaires sociales sur la prise en charge médico-sociale des personnes âgées apporte les premiers éléments de réponse. Toutefois j'ai demandé une analyse complémentaire sur la soixantaine d'établissements, où le taux de décès pendant la canicule a été supérieur à 20 %. Ils représentent à eux seuls environ 800 décès.
Enfin, sur un plan plus sanitaire, la présence de médecins coordonnateurs dans les maisons de retraite médicalisées sera généralisée par un décret à paraître dans quelques semaines. Avec mon collègue, Ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, nous nous attachons également à créer dans les hôpitaux une filière de prise en charge des personnes âgées par l'individualisation de lits de court séjour gériatrique dans les hôpitaux sièges d'un service d'urgence et par le développement significatif des réseaux gérontologiques.
Le projet de loi répond, par ses titres II et III, à la deuxième grande préoccupation issue de l'après-crise : le renforcement des moyens.
La crise estivale a en effet révélé que l'effort de la société en faveur des personnes dépendantes était insuffisant malgré la création de la PSD puis de l'APA. Le nombre de décès en maison de retraite a souligné des besoins importants de médicalisation en raison de l'évolution démographique de notre pays et de l'augmentation continue de l'espérance de vie. Cette évolution, qui a été qualifiée de " révolution de la longévité ", est un progrès social considérable. Mais elle a aussi son revers : la fragilité du grand âge l'expose plus que d'autres aux risques sanitaires. C'était déjà le cas de la grippe et du froid. Nous savons désormais que c'est le cas aussi des fortes hausses de chaleur.
La mise en place de l'APA et le plan de médicalisation, lié initialement à la réforme de la tarification des maisons de retraite, ont amorcé une réponse collective. Mais ce n'était qu'une esquisse, car l'action engagée n'était pas financée : il manquait 1,2 milliard d'euros fin 2002 pour financer l'APA. Et au rythme du conventionnement tripartite réalisé entre 2000 et 2002 il aurait fallu de très nombreuses années pour renforcer correctement le taux d'encadrement en personnel soignant des maisons de retraite médicalisées.
Le projet de loi accélère et amplifie la réponse attendue. Il ne se contente pas d'annoncer un plan, il le finance. Il le finance aussi sans recourir à un prélèvement obligatoire supplémentaire.
Ce financement propose une double rupture : il est d'abord gagé par la création de richesses nouvelles, c'est-à-dire par une journée de travail supplémentaire dans l'année. Il est ensuite affecté à une caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, afin d'éviter le retour d'anciennes tentations, à l'exemple de la vignette automobile.
Le titre II institue la journée de la solidarité. Comme l'a indiqué le Premier ministre, cette journée trouve son sens autour d'une valeur, qui, je le crois, subsiste dans notre pays : celle de la fraternité. Elle se traduira pour chaque salarié et pour chaque fonctionnaire par une journée de travail supplémentaire non rémunérée.
Dans les trois fonctions publiques cette journée de solidarité correspond dès 2005 au lundi de Pentecôte. Dans le secteur privé, le projet de loi ouvre la possibilité aux partenaires sociaux de la branche ou de l'entreprise de choisir, par la négociation collective, un autre jour que le lundi de Pentecôte.
Le projet de loi introduit les modifications nécessaires du code du travail, notamment pour le régime des heures supplémentaires ou la durée annuelle de travail. Il modifie également le statut de la fonction publique.
En supprimant le lundi de Pentecôte le projet ne porte atteinte à aucune conviction religieuse. Il ne pénalise pas davantage notre pays au plan international : la France restera dans la moyenne des pays européens en matière de jours fériés, au même niveau que la Suède ou l'Irlande. Son mérite est en fait ailleurs : les salariés et fonctionnaires donneront un peu de leur temps, mais ne perdront aucun pouvoir d'achat, à la différence des augmentations de cotisation salariale ou des suppléments d'impôts. Ce sont les employeurs qui restitueront à la solidarité nationale la valeur ajoutée produite par la journée supplémentaire de travail, sous la forme d'une contribution patronale, dont le niveau a été estimé à 0,3 % des salaires et traitements.
Ceux pour lesquels la notion de travail supplémentaire n'a pas de signification seront exonérés de cette contribution. Soit parce qu'ils ont cessé leur vie professionnelle : les retraités. Soit parce que leur temps de travail n'est pas assimilable à un horaire contraint ou organisé : c'est le cas, pour ce qui les concerne eux-mêmes, des travailleurs indépendants ou des agriculteurs.
La même contribution de 0,3 % s'appliquera également aux revenus du patrimoine et des placements, à l'exception des produits de l'épargne populaire comme le livret A.
Cette nouvelle recette permettra de mobiliser chaque année environ 2 milliards d'euros. La transparence du dispositif est absolument nécessaire, car les Français doivent être certains du bien fondé de leur effort. Pour assurer à nos concitoyens que la journée de solidarité correspond bien à des actions supplémentaires au bénéfice des personnes dépendantes, âgées ou handicapées, le produit de cette journée sera entouré d'une garantie : il ne sera pas fondu dans le budget de l'Etat ou dans les comptes de la sécurité sociale, mais affecté à une caisse bien identifiée : la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, à laquelle est consacré le titre III du projet de loi.
Cette caisse est instituée sous forme d'établissement public national à caractère administratif pour assurer sa transparence. Ses dépenses sont destinées tout d'abord à la consolidation du concours national versé aux départements pour la prise en charge de l'allocation personnalisée d'autonomie : 400 millions d'euros s'ajouteront chaque année au 0,1 point de CSG déjà affecté au fonds de financement de l'APA. De plus 400 millions d'euros supplémentaires permettront en 2004 de rembourser par anticipation l'emprunt contracté au titre de 2003. La caisse sera ainsi en mesure de mettre un terme, de manière durable, à la grave impasse financière dont nous avions hérité.
La caisse prendra aussi en charge des dépenses, qui s'ajouteront à celles de l'assurance-maladie sur toute la durée du plan, c'est-à-dire jusqu'en 2008. Elles seront reparties de manière égale entre, d'une part, la compensation du handicap, au titre de la réforme de la loi de 1975 que vient d'engager le gouvernement, et, d'autre part, la mise en oeuvre du plan vieillissement et solidarités annoncé par le Premier ministre le 6 novembre dernier.
Ce plan permettra de médicaliser davantage les maisons de retraite et de créer 10 000 places supplémentaires en établissement, 17 000 places en services de soins infirmiers à domicile et 13 000 places d'hébergement temporaire et d'accueil de jour.
La montée en charge de ce plan sera progressive, au rythme des capacités de recrutement des personnels soignants. Les quotas de formation ont déjà été fortement relevés. Le développement de la validation des acquis de l'expérience élargira encore les possibilités de recrutement.
Le plan mobilisera à lui seul environ 800 millions d'euros par an, qui s'ajouteront aux ressources dégagées chaque année par le projet de loi de financement de la sécurité sociale au titre de l'objectif national des dépenses d'assurance-maladie dans le domaine médico-social. Il renforcera la vie à domicile, conformément à l'attente prioritaire des personnes âgées, tout en améliorant l'accueil médicalisé en établissement, lorsque la vie à domicile n'est plus possible.
D'ores et déjà les dépenses supplémentaires de médicalisation des établissements et services médico-sociaux pour personnes âgées progressent de plus de 300 M, soit +10 %, au titre de l'objectif national des dépenses d'assurance-maladie pour 2004. Cet effort sera amplifié ensuite grâce à la création de la caisse.
Le projet de loi introduit ainsi une amélioration significative de la prise en charge des personnes âgées à domicile comme en établissement. Il n'est toutefois qu'une étape dans une dynamique de modernisation plus vaste de notre système social, qu'illustrent plusieurs réformes proposées actuellement au Parlement.
Le projet de loi relatif aux responsabilités locales devrait élargir dès 2005 les compétences des conseils généraux dans le domaine des personnes âgées : il est examiné en ce moment par votre Assemblée.
De même, le projet de loi " pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des handicaps " devrait rénover les modalités de prise en charge des personnes handicapées : le Sénat vient de l'adopter en première lecture.
Enfin, la réforme en préparation de l'assurance-maladie pourrait elle aussi se traduire par des modifications non seulement financières mais aussi institutionnelles.
Compte tenu de toutes ces évolutions en cours, le projet de loi devra être adapté et complété ultérieurement pour préciser les modalités de fonctionnement de la caisse, notamment en ce qui concerne ses relations avec les conseils généraux et avec l'assurance-maladie.
Pour éclairer les arbitrages à venir, le Premier ministre a confié à deux personnalités, Monsieur BRIET, conseiller maître à la Cour des Comptes, et Monsieur JAMET, directeur général des services du conseil général du Rhône, une mission de concertation et d'expertise. Leur rapport est attendu à la fin mai.
Le projet de loi devrait prendre effet dès le 1er juillet prochain. Il vous propose, sans attendre, de construire un partenariat d'un type nouveau pour répondre à des besoins nouveaux.
En effet, la réforme privilégie, en premier lieu, un mode de gestion décentralisé, fondé sur la proximité et adossé à une organisation nationale garante de l'utilisation exclusive de la nouvelle ressource aux personnes dépendantes.
La nouvelle caisse ne se limite donc pas à un simple fonds de péréquation ; elle ne répartit pas seulement des dépenses, mais les renforce et les démultiplie. Elle ne démembre pas non plus l'organisation actuelle de la sécurité sociale, mais maintient son unité et préserve l'universalité de l'assurance-maladie, en refusant toute prise en charge différenciée des soins aux personnes âgées.
D'autre part, la réforme instaure pour la première fois dans la protection sociale de notre pays une prise en charge globale de la perte d'autonomie due à l'âge ou au handicap, sans préjuger à ce stade des évolutions complémentaires à venir. Je sais que de nouvelles pistes de réflexion ont été ouvertes pour aller plus loin dans la prise en charge de la dépendance : le rapport de votre mission d'information sur la canicule et l'avis récent du Conseil économique et social permettront, le cas échéant, de poursuivre ultérieurement la réforme qui vous est proposée aujourd'hui.
Le projet de loi est, en définitive, tout à la fois pragmatique et ambitieux. Pragmatique, parce qu'il vous propose une démarche évolutive et un financement assuré. Mais ambitieux aussi, parce qu'il représente une véritable avancée face au nouveau défi du vieillissement.
En vous présentant ce dispositif original et audacieux, je ne puis cependant oublier, au fond de moi-même, qu'il a fallu une crise terriblement douloureuse pour précipiter l'action et la prise de conscience de notre société vis-à-vis du sort réservé à ses anciens, qui sont et qui seront de plus en plus nombreux à l'avenir. Ce défi démographique nous ne l'avions pas, de façon collective, suffisamment débattu et anticipé. Cette réflexion m'amène à dire qu'il n'est rien de plus périlleux pour notre modèle social que le statu quo et les certitudes intellectuelles.
(source http://www.social.gouv.fr, le 18 mars 2004)