Interview de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, sur "RTL" le 23 mars 2004, sur les résultats électoraux du Front national au premier tour des élections régionales et sur sa statégie électorale pour le deuxieme tour.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


Q- J.-M. Aphatie-. Le Front national que vous présidez avait obtenu 15,02 % des suffrages lors des élections régionales de 1998 ; il était monté, vous étiez candidat à 16,8 % lors du premier tour de l'élection présidentielle de 2002. Et dimanche dernier, lors du premier tour des élections régionales, il est retombé en dessous de 15 %, 14,79 % des suffrages. Performance moyenne, voire médiocre pour le Front national. Pourquoi ?
R- "Non c'est pas exact, parce que le Front national a gagné 300.000 voix par rapport à la dernière élection, et il réalise son deuxième meilleur résultat électoral, à l'exception des présidentielles, avec 1997."
Q- Mais vous attendiez plus. Vous disiez avant le scrutin : "Nous serons le principal bénéficiaire d'une grande vague de protestation nationale".
R- "Tout à fait. Je crois que cette vague de protestation ne s'est pas produite. j'ai l'impression qu'elle a été un peu étouffée par le ressac espagnol, et la France, c'est vrai, n'a pas pris conscience, ou n'a pas voulu prendre conscience de la situation dramatique dans laquelle se trouve le pays, et dans laquelle nous allons nous trouver au lendemain des élections. Cela a maintenu en quelque sorte l'espèce d'équilibre gauche-droite. La rupture ne s'est pas produite, mais je pense qu'elle se produira tôt ou tard, et que le Front national sera, par les positions qu'il a acquises dans cette élection, en situation de jouer un rôle capital pour la France et les Français."
Q- C'est l'aveu d'une déception, ce matin ?
R- "Oui, relativement, mais vous savez j'ai souvent eu l'occasion d'être déçu dans ma vie, et les événements ne se plaquent pas toujours aux schémas, même intelligents, que l'on a pu projeter. Ce que je crois, c'est qu'il faut quand même se battre, parce que c'est une élection inconnue en fait. Evidemment, Monsieur Sarkozy est mal placé pour appeler les gens à voter pour ses candidats, compte tenu du fait que c'est un système mis en place par le Gouvernement pour éliminer les partis, et tout particulièrement éliminer le Front national."
Q- Et pour donner une majorité dans les conseils régionaux, ce qui avait été préjudiciable en 98...
R- "En tous les cas, je continuerai à me battre, je serai cet après-midi à Reims, en Champagne, et je serai demain à Marseille pour le grand meeting du Front national au Palais des Sports. Vous voyez qu'on a vu grand, et par conséquent, je ne joue pas perdant. D'autant que cette élection à deux tours va nous permettre de récupérer tous les petits candidats qu'on a semés sur notre route. Vous savez que nous avons perdu cinq régions à 1 %, par le fait du 1 % du MNR, qui a été évidemment instrumentalisé par l'UMP."
Q- Et vous espérez que les électeurs du MNR se reporteront sur vous ?
R- "Non seulement le MNR, mais tous les petits partis de droite qui ont été mis en place précisément... D'ailleurs la question devra se poser : qui va payer leur campagne électorale ? C'est intéressant de savoir qui va payer les millions de gens qui sont allés aux élections pour faire 1 % des voix !"
Q- Nous n'avons la réponse ni vous ni moi, ce matin. L'échec de votre fille, Marine Le Pen, en Ile de France est patent. Elle perd 600.000 voix par rapport à 1998. On dit qu'il y a un effet Sarkozy en Ile de France. Est-ce que vous partagez cette analyse ?
R- "Non, je crois qu'il faut comparer des choses comparables. Je crois qu'il y a une évolution sociologique de la région parisienne. Elle se vide de sa population d'origine en quelque sorte, et c'est ce qui explique des succès faits dans la périphérie de l'Ile-de-France. Mais Marine Le Pen a fait une très belle campagne. Elle n'a pas obtenu le résultat qu'on pouvait espérer, que tous nous pouvions espérer, mais je crois que ça n'est que partie remise."
Q- Raisons sociologiques, dites-vous. Et effet Sarkozy ?
R- "Je ne sais pas. Je ne mesure pas l'effet Sarkozy, qui est un effet de bulle, qui est un effet baudruchien. C'est-à-dire que quand on regarde les résultats de Monsieur Sarkozy concrètement, on s'aperçoit qu'il a pratiquement échoué dans tous les secteurs dont il a eu la responsabilité."
Q- Mais la droite régresse partout, sauf en Ile de France, où il était très impliqué dans la campagne de Jean-François Copé...
R- "Oui, en fait je crois qu'en Ile-de-France, Marine et le Front National ont souffert du scénario intelligent mis en place entre l'UMP et l'UDF, qui a fait croire aux Franciliens que, dans le fond, Monsieur Santini était un adversaire de Monsieur Copé, alors qu'ils étaient évidemment complices."
Q- Tout ça était cousu de fil blanc d'après vous ?
R- "Je le crois."
Q- Les électeurs ont fait payer à Jean-Pierre Soisson en Bourgogne, à Jacques Blanc en Languedoc-Roussillon, l'alliance qu'ils avaient passée avec vous en 1998. Vous êtes déçu pour Jacques Blanc et Jean-Pierre Soisson ?
R- "Pas du tout. D'ailleurs, ces deux personnalités avaient, dans les derniers mois, craché dans la soupe qui les avait nourris. Par conséquent, nous sommes tout à fait ravis de les voir éliminés !"
Q- "Ravis", le mot est prononcé. Le Front national sera présent dans 17 régions sur 22. Aucune chance de gagner une région. A quoi cela sert de voter pour le Front national au deuxième tour ?
R- "Mais à avoir des élus, voyons !"
Q- Pour témoigner ?
R- "Pas du tout, ce n'est pas une élection majoritaire, c'est une élection proportionnelle ! Par conséquent, il faut que nous ayons des élus, et plus nous aurons d'électeurs, et plus nous aurons d'élus pour faire entendre la voix de ceux-ci dans les assemblées, quels que soient ceux qui les dirigent."
Q- Jean-François Copé, candidat de l'UMP en Ile-de-France, dit ceci aux Franciliens : si vous votez pour le Front national, vous ferez élire la gauche.
R- "Oui c'est la vieille rengaine, ça ! "
Q- Il y a quelque chose de vrai dans la rengaine...
R- "Non, ils prennent vraiment les électeurs du Front national pour des imbéciles. Après avoir empêché le président du Front national de se présenter aux élections, c'est-à-dire avoir décapité la campagne et casser la dynamique de notre campagne, eh bien, ils viennent maintenant demander en quelque sorte qu'on les transfuse. C'est un Monsieur qui vous aurait tranché la gorge et qui demanderait : s'il vous plaît, voulez-vous me permettre de prendre votre sang pour me ranimer !"
Q- Est-ce que vous pensez qu'après ces élections régionales, il est nécessaire de changer de Premier Ministre, et que Jean-Pierre Raffarin doive céder la place à un autre Premier Ministre ?
R- "Je crois que ça n'aura, hélas, pas d'influence sur le cours des événements. La France s'engage maintenant dans une route extrêmement dangereuse, extrêmement pénible et je crois que, ni Monsieur Raffarin, ni aucun des hommes du système, ne seront capables d'arracher la France à la décadence dans laquelle ils l'ont plongée !"
Q- Et pour vous-même maintenant, quelle est la prochaine échéance ? vous serez candidat aux élections européennes ?
R- "Bien sûr ! Evidemment. Je mène la liste dans la région Sud-Est, et je crois que j'y aurai un bon résultat. Et je pense que tous les candidats du Front national vont montrer que le Front national est toujours là, petit bonhomme pas mort, loin de là."
Q- Et cette fois-ci, vous pourrez être candidat ?
R- "Je ne sais pas, puisque je crois que le Gouvernement m'a préparé une inéligibilité pénale, parce que j'ai dit un jour que "s'il y avait un jour 25 millions de Musulmans en France, on devrait descendre des trottoirs et raser les murs", ce qui, parait-il, est une incitation à la haine raciale. C'est une manière de voir les choses."
Q- Si je comprends bien, sérieusement, il y a un doute sur votre candidature aujourd'hui ? je ne connais pas du tout ce que vous dites, donc je ne sais pas du tout si c'est vrai ou pas.
R- "Pas encore, mais ils vont peut-être essayer de me jouer le coup que les socialistes m'ont joué au parlement européen, à partir d'un incident mineur : me priver de mon mandat. C'est une persécution constante, dont les électeurs sont très conscients eux aussi, et ils vont réagir, je crois, de manière très positive."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 23 mars 2004)