Interview de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à "RTL" le 11 octobre 2005, sur les négociations en cours avec les syndicats de la SNCM avant la cessation de paiement de l'entreprise.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


Jean-Michel Aphatie : Bonjour, Thierry Breton.
Thierry Breton : Bonjour, Jean-Michel Aphatie.
Jean-Michel Aphatie : Soyons précis, ce matin. A quel moment, Thierry Breton, si le travail ne reprend pas, déciderez-vous de déposer le bilan de la Société Nationale Corse Méditerranée ?
Thierry Breton : Ce n'est pas l'Etat, Jean-Michel Aphatie, qui va décider de ce qui va se passer.
Jean-Michel Aphatie : L'Etat est actionnaire principal. C'est vous qui donnerez le feu vert !
Thierry Breton : Non. Ne mélangeons pas tout. Ici, on va faire de la pédagogie. C'est l'entreprise : il s'agit d'une entreprise commerciale. Hier soir, Jean-Michel Aphatie, le Conseil d'Administration de cette entreprise commerciale s'est réuni à la demande des Commissaires aux Comptes qui ont exercé leur devoir d'alerte, car la situation est grave.
Ils ont fait le point, et ils ont vu ensemble, en présence des administrateurs salariés, que l'entreprise, si jamais celle-ci n'avait plus de recettes - elle n'en n'a plus depuis 20 jours - et bien, effectivement serait en cessation de paiement, à la fin de l'année.
Jean-Michel Aphatie : A la fin de la semaine !
Thierry Breton : A la fin de la semaine, pardon. A la fin de la semaine, ça veut donc dire que, il faut maintenant, impérativement, avoir de nouveau des recettes. Je rappelle que l'entreprise opère, depuis plusieurs mois, sous le regard du Tribunal de Commerce. Ce n'est pas l'actionnaire, encore une fois, dont il s'agit, c'est une entreprise commerciale qui opère dans un champ concurrentiel et, aujourd'hui, effectivement, il n'y a plus de travail.
Jean-Michel Aphatie : C'est une entreprise commerciale, Thierry Breton, mais enfin, un peu particulière puisqu'hier encore, vous étiez à Marseille. Vous avez informé complètement tous les syndicats du contenu du plan de reprise que vous proposez, d'un nouveau tour de table. Est-ce qu'il y a encore quelque chose, Thierry Breton, à discuter aujourd'hui avec les syndicats de la S.N.C.M, et notamment avec la C.G.T ?
Thierry Breton : C'est une entreprise commerciale mais, effectivement, l'Etat en est actionnaire. Et voyez-vous, depuis que, maintenant, avec Dominique Perben, à la demande du premier ministre, j'essaie, de toutes mes forces, de trouver une solution pour cette entreprise, pour les 2.400 salariés, pour les familles de ces salariés mais également pour les missions qui sont exercées par cette entreprise.
Effectivement, je crois qu'on pourra voir et on pourra dire que nous n'avons pas ménagé notre peine avec Dominique Perben. Jamais dans l'histoire de la république, deux ministres avaient décidé de venir : quatre fois pour Dominique Perben, trois fois pour moi, pour rencontrer, pendant des heures, l'ensemble des organisations syndicales. Est-ce que je m'en plains ? Non. Est-ce que c'est mon travail ? Oui. Mais il y a un moment...
Jean-Michel Aphatie : Est-ce que vous avez échoué ?
Thierry Breton : Absolument pas. Nous avons, encore une fois, expliqué, expliqué. Les demandes sont légitimes. Ceci dit, à partir du moment où cette entreprise, depuis maintenant des années, ne peut plus tenir ses engagements. A partir du moment où l'Etat a joué son rôle, et où on est dans un cadre réglementaire - et dans un Etat de droit - il y a un moment où l'on ne peut plus mettre de l'argent en appliquant le système droit. C'est ce qui s'est passé.
Alors, moi, j'ai expliqué, effectivement, à l'ensemble des organisations syndicales ce qui se passait. Vous savez, Bernard Thibault a écrit une lettre - le secrétaire général de la C.G.T - au premier ministre. Il a demandé d'accepter de renouer dimanche, sans attendre le dialogue en vue de définir les garanties assurant la pérennité de la S.N.C.M dans des aspects industriels, sociaux et financiers.
Je suis descendu, avec Dominique Perben, dès le lundi, dès le lendemain, et j'ai expliqué qu'on aurait le maintien des statuts des personnels, hier matin. Aucun licenciement sec, un projet industriel fondé sur la desserte de la Corse et sur le Maghreb, le renouvellement de la flotte avec la commande d'un ferry rapide, la présence de l'Etat au capital, pendant 4 ou 5 ans, pour assurer le redressement, la présidence du Conseil de Surveillance assurée par l'Etat jusqu'à la fin de la concession. Au regard de cela, voyez - j'ai ici le document - les syndicats.
Jean-Michel Aphatie : C'est un document de Force Ouvrière.
Thierry Breton : Celui-ci est de Force Ouvrière, la C.F.T.C, la C.G.C.
Jean-Michel Aphatie : De votre point de vue, Thierry Breton, la balle est maintenant dans le camp de la C.G.T ?
Thierry Breton : Alors, il y a effectivement la C.G.T. - on a créé tout ça - La C.G.T.
Jean-Michel Aphatie : Syndicat très majoritaire à la S.N.C.M.
Thierry Breton : La C.G.T qui essaie, effectivement, de voir s'il y a d'autres solutions. Nous l'avons expliqué : nous ne sommes pas des idéologues.
Jean-Michel Aphatie : Y a-t-il d'autre solution ?
Thierry Breton : Nous ne sommes pas des idéologues. Non, il n'y a pas d'autre solution, aujourd'hui, que la solution proposée et mise sur la table. Cette solution - je le rappelle - dans laquelle l'Etat gardera 25%. Si on avait pu faire en sorte que l'Etat garde plus : il n'y a aucun problème. Il n'y a pas d'idéologie.
Le seul problème, c'est qu'on est dans un cadre concurrentiel. Que ces deux entreprises, aujourd'hui - notamment les autres, les concurrents - opèrent dans un cadre concurrentiel et qu'il faut le respecter, il faut le comprendre. On ne vit plus dans une bulle, Jean-Michel Aphatie.
Jean-Michel Aphatie : Donc, si d'ici à samedi, la C.G.T n'a pas demandé aux salariés de la S.N.C.M de reprendre le travail : lundi, c'est le dépôt de bilan, Thierry Breton. C'est ça ?
Thierry Breton : Pas d'ostracisme. Pas d'ostracisme. Je dis tout simplement : j'en appelle aujourd'hui à la responsabilité de chacun. L'Etat a pris ses responsabilités. Maintenant, c'est aux salariés de prendre les leurs.
Jean-Michel Aphatie : A la C.G.T. de la prendre. Pourquoi ne pas dire les choses, Thierry Breton ?
Thierry Breton : A l'ensemble des salariés.
Jean-Michel Aphatie : A la C.G.T. de la prendre. Pourquoi ne pas dire les choses ?
Thierry Breton : A l'ensemble des salariés. Attendez, attendez : il y a les organisations syndicales et il y a les salariés. J'en appelle donc, directement, à la responsabilité de l'ensemble des salariés. Les négociations sont là. On continuera à discuter.
Jean-Michel Aphatie : De quoi ?
Thierry Breton : Dans le cadre effectivement de la mise en oeuvre de ce plan. Parce que, si vous voulez, maintenant, il faut discuter dans le cadre des instances de personnel. Ce n'est pas à l'Etat à négocier tout cela. Nous avons fait, nous, notre travail d'explication. Maintenant, c'est à l'entreprise de prendre son destin en mains.
Si jamais, aujourd'hui, elle a la possibilité de le faire, je dis - de façon très grave, ce matin - c'est que, si jamais, ce destin n'est plus dans les mains de l'entreprise, mais dans celles du Tribunal de Commerce, alors c'est un autre avenir, alors c'est l'inconnu.
Jean-Michel Aphatie : Pour vous, ce matin, Thierry Breton, ministre de l'Economie et des Finances, l'hypothèse du dépôt de bilan de la S.N.C.M est une hypothèse forte. C'est une hypothèse avec laquelle vous vivez, ce matin, Thierry Breton ?
Thierry Breton : J'ai lu - comme vous - le communiqué du président du Conseil d'Administration à l'issue duquel, hier soir, il a indiqué très clairement que, si jamais il n'y avait plus de recettes dans cette entreprise avant la fin de la semaine, elle sera en cessation de paiement.
Jean-Michel Aphatie : Vous ne pourrez plus rien faire pour l'empêcher, Thierry Breton ?
Thierry Breton : Encore une fois, nous ne pouvons pas mettre d'argent. Ce n'est pas de la mauvaise volonté parce qu'on est sous le regard du juridique et, attention, à partir du moment où on est sous ce regard-là, alors, c'est un autre monde.
Jean-Michel Aphatie : Donc, la balle est bien dans le camp de la C.G.T. pour dire les choses telles qu'elles sont !
Thierry Breton : Je les laisse tous à leurs responsabilités.
Jean-Michel Aphatie : Vous attendez de quelqu'un qu'il opère une dernière médiation dans ce dossier, Thierry Breton ?
Thierry Breton : Il n'y a pas de médiation, il y a uniquement la prise de responsabilité, aujourd'hui.
Jean-Michel Aphatie : On fait un lien dans la presse, souvent, entre la S.N.C.M et E.D.F. E.D.F. doit avoir 15% de son capital donné à quelqu'un. On a dit que ce capital serait mis sur le marché. Est-ce que vous le confirmez, ce matin, Thierry Breton ?
Thierry Breton : Jean-Michel Aphatie, je m'excuse de vous reprendre, mais il ne s'agit pas de "donner du capital". Soyons modernes. Expliquons les choses comme elles sont ! Il s'agit de réaliser une augmentation de capital, c'est-à-dire de faire en sorte que...
Jean-Michel Aphatie : Sur le marché ?
Thierry Breton : Bien sûr. Une augmentation de capital, par définition, se fait sur le marché. Le premier ministre l'a rappelé de façon très claire dans son discours de politique générale. Alors, bon, j'ai lu aussi, comme vous.
Jean-Michel Aphatie : On dit qu'une alliance industrielle ou un investisseur institutionnel pourrait rentrer au capital d'E.D.F plutôt que de mettre ces 15% sur le marché ?
Thierry Breton : C'est une augmentation de capital dont on parle. Le premier ministre l'a ré-indiqué. Le sujet, c'est quoi : c'est de faire en sorte que cette entreprise ait les moyens de son développement et, donc, il y avait un certain nombre de paramètres. On a demandé à l'entreprise de se préparer.
Reste encore deux sujets sur lesquels nous attendons l'entreprise. Le premier, c'est la finalisation du contrat de service public - je crois que c'est bientôt fait. Le second, c'est un plan d'investissement pluri-annuel car, si jamais nous faisons ceci, c'est précisément pour permettre à l'entreprise de récupérer des fonds : on parle de 6,7, 8 milliards d'euros de façon à pouvoir investir. On attend encore ça et à partir de ce moment-là.
Jean-Michel Aphatie : La mise sur le marché de ce capital, cette augmentation de capital, se fera-t-elle par le marché ou pas ?
Thierry Breton : J'ai indiqué que, précisément, il fallait que ça se fasse entre l'automne, à l'automne - l'automne vient de commencer - ça se finit le 21 décembre. On a donc maintenant trois mois pour attendre que l'entreprise soit prête. Elle l'est presque.
Jean-Michel Aphatie : Vous ne répondez pas directement à la question, Thierry Breton !
Thierry Breton : Si, attendez !
Jean-Michel Aphatie : Je suis désolé, vous ne levez pas l'ambiguïté qui existe depuis jeudi soir !
Thierry Breton : Quelle ambiguïté !
Jean-Michel Aphatie : Les 15%.
Thierry Breton : Je ne savais certainement pas qu'il y a un lien entre la S.N.C.M et E.D.F, je peux vous le confirmer. La vie est plus compliquée que ça, Jean-Michel Aphatie !
Jean-Michel Aphatie : L'augmentation de capital devait passer par le marché boursier. Est-ce que vous confirmez que ça se fera comme ça et pas autrement ?
Thierry Breton : Jean-Michel Aphatie, une réponse très simple : 7 milliards d'euros, c'est beaucoup d'argent. Et ça sert à ça, les marchés financiers.
Jean-Michel Aphatie : Thierry Breton, votre réponse très simple entretien une certaine opacité sur le dossier E.D.F !
Thierry Breton : Absolument pas, absolument pas. 7 milliards d'euros, c'est les marchés !
Jean-Michel Aphatie : C'est fini. Bonne journée.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 octobre 2005)