Point de presse de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur les sujets internationaux et européens liés au dossier nucléaire iranien et à l'élargissement de l'Union européenne, notamment à la Turquie et à la Croatie, Newport le 1er septembre 2005.

Prononcé le 1er septembre 2005

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Circonstance : Réunion informelle des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne (Gymnich) à Newport les 1er et 2 septembre 2005

Texte intégral

Nous avons abordé plusieurs sujets au cours du déjeuner, comme l'Iran et la Russie, à la demande d'un de nos collègues. Cet après-midi, nous parlerons de l'élargissement, en particulier pour la Turquie et la Croatie.
Concernant la Turquie, comme vous le savez, il y a depuis très longtemps des discussions et une préparation pour aboutir à l'ouverture des négociations. Récemment, l'accord d'Ankara a été obtenu sur l'union douanière à vingt-cinq, ce qui était un pré-requis. Il se trouve que la Turquie a décidé, de manière unilatérale, d'annexer une déclaration au protocole de l'accord, au moment de sa signature à la fin du mois de juillet, déclaration dans laquelle elle réaffirme ne pas reconnaître l'un des Etats membres de l'Union européenne. Je dois dire que, par principe, la France a estimé qu'il était difficile de voir un pays souhaitant adhérer à l'Union européenne ne pas reconnaître d'emblée, avant même le début des négociations, un des Etats membres, la République de Chypre.
J'ai souligné que cette déclaration posait un problème sérieux et qu'elle n'était pas dans l'esprit de ce que l'on attend d'un pays candidat. C'est pourquoi il est nécessaire que la Turquie clarifie sa position et donne à l'Union européenne toutes les garanties sur sa volonté de mettre en uvre l'intégralité de ses obligations et cela à l'égard de tous les Etats membres, y compris Chypre. C'est tout le sens de la déclaration que va adopter l'Union européenne comme l'avait souhaité la France.
Nous déciderons donc, au COREPER de la semaine prochaine, de nous mettre d'accord sur un texte qui montrera que la Turquie respecte ses engagements envers tous les Etats membres, au titre de l'accord d'association et de l'union douanière, et ne pourra introduire aucune restriction en matière de transport. De plus, ce texte devra indiquer que la Turquie normalisera rapidement ses relations avec tous les Etats membres, ce qui inclut la question de la reconnaissance de la République de Chypre.
L'Union européenne évaluera en 2006 les progrès de la Turquie sur ces différents points ; nous avons également évoqué la question du cadre des négociations avec la Turquie, document qui définit les principes et les méthodes qui seront appliqués tout au long du processus. J'ai marqué l'attention particulière que nous portons au caractère ouvert du processus de négociation et la capacité d'absorption de l'Union européenne.
Concernant la Croatie, nous avons évoqué la question de la candidature croate et, comme vous le savez, l'Union européenne a pris l'engagement d'ouvrir les négociations ; elle a retardé courant 2004 le début des négociations, en demandant au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) son avis. Il me semble donc que, dans la mesure où le Conseil européen a demandé au TPIY quelles étaient les avancées, il est donc important d'attendre son avis.
La Présidence britannique souhaite faire un point sur les progrès de la Croatie dans ce domaine dans le courant du mois de septembre et elle demandera notamment à Mme Carla del Ponte une nouvelle évaluation. J'ai rappelé, là aussi, combien il était important que la Croatie remplisse toutes les conditions pour l'ouverture des négociations, ce qui suppose notamment une pleine coopération avec le TPIY. Il faut bien comprendre que tous les Balkans regardent ce qui va se passer en Croatie. J'ai rencontré le Premier ministre croate lorsque je me suis déplacé en Allemagne de manière informelle pour rencontrer Mme Angela Merkel dans le courant du mois de juillet. Je suis tout à fait persuadé que les Croates veulent aider le TPIY, mais il me semble important d'avoir l'avis de ce même tribunal ; s'il indique qu'il n'y a pas de coopération, les négociations ne doivent pas débuter. S'il en est autrement, alors je ne vois aucun inconvénient à l'ouverture de ces négociations. C'est une affaire qui dépasse la politique, elle touche à l'éthique.
Lors du déjeuner, nous avons également évoqué les négociations conduites par les trois Européens, l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France concernant l'Iran. C'était l'occasion pour nous de faire le point auprès de nos collègues sur l'état d'avancement des propositions que nous avons faites, même si, durant tout l'été, jour après jour, nous avions fait le point ensemble. Le 1er août dernier, les autorités iraniennes ont rompu les négociations engagées depuis plusieurs mois par le E3/UE en annonçant la reprise de leurs activités de conversion de l'uranium. Nous regrettons que l'Iran ait pris cette initiative, avant même de recevoir l'offre européenne qui est substantielle, généreuse, ambitieuse. Elle mérite d'être considérée et il ne faut pas en minimiser la portée. Elle comporte des offres dans le domaine économique, politique, de sécurité et concernant le nucléaire civil. Les Iraniens se sont isolés à travers cette décision, la communauté internationale, par la résolution du Conseil des gouverneurs de l'Agence internationale de l'Energie atomique (AIEA) du 11 août, a exprimé un véritable consensus pour demander à l'Iran de revenir à la suspension de ses activités nucléaires sensibles. Nous ne fermons pas la porte, les Iraniens doivent et peuvent revenir au cadre de l'Accord de Paris de novembre 2004 et donc à la négociation, c'est ce que nous souhaitons.
Je comprends que M. Ahmadinejad ait des idées et des propositions à faire, nous sommes prêts à les écouter, dès lors que ces idées seraient de nature à rassurer la communauté internationale sur le caractère uniquement pacifique du programme nucléaire iranien.
Nous n'avons jamais contesté le droit pour l'Iran d'avoir un programme nucléaire civil et, d'ailleurs, l'offre européenne contient des éléments de nature à soutenir un tel programme. Mais nous voulons la garantie objective, avec la communauté internationale réunie, que l'Iran ne se livre pas à des activités nucléaires militaires prohibées.

Q - Concernant la Turquie, je ne comprends pas pourquoi la déclaration que vous souhaitez faire n'est pas adoptée aujourd'hui. Qu'est-ce qui gêne ?
R - La Présidence britannique a présenté un papier, une proposition. A l'instant, je vous ai dit ce que je souhaitais en plus dans cette proposition. Il est impossible de trouver à vingt-cinq, en si peu de temps, un consensus sur un texte. Nous sommes globalement d'accord, nous ne souhaitons pas ouvrir une crise européenne, nous pensons qu'il est important que l'Union européenne dise clairement qu'elle regrette cette déclaration turque unilatérale revenant à dire qu'elle ne reconnaît pas l'un des Etats membres qui est Chypre ; de plus, nous souhaitons que la Turquie puisse dire que, dans le contexte actuel, elle reconnaît tous les Etats membres de l'Union.
Q - La France a-t-elle un avis isolé parmi les Vingt-cinq ?
R - Non, bien sûr, nous ne sommes pas isolés et d'autres pays se sont exprimés dans ce sens.
Q - Mais les points que vous avez mentionnés sont-ils dans la déclaration ?
R - Non.
Q - Lesquels n'y sont pas ?
R - Il y en a un qui n'était pas dans le premier texte mais qui se trouve dans le second, indiquant que nous regrettons la déclaration de la Turquie.
Q - Dans ce que j'ai pu lire, il semble que l'on ait demandé expressément à la Turquie de normaliser ses relations avec Chypre le plus rapidement possible.
R - Oui mais, justement, la normalisation entraîne juridiquement la reconnaissance de facto. Ce sont les ambassadeurs qui, dans les jours qui viennent, vont travailler sur ce texte, nous verrons si nous pouvons trouver un accord, mais il n'y a pas de raison de ne pas aboutir.
Q - Aujourd'hui, si je comprends bien, il ne vous est pas possible de vous mettre d'accord entre Européens ?
R - Oui c'est exact.
Q - Et est-ce la France qui bloque ?
R - Non, pas du tout. Plusieurs Etats membres ont estimé que le fait qu'un pays candidat à l'adhésion à l'Union puisse d'emblée, au départ, avant même de commencer, dire qu'il ne reconnaît pas l'un des Etats membres, pose un problème de principe. Nous avons souhaité que l'Union européenne fasse une contre-déclaration. Nous remercions la Présidence britannique d'avoir accepté cela. Il y a eu un premier texte hier ; dans un deuxième temps, en particulier sur un point, nous espérons pouvoir obtenir un texte qui nous convienne.

Q - Pouvez-vous nous citer un des pays qui soit d'accord avec vous ?
R - Les Pays-Bas par exemple.
Q - Si vous ne trouvez pas de consensus, on en restera donc à cette déclaration ?
R - Parlons de l'adhésion turque. Pour la France c'est un problème réglé, il y aura un référendum. Nous avons toujours dit qu'il n'y aurait jamais plus d'élargissement sans référendum et c'est le peuple français qui, in fine, dira s'il souhaite ou non un nouvel élargissement, ceci mis à part la Roumanie et la Bulgarie.
Q - (Au sujet de l'Iran)
R - C'est assez clair, nous avons travaillé depuis plusieurs années ensemble avec l'Allemagne et le Royaume-Uni, nous souhaitons continuer à trois pour négocier ; la main est tendue vers l'Iran, à la condition que ce pays revienne à l'Accord de Paris, c'est-à-dire à la suspension des activités nucléaires sensibles. Mais, en effet, la question a été abordée.
Q - Concernant la Croatie. Mme del Ponte n'a pas attendu la législation pour dire ce qu'elle pense de la coopération. Elle pense qu'elle n'est pas pleine et entière et demande de maintenir la pression sur Zagreb. N'allez-vous pas avoir un problème au sein de l'Union puisque huit pays membres demandent l'ouverture sans tarder des négociations sans plus faire référence à la coopération ? Le front se lézarde ?
R - Le début des négociations se décidera à l'unanimité. Il était évident que, pour ouvrir les négociations avec un pays, concernant l'adhésion à l'Union européenne, il faut l'unanimité. Que ce soit la Turquie ou la Croatie, il ne s'agit pas d'une situation, d'une négociation entre l'Union européenne et le pays concerné, il s'agit d'une discussion entre les vingt-cinq Etats membres et ce pays. C'est bien pour cela que je pose cette question de principe pour la Turquie. Ce n'est pas l'Union européenne, le Conseil, la Commission ou le Parlement qui parlent avec un pays, ce sont les vingt-cinq Etats membres, ce qui est très important.
Concernant la Croatie, je vous dis ce que j'en pense comme ministre des Affaires étrangères et aussi à titre personnel. Pour connaître cet endroit du monde, il est excessivement important, me semble-t-il, de donner une perspective européenne aux Balkans, il est normal d'avoir une stabilité dans les Balkans, l'histoire nous l'a montré. Certains de nos voisins ont dit, cet après-midi, qu'il était souhaitable de voir un pays comme la Croatie avoir une perspective européenne, c'est bon pour les réformes économiques, politiques, pour la démocratie et pour le commerce. C'est bon pour la stabilité.
Si Mme del Ponte, procureur du TPIY, nous dit qu'il n'y a pas de coopération, il me semble qu'il n'y a aucune question à se poser. Ce n'est pas aux hommes politiques d'un pays ou d'un autre de donner un sentiment subjectif, c'est au TPIY de dire si oui ou non il coopère.

Q - (Au sujet de la Turquie)
R - Il est clair que la discussion n'a pas porté sur la remise en cause de tout ce qui se passe depuis des années et des années ; la question concerne la déclaration de la Turquie vis-à-vis de Chypre mais aussi de tout ce qui est lié, en particulier concernant les ports et les aéroports. Plusieurs de mes collègues ont dit qu'il était inconcevable qu'il y ait une sorte de choix d'un pays vis-à-vis de tel ou tel Etat membre car Chypre est un Etat membre à part entière, comme un autre, ni moins ni plus.
Q - Dans la déclaration sur laquelle vous travaillez, y aura-t-il une mention spécifique concernant les ports et les aéroports ?
R - Je ne sais pas si nous irons jusque là mais reconnaître Chypre serait déjà une réponse.
Q - (A propos du processus d'élargissement)
R - Il est évident que si l'un des pays candidats, quel qu'il soit, ne respecte pas, au fur et à mesure de l'avancée des négociations ce qu'il a signé, cela remet en cause par définition la poursuite des négociations.
Q - Il semble que la France a changé d'avis concernant l'adhésion de la Turquie ?
R - La France ne souhaite pas une crise européenne ; la France ne souhaite pas revenir sur ses engagements, elle souhaite que personne ne revienne sur ses engagements. Lorsque l'on veut entrer dans une communauté, il est quand même normal de reconnaître tous ses membres. La déclaration turque unilatérale qui n'a pas été faite au moment dont vous parlez est de nature en effet à nous pousser à demander des éclaircissements, des clarifications de la part de la Turquie, ce qui ne veut pas dire que nous avons changé d'avis. C'est un problème de confiance, mais, il faut que la Turquie montre à quel point nous pouvons avoir confiance dans sa volonté d'entrer dans l'Union européenne en respectant ses engagements.
Q - Cela pourrait-il se faire rapidement ?
R - Nous n'avons pas "acté" un calendrier, nous voulons faire ce geste politique disant que, par principe, il est important d'avoir une clarification de la position turque concernant Chypre.
Q - Avez-vous évoqué l'hypothèse d'un partenariat privilégié ?
R - Oui, il sera possible, dans le cadre des négociations, d'avoir une position ouverte, j'ai marqué l'attention particulière que nous portions sur deux points : le caractère ouvert du processus de négociation et la capacité absorption de l'Union européenne. Il est donc possible en effet que nous ayons autre chose qu'une adhésion pure.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 septembre 2005)