Déclarations de MM. Dominique Galouzeau de Villepin, ancien ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, et de Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, sur le bilan de l'action diplomatique menée de 2002 à 2004 et la poursuite et les priorités diplomatiques du nouveau ministre.

Prononcé le 1er avril 2004

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Circonstance : Passations de pouvoirs entre Dominique de Villepin et Michel Barnier, au ministère des affaires étrangères, à l'occasion du remaniement ministériel du 31 mars 2004, à Paris le 1er avril 2004

Texte intégral

Dominique de Villepin - Quelle émotion pour moi de vous voir tous ici rassemblés pour vous dire au revoir et accueillir Michel Barnier, ainsi que Xavier Darcos et Claudie Haigneré avec Renaud Muselier, bien sûr, fidèle parmi les fidèles dans cette équipe. Michel Barnier est un ami de longue date. Un ami avec lequel je partage une même conviction, une même passion au service de la France et des Français. Je dois dire que, pour moi, lui confier cette succession, cette maison, l'imaginer au quotidien travaillant avec chacun d'entre vous, c'est une joie et c'est aussi une confiance dans l'avenir pour tout ce que nous avons voulu et cherché à faire tout au long de ces deux années.
Pendant deux ans, nous nous sommes mobilisés, avec Noëlle Lenoir, avec Pierre-André Wiltzer, avec Renaud Muselier. Nous nous sommes mobilisés tous ensemble, avec vous tous, sans relâche pour défendre une certaine vision du monde, des principes, des valeurs de justice, de solidarité, de tolérance, dans un monde qui doit faire face en même temps à bien des défis : le terrorisme, la prolifération, la pauvreté, les crises régionales, les atteintes à l'environnement... Oui, sur tous ces sujets, il vous revient d'être mobilisés.
Nous avons été mobilisés sans relâche en affirmant une exigence d'action. Depuis Madagascar, au tout début de ces deux années, Madagascar confronté à l'époque à l'impasse ; depuis la Côte-d'Ivoire, qui était sur le fil du rasoir, menacée de guerre civile ; depuis l'Irak, où l'histoire montre tous les jours à quel point l'exigence de la justice, l'exigence de respect de la souveraineté est essentiel dans le monde d'aujourd'hui. Je n'oublie pas le Proche-Orient, où rien ne serait pire que la tentation de la résignation. Il faut rester coûte que coûte en initiative. Je n'oublie pas Haïti, l'Iran, le Congo, le Soudan, la Colombie. Partout où nos compatriotes peuvent être menacés, en difficulté.
Troisième grande tâche, troisième grand combat que nous avons livré ensemble, c'est l'ambition enfin pour l'Europe. Nous avons cherché sur tous les fronts : bien sûr l'élargissement, bien sûr avancer sur la question de la Turquie, bien sûr relever le grand défi de la Constitution européenne qui aujourd'hui est à portée de mains. Et c'est cette tâche-là qu'il faut continuer et poursuivre.
Sans vous, rien n'eût été possible. Oui, j'ai été fier, fier de diriger pendant ces deux années, la diplomatie française, de travailler coude à coude avec chacun d'entre vous, sous l'autorité du président de la République.
J'ai sollicité votre engagement constant, de jour, de nuit, tous les jours de la semaine, les week-ends. J'ai beaucoup demandé à notre maison et je dois dire qu'en toutes circonstances vous avez, les unes et les autres, répondu présents ; présents en vous situant à la pointe de l'action extérieure de l'Etat, pour affirmer ce rôle essentiel d'impulsion et de coordination.
Nous l'avons fait dans des circonstances difficiles, en particulier sur le plan financier. Nous l'avons fait en engageant une réforme ambitieuse de ce ministère, pour à la fois améliorer l'efficacité, rationaliser le fonctionnement de cette maison et je suis heureux, au moment de partir, de constater que la tendance que nous avons connue tout au long de ces dernières années est en train de s'inverser. Comme vous le savez, le président de la République a demandé au Premier ministre que l'ensemble des crédits de notre ministère soit préservé de tout gel, de toute annulation. Il a demandé, par ailleurs que notre Département constitue une priorité pour la prochaine loi de finance.
C'est là un acquis majeur et je sais, mon cher Michel, que tu auras à cur de poursuivre dans cette voie.
Cher Michel, tu retrouves un ministère que tu connais bien, que tu apprécies. Ici nous formons une véritable famille. Chaque visage porte un nom. Chaque visage est connu, familier ; familier d'aventures, familier d'épreuves surmontées ensemble. Et cela crée des liens forts, des liens au service des Français, des liens au service d'une certaine idée de notre Etat, des liens au service d'une ambition française. Tu peux, mon cher Michel, compter ici sur chacun. Chacun est au service de cette ambition. Aucun d'entre eux ne ménage sa peine. Aucun d'entre eux ne ménage son énergie. Aucun d'entre eux ne ménage son imagination. Nous partageons le même idéal. Oui, c'est une famille au service de la France et je veux vous dire, ici, ma fierté d'avoir travaillé avec vous, ma fierté, avec Marie-Laure - et je salue bien sûr l'arrivée d'Isabelle - de ces relations humaines, de ces relations chaleureuses que nous avons pu tisser. Oui, nous avons été profondément heureux dans cette maison.
Merci.
Michel Barnier -Cher Dominique, chère Marie-Laure,
Puisque Dominique de Villepin vous a dit à tous et à chacun "chers amis", permettez-moi de le dire à mon tour.
Dominique de Villepin vient de dire, vous l'avez bien compris, avec beaucoup d'émotion, sa fierté d'avoir animé cette grande maison, en s'appuyant sur chacune et chacun d'entre vous.
Permettez-moi de dire, comme lui, peut-être pour d'autres raisons, la fierté et l'émotion qui sont les miennes. J'y ajouterai, en effet, le sentiment que c'est pour moi, grâce à la confiance du président de la République et du Premier ministre, aussi un honneur - c'est un mot qu'on emploie rarement - un honneur que de voir aujourd'hui, que de pouvoir aujourd'hui, non pas remplacer Dominique de Villepin, mais prendre son relais et de prendre le relais d'une action qui a été constamment, par son énergie, par l'idée qu'il se fait de la France et du rôle de la France dans le monde, idée qui nous rapproche, marquée par l'intelligence, par l'ambition, par l'énergie. C'est vrai, au point même, Dominique, je suis heureux de te le dire devant tous ceux qui ont été tes collaborateurs jusqu'à instant, comme citoyen français à Bruxelles mais passionnément patriote, que dans plusieurs circonstances, et je ne suis pas le seul, notamment dans la crise irakienne mais dans d'autres circonstances aussi, grâce à ce que tu as dit, grâce à ce que tu as fait sous la direction du président de la République, j'ai ressenti une raison supplémentaire d'être fier d'être Français.
Je voulais te dire cela en même temps que je suis heureux, chers amis, de retrouver ce ministère que je connais bien pour avoir eu, grâce à la confiance d'Alain Juppé qui a été un autre grand ministre au Quai d'Orsay, de servir ici comme ministre des Affaires européennes. Je n'ai pas eu besoin de beaucoup de temps à ce moment-là pour comprendre la formidable disponibilité et la formidable capacité, la formidable qualité de tous les agents du Quai d'Orsay avec lesquels j'ai travaillés.
Ce moment est d'abord celui de Dominique de Villepin et de Marie-Laure qui l'a accompagné avec tant d'intelligence et de qualités aussi pendant ces deux années. Il est l'occasion de dire à Dominique de Villepin, au revoir - mais il sait que cette maison reste définitivement la sienne - de lui dire merci, de dire également un mot de remerciement, permettez-moi, à Noëlle Lenoir qui est ici, à Pierre-André Wiltzer, qui ont beaucoup travaillé au côté du ministre des Affaires étrangères, naturellement à Renaud Muselier qui continuera à faire partie de cette équipe ministérielle.
Donc, ce moment, Dominique, c'est d'abord le tien, celui de cette équipe, l'occasion de vous dire au revoir et merci, mais vous me permettrez peut-être, de dire simplement, au nom de Claudie Haigneré, de Xavier Darcos, de Renaud Muselier, trois préoccupations que seront pour moi, pour nous, des lignes de force dans l'action que nous allons continuer.
Ma préoccupation c'est en effet la continuité, la continuité dans ce que j'appellerai une culture de l'urgence et l'action pour la France sur la scène internationale. La France, sous ton impulsion, et naturellement sous la direction du président de la République, Dominique, a été constamment à l'avant-garde pour la résolution des conflits et ils n'ont pas manqué. La France, grâce à toi, a eu une parole et une action forte, souvent singulière et toujours respectée, je peux en témoigner, pour, juste à côté de la France, avoir beaucoup écouté et entendu dans l'ensemble des pays européens. Et cette culture de l'action prend ses racines dans une profonde connaissance des rapports de forces. Je veux dire simplement, quels que soient les théâtres, quels que soient les continents, que cette culture de l'action et de la réflexion ensemble, restera la marque de notre propre action, naturellement avec nos propres tempéraments.
Ma deuxième ligne de force sera naturellement le projet européen auquel j'ai consacré et de l'énergie et de l'enthousiasme depuis 5 ans comme commissaire européen. Ce projet, la France l'a voulu depuis le premier jour avec l'Allemagne et on le sait, ici mieux qu'ailleurs dans cette maison, ce projet, chers amis, est interpellé, il est fragilisé par un très grand nombre de défis de l'intérieur et de l'extérieur que nous devons relever tous en même temps. D'abord celui de sa cohésion, au moment d'accueillir dix ou douze pays supplémentaires, c'est-à-dire de réunifier notre continent. Celui du fonctionnement, du simple fonctionnement de cette Union élargie et voilà pourquoi nous avons besoin de cette Constitution qui est à portée de notre main, de la gouvernance économique qui relève naturellement - c'est pour moi une conviction profonde et ancienne - de la dimension politique qu'il faut maintenant donner à cette Union faute de quoi tout le reste, tout ce qui a été construit depuis cinquante ans, sera fragilisé.
Nous allons donc renforcer encore la place et le rôle de notre pays en tête de ce projet européen mais aussi prendre un certain nombre d'initiatives pour bien l'expliquer et bien le faire partager par les Français.
Et puis enfin, la troisième ligne de force sera cette maison que je suis fier et heureux de retrouver. J'ai parlé de l'influence de la défense des intérêts de notre pays, cela ne vaut pas seulement dans les crises ou dans l'urgence, cela vaut naturellement dans une action continue, tenace, patiente, sur tous les fronts : diplomatique, économique, commercial, culturel, écologique. Et pour que nous soyons ainsi présents sur tous ces fronts, il faut un outil qui fonctionne. Cet outil, c'est ce ministère que vous constituez, cette équipe, en effet Dominique, qui s'appuie, qui est relayée partout dans le monde par des postes diplomatiques, consulaires et culturels, et qui est aussi amplifiée par la présence et l'action de tous nos compatriotes qui vivent hors de France.
Je veux simplement vous dire, Mesdames et Messieurs et chers amis, que mon intention est de consacrer et du temps et de l'attention personnelle pour que cet outil fonctionne bien.
Voilà, Dominique, Marie-Laure, au nom de tous ceux qui sont ici et de beaucoup d'autres qui pensent à ce moment-là, parce qu'ils sont plus loin pour faire ce travail auquel tu as rendu hommage, je veux vous dire, je veux te dire Dominique, un grand merci pour l'image formidable que tu as donnée et que tu continueras à donner de notre pays. Vous restez ici tous les deux chez vous et vous y serez toujours reçus ainsi.
Je te souhaite, Dominique, bonne route en étant en même temps fier de faire partie de cette équipe gouvernementale avec toi et à tes côtés. Je te souhaite bonne route et plein succès dans la mission très importante, très difficile, majeure, qui t'a été confiée par le président de la République et le Premier ministre, juste de l'autre côté de la Seine, que tu n'auras qu'à traverser pour venir ici chez toi.
Merci à toi.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 avril 2004)