Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, à "Yedioth Ahronoth" le 2 septembre 2005, sur le retrait israélien de la bande de Gaza et l'enquête internationale sur le meurtre de Rafic Hariri.

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Média : Presse étrangère - Yedioth Ahronoth

Texte intégral

Q - (A propos du retrait de la bande de Gaza.)
R - J'ai vu à la télévision les images fortes des familles contraintes de quitter leur maison, et je comprends les sentiments que cela a éveillés en Israël. Le monde entier a vu ces images. Il n'y a personne qui ne peut pas ressentir, même si c'est avec une force moindre, ce que ressentent ces familles. (...) La société et la démocratie israéliennes ont manifesté un sérieux remarquable.
Un tabou a été brisé, grâce au courage d'Ariel Sharon. Permettez-moi de vous dire qu'il était sans doute le seul capable d'évacuer une zone conquise en 1967. C'était une décision courageuse, quoique attendue. L'engagement pris par Sharon a été tenu, c'est l'essentiel.
Q - Vous êtes donc de l'avis du président Moubarak, qui a dit au Yediot Aharonot que "Seul Sharon en est capable" ?
R - Quand on considère bien le conflit israélo-palestinien, on comprend qu'il y a une volonté de parvenir à la paix qui est partagée par la majorité des deux côtés. S'y opposent ceux qui ne veulent pas, ceux qui hésitent et ceux qui pensent qu'on va trop loin en direction de l'autre. Sharon, grâce à son passé militaire et politique, peut démontrer à ceux qui pensent toujours que l'on va trop loin, qu'il peut faire cela. Nous estimons pour notre part que Sharon est sérieux, parce qu'il est le premier à avoir fait un pas concret.
Q - En évacuant Gaza, Sharon a reconnu en fait qu'il s'était trompé. Peut-être que vous aussi, les Français, les Européens, vous devez dire à Sharon "pardon, nous nous sommes trompés" ?
R - Je considère les faits. La visite de Sharon en France a été une réussite. Nous avons prouvé, Israéliens et Français, que nous sommes capables d'entretenir un dialogue ouvert au moment où nous comprenons les positions de l'autre. J'espère que nous poursuivrons le dialogue sur cette base. Nos relations bilatérales ont beaucoup progressé, et cela va continuer.
Q - Donc, pas de mea culpa de votre part, concernant ce que Sharon considérait comme la manière méchante et diabolique avec laquelle on le représentait en Europe ?
R - Ce sont les actes qui comptent pour nous. Sharon a su prendre des mesures d'un homme d'Etat, un homme courageux, un homme qui écoute ses convictions profondes. Nous avons salué ce courage.

Q - (A propos des enjeux qui suivent le retrait de la bande de Gaza)
R - Ce territoire libéré doit devenir économiquement viable. Le plan d'action économique de l'émissaire du Quartet, James Wolfensohn, doit permettre de relancer l'économie palestinienne. La viabilité économique de Gaza dépend aujourd'hui de son ouverture vers l'extérieur. Il faut avancer rapidement sur la question des frontières avec l'Egypte, sur le lien avec la Cisjordanie, et sur le développement des infrastructures principales comme le port ou l'aéroport. A nos yeux, c'est indispensable.
Q - Si la bande de Gaza venait à se transformer en une base terroriste, Israël pourra alors dire : "Nous nous sommes retirés, et voyez quelle catastrophe. Comment voulez-vous que nous poursuivions ?"
R - Le retrait de Gaza est perçu en France comme un succès. La société israélienne a fait preuve de courage et de responsabilité. Les Palestiniens aussi ont fait preuve de responsabilité. La communauté internationale doit aider l'Autorité palestinienne à se doter d'un régime fort et d'une police organisée. Je ne peux répondre au scénario que vous venez de décrire. Nous condamnons le terrorisme sans ambiguïté. Nous appelons systématiquement les groupes armés palestiniens à abandonner la voie de la violence. Il n'existe aucune intention de négocier avec le Hamas, un mouvement qui figure sur la liste des organisations terroristes de l'Union européenne.
Q - (A propos des relations entre Mahmoud Abbas et le Hamas)
R - Les élections locales palestiniennes ont montré que le Hamas pouvait jouer un rôle politique. Le seul moyen de permettre aux forces modérées de prendre le dessus est de répondre aux besoins de ceux qui se sentent découragés, qui ont cessé d'espérer, qui se sentent seuls. Ce sont ceux-là qui d'ordinaire rallient les rangs de l'extrémisme.
Q - Au Liban, les services de sécurité sont soupçonnés d'avoir un lien avec l'assassinat de Rafic Hariri ?
R - Les progrès de l'enquête et la bonne coopération des autorités libanaises avec l'équipe de M. Melhis sont encourageants, nous notons que le rapport fait état du manque de coopération de la Syrie. J'espère que le message sera entendu.
Q - La France pense-t-elle que Bashar al-Assad pourra relever les défis qu'il rencontre ?
R - Prenons par exemple les relations entre la Syrie et le Liban. Les mesures de restriction de trafic imposées par la Syrie à ses frontières avec le Liban sont inacceptables et absurdes. Elles pénalisent à la fois l'économie libanaise et l'économie syrienne.
Q - (A propos du processus d'élargissement de l'Union européenne)
R - L'Europe est un miracle, c'est le seul exemple dans l'Histoire où plusieurs pays ont consenti ensemble à perdre un peu de leur souveraineté pour partager quelque chose de plus fort qu'eux. Ce processus est complexe et long. Nous sommes très heureux de l'élargissement de notre union. Actuellement, le problème de l'Europe et du refus français est que nous nous sommes élargis sans avoir approfondi les règles qui régissent notre vie commune. Nous devons tout d'abord nous occuper de cela avant de parler des types de voisinage potentiels.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 septembre 2005)