Interview de M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche, à "Europe 1" le 27 juillet 2005, sur la rumeur d'OPA sur Danone, sur la sécheresse et les restrictions d'eau pour l'agriculture, sur les incendies de forêts et sur les prix des fruits et légumes.

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Média : Europe 1

Texte intégral

M. Tronchot [...] Cela va faire soixante jours que D. de Villepin est aux commandes du Gouvernement, dont vous faites partie en charge de l'agriculture, comme vous faisiez partie du précédent - vous n'êtes pas forcément nombreux dans ce cas-là - que conduisait J.-P. Raffarin, dont vous restez l'ami fidèle. Avec le recul, qu'est-ce que cela a changé dans votre vie de ministre, de passer de Raffarin à de Villepin ? Et quel bilan faites-vous de votre ministère après ces deux premiers mois ?
R - Nous sommes, gouvernement Raffarin et gouvernement de Villepin, d'abord un gouvernement sous l'autorité du président de la République, donc les choses n'ont pas changé, car c'est lui qui inspire la politique du Gouvernement. D. de Villepin a abordé les choses avec le style qui est le sien, avec sa détermination, son talent. Je ne vais pas apporter de jugement sur l'action du Premier ministre, qui dirige le Gouvernement auquel j'appartiens ! Mais je pense, comme les journalistes qui l'écrivent aujourd'hui dans la presse du matin, qu'il a fait un très beau parcours. Il a d'ailleurs surpris, en particulier les parlementaires, qui ne le connaissaient peut-être pas assez. Et moi je suis très fier, après avoir travaillé aux côtés de J.-P. Raffarin pendant trois ans, dans une relation de grande amitié, de grande proximité, je suis très fier d'appartenir à l'équipe de D. de Villepin.
Q - Le référendum est derrière nous, la grogne contre le chef de l'Etat est passée, la cote de popularité de D. de Villepin remonte...
R - "Le référendum est passé", mais il ne faut l'oublier, parce que le message politique qui nous a été adressé doit être dans nos têtes et inspire notre action. La priorité de ce Gouvernement, c'est l'emploi. Les Français ont compris, on le voit à travers les sondages, d'abord que D. de Villepin s'attaquait avec beaucoup de vigueur et de fermeté à ce dossier de l'emploi. Et on voit dans les sondages que la personnalité du Premier ministre les intéresse. C'est important et cela veut dire qu'à la rentrée, il faudra que l'on continue à se bagarrer, les choses ne sont pas faciles et ne sont pas simples, mais je trouve qu'elles vont dans la bonne direction.
Q - Continuez-vous de voir J.-P. Raffarin ? Il va bien ?
R - Oui, mais pas en ce moment, il est en vacances - peut-être nous écoute-t-il ? Il va bien, il prépare surtout sa campagne pour le Sénat, puisqu'il sera candidat, le 18 septembre, à une élection sénatoriale partielle chez lui, dans la Vienne.
Q - Il y a forcément des changements de méthode entre D. de Villepin et J.-P. Raffarin. Il y a quelques jours, le Premier ministre actuel vous a fermement prié, vous et certains de vos collègues du Gouvernement, de vous impliquer personnellement - plus personnellement encore, j'imagine ! - dans les dossiers de l'Union européenne vous concernant. Que faites-vous pour le satisfaire ?
R - D'abord, avec le ministère de l'Agriculture et de la Pêche, on est dans l'Europe jusqu'au cou - je m'en réjouis d'ailleurs ! La politique de la pêche est une politique complètement européenne. Je ferai d'ailleurs, tout à l'heure, en Conseil des ministres, une communication sur la politique de la pêche française. Avec la politique agricole et la PAC, on est au cur des débats européens. Ce que le Premier ministre a voulu, c'est que les ministres se coordonnent plus sur l'Europe. Tout le monde travaille sur l'Europe, le ministre de la Justice, tous les ministres, et il a souhaité qu'une fois par mois, nous nous retrouvions autour de lui, pour faire le point sur nos dossiers européens, ce qui permet à chacun d'entendre ce que fait l'autre, de coordonner notre action et de déterminer des lignes de force. Je trouve que c'est une très bonne méthode de travail, cette réunion a été passionnante. Il y en aura tous les mois et cela permettra de plus organiser et chercher les lignes de force de la politique européenne du Gouvernement.
Q - Quand on est membre d'un gouvernement comme celui-ci, est-ce que la rivalité Sarkozy-Villepin pèse ?
R - Chacun son rôle. Le Premier ministre est le patron, le chef du Gouvernement, le chef de la majorité. N. Sarkozy est le numéro deux de l'équipe gouvernementale, il est le seul ministre ayant le titre de ministre d'Etat, il est président de notre formation politique, qui est par ailleurs la première du pays. Tout cela est important et fonctionne, je l'espère le plus longtemps possible et peut-être jusqu'à la nuit des temps, convenablement et sans accroc...
Q - C'est très ambitieux, "la nuit des temps" !
R - Ecoutez, quand on fait de la politique, il faut avoir un peu d'ambition et, surtout, beaucoup d'optimisme !
Q - Un mot du dossier Danone : à l'instar de beaucoup, les responsables agricoles sont montés au créneau pour défendre l'entreprise...
R - Oui, J.-M. Lemétayer, président de la FNSEA, est venu sur votre antenne d'ailleurs...
Q - Aujourd'hui, on a l'impression que tout n'a pas été clair et que l'Autorité des marchés financiers a même ouvert une enquête. Qu'est-ce que vous avez pensé de la façon dont les faits se sont enchaînés ? Y a-t-il un loup ou pas ?
R - Le loup, c'est du ressort de la ministre de l'Environnement, ainsi que l'ours, donc je n'ai pas à m'exprimer sur ces sujets ! Le monde agricole français a été légitimement inquiet, parce que Danone est le premier acheteur de produits laitiers dans notre pays, d'autant plus que c'est une entreprise qui traite convenablement les gens qui lui vendent de la matière première. Et le Gouvernement a exprimé, par la voix du Premier ministre, par la voix d'un certain nombre de mes collègues, des convictions fortes sur le fait que nous souhaitions que cette entreprise reste dans le giron nationale. Par ailleurs, je comprends parfaitement la démarche de l'Autorité des marchés financiers. J'ai été en charge du budget, j'ai travaillé à Bercy : quand il y a doute à un moment quelconque, que l'on peut penser qu'il y a eu quelque chose ou en tout cas le suspecter, il paraît normal que l'Autorité des marchés financiers regarde ce qui s'est passé. Et d'ailleurs, si elle ne l'avait pas fait, aujourd'hui, ce serait demandé par de nombreux hommes politiques, y compris peut-être parmi ceux qui sont intervenus en faveur de Danone, et par l'opinion publique. Je trouve donc qu'aujourd'hui, il faut en effet jeter un petit il rétrospectif sur cette semaine passée.
Q - Le président de la Commission des Affaires économiques à l'Assemblée nationale a-t-il été dans son rôle, en faisant sonner le tocsin ?
R - J'ai entendu P. Ollier sur votre antenne, hier matin. Il a joué sa fonction. Le Parlement doit être, vis-à-vis d'un Gouvernement, la sonnette d'alarme. Il a entendu les députés des régions rurales, l'inquiétude, il l'a portée et il était tout à fait dans son rôle.
Q - La France, comme d'ailleurs de nombreux pays, doit faire face à une sécheresse importante. Comment la qualifiez-vous d'ailleurs ?
R - Elle est historique dans les pays voisins : au Portugal et en Espagne, la situation est très difficile. Chez nous, elle est grave dans certains départements - je pense à ceux de la France de l'Ouest atlantique, en particulier la région où j'habite - et préoccupante sur à peu près la moitié des départements français, ce qui est beaucoup.
Q - Va-t-il falloir en demander davantage en terme de restriction d'eau ?
R - La sécheresse, on l'a vue venir de loin, puisque dès le printemps, on avait des informations. Chez moi, en Charente-Maritime, les rivières et les ruisseaux, au mois de mars, étaient dans l'état où ils sont habituellement à la fin du mois d'août, c'est-à-dire des fonds craquelés, quasiment juste un filet d'eau. Comme les choses ont été vues en amont, les restrictions ont commencé tôt, sous l'autorité des préfets. Le monde agricole a joué son rôle citoyen, puisque les assolements, ce qui a été planté pour l'été, ont tenu compte de cela. Par exemple, en Poitou-Charentes, on a semé 20 % en moins de maïs qui nécessite de l'irrigation. Ces mesures de précaution, plus les arrêtés pris sous l'autorité des préfets suivis par le ministère de l'Agriculture, par le Comité Sécheresse suivis par le ministère de l'Environnement, tout cela fait que nous devrions passer l'été, je l'espère, dans des conditions normales, à une condition : c'est que les Français paient un impôt supplémentaire. Mais je m'arrête tout de suite : ce n'est pas un impôt sécheresse, c'est un impôt civisme. C'est-à-dire que chacun, dans notre comportement, nous faisions attention à l'eau, en prenant plutôt une douche, des choses idiotes...
Q - C'est plus de la discipline que de l'imposition...
R - C'est s'imposer un devoir de responsabilité de citoyen. Si chacun le fait - je pense aux départements qui sont en même temps des départements ruraux et des départements touristiques, tous les grands départements de l'Ouest français - si chacun fait cela, l'été se passera normalement.
Q - D'une manière plus générale, aider certains exploitants à se convertir dans des cultures moins consommatrices d'eau...
R - Ils le font déjà. Par exemple, on a substitué certaines plantations à d'autres au printemps dernier, donc cette attitude existe déjà. Il faut aussi, surtout, des réserves de substitution. On a besoin, non pas, parfois, de grands barrages ou de grands ouvrages, on a besoin de-ci delà, sur le territoire, dans les communes, que l'on fasse de petites réserves de substitution, et que l'on organise la présence de l'eau de manière plus quotidienne, autour des villages. Et cela, les collectivités territoriales, avec l'aide de l'Etat, peuvent le faire. J'observe d'ailleurs que certaines régions, sous la pression des Verts, ont arrêté ces politiques. Je pense à madame Royal, en Poitou-Charentes qui a stoppé cette politique, et c'est absurde parce que c'est bien d'être Verts mais on verdit mieux lorsque l'on est arrosé.
Q - On a tendance à penser que les incendies de forêts ne sont pas nécessairement ou uniquement la conséquence de la sécheresse ; on a raison ou pas ?
R - Il y a toujours des incendies volontaires, malheureusement, des pyromanes. Il y a aussi, parfois, la sous utilisation d'espace. J'étais hier en Corse, où je visitais deux exploitations agricoles dans la région d'Ajaccio, dans la montagne, et leurs exploitants me disaient - l'un faisait du vin et l'autre de l'élevage de chèvres - et ce dernier m'expliquait qu'avant qu'il fasse de l'élevage de chèvre, il y avait tout le temps des incendies, et maintenant que ses chèvres se promenaient sur le territoire, sur le maquis, mangeaient l'herbe, nettoyaient tout naturellement, il y avait des dizaines d'années qu'il n'y avait plus d'incendies dans cette zone. Il faut donc que le territoire soit occupé. D'où le rôle important de l'agriculture dans la préservation de l'environnement.
Q - Et la part de la spéculation immobilière, dans les incendies ?
R - Cela doit peut-être exister quelque part, c'est à la justice de la prouver. J'observe quand même que dans les années récentes, la justice qui arrête des pyromanes, qui fait son travail avec la police et la gendarmerie, il n'y a pas eu beaucoup de jugements, où, semble-t-il, il y avait cela en arrière fond. Mais cela peut naturellement exister, la bêtise humaine n'a pas de limite.
Q - Pourquoi les fruits et les légumes sont si chers sur les marchés ?
R - Ce qui est surtout injuste, c'est qu'ils soient chers sur les marchés et peu achetés aux producteurs. Nous avons mis en place, pour corriger cela, un système de coefficient multiplicateur, pour que, grosso modo, quand la baisse des cours se fait au niveau de l'agriculteur, de l'arboriculteur, il y ait également une baisse dans la grande surface ou sur le marché. Il faut aussi qu'il y ait des campagnes de promotion, par exemple, quand un produit baisse, nous avons maintenant la possibilité de déclencher tout de suite une campagne de spot radio, sur la cerise, sur la nectarine, sur autre chose pour réenclencher la consommation. Mais il faut aussi, je le dis très nettement, que la grande distribution joue le jeu de la solidarité avec les producteurs.
Q - Elle ne le fait pas ?
R - Elle le fait de mieux en mieux, mais on peut toujours mieux faire, et il faut que quand il y a des fruits, et de qualité, comme cet été, les consommateurs puissent en profiter et les agriculteurs vendre à un prix normal leur travail et leur énergie.
Q - La France s'est pris une méga-amende en matière de pêche.
R - Une amende plus une astreinte d'ailleurs, ce n'est pas une mince chose.
Q - On va faire comment pour ne pas la payer ?
R - On discute. Surtout, nous expliquons à l'Union européenne - parce que cette amende concerne des affaires de1985-1986 - que nous avons heureusement relevé la tête, que nous avons amélioré nos méthodes de contrôle et que cette amende est un peu injuste au moment où nous sommes, si j'ose dire, bien dans les filets. Donc, nous discutons avec la Commission européenne, qui écoute nos arguments de manière ouverte.
Q - Etes-vous un ministre heureux dans le gouvernement de Villepin ?
R - S'occuper de la pêche, de l'agriculture, de la forêt, de toutes ces choses de la vie, c'est un peu s'occuper de la vie quotidienne des Français, de ce qu'il y a dans l'assiette, de ce que l'on voit à travers les vitres de sa voiture, donc, c'est une belle tâche, même s'il y a beaucoup de difficulté. Les agriculteurs sont des gens courageux, mais c'est un métier difficile, il faut être passionné pour faire ce métier, il ne faut pas penser uniquement aux 35 heures. Et donc, je suis heureux de m'occuper d'une France qui travaille et qui, en même temps, préserve nos paysages et la beauté de notre pays.
Q - Bonne journée, je sais que vous partez en Argentine, donc, bon courage.
R - Oui, parce que là-bas, il y a des enjeux considérables. Nous sommes dans de grandes négociations avec l'Amérique du Sud, à l'OMC, et c'est important pour la défense de nos produits agricoles et de notre économie en règle générale.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 2 août 2005)