Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, sur France 2 le 3 novembre 2005, sur l'attitude du gouvernement de M. Dominique de Villepin face aux violences urbaines et les mesures en faveur de l'amélioration de l'habitat en zones urbaines sensibles.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

R. Sicard - Bonjour à tous, bonjour J.-L. Borloo.
J.-L. Borloo - Bonjour.
Q - La nuit a encore été agitée en banlieue parisienne. Hier, D. de Villepin a dit qu'il renonçait à un voyage officiel au Canada, ce qui est rare ; on a l'impression qu'il veut reprendre les choses en main, mais est-ce qu'il n'aurait pas fallu réagir plus tôt ?
R - Ecoutez, le chef du Gouvernement fait la synthèse de la situation. Il y a d'abord un problème terrible : deuil d'enfants, un engin devant un lieu de culte, ce qui est intolérable pour une République laïque qui protège tous les lieux de culte ; et puis des incidents de voie publique, et le ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur, est en charge directement - il est les deux, d'ailleurs, Intérieur et ministre des Cultes -, donc il est clairement en charge ; et puis après, il y a un travail de fond qui est "où en sommes-nous du Plan de rénovation urbaine massive des banlieues ? Où en sommes-nous des équipes de réussite éducative ? Où en sommes-nous des aides aux communes les plus pauvres ?". Et là, le chef du Gouvernement fixe la ligne et convoque ses ministres, dont je fais partie, pour à la fois évaluer ça, parce qu'il y a un énorme rattrapage à faire, soutenir le ministre de l'Intérieur dans le cadre du maintien de l'ordre public et puis demander qu'un plan complémentaire lui soit présenté sous un mois.
Q - Mais alors, dans les premiers jours, quand même, on a beaucoup entendu N. Sarkozy et pas beaucoup ni vous, ni D. de Villepin. Est-ce que ce n'est pas ça qui a pu donner l'impression que le Gouvernement privilégiait la répression et pas le dialogue ou la prévention ?
R - Vous savez, la façon de dire les choses ou d'apparaître dans ces situations toujours difficiles, ça commence par une crise sur la voie publique, et il est donc normal que le ministre de l'Intérieur soit évidemment le premier dans l'action, et puis, quand on passe...
Q - Est-ce qu'il ne fallait pas lancer le dialogue tout de suite ?
R - On peut toujours, après, réfléchir. Je crois franchement que le ministre de l'Intérieur, ministre des Cultes, était dans sa fonction, était en première ligne, après...
Q - Avec les bons termes employés ?
R - Vous savez, quand vous êtes en situation, ce n'est jamais facile de savoir comment il faut dire les choses. Vous avez, à Epinay... comment il faut dire les choses... Vous avez des femmes... vous savez, je voudrais dire deux mots de nos quartiers, parce que je ne voudrais pas que les Français pensent que c'est que ça. C'est en même temps que là il y a le dynamisme du pays, c'est là qu'il y a de la jeunesse, il s'y passe des choses formidables. Il y a des gens qui se lèvent à 06h00 du matin pour aller bosser, parfois loin de chez elles, il y a ces mamans qui élèvent leurs enfants. C'est en même temps, pour l'essentiel, des quartiers qui sont extrêmement touchants, extrêmement populaires, dans le sens le plus noble du terme, où s'exercent des solidarités, et puis, pour des tas de raisons, je n'excuse rien, mais pour des tas de raisons, depuis 25 ou 30 ans, il y a un énorme retard sur la qualité de l'habitat, sur les moyens éducatifs spécifiques à ces endroits là, voilà. C'est 25 ou 30 ans, quand même, de difficultés.
Q - Justement, D. de Villepin et J. Chirac ont demandé un plan d'action rapide avant la fin du mois...
R - Oui.
Q - Vous, qu'est-ce que vous pouvez faire, concrètement, d'ici un mois ?
R - D'abord, évaluer la situation. On a lancé il y a deux ans un plan de rénovation urbaine. Ça consiste en quoi ? A Montfermeil, par exemple, à refaire complètement le quartier, à construire des équipements publics, des voies d'accès, à refaire complètement l'espace public, des petits collectifs, des maisons individuelles. Plus [question de] ces espèces de barres absolument énormes, avec des problèmes de copropriétés dégradées. 320 millions d'euros ont été signés et engagés. Tout ça prend du temps. Il y a des endroits où c'est allé vite... Cette semaine était incroyable. J'ai été à la Duchère à Lyon, où ça a déjà démarré depuis 18 mois ou deux ans, et on voit complètement cette Duchère qui retrouve un avenir, où on voit à nouveau les Monts du Lyonnais, où c'était la fête, avec les jeunes du quartier. J'étais en début de semaine à Mantes-la-Jolie pour l'opération des maisons à 100.000 euros, où à Mantes on s'est promené avec P. Bédier, c'était...
Q - Mantes, où il y a eu quelques incidents.
R - Attendez, vous ne pouvez pas empêcher qu'il y ait des groupes très isolés. Je vous parle du quartier, je parle de l'ensemble des gens. Attention aux amalgames. Il ne s'agit pas des jeunes, il ne s'agit pas des quartiers, il s'agit d'incidents particuliers, sporadiques, ponctuels, même s'ils sont larges et étendus. Donc, une semaine où je me disais "c'est génial la rénovation urbaine, ça produit des effets". J'étais à Montereau il y a quelques semaines également. J'ai toujours dit, d'ailleurs, que dans ce grand programme national, cet espèce de plan Marshall des banlieues, il y avait un dossier dans le dossier qui était la Seine-Saint-Denis, parce que c'est là qu'il y a, objectivement, la concentration, réelle, des problèmes des plus grandes contradictions de la société française. Il faut évidemment que ça s'apaise, il faut évidemment que ces harcèlements s'arrêtent, mais il ne faut surtout pas penser une seconde que c'est la vie de ces quartiers, que c'est les gens de ces quartiers qu'il faudrait que la République s'en inquiète. Non, ça fait partie intégrante de notre pays. Je vous dis...
Q - Mais, quand on vous entend...
R - Je vais vous donner un chiffre, un chiffre monsieur, vous savez que c'est dans ces quartiers là qu'il y a le plus de créations d'entreprises en France, c'est dans ces quartiers là qu'il y a plus de créations d'entreprises. Tout ce qui est lié aux nouvelles technologies, aux nouveaux talents, aux nouvelles modes, c'est dans ces quartiers que c'est en train d'émerger.
Q - Quand on vous entend, on se dit que depuis le début de la semaine, le discours du Gouvernement a complètement changé. Maintenant c'est le dialogue.
R - Non, mais attendez, les choses ne sont pas, vous le savez bien, vous êtes adulte...
Q - C'est vrai !
R - Les choses sont toujours à deux mains ou à deux jambes, comme vous voudrez. Vous êtes aussi parent, il y a à la fois... Il est inacceptable que la voiture du voisin brûle, il est inacceptable de s'en prendre aux magasins, à ces pompiers, pour certains d'entre eux qui sont des volontaires, qui mettent leur vie en jeu pour sauver leurs compatriotes, que l'on était bien content de trouver quand il y a eu des drames, récemment à Paris, enfin, c'est extraordinaire. Ces jeunes policiers, également, bon, ces infirmières qui viennent sur le terrain et puis en même temps, il faut aussi ne pas se cacher la vérité : 30 ans où on n'a pas fait assez alors que l'on avait dit que l'on faisait beaucoup. Donc je n'excuse rien, la fermeté doit rester de mise, mais évidemment la main tendue aussi.
Q - Alors, la main tendue c'est important. Quand on veut faire un plan d'ici un mois, est-ce que ça veut dire qu'il faut des moyens financiers supplémentaires ? Certains disent qu'il faut que la banlieue ça devienne une priorité nationale, il faut des moyens énormes ?
R - Ceux-là n'ont pas bien suivi l'actualité. Nous avons lancé un programme de 20 milliards d'euros pour les banlieues, ce qui n'a jamais été fait. C'est l'équivalent de 13 porte-avions nucléaires. Il y a 200 cites prioritaires, dont Montfermeil. Je vous dis, dans certains, la donne a complètement changé, mais comme ce sont des dossiers lourds.... Prenez Malakoff à Nantes, par exemple, c'est extraordinaire ce qui est en train de s'y faire, mais quand ce sont des cites lourds, difficiles, qui touchent à l'humain, il faut résidentialiser... Je recevais hier un article dans un journal de Dreux, le quartier Croix-de-Tienac, je crois, où les gens se parlent maintenant avec des fleurs parce que l'on a complètement transformé le quartier, on l'a résidentialisé ; ce sont des locataires et les propriétaires qui parlent tous les jours avec des fleurs. Ils ont acheté eux-mêmes les bacs à fleurs pour le grand hall de l'immeuble. Donc, voilà, c'est des quartiers en mutation, il y a encore des tensions, mais les moyens considérables sont là. Simplement, il ne faut pas se raconter d'histoires, 30 ans de retard, ça ne se règle pas en 18 mois.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 14 novembre 2005)