Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à Europe 1 le 10 août 2005, sur la position de l'UDF concernant le contrat nouvelles embauches et la lutte contre le chômage.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-M. Dhuez - Est-ce qu'il ne va pas y avoir encombrement au Conseil d'Etat ? Vous avez l'intention de le saisir sur la privatisation des sociétés d'exploitation d'autoroute, et hier, c'est la CGT qui a déposé un recours concernant, cette fois, les contrats "nouvelles embauches". Est-ce que vous allez suivre la CGT sur ces CNE qui sont entrés en vigueur la semaine dernière ?
R - Je suis très sceptique sur le CNE et très réservé. D'abord, parce que je pense que dans un pays démocratique normal, cela aurait du être adopté par un débat à l'Assemblée nationale et au Sénat...
Q - ...Et non pas par ordonnances ?
R - Et non pas par ordonnances, non pas dans le creux de l'été, mais par un véritable débat démocratique, comme cela doit être le cas chaque fois qu'une décision importante est prise. Deuxièmement, je trouve que ce nouveau contrat qui va évidemment se substituer au CDD, qui est marqué par une seule disposition, c'est qu'on pourra licencier à l'instant, pendant deux ans, la personne qu'on a embauchée, et donc, notamment des jeunes ou des gens qui reviennent à l'emploi. Ce CDD, à mon sens, n'est pas susceptible de faire revenir la confiance. Mettez-vous à...
Q - De faire revenir l'emploi, peut-être ?
R - Je ne crois pas non plus - je vous répondrai dans une seconde. Mettez-vous à la place de quelqu'un qui est embauché ainsi : pendant deux ans, il ne va pas pouvoir faire un emprunt, il ne va pas pouvoir prendre un logement, il ne va pas pouvoir demander à sa banque de lui prêter de quoi acheter une voiture, même à un prix faible, parce qu'il sera sous le coup d'une très grande précarité et licenciable à l'instant. Et je trouve que cela ne va pas dans le bon sens de concentrer ainsi la flexibilité sur les plus jeunes et sur les nouveaux embauchés qui vont, pendant deux ans, être en situation instable. Il me semble que ce n'était pas notre vocation et que ce n'est pas cela qui fera revenir l'emploi. Parce que pour répondre à la question que vous avez posée, au fond, une entreprise, pourquoi n'embauche-t-elle pas ? Elle n'embauche pas premièrement parce qu'elle n'a pas le travail nécessaire, la charge de travail nécessaire et cela, c'est une question de croissance. Et donc, la politique de retour à la croissance est absolument essentielle ; elle n'est pas abordée pour l'instant. Ou elle n'embauche pas, parce qu'elle aurait le travail, mais que, ce que lui coûte le salaire plus les charges est trop important. Il y a une véritable question sur le coût du travail, notamment dans les toutes petites entreprises. Voilà les deux questions principales. Je ne crois pas que la plupart des entreprises refusent d'embaucher, simplement parce que l'idée leur viendrait qu'elles ne pourraient pas licencier à l'instant. Il me semble que cette réflexion n'est pas une réflexion juste.
Q - Vous dénoncez effectivement le fait que ce contrat nouvelles embauches soit entré en vigueur au creux de l'été, comme vous dites. Le gouvernement explique qu'il fallait agir vite, justement pour l'emploi, et tout particulièrement pour les très petites entreprises, qu'il y avait urgence.
R - Je pense qu'on aurait très bien pu décider vite et qu'on aurait pu le faire à l'issue d'un débat à l'Assemblée nationale et au Sénat, que cela aurait été la vocation de l'Assemblée nationale et du Sénat, du Parlement en France. Il suffisait de décréter l'urgence et d'étudier ces mesures une par une. Pour ma part, il en est au moins deux que j'aurais votée.
Q - Malgré tout.
R - J'aurais voté la disposition sur les seuils, qui assouplit les seuils, qui en effet - je pense notamment aux seuils de cinquante salariés - sont un frein pour les entreprises. Peut-être aurait-on dû examiner l'idée de les assouplir plus qu'ils ne l'ont été, parce qu'ils l'ont été vraiment uniquement à la marge. Il y a une deuxième disposition que j'aurais votée, que je trouvais bien, même si elle n'est pas très importante en nombre, c'est celle qui fait sauter les limites d'âge pour l'entrée dans la fonction publique, permettant ainsi à des personnes ayant eu une autre expérience professionnelle d'entrer dans la fonction publique. J'aurais voté ces des mesures.
Q - Concernant le chômage, il y a une tendance à l'amélioration, mais vous, vous faites partie de ceux qui dénoncent, qui contestent cette tendance. Pour quelle raison ? C'est toujours votre point de vue ?
R - S'il y avait une tendance à l'amélioration, je la saluerais, je serais de ceux qui s'en réjouissent, naturellement, étant donné la situation de crise de la France. Mais ce n'est pas ce que disent les chiffres. L'amélioration a été obtenue uniquement par une seule décision, une seule politique, c'est rayer le plus de gens possible des listes de l'ANPE. Ces gens-là, naturellement, on les retrouve au RMI, mais le chiffre du retour à l'emploi, le chiffre de ceux, parmi les Français au chômage, qui retrouvent un emploi n'a probablement jamais été aussi bas. Il était de 81.000, je crois, pour le mois de juin, contre 86.000 en mai et 86.000 au mois de juin précédent. Donc, vous voyez que les chiffres ne disent pas qu'il y a une amélioration forte. Je pense qu'il est juste que l'on mette devant les Français les véritables faits, que nous puissions examiner la situation de notre pays, sans préoccupation de communication ou d'avantages pour les uns ou les autres.
Q - On faisait allusion tout à l'heure à la privatisation des sociétés d'autoroutes ; c'est dans douze jours maintenant que les candidatures seront closes. Très rapidement, vous avez dénoncé la procédure. Depuis, quand même, il y a eu des propos, peut-être rassurants du Premier ministre : par exemple, il s'est engagé à rendre compte de cette privatisation devant le Parlement, cela vous satisfait-il ou pas ?
R - Oui, mais vous voyez cette phrase que vous venez de prononcer, "le Premier ministre s'engagerait à rendre compte devant le Parlement", ce n'est pas une phrase de démocratie.

Q - C'est quoi alors ?
R - Le Parlement, ce n'est pas un lieu où l'on rend compte, ce n'est pas un lieu d'information, le Parlement c'est un lieu de décision. Il s'agit de vendre à des intérêts privés, les sociétés concessionnaires d'autoroutes qui vont rapporter très gros dans les années qui viennent parce que les emprunts viennent à leur terme, les autoroutes ont presque finies d'être payées. Et donc, il s'agit de vendre à des intérêts privés ce qui a été le fruit du péage et des impôts des Français. Il n'appartient pas au Gouvernement de le faire sans rien dire, sans rien en dire à personne, cela appartient aux représentants du peuple de dire si oui ou non c'est une bonne décision que l'on doit prendre.
Q - Comme pour les contrats nouvelles embauches ?
R - Non, mais les contrats nouvelles embauches, là, la loi permettait de le faire. Selon moi, la loi ne permet pas au Gouvernement de décider seul, sans l'accord du Parlement une décision de privatisation des sociétés d'autoroutes parce que l'Etat est majoritaire dans les sociétés d'autoroutes. Et donc, vous voyez que j'ai avec le Gouvernement un débat sur le fond : est-ce une bonne décision de vendre les sociétés concessionnaires d'autoroutes à des intérêts privés, alors qu'elles vont rapporter gros ? Ma réponse est non ! Cet argent sera enfoui dans l'immense déficit de l'Etat, qui est un tonneau sans fond, et dans quelques semaines, il n'en restera plus rien. Je préfère, comme l'avait décidé le gouvernement de monsieur Raffarin, qu'on garde le revenu de ces autoroutes pour financer les grands travaux dont la France a besoin, c'est-à-dire TGV, ferroutage, grands équipements fluviaux par exemple, qu'on ne pourra pas payer autrement. Et deuxièmement, je pense que le Gouvernement n'a pas le droit d'en décider tout seul. C'est pourquoi le Conseil d'Etat aura le pouvoir, comme juridiction, de dire que cette décision n'est pas légale.
Q - Donc, contestation sur le fond, sur la forme. Toujours en matière de transport, la SNCF a confirmé qu'elle s'apprêtait à supprimer pour l'hiver prochain certains trains Corail sur trois lignes interrégionales. Les syndicats, plusieurs présidents de région dénoncent le projet ; est-ce que, selon vous, la SNCF et l'Etat sont en train d'écorner la notion de service public, comme le leur reprochent les syndicats et ces présidents de région ?
R - Une réflexion plus large : il y a en France une très grande inquiétude autour de certaines régions ou certaines parties de régions qui se sentent abandonnées, un monde rural qui se sent abandonné, comme les banlieues, d'un autre côté, se sentent souvent abandonnées. Il y a, de ce point de vue, une action d'aménagement du territoire et on ne peut pas dire que le service public doit s'en laver les mains. J'entends bien que la SNCF dit à juste titre "on nous impose d'être à l'équilibre". Cependant, il y a pour de grandes entreprises qui ont un monopole comme celle-là, une obligation de service public, qui doit être remplie et ne peut pas être, à mon avis, rayée d'un trait de plume.

Q - La crise maintenant autour du nucléaire iranien qui préoccupe la communauté internationale depuis plusieurs jours, plusieurs semaines. Ce matin, on oscille entre espoir de négociations et reprise du programme nucléaire iranien ; est-ce qu'il faut laisser faire Téhéran ou pas ?
R - Vous voyez qu'on est là devant une très grande crise, très inquiétante pour l'avenir. Parce que si vous ajoutez toutes les crises et tous les drames du Moyen-Orient, plus le pétrole, plus le nucléaire, plus la crise interne et peut-être externe avec l'islam ou à l'islam, alors vous voyez qu'on est devant une situation, en effet, extrêmement dangereuse et explosive. Je pense que le chemin que suit l'Europe, même s'il est difficile, les trois puissances, France, Angleterre, Allemagne, qui représentent l'Union européenne face à l'Iran, le chemin qu'elles suivent, même s'il est difficile, il est juste. C'est-à-dire, jusqu'au bout, essayer de négocier pour convaincre les Iraniens qu'ils s'engagent sur une voie qui est extrêmement dangereuse pour eux et extrêmement dangereuse pour le monde.
Q - Vous partagez la position du...
R - Il faut le faire naturellement avec beaucoup de prudence, parce que ceux qui s'adressent ainsi à l'Iran, ce sont des puissances nucléaires. Et donc l'Iran a beau jeu de dire "mais vous, vous avez fait ce chemin". Oui, mais le monde s'est engagé depuis plusieurs années dans une politique partagée par tout le monde de non-prolifération. On ne peut pas laisser se multiplier les armes nucléaires, parce qu'un jour ou l'autre, il y aura là un drame et nous savons que ce drame est évitable avec de la fermeté.
Q - Pas de prolifération, donc ?
R - Voilà.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 11 août 2005)