Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec LCI le 13 septembre 2005, sur la réforme de l'ONU, l'avenir de la bande de Gaza sous contrôle palestinien, et la crise en Côte d'Ivoire.

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Texte intégral

Q - Bonjour Philippe Douste-Blazy. Dans quelques heures vous allez prendre l'avion pour participer à la soixantième session des Nations unies et au Sommet du Millénaire. A l'ordre du jour la réforme de l'Organisation des Nations unies. Est-ce que vous êtes encore optimiste sur la possibilité d'aboutir à cette réforme audacieuse demandée par Kofi Annan ?
R - Il y aura une déclaration commune de tous les Etats, à la fois sur la lutte contre la pauvreté et en même temps pour réformer les Nations unies. D'abord, la France va venir défendre l'idée même des Nations unies, car l'ONU est attaquée de toutes parts : il y a des pays qui ne voudraient pas un lieu de solidarité, un lieu de dialogue tout simplement.
Nous souhaitons que l'ONU soit renforcée, nous croyons au multilatéralisme, nous ne croyons pas à l'unilatéralisme, nous ne croyons pas qu'un pays, même le plus fort, puisse faire la loi seul. Surtout que le monde est en train de changer à une vitesse extraordinaire avec des régions qui montent en puissance et que l'on n'attendait pas, avec le Brésil, l'Inde, la Chine évidemment, l'Afrique du Sud, le Nigeria, c'est-à-dire des régions qui sont de plus en plus prospères et donc de plus en plus fortes politiquement.
Q - Et pourtant les négociations sur le texte que l'on voudrait présenter à la fin achoppent, ce sont les Américains qui l'ont dit hier. Cela achoppe à la fois sur l'Organisation des Nations unies et sur la mise en place d'une nouvelle Commission des Droits de l'Homme. Est-ce que les Etats-Unis, de votre point de vue, avec notamment l'ambassadeur américain, John Bolton, qui est connu pour son conservatisme, mettent des bâtons dans les roues ?
R - En tout cas il est évident que M. Bolton regarde de près ce texte. Nous, nous pensons...
Q - ...il a multiplié les amendements, au risque de la surenchère.
R - ...beaucoup d'amendements. Mais nous ne lâchons pas, nous pensons que l'ONU doit être réformée, nous pensons surtout qu'elle doit être consolidée, nous sommes derrière son Secrétaire général, M. Kofi Annan, pour aider à réformer. Et, en effet, la France a fait des propositions sur les Droits de l'Homme. Il faut que nous puissions, aujourd'hui plus que jamais, défendre les Droits de l'Homme dans tous les pays de la planète et, de la même façon, pour l'aide au développement.
Nous allons faire le point aujourd'hui sur les Objectifs du Millénaire. Vous savez qu'en 2000 nous avons décidé que d'aider plus encore les pays pauvres. D'ici 2015, nous allons faire le point au tiers de la durée. Le président de la République a dit qu'en 2012, en France 0,7 % du produit intérieur brut ira aux pays pauvres, comme d'ailleurs j'espère que les autres pays le feront, parce que la stabilité de la planète est en jeu - c'est cela aussi l'ONU. Et puis, bien sûr, il y a aussi l'enjeu de la réforme du Conseil de sécurité, alors qu'il n'est plus tout à fait représentatif des forces du monde.
Q - Alors, précisément, si les négociations achoppent, si on a du mal, est-ce que, de votre point de vue, du point de vue de la France, il vaut mieux ne pas aboutir à un texte plutôt qu'aboutir à un texte à minima ?
R - Nous nous battrons pour que ce ne soit pas un texte à minima.
Q - Mais c'est le risque, on le voit bien.
R - Il y a toujours un risque, lorsque commence une discussion, une concertation avec qui que ce soit, il y a toujours un risque que l'on soit obligé de revoir les objectifs à la baisse. Mais je pense que, jusqu'au dernier moment, il faudra se battre surtout sur ces deux sujets qui sont la réforme et la lutte contre la pauvreté.
Q - Alors j'ouvre une parenthèse : dans le contexte actuel, avec la convalescence du président de la République, c'est Dominique de Villepin qui va prononcer le discours à la tribune des Nations Unies. Du point de vue de la politique intérieure française, c'est un symbole ? C'est une signification ?
R - Ecoutez, Dominique de Villepin est Premier ministre et c'est à ce niveau-là qu'il s'exprime...
Q - C'est quand même une image qui va frapper l'opinion...
R - Oui et puis je crois que toute l'opinion politique française se souvient du discours de Dominique de Villepin justement à l'ONU pour la force avec laquelle il avait défendu la position française vis-à-vis de la guerre en Irak.
Q - Mais là c'est le discours du président de la République qu'il prononcera ou c'est un discours de Dominique de Villepin ?
R - Ce sera évidemment le message du président de la République, mais, c'est normal, Dominique de Villepin connaît tellement bien ce sujet qu'il donnera certainement aussi son point de vue personnel.
Q - Alors deux mots d'abord sur Gaza : est-ce que vous condamnez les mises à sac des synagogues qui se sont produites hier ou est-ce que vous condamnez aussi bien Israël qui n'a pas démoli ces synagogues avant de s'en aller comme c'était prévu dans les accords ?
R - Ecoutez, d'abord il faut savoir une chose, c'est que l'évacuation de Gaza s'est bien passée, grâce d'ailleurs aux Israéliens qui ont eu une démarche courageuse qu'il faut souligner, nous l'avons fait quand M. Sharon est venu en juillet. C'est une victoire de la démocratie israélienne, c'est une victoire d'Ariel Sharon, mais ce n'est qu'une étape pour nous. Et, donc, aujourd'hui, je regrette bien sûr que des synagogues soient brûlées, mais, au-delà de cela, il y a une double responsabilité : responsabilité de l'Autorité palestinienne qui est maintenant de dire "c'est nous qui sommes là, nous devons faire respecter l'Etat de droit" ; et, d'autre part, responsabilité des Israéliens pour que Gaza soit viable économiquement ; 50 % de jeunes au chômage sans parcours personnel, sans espérance, c'est évidemment l'échec annoncé.
Donc, nous, Français et Européens, nous allons proposer aux Israéliens et aux Palestiniens que, dans les points d'entrée et de sortie aux frontières, ce soit l'Union européenne qui soit la tierce partie et qui puisse accepter cela pour que Gaza ne soit pas une prison à ciel ouvert.
Q - Est-ce que, au passage, il a recueilli un avis favorable de l'ambassadeur d'Israël en France hier soir qui s'exprimait ici-même sur LCI. Est-ce que, lorsque vous étiez au Proche-Orient il y a quelques jours, quand vous avez rencontré Ariel Sharon, vous lui avez dit : "le retrait de Gaza, de notre point de vue, ce doit être une étape vers le retrait des colonisations de la Cisjordanie" ?
R - Oui, évidemment, la recolonisation est contre le droit international, et puisque la communauté internationale est tout à fait d'accord, "oui" à l'évacuation de Gaza mais, ensuite, il faut assurer le respect du processus politique qui suit.
Q - Que vous a-t-il répondu ?
R - Il m'a répondu, ce que je peux d'ailleurs comprendre : "Israël n'a besoin que d'une seule chose, le droit à la sécurité, plus de terrorisme, je demande à Mahmoud Abbas de désarmer les mouvements terroristes, alors qu'il le fasse d'abord". Et, moi, je dis : "Mahmoud Abbas, que j'ai rencontré aussi, est un homme, j'en suis absolument persuadé, en qui on peut avoir totalement confiance lorsqu'il dit "je veux désarmer" ; mais a-t-il aujourd'hui une police palestinienne suffisamment professionnelle, suffisamment entraînée, suffisamment ordonnée ? Et, donc, oui, je crois qu'aujourd'hui, que ce soit les Américains, les Israéliens, la communauté internationale, nous avons plutôt intérêt à avoir une Autorité palestinienne avec une administration qui se tienne, efficace et qui évite lors des prochaines élections une montée de certains mouvements qui sont plus extrémistes.
Q - Alors transportons-nous sur un autre continent, le continent africain, en Côte d'Ivoire, il y a un véritable problème. Les élections n'auront pas lieu comme prévu le 30 octobre. Question : est-ce qu'après le 30 octobre, du point de vue de la France, Laurent Gbagbo est toujours le président de la République de Côte d'Ivoire ?
R - Il n'y a qu'une seule question à nous poser.
Q - Non mais à cette question, vous dites oui ou vous dites non ?
R - Non mais, évidemment, enfin, pardon de vous le dire, la question pour nous, il n'y en a qu'une, c'est : quand pouvons-nous faire le plus vite possible des élections ?
Q - Non, mais est-ce qu'il faut une phase de transition puisqu'on n'arrive pas à mettre en place ces élections ?
R - La seule phase de transition qui existe dans ces cas là, cela s'appelle le processus politique. Ce n'est pas la violence, ce ne sont pas les milices, c'est le processus politique.

Q - On dit cela depuis deux ans et demi.
R - Mais on peut dire pendant trois ans, il ne faut pas avoir peur de cela, la diplomatie sert à cela. Il faut trouver un processus politique. La meilleure solution pour trouver un processus politique dans n'importe quel endroit du monde qui est à feu et à sang, c'est d'organiser des élections. A partir de ces élections, on élit des responsables.
Q - Mais ces élections, on n'arrive pas à les organiser, est-ce que vous avez le sentiment que Laurent Gbagbo veut les organiser ?
R - Vous avez commencé l'émission en parlant de l'ONU. Eh bien voilà, vous avez l'exemple de ce que l'ONU doit faire. L'ONU ne s'est pas suffisamment peut-être encore impliquée dans la Côte d'Ivoire, il faut s'impliquer dans la Côte d'Ivoire, l'ONU sert à cela, il y aura des élections, même s'il y a peu de participation, il y aura des personnes qui, démocratiquement, seront représentatives et, à partir de là, il y aura une opposition et une majorité et le processus politique sera enclenché. Il n'y a que cela qui compte. C'est pour cela que je crois en l'ONU, c'est pour cela que je crois au multilatéralisme, c'est pour cela que je crois en la diplomatie.
Q - Philippe Douste-Blazy, merci.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 septembre 2005)