Déclaration de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, en réponse au dépôt par le PS d'une motion de censure contre le choix du gouvernement de recourir aux ordonnances pour légiférer sur l'emploi, Paris, Assemblée nationale, 5 juillet 2005.

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Circonstance : Débat sur la motion de censure déposée par le PS contre le choix du gouvernement du recours aux ordonnances pour légiférer sur l'emploi, à l'Assemblée nationale le 5 juillet 2005

Texte intégral

M. le Premier ministre - Je voudrais remercier les députés de la majorité qui m'apportent jour après jour leur soutien (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Merci à chacun d'entre eux. Merci, Monsieur le président Accoyer, pour vos propos chaleureux et encourageants.
Monsieur Ayrault, je vous ai écouté. J'ai attendu, j'ai scruté, j'ai cherché, j'ai espéré, mais il faut se rendre à l'évidence : je n'ai entendu que procès d'intention.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Vous avez eu trois ans !
M. le Premier ministre - C'est dire à quel point cette motion de censure est déconnectée de la vie, déconnectée de la réalité, déconnectée du peuple (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, applaudissements sur les bancs du groupe UMP). En la déposant, vous avez fait un choix incongru, incompréhensible pour la plupart des Français. Vous prétendez censurer un gouvernement qui depuis un peu plus d'un mois (" Trois ans ! " sur les bancs du groupe socialiste) s'efforce d'apporter des réponses pragmatiques à leurs attentes, un gouvernement qui veut répondre à l'urgence tout en préparant l'avenir, un gouvernement qui entend concilier initiative et solidarité.
Faisons preuve tous ensemble de tolérance et d'esprit olympique (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).
M. Jean-Marie Le Guen - L'essentiel, c'est de participer !
M. le Premier ministre - C'est-à-dire, chacun en conviendra, d'esprit français. Face aux inquiétudes exprimées par nos concitoyens, notre devoir commun est d'abord de comprendre leur message.
Que demandent-ils ? De l'immobilisme ? Non. De l'idéologie ? Non. Des polémiques ? Non. Ils demandent de l'audace, du courage et des résultats (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Ils veulent un gouvernement responsable, qui assume ses choix et ses décisions : c'est ce que je fais aujourd'hui à la tête d'un gouvernement de service public.
Que proposez-vous de votre côté, Monsieur Ayrault, Monsieur Brunhes ? (" Rien ! " sur les bancs du groupe UMP) Au lieu d'un projet, je n'entends qu'un réquisitoire. Croyez-moi, ce n'est pas à la mesure des attentes des Français, ce n'est pas à la hauteur des enjeux. Je sais qu'il peut être tentant, à défaut d'idée, de céder ainsi à la fuite en avant et de donner de la canonnière. J'entends vos canons, mais quelle est votre vision, quelle est votre politique ? Personne ne le sait !
Après le 29 mai, les Français attendent aussi de leurs responsables politiques qu'ils proposent une nouvelle ambition européenne. L'heure est au rassemblement de tous ceux qui veulent que notre pays tienne son rang dans cette grande aventure, elle est au débat démocratique. Mais que proposez-vous (" Rien ! " sur les bancs du groupe UMP) pour donner un second souffle à la construction européenne et pour renouer les liens entre chacun de nos concitoyens et les peuples d'Europe ?
Vous évoquez la situation économique et sociale de notre pays. A la fin des années 1990, le gouvernement Jospin a bénéficié d'une embellie économique. Il n'en a hélas pas fait profiter les Français ! Vous n'avez pas honoré les rendez-vous de l'action et de la responsabilité...
Plusieurs députés socialistes - Un million de chômeurs de moins !
M. le Premier ministre - La dette publique a été accrue, les grandes réformes sociales différées, et la France a été engagée dans la voie sans issue du partage du travail. Par la suite, le gouvernement Raffarin a su mener à bien les réformes les plus urgentes...
Plusieurs députés socialistes - Un million de chômeurs de plus !
M. le Premier ministre - ...en dépit d'un contexte économique particulièrement difficile. Les réformes des retraites, de la dépendance et de l'assurance maladie ont été engagées et les accords du temps choisi sont venus se substituer à la rigidité des 35 heures. En trois ans, le pouvoir d'achat du SMIC horaire a augmenté de 11,4 % et, depuis le 1er juillet, le salaire minimum est à nouveau réunifié. Les créations d'entreprises ont sensiblement augmenté, grâce à la simplification des réglementations et à la baisse des prélèvements...
Plusieurs députés socialistes et communistes - Mais oui ! Tout va pour le mieux !
M. le Premier ministre - C'est sur ce socle économique que je m'appuie aujourd'hui pour passer à la vitesse supérieure et pour retisser avec chaque Français les fils de la confiance. Voilà pourquoi le premier rendez-vous que j'ai fixé porte sur la création d'emplois.
En matière d'emploi, il n'y a pas seulement un mal français : il y a aussi un mystère français (Murmures sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Pourquoi notre pays, réputé si créatif et si soucieux de cohésion sociale, a-t-il été incapable de retrouver le chemin du plein emploi ?
M. Jean-Marie Le Guen - A cause d'un mauvais gouvernement !
M. le Premier ministre - Avons-nous manqué d'ambition ou d'imagination ? Avons-nous baissé les bras ? (" Oui ! " sur les bancs du groupe socialiste)
M. Maxime Gremetz - Vous avez surtout suivi le Medef !
M. le Premier ministre - Je ne prétends pas détenir seul les clés du retour au plein emploi, mais je suis venu vous dire quelles sont mes convictions. Nous avons trop longtemps fermé les yeux sur les évolutions d'un monde qui change rapidement, avec l'émergence de nouveaux pôles de croissance, notamment en Chine et en Inde. Nous n'avons pas prêté une attention suffisante à ce qui marche chez nos voisins européens, y compris ceux qui partagent nos valeurs et nos ambitions sociales. Cela nous a conduit à croire que, contre le chômage, nous avions tout essayé. La réalité, c'est que nous n'avons pas fait tout ce qui était possible pour intégrer les jeunes et les seniors dans nos entreprises. Au surplus, notre pays a fait fausse route en répartissant la pénurie au lieu d'aller chercher la croissance. Les 35 heures n'ont pas créé d'emplois durables (" Faux ! " sur les bancs du groupe socialiste). Par contre, elles ont déstabilisé nos finances publiques et fragilisé notre modèle social (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Je ne crois pas qu'il faille renoncer à nos ambitions sociales pour retrouver le chemin du plein emploi. Mais nous devons donner à ces ambitions des fondements économiques mieux assurés, en valorisant le travail et en favorisant l'insertion des jeunes. Dans cet esprit j'ai choisi d'agir sans idéologie, et je tiens à présent à répondre point par point aux critiques qui me sont adressées.
J'ai décidé de recourir aux ordonnances pour répondre à l'urgence de la situation (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et si j'ai choisi de concentrer l'effort sur les très petites entreprises, c'est parce qu'elles représentent le principal gisement d'emplois dans notre pays et le plus immédiatement mobilisable. Avec le contrat " nouvelles embauches ", j'ai voulu offrir de nouvelles souplesses à l'employeur et de nouvelles sécurités au salarié (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). J'entends agir sur tous les leviers pour mieux aider les jeunes. Ainsi, le Gouvernement a choisi d'accroître le nombre et la qualité des contrats aidés dans le secteur associatif et dans le secteur public : 100 000 contrats d'accompagnement vers l'emploi sont ainsi disponibles pour les jeunes. Par ailleurs, le ministère de la défense met en place un dispositif d'insertion et de formation inspiré du service militaire adapté. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)
Mon objectif, c'est que tous les instruments de ce plan soient disponibles à la rentrée prochaine, afin de permettre aux demandeurs d'emploi de retrouver le plus rapidement possible le chemin de l'activité. Je rendrai compte tous les mois des résultats obtenus.
Mon plan d'urgence pour l'emploi s'inscrit dans une action résolue en faveur de la croissance et de l'innovation. Il y a trente ans, notre pays était en phase de rattrapage : il devait adapter son outil industriel à une compétition économique croissante et à l'ouverture des marchés. L'appareil productif était régi de manière centralisée et administrative. Aujourd'hui nous sommes entrés dans l'économie de la connaissance, et pour réussir pleinement cette transition, nous devons tirer le meilleur parti de trois atouts.
Le premier est un outil industriel efficace, qu'il faut maintenir. J'entends donc donner à notre industrie les moyens de tirer un meilleur profit de la recherche et des hautes technologies et de se tourner davantage vers l'exportation.
Il nous faut ensuite maîtriser l'innovation et, pour cela, passer à une organisation de la production fondée sur l'intelligence et la connaissance. Le moteur de cette nouvelle économie, ce seront les investissements de recherche effectués par l'Etat et par les entreprises privées. De ce point de vue, le doublement de la dotation de l'Agence pour l'innovation industrielle et la création de l'Agence nationale pour la recherche apporteront une réponse à la hauteur des enjeux.
Enfin, notre troisième atout, c'est la mise en réseau de tous les acteurs : laboratoires, universités, PME... Grâce aux pôles de compétitivité - dont la liste sera arrêtée dès la semaine prochaine -, des régions entières pourront bénéficier d'un regain de dynamisme. Le lancement de grands projets d'infrastructures permettra également d'améliorer le pouvoir d'attraction de notre territoire.
La France est sans doute l'un des pays européens les mieux placés pour réussir cette adaptation et s'imposer face à ses concurrents. Elle peut compter sur la qualité de ses chercheurs dans tous les secteurs stratégiques, qu'il s'agisse des nanotechnologies, des biotechnologies ou des sciences de l'information. Elle garde une tradition d'excellence en matière de recherche fondamentale, en particulier en mathématiques. Le dynamisme de ses entreprises innovantes lui assure un renouvellement constant de son savoir-faire (" Baratin ! " sur les bancs du groupe socialiste). Que la mutation soit difficile, c'est normal. Qu'elle suscite doutes et inquiétudes, c'est naturel. Dans ces périodes de profonde mutation, le rôle de l'Etat est à la fois de fixer le cap et de préparer les conditions des succès futurs. Le gouvernement que je dirige s'y emploiera sans relâche.
Mon action procède aussi d'une vision de la société fondée sur le respect de l'autorité de l'Etat et la promotion de l'égalité des chances : ce sont des principes essentiels pour notre pacte républicain. Depuis trois ans, nos efforts ont permis de faire baisser la délinquance. J'ai donné de nouveaux moyens au Ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur...
Plusieurs députés socialistes - Où est-il ?
M. le Premier ministre - ...pour qu'il s'attaque aux violences contre les personnes en plaçant davantage de policiers aux endroits et aux heures les plus sensibles. Nous allons lutter avec détermination contre les violences conjugales et intrafamiliales, en expérimentant de nouveaux modes d'action et en généralisant les unités spécialisées dans les centres urbains. Nous poursuivrons avec force la lutte contre les grands trafics qui gangrènent la vie de certains quartiers en créant une économie parallèle inacceptable. Nous devons faire preuve de plus de fermeté contre le travail illégal. Nous allons renforcer la sécurité routière, qui a déjà permis de sauver plus de deux mille vies par an...
M. Maxime Gremetz - Ce n'est plus un programme, c'est un catalogue !
M. le Premier ministre - Dans la lutte contre l'immigration clandestine, nous allons franchir une nouvelle étape. Le dispositif est en place : le comité interministériel de contrôle de l'immigration fonctionne et nous allons augmenter le nombre de décisions d'éloignement d'étrangers en situation irrégulière, tout en continuant d'améliorer les conditions d'hébergement dans les centres de rétention.
Nous allons également améliorer le fonctionnement de la justice. A cet égard, j'ai demandé au Garde des Sceaux d'engager la réflexion sur deux questions qui préoccupent nos concitoyens : la responsabilité des magistrats, dont il faut traiter avec sérénité et dans le respect de l'indépendance de la Justice ; ensuite, le traitement des multirécidivistes : là encore, nous agirons avec le souci de limiter les risques pour la société et de punir plus sévèrement les " réitérants ", dans le strict respect de tous nos principes, notamment celui de l'individualisation des peines.
Deuxième principe qui guidera le Gouvernement : l'égalité des chances. Toutes les actions engagées pour l'emploi, la recherche, l'innovation, la sécurité et la justice n'auront d'effet que si l'école garantit à tous les jeunes la possibilité de se construire un avenir. Le Parlement a adopté la loi sur l'école, après deux années de débats et de dialogue avec la communauté éducative....
Un député socialiste - Et quelques manifestations !
M. le Premier ministre - Elle prévoit un meilleur soutien des élèves en difficulté,...
M. André Chassaigne - Avec quels moyens ?
M. le Premier ministre - ...un apprentissage renforcé des langues vivantes, un véritable accueil pour les élèves handicapés dans toutes les écoles. Dès la rentrée prochaine elle sera pleinement appliquée.
Plusieurs députés socialistes et communistes - Parlez-nous aussi des suppressions de classes prévues partout !
M. le Premier ministre - Le décret sur le remplacement des professeurs absents sera publié cet été (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Nous allons proposer aux enseignants qui le souhaitent de s'engager davantage dans l'intérêt de leurs élèves. Les heures supplémentaires leur seront bien sûr rémunérées, en contrepartie d'un renoncement volontaire aux heures de décharge dont ils disposent (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). En outre, pour soutenir l'action éducative, j'ai mis à la disposition des établissements scolaires des premier et second degrés 20 000 contrats d'accompagnement vers l'emploi, afin d'améliorer l'encadrement des élèves tout au long de la journée. On le voit, l'éducation nationale disposera des moyens nécessaires pour remplir ses nouvelles missions et affirmer la valeur du mérite au sein de notre République.
Tels sont, Mesdames et Messieurs les députés, les principaux défis qui attendent ce gouvernement et notre majorité. Je remercie celle-ci de son soutien et de ses encouragements. Je remercie le président Accoyer pour son courage et son fidèle soutien.
Le contexte, nous le connaissons bien : il est difficile. Mais alors que votre motion de censure et vos propos, Monsieur Ayrault, n'expriment que fatalisme et résignation (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), mon gouvernement et notre majorité font le choix du mouvement, du courage et de l'action (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP). Sur ces bancs, il y a ceux qui sont toujours contre, ceux qui pensent qu'il vaut mieux rester immobile que de tenter quelque chose !
Et puis, il y a ceux qui hésitent, ceux qui regardent en spectateurs et qui distribuent les bons et les mauvais points. En vous écoutant, Monsieur Morin, j'ai constaté avec un peu d'inquiétude - mais en toute amitié - que dans votre charge, votre cheval avait pris un peu d'avance sur vous, ce qui est toujours périlleux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Mais je ne doute pas que les choix du Gouvernement sauront en définitive emporter votre conviction.
Dans la politique qui est la nôtre, il y a la volonté de répondre aux attentes de nos concitoyens ; il s'y trouve aussi la très froide détermination de ceux qui, inlassablement, jour après jour, mènent le combat pour la France, de tous ceux qui savent que l'audace et le mouvement paieront.
Je ne suis pas venu cet après-midi réclamer une indulgence particulière. J'ai pleinement conscience des enjeux et des attentes de l'heure. Mais je demande que mon Gouvernement soit jugé sur ses actes. Et tous les mois, je rendrai compte aux Français ! (Plusieurs députés du groupe UMP se lèvent et tous applaudissent longuement)
(Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 11 juillet 2005)