Interview de M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, à "La Chaîne info" le 28 avril 2005, sur la position de la fonction publique sur la suppression du lundi de Pentecôte comme jour férié et sur la solidarité avec les personnes âgées et les handicapés.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- Le Premier ministre va vous réunir tout à l'heure pour faire le point sur ce fameux lundi de Pentecôte, qui devrait être une journée travaillée. A quoi va servir cette réunion, alors que l'on voit déjà que le lundi de Pentecôte est un véritable fiasco, puisqu'il semble incompris par une bonne partie de la population, il semble contesté par les organisations syndicales, il est même boycotté par un certain nombre de collectivités territoriales ?
R- D'abord à expliquer. Parce qu'au fond, qu'y a-t-il derrière ce lundi de Pentecôte ? Il y a la solidarité. Sommes-nous, en France, solidaires des personnes handicapées et des personnes âgées dépendantes ? Est-on capables, aujourd'hui en France, de passer d'une société d'égoïsme et d'hypocrisie, à une société de solidarité et d'attention, à ces concitoyens qui vont être de plus en plus nombreux ? Quand j'aurai 80 ans, nous serons 7 millions à avoir plus de 80 ans, et nous sommes déjà en France 1 million de personnes de plus de 80 ans.
Q- Mais la loi date déjà d'un an, donc l'explication n'a-t-elle pas été assez faite, n'a-t-elle pas été assez entendue ?
R- L'explication a été faite. Mais vous savez, c'est toujours au moment où l'on se rapproche de l'échéance que les oreilles s'ouvrent. Donc il faut expliquer. Et je crois que les Français sont tout à fait capables de comprendre que la solidarité, ce n'est pas une solidarité formelle, abstraite, la solidarité qui est bonne pour les autres. C'est une solidarité qui va engager chacun d'entre nous. Et comment ? En travaillant plus. Parce qu'il y a deux solutions : ou bien on augmente les impôts, ou bien on travaille plus. Le Gouvernement a choisi de travailler plus. Et c'est ce qui va se passer ce lundi de Pentecôte.
Q- Vous allez lancer une campagne d'explication, vous venez de le dire, qui devrait commencer le 3 mai. N'allez-vous pas dépenser beaucoup d'argent pour faire cette campagne d'explication destinée à un lundi qui devrait rapporter de l'argent pour la solidarité ? Avez-vous déjà un coût pour cette campagne ?
R- Vous savez que ce que va rapporter ce lundi de solidarité, c'est 2 milliards d'euros, c'est considérable ! 1,2 milliard d'euros pour les personnes âgées...
Q- Si cela marche...
R- Non, c'est déjà acquis. Je vais vous donner l'exemple de la fonction publique. Que se passe-t-il dans la fonction publique ?
Q- Attendez, on va parler tout de suite de la fonction publique, mais je reste un instant sur la campagne : c'est une campagne très importante que vous allez lancer...
R- Mais c'est une campagne... Je fais une campagne en ce moment devant vous pour le lundi de Pentecôte... Vous savez, on ne va pas dépenser beaucoup d'argent pour cela. Ce qui est important, c'est que les Français comprennent bien qu'il y a des personnes âgées, qu'il y a des personnes handicapées, que l'on ne peut pas les laisser au bord de la route, et qu'il y en a assez de l'hypocrisie qui consiste à dire : oui, je suis solidaire mais je ne veux pas que cela me prenne de temps, et je ne veux pas que cela me coûte de l'argent. Cela, c'est l'hypocrisie. Si l'on veut que tout le monde soit solidaire... Prenons l'exemple des fonctionnaires...
Q- Vous avez, effectivement, six fédérations de fonctionnaires qui appellent à faire de cette journée, une journée de manifestation, voire de grève...
R- Pour l'instant, ils n'ont pas appelé à la grève. Et les fonctionnaires que je rencontre aujourd'hui sont des gens très responsables. Les fonctionnaires ont le sens du service public, donc le sens de la solidarité. Et beaucoup de fonctionnaires que je rencontre, aujourd'hui, savent que tous les Français doivent faire quelque chose pour leurs concitoyens âgés ou handicapés. Donc, sur le principe, il n'y a pas de discussion. Et l'Etat doit être exemplaire, l'Etat doit donner l'exemple, c'est ce qu'il va faire le lundi de la Pentecôte. J'ai pris un décret, le Premier ministre l'a signé, qui fait passer la durée annuelle du travail de 1600 heures à 1607 heures. En contrepartie, l'Etat va donner à la Caisse d'autonomie 0,3 % de sa masse salariale, donc il va apporter de l'argent pour les personnes âgées et pour les personnes handicapées. Et il va apporter cet argent grâce à ce travail supplémentaire des fonctionnaires.
Q- Deux questions qui se posent. Il y a trois fonctions publiques, dont la fonction publique territoriale notamment. Un certain nombre de collectivités territoriales, comme il y a quelques heures l'Ile-de- France, ont décidé que ses bureaux seraient fermés. Que dites-vous à ces fonctionnaires territoriaux ?
R- Alors, d'abord cette région devra également participer financièrement à l'effort de solidarité, c'est-à-dire que, elle aussi, aura à verser 0,3 % de sa masse salariale à la Caisse de solidarité. Premier point....
Q- M. Huchon a dit qu'il le ferait...
R- Bien sûr. C'est important, cela veut dire que la solidarité financière va avoir lieu. Mais la solidarité républicaine ne va pas avoir lieu, c'est-à-dire que cette région considère qu'elle n'a pas à manifester, par ce lundi e Pentecôte, sa solidarité avec les personnes âgées, les personnes dépendantes ou handicapées....
Q- Le condamnez-vous ?
R- Je crois que les Français doivent s'interroger sur ce socialisme égocentriste, qui considère que, oui, on est d'accord pour être solidaires, mais que, quand on est au pied du mur, eh bien, là, il n'y a plus personne. Donc, je pense que c'est quelque chose qui doit quand même poser un certain nombre de questions sur le décalage entre les discours sur la solidarité et la réalité de l'action en faveur de la solidarité.
Q- Si, puisque cela a été envisagé, bien que ce ne soit pas encore décidé, il y avait des grèves dans la fonction publique, considérez-vous ces grèves comme illégales ?
R- Là, le droit commun s'applique, en matière de grève...
Q- Jusque dans une grève que l'on ferait pour ne pas travailler ?
R- Premièrement, comme l'a dit la Cour de cassation, une grève ne peut pas être organisée pour obtenir sa propre satisfaction. Donc, dans ce cas-là, la grève est illégale. Et deuxièmement, lorsque la grève est réalisée dans la fonction publique, vous le savez, il y a une retenue sur salaire qui est appliquée à tous ceux qui n'ont pas travaillé, puisque le lundi de Pentecôte est un jour normal. Donc, c'est le droit commun. Ce lundi, c'est un jour comme les autres, c'est-à-dire, que c'est un jour où l'Etat ouvre ses portes, travaille et où tous les fonctionnaires travaillent. Ce n'est pas du travail forcé. Les fonctionnaires sont responsables, ils savent très bien qu'il faut faire un effort pour les autres générations. Et c'est cela qui est beau dans ce lundi de Pentecôte. Au lieu de regarder les choses par le petit bout de la lorgnette, comme beaucoup le disent, essayons d'être solidaires, et solidaires dans la générosité et pas dans la plainte et les atermoiements, comme c'est souvent malheureusement le cas dans notre pays.
Q- Que pensez-vous de la solution qui a été retenue par L. Gallois, qui est de convertir cette journée de Pentecôte entre 1 minute et 52 secondes, répartie quotidiennement sur l'année ?
R- Je crois que, là, il y a eu une confusion aussi sur ce lundi de Pentecôte à la SNCF. Le lundi de Pentecôte, la SNCF, a les portes ouvertes, et les trains vont rouler, et les cheminots vont travailler le lundi de Pentecôte. C'est important de le rappeler. Le lundi de Pentecôte, il y aura des trains qui vont rouler en France. Simplement, ce qui va se passer, c'est que, en termes de rémunération, c'est la rémunération des jours fériés qui va s'appliquer, donc les cheminots vont gagner un peu plus qu'un jour ordinaire. C'est le choix qui a été fait par la SNCF. Si la SNCF a suffisamment d'argent pour choisir cette solution, très bien. Mais à condition qu'elle ne vienne pas ensuite réclamer des subventions à l'Etat, parce que ce serait alors contradictoire.
Q- Que pensez-vous de cette fédération des parents d'élèves quiappelle les parents à ne pas envoyer les élèves à l'école le lundi de Pentecôte ?
R- J'ai des enfants et ils ont des grands-parents qui ont plus de 80 ans. Et ils voient ce qui se passe lorsqu'on est très âgé... Peut-on dire aujourd'hui à nos enfants : ne vous préoccupez pas "des anciens", cela ne compte pas, cela n'a aucune importance ?! Non, je ne le crois pas. La République, c'est la solidarité. Les Français veulent du social. Ils le disent à propos du Traité européen, ils disent : nous voulons une Europe plus sociale. Alors, si on veut une Europe plus sociale, et que l'on dit "non" au social quand on le propose, c'est-à-dire au pied du mur, au moment où il faut prendre les décisions, il y a une contradiction. Nous ne devons pas vivre dans cette contradiction et il faut que nos enfants soient les premiers concernés par la solidarité envers les personnes handicapées et envers les personnes âgées. Donc, je crois que cela n'est pas du civisme que de dire aux enfants : détournez-vous de ceux qui ont besoin de la solidarité aujourd'hui.
Q- La CFTC a déposé un recours auprès du Conseil d'Etat, qui doit rendre son avis lundi. Craignez-vous que le Conseil d'Etat déclare "illégale" cette mesure ?
R- Non. D'abord, la mesure a été par le loi, c'est donc la loi votée par le Parlement qui s'applique, et le Conseil d'Etat n'est pas juge de la loi. La loi s'applique et il n'y a aucune raison qu'elle puisse être entamée par quelque manuvre procédurière que ce soit. Je crois que cette loi, il faut lui redonner son sens essentiel, qui est la solidarité. Dès que l'on s'écarte de cela pour entrer dans des querelles ou de la politique, on perd cet idéal, qui a été, je crois, un beau mouvement. Et souvenez-vous du moment de la canicule, où on a senti que tout le pays était conscient qu'il y avait des choses à faire.
Q- Précisément, quand vous voyez l'attitude, la réaction de nombre de fonctionnaires et d'organisations syndicales fonctionnaires, croyez-vous encore possible d'ouvrir le chantier que vous voulez ouvrir, de la réforme de la fonction publique ?
R- Bien sûr, bien sûr. Je passe beaucoup de temps à rencontrer les fonctionnaires. Dans chaque capitale régionale je rencontre 400, 500, 600 fonctionnaires. Et ce qu'ils me disent, c'est qu'ils sont dans un système verrouillé, qu'ils ont envie d'autre chose : plus de mobilité, plus de reconnaissance de la manière de servir, plus de modernité. On va leur apporter ce qu'ils demandent. Les fonctionnaires sont beaucoup plus modernes qu'on ne le croit. Trop souvent, on en fait des conservateurs, ce n'est pas le cas, et j'ai confiance dans cet esprit d'initiative des fonctionnaires aujourd'hui.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 29 avril 2005)