Déclaration de M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur le cinéma dans les pays du Sud, notamment le cinéma francophone, et l'action de la France en sa faveur, Paris le 20 mars 2004.

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Circonstance : Journée internationale de la francophonie : débat avec les professionnels du cinéma arabe et africain francophone, à Paris le 20 mars 2004

Texte intégral

Monsieur le Président de l'Institut du Monde arabe,
Mesdames et Messieurs les Réalisateurs et les Professionnels du cinéma,
Je me réjouis que l'Institut du Monde arabe, dont le dynamisme en matière culturelle est bien connu, ait pris l'initiative de cette rencontre.
Le cinéma est devenu un vecteur essentiel du dialogue entre les cultures. Il est donc, comme plus largement l'audiovisuel, l'enjeu principal du débat sur la diversité culturelle. Pourquoi ? Parce qu'il touche de très larges publics, et parce qu'il est sans doute l'une des formes de création les plus menacées par le risque de standardisation et par les conséquences qu'aurait la seule loi du marché, si elle devait s'appliquer sans limite.
L'assemblée que vous composez témoigne précisément de la diversité et de la richesse culturelle du monde arabe comme de celle du continent africain. Vous incarnez cette diversité dans le domaine de la création cinématographique, qu'il faut préserver et faire vivre.
Vous le savez sans doute, chaque année, le 20 mars, nous fêtons la Francophonie. La francophonie c'est la langue que nous avons en partage, qui est un trait d'union entre les civilisations et les identités qui la composent.
Mais la Francophonie c'est aussi une organisation internationale de 56 pays. Cette organisation a été la première à s'engager en faveur de la diversité culturelle.
L'objectif aujourd'hui est de faire de cette diversité culturelle une véritable règle juridique. C'est dans cette optique qu'une majorité de pays, dont le fer de lance a été l'OIF, a décidé de confier, lors de la dernière assemblée générale de l'UNESCO, en octobre dernier, au directeur général de cette organisation, M. Koïchiro Matsuura, le soin d'élaborer avant 2005 un projet de convention internationale sur la diversité culturelle.
Cette convention que nous appelons tous de nos voeux devra affirmer que les biens culturels ne sont pas des marchandises et que leur nature spécifique justifie qu'ils échappent aux règles du commerce international fixées par l'Organisation mondiale du Commerce (OMC). Elle définira un cadre juridique particulier qui permettra aux Etats d'avoir le droit et les moyens de mettre en oeuvre des politiques culturelles de protection, d'aide à la création.
Les pays francophones sont pleinement engagés dans la négociation qui a débuté. Ils ont délégué des experts, se concertent entre eux, au sein de l'UNESCO et de l'Organisation internationale de la Francophonie où les travaux vont bon train.
Mais, ne nous faisons pas d'illusion : derrière ce débat, il y a un combat. Des intérêts puissants sont en jeu. Les grandes compagnies multinationales, principalement américaines, mobilisent tous leurs moyens pour obtenir la libéralisation totale des échanges y compris pour les produits culturels. C'est évidemment leur intérêt car cela ouvre pour elles des débouchés considérables pour écouler leurs productions.
Mais que resterait-il des cinémas égyptiens, marocains, tunisiens, vietnamiens, français et des autres, si cette logique purement commerciale l'emportait ? Si les Etats perdaient toutes possibilités de soutenir leurs créateurs ?
Les gouvernements des pays membres de la Francophonie doivent être très vigilants, à cet égard, sur les dangers que présenterait, dans cette perspective, la négociation avec certains partenaires commerciaux d'accords bilatéraux de libre échange incluant le secteur de la création audiovisuelle. Certains Etats se sont déjà engagés dans cette voie qui risque de réduire à néant la portée d'une convention sur la diversité culturelle qui serait adoptée par la suite. Dans cette bataille, nous autres, représentants des gouvernements et acteurs culturels, nous avons partie liée. Il est de votre devoir d'alerter les responsables politiques et les opinions publiques sur ce danger. La France et la Francophonie sont disposées à vous y aider et je ne manque jamais de sensibiliser mes interlocuteurs à cet enjeu à l'occasion de mes nombreux déplacements internationaux.
Mais notre action serait vaine si elle ne consistait qu'en paroles. Des dispositifs d'aide à la création existent. Ils nous permettent de donner un contenu concret à cet engagement de principe. Ils doivent être maintenus et si possible renforcés.
Pour ce qui est de la France, nous disposons des services culturels de nos ambassades, des centres et des instituts, des initiatives de l'Association française d'action artistique - je pense notamment à son programme "Afrique en créations".
L'Union européenne a quant à elle ses propres dispositifs que nous finançons largement. Et je n'oublie pas le rôle essentiel que joue l'Agence intergouvernementale de la Francophonie en faveur de la circulation des artistes et des oeuvres et de l'aide à la création. La France et la Francophonie sont donc mobilisées à vos côtés.
Des succès aussi éclatants que ceux de l'année de l'Algérie en France, du Marché des arts et spectacles d'Abidjan, des rencontres chorégraphiques de Tananarive ou celui du Festival Panafricain de Ouagadougou, le FESPACO, bien sûr, n'auraient pas été envisageables sans de tels soutiens.
Je souhaiterais, pour terminer, vous faire part de quelques réflexions que m'inspire la situation du cinéma dans les pays du Sud.
L'impact de la mondialisation a été particulièrement brutal sur le paysage audiovisuel des pays du sud. Le déferlement de chaînes télévisées par satellite a imposé des images venues d'ailleurs et détourné le public des grandes salles populaires : les cinémas disparaissent ou souffrent d'une âpre concurrence.
Le secteur de la distribution est également mis à rude épreuve, faute de moyens financiers, de débouchés et d'approvisionnement régulier en films.
Le piratage, enfin, compromet l'émergence d'un secteur audiovisuel officiel et d'un cycle normal d'exploitation des films de cinéma.
Dans le même temps, la majorité de vos pays, exposée à des difficultés économiques et parfois politiques, est contrainte de renoncer à toute politique de soutien au secteur de la production et de la distribution cinématographique. Si le Maroc et la Tunisie font figure d'exception, pour beaucoup, les apports financiers extérieurs venus du ministère français des Affaires étrangères (2 400 000 euros par an), du CNC (1 200 000 euros), de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie (2 500 000 euros par an) et de l'Union européenne (3 000 000 euros par an) se substituent aux aides d'Etat et aux financements du secteur privé.
Plusieurs mécanismes d'aide à la production ont favorisé l'émergence d'un cinéma d'auteur apprécié par des grands festivals en France et à l'étranger. Le Fonds "Sud cinéma" s'adresse, sans distinction, aux réalisateurs des pays d'Afrique, d'Amérique latine, du Proche et Moyen-Orient, d'Asie et de certains pays de l'Est. Plus de 300 films en ont bénéficié depuis son lancement en 1984.
Le Fonds "images Afrique" est, pour sa part, orienté vers les pays d'Afrique sub-saharienne et finance chaque année une trentaine de projets. Une aide à la distribution a été également mise en place avec le dispositif "Africa cinéma" afin de structurer de véritables filières cinématographiques permettant la naissance de sociétés locales et la création d'emplois accessibles aux étudiants des écoles régionales.
Mais ces films manquent souvent d'écrans pour être projetés. C'est pourquoi le soutien aux salles de cinéma et la diffusion du film africain en Afrique sont une autre priorité de notre action car ils conditionnent la reconquête du public.
Enfin, je suis heureux de voir que de nombreuses réflexions sont en cours sur la problématique du développement culturel. La nomination de personnalités marquantes du monde des arts, de l'audiovisuel et de la culture à des postes ministériels - je pense par exemple au réalisateur Cheick Oumar Sissoko au Mali - témoigne d'une prise de conscience mais aussi, laisse prévoir la mise en oeuvre progressivement, de politiques sectorielles efficaces quand elles n'existent pas encore.
La France, pour sa part, s'efforce d'encourager cette évolution de fond en renforçant les formes de partenariat dans la gestion de ses dispositifs d'aide.
Partenariat avec les professionnels d'abord, qui sont de plus en plus étroitement associés aux choix des financements.
Partenariat aussi entre les bailleurs de fonds engagés dans le secteur du cinéma, qu'il s'agisse du ministère des Affaires étrangères, du CNC, de l'Union européenne ou de l'Agence de la Francophonie.
L'action du ministère des Affaires étrangères en faveur du cinéma passe aussi par des opérations ponctuelles et des appuis aux festivals. J'en donnerai simplement deux exemples :
- à Kaboul, nous avons contribué de manière décisive à la reconstruction du plus grand cinéma de la ville, "l'Ariana" ;
- dans le cadre du festival de Paris qui débute dans quelques jours , j'ai tenu à soutenir, avec l'Organisation internationale de la Francophonie et TV5, la présentation, pour la première fois, d'une sélection francophone. Au total sept films originaires de nos pays seront en compétition et pourront être vus par un large public. J'ajoute que sur ces sept longs métrages retenus, cinq d'entre eux ont bénéficié d'une aide de la France ou/et de l'Agence de la Francophonie.
J'arrête ici ces considérations et vous cède bien volontiers la parole. Je ne doute pas que la variété et la confrontation de nos points de vue contribueront à enrichir ce dialogue des cultures qui nous tient tous tant à coeur et dont vos films rendent si bien compte.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 mars 2004)