Entretien de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, à LCI le 4 juillet 2005, sur la coopération entre la France et les Etats-Unis en matière de terrorisme, les relations franco-égyptiennes, la situation en Côte d'Ivoire et sur le budget de la défense.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- Bonjour M. Alliot-Marie.
R- Bonjour.
Q- Est-ce que vous infirmez ou est-ce que vous confirmez l'information qui a été donnée hier par le Washington Post, selon lequel a été créée en 2002 à Paris une cellule anti terroriste, secrète dénommée "Alliance Base" et reposant sur la coopération entre la DGSE et la CIA ?
R- Comme toujours dans ce genre d'article, il y a des choses qui sont vraies et des choses qui sont plus fantaisistes.
Q- Alors qu'est-ce qui est vrai ?
R- Ce qui est vrai, c'est que nous avons une action commune avec les Etats-Unis - avec d'autres pays également - mais avec les Etats-Unis tout particulièrement dans la lutte contre le terrorisme. Le terrorisme nous menace comme il menace les Etats Unis. On l'a vu avec ce qui s'est passé à New York en septembre 2001 et nous avons renforcé notre coopération. Ce qui se passe à la fois par des actions de renseignement, de prévention et également par des actions sur le terrain. Vous le savez, nos forces spéciales sont en Afghanistan aux côtés des Américains pour lutter contre Al Qaeda.
Q- Mais est-ce qu'il y a une structure formelle à Paris réunissant la DGSE et la CIA ?
R- Il y a énormément de contacts. P.-L. Séguillon, vous ne vous attendez pas à ce que je vous détaille, ici, les structures et l'organisation des services.
Q- Donc vous n'infirmez pas, vous ne confirmez pas ?
R- Je confirme qu'il y a une coopération très poussée dans la lutte contre le terrorisme notamment avec les Etats Unis et je pense que d'ailleurs, de part et d'autre de l'Atlantique, on se félicite de la qualité de cette coopération qui a certainement évité un certain nombre de catastrophes et qui continuera certainement dans l'avenir.
Q- Vous étiez ces derniers jours en Egypte où vous avez rencontré le président Moubarak. Vous avez parlé précisément également de l'anti-terrorisme à l'heure où, pour la première fois, un diplomate, en l'occurrence l'ambassadeur d'Egypte a été enlevé en Irak. Est-ce-que votre voyage s'est traduit par des décisions très précises en matière de lutte contre le terrorisme avec l'Egypte ?
R- C'est beaucoup plus vaste que ça. Mon voyage a eu pour objet de signer un protocole d'accords qui va nous permettre à la fois de globaliser et de renforcer notre coopération dans tous les domaines militaires avec l'Egypte. L'Egypte c'est en effet un pays charnière. On ne se rend pas souvent compte d'ici. C'est un pays charnière parce que sa position le met effectivement à la charnière entre le Moyen Orient, où d'ailleurs l'Egypte joue un rôle important, mais également la Méditerranée et notamment les pays du Maghreb. C'est également un pays qui est tout près des Etats du Golfe dont nous voyons bien qu'en ce moment il s'y passe beaucoup de choses. C'est un pays également qui est sur le continent africain, qui joue un rôle dans le continent africain, que ce soit au Soudan ou dans d'autres domaines. Et avec lequel nous avons des relations extrêmement anciennes bien entendu et également des relations très fortes qui sont surtout des relations politiques et économiques. Les relations militaires et en matière de lutte contre le terrorisme n'étaient pas à ce niveau. Le but de mon voyage c'était de permettre que cette coopération militaire et sécuritaire soit à la hauteur d'autres coopérations que nous avons.
Q- Alors parlons d'un mot de la situation en Afrique et tout particulièrement en Côte d'Ivoire. Est-ce qu'on n'a pas le sentiment aujourd'hui, alors même que les chefs d'Etat africains vont se réunir en Libye pour le sommet de l'Union des chefs d'Etat africains, que les accords de Marcoussis ont été un échec, il n'y a pas de démantèlement des milices, il y a pas de désarmement comme prévu le 27 juin.
R- Ce que je constate c'est qu'il y a eu Marcoussis, il y a eu Accra II, il y a eu Accra III, il y a eu la médiation du président Mbeki que nous soutenons totalement et qui d'ailleurs, a progressé au cours de la semaine passée. Et ce que je note tout simplement, c'est qu'aujourd'hui lorsque nous regardons ces différents accords, tous ces accords reprennent les dispositions de Marcoussis. Pourquoi est-ce qu'ils reprennent les dispositions de Marcoussis ? Parce que ce sont les seules qui peuvent permettre à la Côte d'Ivoire de retrouver une situation suffisamment stable pour permettre d'avoir des élections présidentielles en temps et heure, c'est-à-dire normalement sans les prochains mois qui se passent selon des modalités incontestables. Ce qui permettra à la Côte d'Ivoire de retrouver une vison d'avenir. Aujourd'hui, nous avons de vraies inquiétudes sur la Côte d'Ivoire.
Q- Précisément, est-ce qu'aujourd'hui vous avez la confirmation qu'effectivement, le pouvoir en place, le président Gbagbo et son gouvernement continuent à s'armer plutôt qu'à se désarmer. Un certain nombre de témoignages disent qu'on voit arriver des armements sur le port d'Abidjan.
R- Il y a un contrôle qui est effectué sous l'égide de l'ONU, par une mission de l'ONU, pour veiller au respect de l'embargo.
Q- Il est respecté ?
R- Il l'est dans l'ensemble. Il y a des contrôles. Il est évident ceci dit que la Côte d'Ivoire, c'est extrêmement vaste.
Q- Les militaires français disent : on a vu arriver 22 jeeps sur le port d'Abidjan.
R- Il faut également regarder les choses. Vous avez à la fois des armements qui sont interdits bien entendu et tout ce qui est arme lourde et qui peut servir. Vous avez d'autre part des équipements, notamment des équipements qui peuvent servir à une gendarmerie ou autre qui ne sont pas. Donc c'est pas parce qu'on voit arriver des véhicules et notamment des Jeeps. Une Jeep, ce n'est pas un char, c'est quelque chose d'extrêmement différent.
Q- Ce n'est pas non plus une voiture de fonction, hein.
R- Ce n'est pas non plus une voiture de fonction mais enfin, je vois rarement des gendarmes faire du maintien de l'ordre avec des voitures de fonction. Donc si vous voulez je crois que dans tout ceci, il, faut être à la fois extrêmement vigilant parce qu'il y a des extrémistes, il faut bien le dire de part et d'autre, du côté des forces gouvernementales comme du côté des Forces nouvelles, qui ne souhaitent qu'une chose : c'est de pouvoir reprendre des combats. Et notre rôle avec les forces de l'ONU, si les forces de l'ONU et c'est le rôle de la force Licorne dans le cas de ces forces impartiales, c'est d'empêcher ces gens de se battre à nouveau parce qu'il est évident que ce sont les populations civiles qui sont les premières atteintes, que cela contribue à affaiblir économiquement la Côte d'Ivoire et que ça contribue également à maintenir cette sorte de séparation en deux de la Côte d'Ivoire qui est dangereuse pour la Côte d'Ivoire, mais qui est dangereuse pour toute l'Afrique de l'Ouest en particulier parce que ça peut se généraliser. Si l'Afrique éclate, vous savez que c'est dramatique pour tout le monde.
Q- Est-ce que vous avez le sentiment que le président Gbagbo joue double jeu ?
R- Ecoutez, je crois que le problème n'est pas là. Aujourd'hui, il y a le président Gbagbo, il y a son entourage, il y a les uns et les autres. Ce que je constate, c'est qu'il y a eu à Pretoria, sous la présidence du président Mbeki, de nouvelles avancées. Une menace de sanction qui ne sera plus simplement une menace aujourd'hui destinée à tous ceux qui empêcheraient le processus de réconciliation qui a été décidé d'être mis en oeuvre. Je pense, j'espère que cela va nous permettre de progresser sensiblement, surtout si on veut que les élections aient lieu le 30octobre.
Q- Vous pensez qu'elles peuvent encore avoir lieu le 30 octobre ? Ce n'est pas trop tard ?
R- Je pense que ce sera extrêmement difficile. Ce sera aux responsables de l'ONU désignés à cette fin, de la dire. Si tout le monde y met de la bonne volonté, je pense qu'elles peuvent se tenir et c'est effectivement quelque chose d'important.
Q- Une précision : si d'aventure, elles ne se tenaient pas le 30 octobre, est-ce que le président Gbagbo doit se retirer ou est-ce qu'il peut continuer à assurer jusqu'à l'élection d'un nouveau président ?
R- Il y a des interprétations divergentes de la Constitution. Il y aurait dans ce cas aussi une donne à laquelle la communauté internationale ne saurait être indifférente et je pense que c'est un sujet qui à ce moment là serait discuté au niveau de la communauté internationale.
Q- Dernière question, N. Sarkozy lorsqu'il était ministre du Budget, l'année dernière, essayait de rogner un petit peu le budget de la Défense. Aujourd'hui, il est ministre de l'Intérieur, il vous cherche des noises en se demandant si tous les crédits utilisés par la gendarmerie ne disparaissent pas dans les méandres de la bureaucratie de la Défense nationale.
R- Non je crois qu'il y a peut-être eu de la part de certains conseillers de N. Sarkozy une méconnaissance du fonctionnement financier du ministère de la Défense. Après tout, ça peut se comprendre. J'ai rappelé que les crédits de la gendarmerie bien entendu étaient isolés dans l'ensemble du budget de la Défense et donc ils sont parfaitement identifiés. Et d'autre part, j'ai pu annoncer effectivement à la fois des crédits très importants - plus de 500 millions d'euros pour la gendarmerie - la création de 2.000 postes de gendarme. Ce qui fait que sur les 7.000 qui sont prévus dans la LOPSI, aujourd'hui nous en sommes pratiquement à 5.500 déjà créés. Donc la loi quoi s'applique à la gendarmerie sera respectée et je voudrais souligner qu'entre ces 2.000 gendarmes créés, les 1.200 emplois de policiers créés par le ministère de l'Intérieur, c'est un effort considérable qui montrer bien aux Français que le Gouvernement est totalement mobilisé pour l'amélioration de leur sécurité.
Q- D'une manière générale vous avez l'impression que N. Sarkozy en fait un petit peu trop ?
Non ?
R- Je pense que chacun dans un gouvernement, doit faire le maximum de ce qu'il peut faire. C'est ce qu'attendent de nous les Français.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 juillet 2005)